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Le TGV Atlantique au carrefour de l innovation, du territoire et du développement

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Academic year: 2022

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Revue d’histoire des chemins de fer 

46-47 | 2015

Le rail à toute(s) vitesse(s) - Deux siècles de vitesse sur rail, trente ans de grandes vitesses

Le TGV Atlantique au carrefour de l’innovation, du territoire et du développement

The « Atlantic » TGV line: innovation, space and development Julien Gonzalez

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/rhcf/3075 DOI : 10.4000/rhcf.3075

Éditeur Rails & histoire Édition imprimée

Date de publication : 1 septembre 2015 Pagination : 247-262

ISSN : 0996-9403 Référence électronique

Julien Gonzalez, « Le TGV Atlantique au carrefour de l’innovation, du territoire et du développement », Revue d’histoire des chemins de fer [En ligne], 46-47 | 2015, mis en ligne le 01 avril 2022, consulté le 24 avril 2022. URL : http://journals.openedition.org/rhcf/3075 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rhcf.3075

Tous droits réservés

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REVUE D'HISTOIRE DES CHEMINS DE FER 9, rue du Château-Landon, 75010 Paris

ISSN : 0996-9403 www.ahicf.com Directeur de la publication : Jean-Louis Rohou Comité éditorial :

Etienne Auphan, géographe, professeur émérite à l’université Paris-Sorbonne

Francis Beaucire, géographe, professeur émérite à l’université Paris I - Panthéon-Sorbonne Christophe Bouneau, historien, professeur à l’université Bordeaux Montaigne

Karen Bowie, historienne de l’art, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-La Villette

Bruno Carrière, chargé de recherche histoire et patrimoine, Rails et histoire Jacques Charlier, géographe, professeur à l’université catholique de Louvain Christian Chevandier, historien, professeur à l’université du Havre

Andrea Giuntini, historien, professeur à l’université de Modène-Reggio Emilia Anne Hecker, géographe, maître de conférences, université de Nancy II Michèle Merger, historienne, chargée de recherche honoraire au CNRS

Emile Quinet, économiste, professeur émérite à l’École nationale des Ponts et Chaussées Georges Ribeill, sociologue, directeur de recherche honoraire à l’École nationale des Ponts et Chaussées (LATTS)

Paul Smith, historien, direction générale des Patrimoines, ministère de la Culture et de la Communication

Laurent Tissot, historien, professeur à l’université de Neuchâtel Pierre Vignes, directeur honoraire de la SNCF

Jean-Pierre Williot, historien, professeur à l’université François-Rabelais (Tours)

Pierre Zembri, géographe, professeur à l’université de Paris-Est, directeur du Laboratoire Ville Mobilité Transport

Henri Zuber, conservateur général du patrimoine, adjoint au chef de service, Service historique de la Défense

Secrétariat d’édition : Marie-Noëlle Polino, Olivier Cosson, Ouafa Mameche Maquette et mise en page : Isabelle Alcolea

Impression : SNCF, Centre Édition-La Chapelle, 75018 Paris Septembre 2015

Imprimé sur papier certifié PEFC (Program of Endorsement for Forest Certification), issu de bois provenant de forêts gérées durablement, exempt d’acide, de métaux lourds et entièrement recyclable.

La Revue d'histoire des chemins de fer est éditée par l'Association pour l'histoire des chemins de fer (Rails et histoire), 9, rue du Château-Landon, 75010 Paris. Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation par tous procédés réservés pour tous pays, conformément à la législation française en vigueur. Il est interdit de reproduire, même partiellement, la présente publication sans l'autorisation écrite de l'éditeur. La rédaction n'est pas responsable des textes et illustrations qui lui ont été communiqués. Les opinions émises par les auteurs n'engagent qu'eux-mêmes.

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La Revue d’histoire des chemins de fer fait également l’objet d’une édition électronique (http://

rhcf.revues.org/) sur la plateforme Revues.org du portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales OpenEdition (http://www.openedition.org/) développé par le Centre pour l’édition électronique ouverte (Cléo).

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Le rail à toute(s) vitesse(s) - Deux siècles de vitesse sur rail, trente ans de grandes vitesses

Avant-propos par Michèle Merger

PREMIÈRE PARTIE

Aussi vite que possible... la vitesse, une recherche nationale permanente, des perceptions contrastées

Carolyn Dougherty - Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Christine Cross Vitesse et efficacité dans la conception des premières locomotives à vapeur

Hugo Silveira Pereira - Traduit de l’anglais par Marie-Noëlle Polino La vitesse dans les chemins de fer portugais (1851-1892) Louis Gillieaux

La grande vitesse belge, ses origines et ses spécificités Ivan Jakubec, Jan Oliva

La « Flèche slovaque », le premier train à grande vitesse tchécoslovaque Jim Cohen - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Cross

Le rail avant l’avènement de la grande vitesse. La vitesse des trains aux États-Unis de 1889 à 1980

François Caron

La politique de la vitesse à la SNCF dans les années 1960 Colin Divall, Hiroki Shin

Cultures de la vitesse et modernisme conservateur. La représentation de la vitesse dans l’histoire du marketing ferroviaire britannique

Natalia A. Starostina

Comment les réseaux ont appris aux Français à aimer la vitesse ferroviaire : vitesse, modernité et la nouvelle culture de mobilité dans les publicités des compagnies de chemins de fer françaises dans la France de l’entre-deux-guerres

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Sommaire

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4 - RHCF 46-47 Sommaire

Etienne Auphan

La vitesse perçue à travers les différentes facettes du temps : exemple illustré de la SNCF au cours de la seconde moitié du xxe siècle

Alfred Gottwaldt, Rainer Mertens

En images. Un siècle de trains à grande vitesse en Allemagne, 1903-2011

DEUXIÈME PARTIE

La très grande vitesse : de la pertinence des choix techniques aux enjeux stratégiques et territoriaux

Richard Leclerc

Cinquante ans de train à haute vitesse au Japon (1964-2014) Michèle Merger, Andrea Giuntini

La très grande vitesse ferroviaire en Italie entre innovations et tergiversations

Julien Gonzalez

Le TGV Atlantique au carrefour de l’innovation, du territoire et du développement

Joël Forthoffer

Grande vitesse et mobilité régionale : quels enseignements pour l’espace rhénan ?

