1022 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 11 mai 2011
rendent son évaluation difficile dans de nombreuses situations.
La douleur peut également avoir un im
pact très négatif au niveau des capacités fonctionnelles, de la vie sociale et, finale
ment, de la qualité de vie de la personne âgée. Au quotidien, la douleur s’associe sou
vent à d’autres problèmes tels que les trou
bles du sommeil, la dépression, les chutes et la consommation inappropriée de médi
caments.4
Traiter efficacement la douleur chez le patient âgé constitue un véritable défi, lequel nécessite, entre autres, l’évaluation soigneu
se des causes qui la génèrent.
Entre la douleur «aiguë» et la douleur
«chronique», la frontière n’est pas toujours facile à définir, les deux contextes étant souvent intriqués.
Les douleurs aiguës attirent plus facile
ment l’attention des soignants, dans la mesure où l’inconfort intense qu’elles en
traînent pousse le patient à consulter en ex
primant une plainte relativement précise.
Au contraire, la douleur chronique est plus
«sournoise», elle génère une doléance «va
gue et répétitive» («Ah ! Docteur, j’ai mal par
tout») et, de ce fait, est plus facilement oubliée aussi bien du patient que des soignants («C’est normal d’avoir mal à mon âge/à votre âge»).
Derrière la douleur, claire ou confusément exprimée, il existe des éléments cliniques et des mécanismes physiopathologiques dont la compréhension est essentielle pour établir des stratégies thérapeutiques ap
propriées.
Que la douleur soit nociceptive pure (après un traumatisme par exemple) qu’elle soit neurogène ou qu’elle soit d’origine vis
cérale, il n’est pas rare de voir une intrica
tion de ces trois modalités chez le patient âgé.
Les mécanismes nociceptifs sont fonda
mentalement les mêmes, que le patient soit jeune ou âgé. Toutefois, la «perception» de la douleur se modifie en fonction de l’âge, sans que le seuil de sensibilité à la douleur soit, pour autant, fondamentalement dimi
nué.5
D’autre part, de nombreux patients âgés, particulièrement ceux qui présentent des
troubles cognitifs importants, seront sou
vent incapables de dire où et de quelle fa
çon ils ont mal… mais ils manifesteront leur souffrance par des voies détournées qu’il convient de savoir «décoder» et évaluer.
Ainsi, la dépression, l’agitation et l’isolement, pour ne citer que trois situations caractéris
tiques, constituent de «grands classiques»
qui s’intègrent dans l’expression de certai
nes douleurs et du malaise sousjacent qu’elles génèrent. L’évaluation soigneuse de ces éléments dépasse, très largement, le cadre des «échelles visuelles analogues»
et d’autres outils courants d’évaluation de la douleur que nous utilisons quotidiennement.6
Le challenge de la prise en charge de la douleur chez le patient âgé demeure inva
riable à travers le temps : quel est le crédit réel que j’accorde à mon patient lorsqu’il me dit qu’il a mal ? Combien atil mal ? En quoi des symptômes « parasites » qu’il manifeste sontils suggestifs d’une douleur mal expri
mée ? Quelles sont les évaluations complé
mentaires dont j’ai besoin pour «compren
dre» sa douleur et dans quel but vaisje les réaliser ? Quel traitement vaisje entrepren
dre et comment je pense évaluer son effi
cacité ?
Ce sontlà les éléments essentiels qui se
ront discutés lors de notre séminaire.
Approche/évaluation de la douleur chez la personne âgée : mission impossible ?
J. F. Arroyo
Dr Jésus F. Arroyo Chemin de Beau-Soleil, 22 1206 Genève
arroyoj@bluewin.ch Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 1022
Bibliographie
1 Helm RD, Gibson SJ. Pain in older people. In : Crombie IK, 1.- Helm RD, Gibson SJ. Pain in older people. In : Crombie IK, Croft PR, Linton SJ, et al. edi- tors. Epidemiology of pain. Seattle (WA) : IASP press, 1999.
2 Centers for Disease Control and Prevention.
Healthy aging : Preventing disease and improving qua- lity of life among older americans. Atlanta (GA) ; CDC January, 2002.
3 Ferrel BA, Ferrel BR, Osterweil D. Pain in the nursing home. J Am Ger Soc 1990;38:409-14.
4 Ferrel BA. Pain management in elderly people. J Am Ger Soc 1991;39:64-73.
5 Bennett GF. Neuropathic Pain. In : Wall PD, Mel- zack R. editors. Textbook of pain, 3rd edition. New York : Churchill Livingston, 1994;201-24.
6 Parmelee PA, Smith B, Katz IR. Pain complaints and cognitive status among elderly institution residents.
J Am Ger Soc 1993;41:517-22.
En 2030, presque tous les partici
pants à la 79e Assemblée annuelle de la SSMI auront plus de 65 ans et il est pratiquement certain que tout le mon
de aura mal… quelque part !
Aux EtatsUnis, la population actuelle des gens «âgés» (environ 34 millions de person
nes de plus de 65 ans) passera en 2030 à plus de 70 millions, chez lesquels le symp
tôme le plus courant nécessitant une con
sultation médicale sera la douleur. En effet, entre 40 et 50% de personnes vivant à do
micile et entre 60 et 80% des personnes vivant en EMS évoqueront la plainte douleur comme source principale d’inconfort et de malêtre.1,2
Estce l’inéluctable évolution qui nous at
tend tous ? Hélas oui, mais le problème n’est pas tant «d’avoir mal…», c’est essen
tiellement celui d’être «mal traité».
Une vieille dame de 104 ans consulte son médecin de famille se plaignant que son genou droit lui fait mal… Le docteur rigole gentiment et lui dit : «Mais Ma
dame, que voulezvous, votre genou a 104 ans !» Et la dame de répondre :
«Mais le gauche aussi a 104 ans et il ne me fait pas mal !»
Lorsque la douleur est considérée com
me partie intégrante et normale de l’âge qui avance, elle perd de son intérêt et se trans
forme en une sorte de mal inévitable qui ne mérite pas autant d’attention que les co
morbidités qui touchent, souvent, la person
ne âgée.
La conséquence de ceci, et de nombreu
ses études le prouvent, est que la douleur chez le patient âgé est très fréquemment sousestimée, mal évaluée et insuffisam
ment traitée.3
La douleur du vieillard peut présenter de multiples facettes, provenir de causes très diverses et affecter la vie quotidienne et l’in
dépendance fonctionnelle à des degrés très variables. Les fluctuations dans le temps de son mode de présentation et de son in
tensité, sont également caractéristiques et
46_35578.indd 1 05.05.11 10:51