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Une Cour fragile

Dans le document Face aux élèves, déni et envie (Page 21-27)

Comment travaille la Cour pénale internationale ? Quels obstacles rencontre-t-elle

?

Les juristes en rêvaient depuis 150 ans. Le rêve est devenu réalité, en juillet 2002, avec la création d’une Cour pénale internationale (CPI). Une juridiction permanente et à vocation universelle. Son objectif : ouvrir des enquêtes, poursuivre et juger des personnes accusées de crimes les plus graves, le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

« Cet instrument juridique est novateur car il met en cause la responsabilité des individus, explique Hervé Ascensio, professeur de droit international à l’Université de Paris-I Panthéon-Sorbonne. Et ce, contrairement aux juridictions antérieures comme les tribunaux de Nuremberg ou de Tokyo qui jugeaient les hauts responsables nazis ou les criminels de guerre japonais, et plus récemment les tribunaux spéciaux pour le Rwanda, l’ex-Yougoslavie, qui s’occupaient de

situations politiques précises et spécifiques. La Cour pénale internationale possède, elle, une compétence générale. »

Treize mandats d’arrêt et quatre personnes arrêtées

Soit une avancée majeure dans le combat contre l’impunité puisque désormais tout chef d’État devra répondre de ses actes devant la justice. Une avancée politique aussi car il est toujours difficile de bâtir une juridiction au-dessus des États. D’où l’importance ici de la notion de traité car « il suppose que les pays qui ont signé le traité de Rome, en 1998, s’engagent à poursuivre les criminels et acceptent de donner une compétence à la Cour sur leur territoire. Celle-ci n’a toutefois pas la primauté sur les juridictions nationales, elle leur est subsidiaire », souligne l’universitaire.

Si cette institution a mis quatre ans pour être opérationnelle, le chemin pour mettre en place une justice internationale est long. Jusqu’à présent, la Cour a délivré 13 mandats d’arrêt.

Seules 4 personnes ont été arrêtées et remises à la Cour pour être jugées. « Elle est une jeune adolescente, elle n’a que 11 ans, on ne peut qu’espérer des progrès », estime, pour sa part, François Roux, co-avocat français de Duch, l’ancien directeur du centre de détention S-21 de Phnom-Penh, et membre, à la création de la CPI, d’un groupe d’experts auprès du greffier pour mettre en place les codes de déontologie. Si le juriste fait partie « de ceux qui regrettent qu’elle mette tant de temps à poursuivre les criminels », il se dit satisfait du travail abattu par la Cour et, notamment, de l’arrestation de Jean-Pierre Bemba, le gros poisson de la CPI, accusé d’être le cerveau de crimes sexuels de masse commis par ses éléments durant deux tentatives de coup d’État, en République centrafricaine, en octobre-novembre 2002 et février-mars 2003.

Mais la difficulté majeure réside dans les enquêtes. « Il s’agit de situation où les conflits sont en cours : la république démocratique du Congo, même si le procureur n’a pour l’instant émis des mandats d’arrêt sur l’Ituri, le nord de l’Ouganda, la République centrafricaine et la région soudanaise du Darfour, explique Mariana Pena, déléguée de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme. Ce qui signifie sur le terrain une grande discrétion et la protection des témoins sur place. Mais les défis sont à tous les stades. Avec le cas Béchir, au Soudan, les poursuites vont être très difficiles car la CPI ne dispose pas de sa propre force de police. Son arrestation ne pourra se faire que si le régime est renversé car ce pays n’a pas ratifié le traité. »

Autre difficulté, le cohabitation de la CPI avec le système juridique anglo-saxon basé sur la «

common law », un facteur de ralentissement des procès. Une procédure qui prévoit en effet le contre-interrogatoire systématique des témoins et qui permet aux avocats de mener eux-mêmes leurs enquêtes. En juin 2008, le premier procès devant la cour de Thomas Lubanga a été suspendu afin de protéger le droit de l’accusé à un procès équitable.