Nacima Baron-Yellès, Éloïse Libourel

L’AVE, opérateur et révélateur des dynamiques institutionnelles et territoriales en Espagne

Dominique Mathieu-Huber, Yann Lelouard

Vitesse et aménagement des territoires : lien ad hoc ou relation absolue ? Le cas de la ligne Paris-Normandie

Sylvie Delmer, Valérie Facchinetti-Mannone, Philippe Menerault, Cyprien Richer L’appropriation locale de la grande vitesse ferroviaire en Europe.

Trajectoires croisées : Anvers, Lille, Metz-Nancy, Saragosse Pierre Zembri

La grande vitesse ferroviaire, vainqueur de la libéralisation du ciel français ? Stratégie singulière et payante de la SNCF de conquête de la clientèle aérienne domestique

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Sommaire

DÉBATS

La très grande vitesse « à la française » en débat : rupture ou continuité ?

Jean-Louis Picquand

Les surprises de la grande vitesse Georges Ribeill

La grande vitesse ferroviaire « à la française ». Un système trentenaire à bout de souffle ?

Lettre de Gérard Mathieu à Georges Ribeill, 12 juillet 2013

Titres et qualités des auteurs Résumés/ Abstracts

Tables des illustrations

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Julien GONZALEZ

Le TGV Atlantique au carrefour de l’innovation, du territoire et du développement

Article soumis le 8 mars 2012

L

e TGV Atlantique est la deuxième application du nouveau système d’exploitation ferroviaire mis au point par la SNCF à partir du milieu des années 1960, comme l’ont déjà bien montré divers colloques et publications de l’Association pour l’histoire des chemins de fer1. Venue en deuxième posi- tion dans la chronologie de la grande vitesse ferroviaire française, la ligne des- servant l’ouest et le sud-ouest de la France n’est pourtant pas la priorité de la SNCF et des pouvoirs publics des années 1970. La volonté du Président de la République François Mitterrand, qui demande le lancement de l’étude de la ligne Atlantique alors qu’il inaugure le TGV Paris - Lyon le 22 septembre 1981, a joué dans son orientation initiale un rôle au moins aussi déterminant que l’importance du bassin de population concerné, avec les agglomérations des- servies, ses atouts touristiques ou sa rentabilité financière présumée au-dessus de 12 %2. Le projet se construit rapidement et la déclaration d’utilité publique intervient le 25 mai 1984, moins de trois ans après l’effet de surprise créé par l’annonce de François Mitterrand.

1- Voir en priorité « Les très grandes vitesses ferroviaires en France », Revue d’histoire des chemins de fer, n° 12-13 (1995).

2- Selon les prévisions du Rapport de la Commission d’étude du TGV Atlantique, présidée par Raoul Rudeau.

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C’est en septembre 1989, pour la branche ouest, et en septembre 1990, pour la branche sud-ouest, que le TGV Atlantique entre en service commercial.

Entre 1985 et 1989, une ligne nouvelle, innovante par sa forme de « Y ren- versé », fut tracée et construite alors que des rames atteignant la vitesse symbo- lique de 300 km/h en service commercial étaient conçues et mises en service, rendant obsolètes leurs pourtant jeunes aînées à la célèbre livrée orange. La fructueuse collaboration entre un exploitant, la SNCF, et un constructeur, Alstom, ainsi que l’expérience d’une ligne antérieure ont permis de renouve- ler la dynamique de la grande vitesse initiée une décennie auparavant. Avec le TGV Atlantique, des innovations techniques font entrer définitivement la modernité dans le voyage ferroviaire en ouvrant de nombreuses perspectives pour les futurs matériels. La desserte tente dès lors d’appréhender un territoire plutôt que de servir une métropole dynamique, comme l’avait tenté, dans son principe, le TGV Paris Sud Est (en réalité Paris - Lyon).

C’est cette double bifurcation que nous interrogeons par l’étude de ce

« TGV deuxième génération » sous l’angle de la trilogie innovation-territoire- développement. Ces trois notions sont des clés de l’histoire ferroviaire en général mais leur application au TGV permet d’en révéler les caractéristiques propres dans la trajectoire historique des chemins de fer.

Une grappe d’innovations comme fondement de la deuxième génération de TGV ?

Le TGV Atlantique mit en œuvre de nombreuses innovations, essen- tiellement incrémentales, qui le distinguaient de son prédécesseur. Bien sûr il demeurait un « TGV à la française », héritant des caractéristiques de son aîné et des choix fondamentaux effectués par le Service de la recherche de la SNCF pour celui-ci : une ligne nouvelle, spécialisée pour le trafic voyageurs et confirmant le contact roue-rail, un matériel roulant avec une rame automo- trice articulée à traction électrique3, de nouveaux principes de commercialisa- tion de la grande vitesse (cadences élevées, réservation obligatoire, partition en deux classes, conservation des tarifs de base SNCF). Mais, à l’intérieur de ce cadre bien défini, il bénéficiait d’innovations qui lui permirent de réaliser des performances remarquables et nouvelles.

3- Clive Lamming, « Le TGV et la traction par turbines à gaz », in « Les très grandes vitesses ferroviaires... », op. cit., p. 66.