Le procureur n’a pas pu communiquer aux avocats de la défense des éléments de preuves, fournis à titre confidentiel par l’ONU et d’autres organisations, tendant à disculper ou à atténuer sa culpabilité. « Avec le cas Lubanga, la décision de la Chambre préliminaire de garantir le respect du droit qu’ont les accusés d’avoir accès à toutes les informations pouvant prouver leur innocence montre que cette juridiction est déterminée à se conformer aux normes les plus strictes en matière de justice », note Simon Foreman, avocat et président de la Coalition française pour la CPI.

Plusieurs enquêtes en cours dans le monde

Si la vocation de la CPI est théoriquement universelle, pourquoi traiter en priorité des dossiers africains ? « Pour une raison historique, répond Simon Foreman, les trois États (RDC, Ouganda, RCA) où se déroulent les enquêtes ont demandé à la Cour de venir chez eux.

Conformément au principe de complémentarité, elle n’intervient que si la justice locale est dans l’incapacité de faire son travail correctement. » En pratique, ce principe de complémentarité est difficile à appliquer. Par exemple, en Ouganda, le procureur de la CPI a uniquement lancé des mandats d’arrêt à l’encontre des mouvements rebelles. Pourtant, les membres du gouvernement sont loin d’être irréprochables. « Comme les informations étaient uniquement livrées par les autorités ougandaises, il avait besoin d’elles pour travailler, explique Mariana Pena, d’où la perception auprès de la population locale d’une instrumentalisation de la Cour. »

D’autres situations, à travers le monde, sont en cours d’analyse. Le bureau du procureur s’est ainsi rendu plusieurs fois en Colombie pour évaluer les enquêtes nationales sur des crimes pouvant relever de la compétence de la Cour. D’autres processus sont en cours en Géorgie et en Afghanistan. Cependant, la non-ratification des grandes puissances, que ce soient les États-Unis, la Russie, la Chine ou Israël, limite considérablement le travail de la Cour. « Le système international est régi par des rapports de force, ces pays ont un puissant droit de veto au Conseil de sécurité, rappelle Simon Foreman. Ce deux poids, deux mesures n’est pas la faute des juges de la CPI qui font tout ce qu’ils peuvent pour garder leur indépendance à la fois par rapport au procureur de leur institution et aux États qui cherchent toujours à faire pression. »

Sur le plan financier, la CPI a coûté depuis sa création environ 511 millions d’euros et le budget pour l’année 2009 est de 101 229 900 euros, répartis entre 106 États. « Une goutte d’eau par rapport aux opérations de maintien de la paix des Nations unies dont le budget pour l’année 2008-2009 est de 7 milliards de dollars, considère William R. Pace, président de la coalition des ONG pour la CPI. Dans les années à venir, les juges seront plus nombreux, devront aller sur place, il faudra un budget plus important pour communiquer les procédures aux victimes. » Reste que cette institution permanente revient moins cher que les juridictions pénales internationales temporaires qui l’ont précédée. Comme le Tribunal pénal international pour le Rwanda ou l’ex-Yougoslavie dont le budget sur l’année 2008-2009 est d’environ 259 millions de dollars et 347 millions de dollars. Le prix de la justice.

Par Marjolaine Dorne

“Ne pas appliquer une justice punitive”

Questions à Rony Brauman, essayiste, professeur à Sciences-Po Paris, ancien président de Médecins sans frontières. Il critique l’accusation de génocide portée par la CPI contre le président soudanais El-Béchir, sans nier la stratégie de terreur. Elle joue à contre-emploi.

Approuvez-vous le mandat d’arrêt lancé par la CPI le 4 mars dernier à l’encontre d’Omar El-Béchir ?

Les motivations telles qu’elles sont exprimées par le procureur Moreno Ocampo sont très discutables. Je ne nie pas du tout qu’il y ait une stratégie de terreur, des massacres, des crimes collectifs. Plus de 2 millions de déplacés internes et 150 000 morts, cela montre bien l’ampleur de cette histoire tragique.