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Julien GONZALEZ

Le TGV Atlantique et les records de vitesse sur rail

Le TGV Atlantique sut marquer les esprits en bénéficiant d’une réelle image de modernité, grâce avant tout à ses performances en matière de grande vitesse. La Société nationale lança en effet au début de l’année 1986 une opé- ration destinée à explorer le domaine des très grandes vitesses. Cette opé- ration fut baptisée « TGV 117 »4, 117 pour 117 m/s – soit 420 km/h. Les vitesses espérées furent dépassées plusieurs fois et de beaucoup. En six mois, la SNCF battit le record du monde de vitesse sur rail avec le matériel Atlantique.

Une première étape était atteinte le 5 décembre 1989 : sur la branche aqui- taine de la Ligne Nouvelle n° 2 (LN 2), la rame 325 Atlantique atteignit au point kilométrique 166,6 les 482,4 km/h (c’est-à-dire les alentours de la barre symbolique des 300 miles à l’heure pour les Anglo-Saxons). Les 420 km/h sont donc déjà largement derrière elle. En mai 1990, avec cette même rame du parc Atlantique, la SNCF établissait deux nouveaux records : d’abord le 9 mai, au PK 165,5 où la rame 325 dépassa les 510 km/h, puis le 18 mai, lorsque la vitesse de 515,3 km/h fut enregistrée au PK 166,8. Cette succes- sion de records et les valeurs tutoyées par la SNCF et son matériel Atlantique eurent une profonde résonance auprès des principaux acteurs des chemins de fer français, en diffusant un sentiment de grande fierté. Le traitement de ces multiples records par le magazine spécialisé La Vie du rail est à ce titre tout à fait exemplaire. Les records firent la couverture des numéros et bénéficièrent de dossiers complets ; le numéro du 17 mai 1990 revient ainsi très largement sur le record du 9 mai : une quinzaine de pages évoquent cet événement, placé de façon solennelle par Philippe Hérissé sous le titre de « la marche du siècle ».

Ces réussites furent donc l’occasion pour les chemins de fer français d’acquérir une reconnaissance qui dépassait largement le cadre du monde cheminot. Le Président de la République (dont on connaît le rôle moteur dans le projet TGV Atlantique) et le ministre des Transports, Michel Delebarre, saluèrent l’exploit du 18 mai 1990. La nation exprima aussi sa reconnaissance en décorant de l’Ordre national du Mérite les cheminots directement impliqués. La portée internationale de l’événement fut également considérable dans la mesure où, comme le rappelle l’éditorial de La Vie du rail du 17 mai 1990, le TGV fran- çais ne souffrait alors d’aucune concurrence en matière de vitesse sur rail : « le TGV n’a pas de concurrent. L’ICE allemand n’est pas en service commercial et il ne roule, si l’on peut dire, qu’à 406,9 km/h. Quant au train à sustentation magnétique, avant même d’avoir vu le jour, il semble déjà démodé. » Les réac- tions étrangères sont largement recensées, comme celle du Financial Times qui

4- La Vie du rail, n° 2223 (14 décembre 1989), p. 4.

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souligne que « la France a battu hier son propre record de vitesse sur rail pour la seconde fois en six mois, faisant rouler un train de passagers à la moitié de la vitesse d’un avion Airbus ». Les TGV Atlantique ne filaient pas à plus de 515 km/h en service commercial, mais la vitesse de 300 km/h atteinte sur la ligne nouvelle constituait déjà un record. Ce fut la première occurrence de transports terrestres de voyageurs atteignant de telles vitesses. Derrière ces performances et ce double record de vitesse, commerciale et non commerciale, se cachait une grappe importante d’innovations.

Des innovations concentrées sur l’exploitation commerciale de la vitesse

Si nos recherches s’intéressent à l’innovation dans sa définition schum- petérienne globale, nous nous pencherons d’abord sur les dimensions tech- niques, celles qui permettent des très grandes vitesses ainsi que leur exploi- tation. Deux changements majeurs eurent lieu pour la traction et la péné- tration dans l’air des rames Atlantique, soutenant les efforts vers des vitesses supérieures. Pour le second point, le profil nouveau des rames Atlantique améliorait leur aérodynamisme, notamment le dessin de la toiture de Jacques Cooper. Plusieurs ouvrages5 estiment ainsi à 10 % le gain dans le coefficient de résistance à l’avancement. Dans le même temps, la traction bénéficia de changements de poids qui participaient au relèvement des vitesses du TGV Atlantique. Elle était désormais assurée par les motrices d’extrémité, de type BB bicourant (25 et 1,5 kV). Des moteurs synchrones autopilotés les équi- paient, induisant une nouvelle chaîne de traction. Le nombre de bogies moteurs ayant décru (8 au lieu des 12 du TGV PSE), l’ensemble était donc plus puissant et moins lourd, combinaison idéale pour la grande vitesse. Les moteurs des rames Atlantique étaient en effet plus légers que les moteurs à courant continu et développaient une puissance supérieure (8 800 kW en régime de croisière, 10 400 kW en régime de mise en vitesse).

Une autre « grappe d’innovations » rend possible l’exploitation de cette grande vitesse, en améliorant la sécurité et le confort. L’articulation de la rame, caractéristique des TGV, fut associée sur les rames Atlantique à un reposi- tionnement des bogies qui découplait leur mouvement de celui de la caisse, pour une stabilité renforcée. Dans le même sens, la suspension nouvelle fai- sait figure de quasi-révolution. Grâce à la suspension pneumatique SR 10, la grande vitesse ne se perçoit pas à l’intérieur des voitures, permettant la

5- Jean-François Bazin, Le TGV Atlantique, Rennes, Ouest-France, 1988 ; Olivier Constant, TGV, Paris, EPA, 2006, p. 50-54.

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Julien GONZALEZ

combinaison de la rapidité et du confort. La démonstration de ce confort fut faite par l’envoyée spéciale d’un journal télévisé6 qui posa un verre d’eau sur une tablette à l’intérieur du TGV Atlantique roulant à 300 km/h : aucun mouvement n’agitait l’eau.

Dans le domaine décisif de la sécurité, le freinage bénéficia de substan- tielles améliorations. Des disques nouveaux, dits « haute puissance », furent installés sur le matériel Atlantique et procuraient un gage supplémentaire de sécurité. L’ensemble de ces avancées majeures fut en outre renforcé et litté- ralement auréolé par « la révolution de l’informatique ». Élaboré au cours des années 1980, le TGV Atlantique sut tirer profit de la dynamique de la troisième révolution industrielle, dont les technologies de l’information et de la communication représentent un levier déterminant. Ce train était ainsi le premier à accueillir le traitement automatique des informations qui concou- rait à la rationalisation de son fonctionnement avant le départ comme pen- dant le voyage. La quasi-totalité des opérations de vérification était effectuée automatiquement, de même que la transmission des éventuelles opérations de maintenance. D’où une baisse des coûts (de l’ordre de 20 % selon Olivier Constant) et une augmentation de la disponibilité et de la fiabilité des rames.

Pendant le voyage, l’informatique assistait les hommes, à bord comme à terre.

Des chaînes de microprocesseurs installés tout le long du train surveillaient en permanence les fonctions vitales (freins, traction…) et en communiquaient l’état au mécanicien en cabine, via un écran. Il en fut désormais de même pour les informations extérieures : par la transmission voie-machine (TVM 300), la signalisation sur la ligne nouvelle (vitesses maximales, état de la voie…) arri- vait sur l’écran en cabine, la signalisation extérieure étant inefficace à grande vitesse. L’informatique embarquée était un gage de sécurité indéniable : acti- vation d’un freinage de la rame en cas de dépassement des vitesses, arrêt en cas de chute d’un objet sur la voie. Bien sûr ces dispositifs ont été perfectionnés depuis cette époque, notamment par la TVM 430, mais il n’en reste pas moins que l’insertion à une telle échelle du traitement automatique des informations constitue une rupture dans l’histoire des grandes vitesses ferroviaires françaises.

Et il est tout à fait remarquable qu’au moment de la mise en service de cette innovation la presse s’érigea souvent en pédagogue de la nouvelle technologie.

Des pages entières sont ainsi consacrées dans la presse régionale à cette révo- lution de l’informatique, pour expliquer son fonctionnement et son caractère

6- « Inauguration du TGV Atlantique par François Mitterrand », Actualités régionales d’Île-de- France, 17 mai 1989, www.ina.fr

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innovant. Comme pour rassurer leur lectorat face à la modernité, ces journaux présentaient presque toujours ces innovations sous l’angle de la sécurité7.

Le territoire du TGV Atlantique : la construction d’un réseau

Au-delà d’une grappe d’innovations techniques majeures, le TGV Atlantique offrait tout simplement une nouvelle infrastructure de transport.

« Les transports, activité qui consiste à faire passer d’un lieu à une autre, aus- si bien des hommes que des marchandises ou encore de l’information, ont toujours été une activité cruciale pour l’homme8. » Conformément à cette définition de François Plassard, en tant qu’infrastructure de transport, le TGV Atlantique s’inséra dans l’espace en le modifiant et le reconstruisant pour façonner « son » territoire. Depuis Paris-Montparnasse, le réseau ferré Atlantique couvrait en effet l’ensemble de la façade océanique à partir d’une infrastructure nouvelle. Nous avons employé le terme réseau, au cœur de l’his- toriographie ferroviaire, mais il faut s’interroger sur son emploi à propos des grandes vitesses. Est-il légitime et pertinent ? L’infrastructure nouvelle n’est- elle pas en effet nommée officiellement Ligne nouvelle ?

L’Atlantique, une ligne à grande vitesse originale

Dans sa genèse même, la grande vitesse ferroviaire française fut pen- sée comme la liaison la plus rapide possible entre deux villes. Bernard de Fontgalland voyait ainsi dans le TGV un « Transport entre Grandes Villes »9 et la première ligne de TGV en France reliait bien les deux premières métro- poles du pays. La ligne Paris - sud-est reste souvent désignée comme la ligne Paris - Lyon, malgré les vifs débats entre spécialistes suscités par cette question qui dépasse largement le registre symbolique.

Le TGV Atlantique répond bien à cette conception et à cette définition.

En tant que mode de transport à grande vitesse, il devait relier en priorité les villes à partir d’une ligne nouvelle, construite spécialement pour lui, mais éga- lement avec un prolongement sur voies classiques. Mais, première évolution essentielle, la LN 2, par son dessin et son dessein, dépassait le cadre strict de la ligne à grande vitesse destinée à relier deux points rapidement. D’emblée, elle fut pensée et réalisée pour couvrir une large partie du territoire, l’ouest de

7- Voir par exemple « Sécurité. L’ordinateur veille » et « Sécurité. Tout en cabine », La Nouvelle République du Centre-Ouest (septembre 1990), p. 8-9, Archives du conseil régional du Centre.

8- François PLassard, Transport et territoire, Paris, la Documentation française, 2003, p. 7.

9- Georges riBeiLL, « Recherche et innovation à la SNCF dans le contexte des années 1966- 1975 : un bilan mitigé » in « Les très grandes vitesses ferroviaires... », op. cit., p. 78.