Mais de là à parler de génocide, de là à dire que 5 000 personnes meurent en moyenne chaque mois, de là à affirmer que les camps de déplacés sont des camps de la mort (d’ailleurs, ce ne sont pas des camps mais des regroupements, et les gens circulent librement), de là à prétendre que le génocide se poursuit en affamant les populations, il y a un abîme. Au contraire, dans ces camps, on revit, on se soigne, on s’éduque, on fait du commerce… Bref, ce sont des camps de la vie.

En outre, le procureur a d’abord jugé que les conditions de l’enquête n’étaient pas réunies, cela ne l’a pas empêché de conclure. Les crimes de guerre ou contre l’humanité ont été commis et justifient le mandat d’arrêt. D’ailleurs, les juges de la chambre préliminaire ont retenu ces accusations et ont écarté l’accusation de génocide. Mais il ne faut pas oublier cette situation paradoxale : Béchir est un coupable idéal, c’est un chef d’État cynique qui dirige une junte corrompue, mais en justice la question de la vérité factuelle est la plus importante.

Quelle est alors la solution pour retrouver la paix ?

Depuis plusieurs années, les efforts internationaux se sont concentrés sur des stratégies punitives, l’intervention armée et la justice punitive, du fait de l’énorme campagne autour de cette guerre. L’alternative est l’engagement dans des négociations.

Par exemple, en incitant les groupes rebelles, avec le tact et la fermeté dont on a besoin dans ce genre de situation, à se rassembler pour construire une plate-forme de négociations, en aidant les deux parties à fixer un calendrier, en utilisant la menace de saisie des comptes des dignitaires du régime à l’étranger, de rétorsion commerciale. Tout cela s’inscrit dans le temps. La résolution du problème primordial du Darfour, c’est la guerre et cela ne peut se faire que par un compromis entre les parties combattantes.

Le mandat d’arrêt n’a-t-il pas un pouvoir dissuasif ?

Je ne le crois pas. Vu depuis d’autres endroits que l’Europe, cela apparaît comme un acte d’arbitraire, de punition sélective qui vise certains chefs d’État qui n’ont pas le bonheur d’être protégés par les grandes puissances. Ce « deux poids, deux mesures » ressort plus fortement que l’avancée d’un droit. Transposer ce qu’un tribunal dans un cadre national et démocratique incarne sur la scène internationale, c’est oublier le primat de la règle des rapports de force et des intérêts croisés qui sont sans partage, même si elle est tempérée par l’ONU et les

organisations internationales.

Certes, entre un tribunal national et la CPI, il y a des règles de procédure, un esprit juridique qui sont communs mais les conditions dans lesquelles cette justice est rendue sont radicalement différentes. Dans des crimes de masse, il n’est pas possible de juger tous les criminels. Un pays ne peut pas sortir d’une situation de conflit en jetant dans ses geôles des milliers de gens qui ont combattu d’une manière qui était alors considérée comme légitime, voulue par l’autorité ou par les forces de rébellion. C’est une façon immédiate de susciter de nouvelles violences

La CPI devrait-elle laisser faire les institutions judiciaires soudanaises ?

Il est nécessaire que la société soudanaise, le moment venu, puisse examiner ses propres turpitudes, les responsabilités des uns et des autres dans les crimes commis. Il est préférable de faire confiance aux sociétés, aux institutions qu’elles veulent se donner plutôt que de vouloir de l’extérieur appliquer une justice punitive qui n’est pas comprise à Khartoum.J’ai des amis soudanais à Paris dont la famille et les amis, opposants de longue date au président, ont tendance à faire corps autour de lui pour faire face à une espèce d’agression extérieure.

La guerre, ce n’est pas comme une fracture d’un membre, on ne rabiboche pas en plâtrant. Il ne s’agit pas de redresser les torts et de figer une situation en attendant que la société se consolide. Comme si c’était le préalable à la guérison de ce mal qu’est la guerre.

Propos recueillis par Marjolaine Dorne

Par Marjolaine Dorne

Dans le document Face aux élèves, déni et envie (Page 21-27)

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