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Julien GONZALEZ

la France. L’est du pays concentrait alors une grande partie des infrastructures modernes. Bien doté en autoroutes, il se vit attribuer le premier TGV dans les années 1970. Dans le contexte de renforcement de l’Europe, les lignes envi- sagées à l’époque devaient relier Paris au cœur dynamique du continent (les lignes Paris - Strasbourg puis Allemagne et Paris - Lille et Londres, Bruxelles, Amsterdam et Cologne avaient la priorité). Il fallut la conjonction de trois élé- ments pour renverser cette tendance et porter l’attention vers l’ouest français : la renonciation au projet du tunnel sous la Manche de la part du gouverne- ment britannique qui enterra le TGV Nord, l’alternance politique de 1981 en France (l’influence de François Mitterrand et de Charles Fiterman, tous deux très favorables au TGV Atlantique est indéniable) et la volonté de la Datar de rééquilibrer l’équipement au profit de l’Ouest et, partant, de le raccrocher au développement économique. Ce souhait rencontra un projet de la SNCF, peu médiatisé, quelque peu en retrait, mais fin prêt en 1981, pour réaliser le TGV Ouest, présenté comme le premier TGV d’aménagement. Répondant à cet ob- jectif, la forme en « Y renversé » donnée à la ligne nouvelle était donc destinée à embrasser en une fois l’ensemble de la façade Atlantique. La LN 2 se trouve ainsi en porte-à-faux entre sa définition de ligne nouvelle à grande vitesse, goulot d’étranglement dans l’aménagement du territoire, et sa forme en « Y », innovation qui renouvelle la construction du territoire par la grande vitesse.

Elle est divisée en trois parties : un tronc commun, de Fontenay-aux-Roses à Courtalain, d’une longueur de 124 km, une branche ouest, de Courtalain à Connerré, longue de 52 km, et une branche sud-ouest, de Courtalain à Saint- Pierre-des-Corps, longue de 87 km, à laquelle il convient d’ajouter les 17 km qui contournent Tours jusqu’à l’embranchement avec la ligne classique en direction de Bordeaux, au niveau de Monts. C’est donc au départ de Paris- Montparnasse une ligne nouvelle longue de 280 km, permettant la circulation des rames à 300 km/h, qui répond à un double objectif. D’une part, un tracé à deux directions (avec une partie commune la plus longue possible : le choix de la bifurcation à Courtalain, variante de la solution de base, préférée pour des raisons financières, de coûts d’investissement, de rentabilité interne10).

D’autre part, un raccordement aux trois extrémités au réseau classique, pour pénétrer à l’intérieur des villes et diffuser les gains de temps de la très grande vitesse au réseau existant. Tout le long de cette ligne double, c’est un bassin

10- « Rapport de la Commission d’étude du TGV Atlantique, présidée par Raoul Rudeau, ingénieur général des Ponts et Chaussées », in France-Direction des transports terrestres, TGV Atlantique, rapports sur le projet de desserte de l’ouest et du sud-ouest de la France par trains à grande vitesse, Paris, La Documentation française, 1984.

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de population important11 qui devait bénéficier de ce mode de transport mo- derne grâce à l’aménagement de 37 gares TGV. Ces gares étaient dotées d’un habillage architectural homogène et pour la première fois un train entre dans des lieux imaginés pour lui : sur ces 37 gares desservies, 22 sont aménagées autour de la notion d’Atlantique. Entre rénovations et constructions, c’est tout un paysage ferroviaire spécifique qui fut édifié, combinant le blanc, le béton brut, l’aluminium et le bleu, constitutifs du « concept TGV Atlantique

». La gare nouvelle de Saint-Pierre-des-Corps12, de type « Océanique », fournit une excellente illustration de ces principes avec ses larges verrières et haubans, de même que la porte Océane de Paris-Montparnasse – où trônent les noms des plus grandes villes desservies de l’Ouest et du Sud-Ouest, ou encore les voilures le long des quais du Mans…

De la ligne au réseau

Cependant, l’étude de l’inscription spatiale ne saurait se satisfaire de la seule vision de la ligne. Le TGV Atlantique porte en lui la notion de réseau, sa forme en « Y renversé » rompant avec l’image du segment. Mais surtout

« l’efficacité d’une nouvelle infrastructure ne se limite pas aux avantages qu’elle procure aux lieux qu’elle dessert directement »13. L’étude du TGV Atlantique doit aussi comprendre ses deux types de prolongements : les prolongements

« grandes lignes » et les prolongements régionaux.

Le premier type renvoie directement aux mécanismes de l’intercon- nexion des lignes à grande vitesse. L’innovation organisationnelle d’un véri- table réseau à grande vitesse fut en quelque sorte consacrée le 9 octobre 1987 par le Premier ministre Jacques Chirac, tandis que la déclaration d’utilité publique de l’Interconnexion intervenait le 1er juin 1990. Une liaison périphé- rique devait ainsi relier entre elles les différentes LGV sans qu’un passage par Paris et une ou plusieurs ruptures de charge soient nécessaires. Massy est ainsi promue gare « d’interconnexion » du TGV Atlantique. Située au sud-ouest de la capitale, sur la ligne nouvelle 2, la ville avait obtenu une gare TGV en

11- Les sources insistent sur l’importance numérique de la population française concernée par le projet de TGV Atlantique. Les chiffres varient mais restent éloquents : le rapport Rudeau estime que le bassin de population bénéficiaire de l’infrastructure représente un cinquième de la population nationale, tandis que la SNCF va jusqu’au chiffre de 22 millions d’habitants. Voir

« Construction de la LN TGV Atlantique, un nouveau train pour 22 millions d’habitants », SNCF, juin 1986, Archives du Conseil régional du Centre.

12- Jean-François troin, Rail et aménagement du territoire : des héritages aux nouveaux défis, Aix-en- Provence, Edisud, 1995, p. 93.

13- François PLassard, Transport et territoire..., op. cit., p. 63.

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1987, « à l’arraché »14, grâce à sa position de nœud (bien qu’il faille créer un raccordement ferroviaire avec la Grande Ceinture), grâce également à l’action de son député-maire Claude Germon. C’est bien avec Massy, qui concentre de nombreux réseaux (lignes B et C du RER, autoroutes A6 et A10, parking de 800 places), et avec le TGV Atlantique qu’apparut la possibilité de connecter entre elles les LGV. Ouverte en 1991, la gare de Massy permit des liaisons sans rupture de charge à Paris du type Nantes - Lyon d’abord, Bordeaux - Lille ensuite, après la mise en service des nouvelles lignes à grande vitesse.

Le second type de prolongement est régional. Cette question est cruciale pour le fonctionnement de la grande vitesse. En effet, mettre en place dans les régions, à partir et en direction des gares TGV, un système de liaisons régio- nales permet de rabattre la clientèle locale vers le chemin de fer et, dans l’autre sens, de prolonger le voyage des passagers des TGV. La grande vitesse, pour conserver son efficacité en matière de temps de parcours entre deux points, doit en effet limiter le nombre d’arrêts intermédiaires. Dans cette perspective le TGV ne serait pas vraiment un outil d’aménagement du territoire (entendu comme une action de rééquilibrage). Néanmoins, comme le rappelle la cita- tion de François Plassard, l’efficacité en matière d’aménagement doit être réé- valuée en intégrant la problématique des prolongements locaux. Ceux-ci, du fait des lois Defferre relatives à la décentralisation, et de la Loi d’orientation des transports intérieurs de 1982, reviennent essentiellement aux collectivités locales et, en premier lieu, aux toutes nouvelles régions. À travers des parte- nariats avec la SNCF (contrat de plan en 1985) et avec un nouvel outil (le train express régional ou TER), ce sont elles qui obtiennent l’initiative sur cet échelon du transport. Les TER, nés en 1987, devaient devenir des produits ferroviaires efficaces et durables et cet objectif était d’ailleurs pensé dès l’ori- gine en liaison avec les TGV. La presse spécialisée fit état de l’engagement15 des régions dans le processus de développement des TER. Au début de l’année 1989, toutes les régions concernées par le TGV Atlantique16 signaient une convention d’exploitation, dont cinq une « convention matériel  » (c’est-à- dire l’achat par les régions ou leur subvention à l’achat de nouveaux maté- riels roulants) et quatre une « convention infrastructure ». Les archives des conseils régionaux révèlent une montée des préoccupations engendrées par l’arrivée du TGV Atlantique. En leur sein les questions des arrêts, des horaires

14- Jean-François troin, Rail et aménagement..., op. cit., p. 99.

15- La Vie du rail, n° 2177 (12 janvier 1989).

16- Il s’agit des régions Centre, Pays-de-la-Loire, Bretagne, Poitou-Charentes, Aquitaine et Midi-Pyrénées.

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et des correspondances tiennent une place de choix. L’intensité des réactions semble variable d’une région à l’autre, du moins en termes de traces dans leurs archives respectives. Néanmoins l’arrivée du TGV nécessite toujours un dis- positif complexe de préparation, avec en particulier une logique d’adaptation des transports régionaux.

Alors qu’il prononçait le 3 février 1987 un avis favorable 17sur le projet de desserte TGV présenté par la SNCF, le Conseil régional des Pays-de-la- Loire établit une liste de réserves, où figurait en bonne place la mise à l’étude de la modification des dessertes régionales. Inaugurée par la convention d’ex- ploitation du 13 mai 1985, la coopération de cette région avec la SNCF pour les transports collectifs régionaux se focalisa largement sur les mécanismes d’adaptation à l’exploitation du TGV. Ainsi une lettre du Conseil régional datée d’octobre 1988 souligne que l’objectif prioritaire est « d’établir le maxi- mum de correspondances avec les TGV pour les localités et liaisons non des- servies directement par ces trains tout en maintenant des horaires adaptés aux acheminements domicile-travail et scolaire »18. Cette question de l’adaptation aux TGV des horaires des transports régionaux occupe une place importante dans les archives du conseil régional. À Nantes, on trouve plusieurs cartons, directement intitulés « horaires TER modifiés par arrivée du TGV 1989 », contenant les projets de desserte TGV Atlantique et des horaires adaptés des TER pour les services d’hiver 1989-1990 et d’été 1990. Un long processus de discussion s’était mis en place dès 1987. Avant de donner son approbation, le Conseil régional s’en fit le relais vers les communes. Au total, ce sont 149 col- lectivités19 qui furent alors consultées dans la région : 39 répondirent avec des remarques, 23 sans faire de remarques et 87 n’adressèrent aucune réponse.

Un processus important de dialogue et de débats entre plusieurs institu- tions, à différentes échelles, se développait pour étendre le territoire du TGV Atlantique. Dans d’autres régions, comme le Centre et l’Aquitaine, les fonds d’archives concernés semblent moins importants mais révèlent eux aussi l’ef- fort d’adaptation et de préparation face à l’arrivée du TGV. Comme Nantes, Orléans étudia les grilles horaires adaptées pour le service d’hiver 1989-1990.

En Aquitaine, le contrat région-SNCF de 1986 comportait un plan TER dont

17- Avis du Conseil régional, séance du 3 février 1987, Archives du Conseil régional des Pays- de-la-Loire, 124 PR, 130, TGV A.

18- Conseil régional des Pays-de-la-Loire, « horaires TER modifiés par arrivée du TGV 1989 », Archives du Conseil régional des Pays-de-la-Loire, octobre 1988, 124 PR, 95.

19- Commission des infrastructures, « horaires TER modifiés par arrivée du TGV 1989 », réunion du 12 mars 1990, Archives du Conseil régional des Pays-de-la-Loire, 124 PR, 98.

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l’objectif était l’aménagement de 500 000 km-train avant la mise en service du TGV Atlantique. Entre 1986 et 1990, le développement du TER aquitain fut important puis il se poursuivit plus lentement au cours de la décennie sui- vante. En 1990, la région est bien prête pour l’arrivée du TGV. Un véritable effort d’harmonisation des horaires TGV-TER a bien été poursuivi pour faire des derniers un véritable prolongement des premiers.

Dix ans d’exploitation, l’heure des résultats

Un train ne se résume cependant pas à un simple objet technique qui se meut à travers un espace ; les attentes à son sujet dépassent largement ce cadre.

Un train nouveau modifie l’offre de transport, en améliorant l’accessibilité de certains points et en raccourcissant l’espace-temps entre deux aires. Un train nouveau implique une modification des territoires desservis et ce changement est souvent porteur d’espoirs. Le TGV Atlantique ne déroge pas à la règle. Il est une opportunité de développement dans l’imaginaire des régions concer- nées. Au-delà des discours, quels en furent les fruits ?

Contextes politique et scientifique

Avant d’étudier plus précisément le cas du TGV Atlantique, il faut rap- peler l’arrière-plan intellectuel qui accompagna les réalisations d’infrastruc- tures de transport dans les années 1960 et 1970. Avec la construction de ces infrastructures, autoroutes puis LGV, s’était propagée l’idée d’un développe- ment économique quasi assuré des territoires desservis. L’aménagement de réseaux de transport était en effet considéré comme un levier majeur de déve- loppement de régions éloignées, de régions exclues jusqu’alors des dynamiques de croissance. Cette vision est replacée par François Plassard20 dans l’héritage du saint-simonisme et repose sur une conception mécaniste qui établit un lien de cause à effet entre l’arrivée d’une infrastructure de transport et le dévelop- pement économique. Deuxième TGV, décidé au tout début des années 1980, le TGV Atlantique est aussi nourri par cette conception du progrès et du développement territorial : le premier point du Rapport Rudeau consacrait le TGV comme outil de relance économique, les collectivités se battaient pour obtenir un arrêt TGV, comme le montre l’exemple type de Vendôme, et le

«  schéma national des liaisons ferroviaires à grande vitesse » de 1990 reste largement marqué par ce discours.

20- François PLassard, Transport et territoire..., op.cit.

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Il faut cependant renoncer à l’automaticité de cette conception, comme le soutient François Plassard dès les années 1980. Avec lui les experts remettent progressivement en cause cette mystique de l’infrastructure porteuse de déve- loppement. Les responsables politiques sont moins catégoriques (absence de nouveau modèle dominant et succès du discours auprès du public) mais durent s’adapter peu à peu. À partir d’études comme la synthèse réalisée en 1986 sur les effets socio-économiques du TGV PSE sur la Bourgogne et Rhône-Alpes – qui concluait à la faiblesse relative des répercussions de la mise en service du TGV et dont nous trouvons des copies dans les archives des conseils régionaux attendant le TGV Atlantique – il apparaissait assez clairement que le train à grande vitesse ne tient pas de la panacée sur ce plan. Si l’affirmation d’effets directs restait encore présente, elle fut fortement nuancée par la notion de

« politique d’accompagnement » dans les années 1980 et 1990 : une nouvelle infrastructure n’apporte pas elle-même le développement, elle ne permet au mieux que de faire converger les dynamiques préexistantes.

Réalisations dans les territoires desservis

Dans le cadre de ces nouveaux constats et de cette nouvelle prise de conscience critique, se mirent en place des programmes d’urbanisme autour de nombreuses gares TGV, pour mieux assurer le développement. Il s’agissait de politiques d’accompagnement qui soutiendraient ou initieraient des dyna- miques que l’arrivée du TGV Atlantique devait multiplier. L’aménagement du quartier de la gare occupe une place essentielle dans cette perspective, dans des proportions certes variables selon les villes, leurs moyens et leurs objectifs. Les grands traits sont cependant sensiblement identiques d’une ville à l’autre : la desserte de la gare constitue un premier enjeu, avec la constitution d’un pôle multimodal où convergent les chemins de fer, les transports collectifs urbains et les transports individuels ; retenir et créer des entreprises représentent le second volet de ces programmes. Ainsi apparaissent des espaces de bureaux, des parcs technologiques, des hôtels, des palais des congrès, etc. Mais l’ampleur et parfois la nature des réalisations et des résultats distinguent profondément les trajectoires des agglomérations et de leurs aménagements.

À partir des travaux de Jean-François Troin21, nous pouvons tenter une typologie des villes desservies par le TGV Atlantique, en fonction du degré de volontarisme et surtout des résultats obtenus en termes de dynamisme écono- mique. Un premier groupe réunit Bordeaux, Poitiers, Saint-Pierre-des-Corps et Tours. Les gares de Bordeaux et Poitiers se trouvent dans un environnement

21- Jean-François troin, Rail et aménagement, op. cit., p. 92 sq.

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peu plaisant et, malgré le remodelage réalisé dans l’attente du TGV Atlantique, on n’assiste pas à des changements décisifs. Poitiers revoit son projet ambitieux à la baisse et Bordeaux pâtit de l’éloignement de sa gare par rapport au centre d’affaires. Les effets sont donc globalement plus que modestes dans ces deux villes. En première analyse, Tours et Saint-Pierre-des-Corps ont bénéficié d’un grand remodelage, Saint-Pierre-des-Corps voyant s’ériger une nouvelle gare et tentant d’attirer de nouvelles activités tertiaires (construction d’immeubles de bureaux de 3 000 m², d’un hôtel, d’un parking). Cependant les résultats sont loin des espérances, la concurrence avec la voisine Tours sur le plan éco- nomique est difficile. Cette dernière a misé sur l’attentisme et n’a finalement fait des efforts que tardivement, en aménageant la ZAC du quartier-gare entre 1990 et 1993 (création d’un parking, d’un nouvel Office du tourisme, d’un Palais des Congrès). Dans ce groupe des villes qui ont aménagé le quartier de la gare avec des résultats peu probants, Tours réussit par son attentisme à minimiser le développement de Saint-Pierre-des-Corps.

Le deuxième groupe correspond aux villes profitant du TGV pour redynamiser leur agglomération en valorisant son potentiel. Avec un volonta- risme évident où l’objectif affiché est aussi le développement économique, Le Mans, Nantes et Rennes peuvent se féliciter au minimum d’une action réelle dans le remodelage urbain et la réinsertion complète de la gare dans la cité.

Dans les trois villes, une gare nouvelle est créée : une gare sud à Nantes et au Mans, une gare au-dessus des voies qui relie le Nord et le Sud à Rennes. Ces gares nouvelles annulent l’effet de coupure des infrastructures précédentes.

À Nantes, les projets sont antérieurs à l’arrivée du TGV. La réhabilitation du quartier du Champ-de-Mars, avec un nouvel hôtel, une Cité des congrès et la reconversion de l’espace LU, est déjà pensée mais le TGV et la gare sud nouvelle donnent une cohérence au projet et valorisent les choix. À Rennes, malgré un faible enthousiasme et des débuts difficiles, la nouvelle gare permet là aussi de redynamiser un quartier auparavant enclavé. Avec l’arrivée du TGV Atlantique dans la capitale bretonne, la connexion entre les parties nord et sud de la ville est réalisée autour de la gare, le quartier reprend vie avec des espaces commerciaux (sur 1 800 m²), des espaces de bureaux (sur 11 000 m²) et 5 000 places de stationnement. La troisième ville, Le Mans, offre la trajec- toire la plus accomplie. Ici, l’imbrication de l’arrivée du TGV et des projets immobiliers est évidente, le volontarisme est réel. La gare sud nouvelle revita- lise un quartier enclavé : des logements sont construits, un espace des affaires créé (Novaxis, sur 22 000 m²) avec un réel succès : 52 entreprises, soit 600 salariés, s’y implantent. Si l’objectif d’attirer des entreprises parisiennes n’est

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pas atteint, le pôle tertiaire manceau est tout de même renforcé. Le TGV est au Mans le révélateur de dynamiques économiques existantes.

Un troisième groupe réunit les deux gares dont les résultats furent les plus décevants à l’aune des espoirs initiaux placés dans leur réalisation. La gare d’interconnexion de Massy offrait pourtant de réels atouts en concentrant de nombreux réseaux de transports, à proximité d’importants centres de re- cherche et d’affaires. Il s’agissait de faire de Massy un pôle européen d’affaires, voire une Silicon Valley en Essonne. Mais le bilan s’avère fort décevant : le trafic est demeuré bien en deçà des prévisions (seulement un tiers du trafic présumé est réalisé en 1995) et le développement-désenclavement reste à l’état de discours. Massy demeure une gare de passage au milieu des années 1990.

Vendôme a une situation initiale assez différente mais les résultats sont tout aussi décevants. La gare de Vendôme constituerait l’exemple même du « fan- tasme sur les effets »22. Appartenant à la catégorie des gares « vertes », « en plein champ » ou « dans la Pampa », selon le degré d’ironie des auteurs, elle se situe à cinq kilomètres du centre de Vendôme. Accordée par la SNCF, pour remplir les Paris - Tours et à cause du refus des Beaucerons de voir leurs exploitations céréalières coupées par la LGV, réclamée par tout le Vendômois23, elle fut accompagnée pourtant par des efforts considérables pour recueillir la manne de l’effet TGV. À côté de la gare fut créé un parc technologique, tourné vers les arts graphiques, dont l’objectif était la création d’un millier d’emplois.

Dans la gare, un terminal de promotion du tourisme dans la vallée de la Loire fut installé. L’effort fut fourni par l’ensemble des parties prenantes. La Région Centre et le Conseil général du Loir-et-Cher participèrent par exemple au financement de ce terminal24. Mais, à part de petits immeubles et quelques visites touristiques, le miracle de Vendôme reste un mirage.

22- Ibidem.

23- Nous voulons dire la majorité des responsables, les élus, le Syndicat intercommunal pour l’étude et l’aménagement du bassin d’influence de la gare TGV de Vendôme… Les agriculteurs s’étaient vu opposer les CRS lors des violentes manifestations en 1983 contre le projet de LGV Atlantique.

24- Lettre de Roger Goemaere [1923-2000, alors président du Conseil général de Loir-et-Cher]

à Maurice Dousset [1930-2007, alors président du Conseil régional du Centre], 6 juillet 1989, Archives du Conseil régional du Centre. L’échange de lettres entre ces institutions (conseils gé- néraux, régionaux) et le Syndicat intercommunal en 1989 montre une participation de la région et du département de 450 000 F chacun, soit environ 42 % du total estimé à cette date.

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Conclusion

Si le TGV Atlantique a combiné avec succès plusieurs grappes d’innova- tions du point de vue technologique et organisationnel, son exploitation com- merciale a démarré sous de bons auspices : les investissements prévus n’ont pas été dépassés et en 1997 le taux de rentabilité interne atteignait 10,2 % en tenant compte de la subvention de l’État25.

Pour autant, il ne faut pas succomber à la tentation de contribuer à l’ha- giographie ferroviaire qui accompagne souvent la geste du TGV. Dans le dé- ploiement de sa trajectoire depuis plus de deux décennies, le TGV Atlantique ne fut pas un levier miracle d’aménagement du territoire et de développement des espaces desservis. La grande vitesse, par les « effets tunnel » qu’elle produit, porte en elle son propre goulet d’étranglement, en empêchant un maillage plus étroit du territoire. Elle ne peut agir que comme un levier complémentaire, idéalement un catalyseur, pour d’autres dynamiques, en particulier urbaines, de développement.

Références bibliographiques

Archives et documents à valeur de source

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La Vie du rail, n° 2223 (14 décembre 1989), n° 2177 (12 janvier 1989), n° 2281 (7 février 1991).

25- SNCF, Bilan a posteriori du projet de desserte de l’ouest et du sud-ouest de la France par trains à grande vitesse (TGV-Atlantique). Rapport, décembre 1998.

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Références

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