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QUAND DES MANUELS SCOLAIRES EN USAGE EN COTE D’IVOIRE PARLENT DE LA COLONISATIONpp. 71-82.

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Référence de cet article : Koia Jean-Martial KOUAME. Quand des manuels scolaires en usage en Côte d’Ivoire parlent de la colonisation. Rev iv hist 2013;21:71-82.

QUAND DES MANUELS SCOLAIRES EN USAGE EN COTE D’IVOIRE PARLENT DE LA COLONISATION

Koia Jean-Martial KOUAME Département des Sciences du Langage

Université Félix Houphouët Boigny de Cocody-Abidjan jeanmartial.kouame@gmail.com

RÉSUMÉ

Le thème de la colonisation est assez présent dans les manuels scolaires en usage en Côte d’Ivoire. Les auteurs de ces ouvrages mettent le plus souvent l’accent sur les durs moments qui ont caractérisé ce fait historique, notamment par le choix des termes qui désignent le colon et le fait colonial. Un regard qui n’est pas tout à fait le même ailleurs et qui tend à alimenter la polémique autour de cette question. Dans un milieu aussi complexe que celui de l’école, le traitement orienté et partial des contenus peut être de nature à influencer négativement les apprentissages.

Mots clés : Colonisation, Manuels scolaires, Contenus d’enseignement, Polémiques, Côte d’Ivoire

ABSTRACT :

The theme of colonization is quite present in school textbooks used in Côte d’Ivoire. The authors of these books most often put emphasis on hard times that have characterized this historical fact, namely through the choice of terms to designate the colon and colonialism. A look that is not quite the same elsewhere and that tends to fuel the controversy surrounding this issue. In a system as complex as the school environment, the treatment-oriented and biased content may be likely to adversely affect learning.

Keywords: Colonization, School textbooks, Teaching contents, Controversy, Côte d’Ivoire

INTRODUCTION

L’un des objectifs de l’école est selon Lanier (2008), de « faire entrer les enfants dans une culture commune et officielle ». Cette culture dans le cadre scolaire est définie dans les instructions officielles et souvent matérialisée dans les manuels scolaires. Ces manuels, comme le soulignent Verdelhan-Bourgade et alii (2008), ne sont pas des « objets banals et approximatifs qui s’effacent sans lendemain des mémoires adultes » mais plutôt des « acteurs importants de la culture, et des témoins exceptionnels des valeurs, des pratiques sociales ». Le savoir qui est transmis par les manuels « marque les enfants pour longtemps, prend place dans la construction

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de leur personne et a de réelles répercussions sur leur vision du monde et de l’autre»

(Lanier, 2008). Dès lors, il importe, dans la conception des manuels, que l’on se soucie fort de la façon dont les savoirs y sont convertis en contenus d’enseignement.

En Côte d’Ivoire, les manuels scolaires qui traitent de l’histoire mettent le plus sou- vent l’accent sur des pans importants du passé de ce pays. C’est ainsi que le thème de la colonisation revient assez souvent dans les contenus. Eu égard au caractère sensible du sujet (rappel de souvenirs douloureux, polémiques sur les conséquences et même sur les responsabilités…) il semble important de s’intéresser au traitement que les manuels scolaires en font. Comment la question de la colonisation est-elle abordée dans les manuels scolaires ?

Cet article essayera de répondre à cette interrogation en s’articulant autour de cinq points. Nous ferons dans le premier point une recension d’écrits portant sur le thème de la colonisation dans les manuels scolaires. Chemin faisant, nous présenterons par la suite les manuels que nous avons analysés dans le cadre de notre étude. Le troi- sième point analysera les manuels de français et ceux d’histoire pour déterminer s’il y a convergence ou divergence de point de vue dans le traitement de la question de la colonisation. Le quatrième point interrogera la façon dont la colonisation et les coloni- sateurs sont désignés dans les manuels analysés. Dans le cinquième point nous nous attacherons à faire ressortir l’image que ces manuels livrent de la France colonisatrice.

I- LA QUESTION DE LA COLONISATION DANS LES MANUELS SCOLAIRES

Les manuels scolaires sont des supports didactiques qui mettent les programmes en œuvre et leur donnent forme concrète. Selon Lantheaume (2007), ils constituent un moyen privilégié pour rendre effectifs les choix inscrits dans les textes officiels résultant eux-mêmes de compromis. Tout comme les programmes d’enseignement

« les manuels choisissent ce qui est mémorable et doit être mémorisé» (Lantheaume, 2007). Les enjeux importants qu’ils représentent et les différentes logiques qui y sont à l’œuvre incitent à les concevoir comme des « objets intermédiaires » (Vinck, 1999) entre des univers, des acteurs, des logiques, des problèmes à résoudre.

La question de la colonisation est traitée dans de nombreux manuels scolaires en Europe comme en Afrique. Tantôt, on observe une abstention prudente face à l’évocation d’événements qui suscitent encore le malaise, tantôt, le colonisateur est présenté comme celui qui est venu troubler le cours d’une vie sans histoire, et tantôt, comme un bienfaiteur. Différentes idéologies semblent sous-tendre ce traitement de l’histoire coloniale.

Dans son article intitulé « Les colonisations et décolonisations dans les manuels d’histoire de collège : une histoire partielle et partiale » Lanier 2008 souligne que ces manuels présentent une histoire événementielle partielle et partiale de la coloni- sation. Selon cet auteur, les manuels exposent une histoire coloniale incomplète où prime « omission, simplification et/ou limitation à certains éléments ou évènements ».

Lanier estime que « les auteurs ne présentent pas toutes les causes, tous les élé- ments et toutes les conséquences » de la colonisation. Selon lui, les manuels passent sous silence la résistance farouche que les populations colonisées opposent à leurs agresseurs dans le but de faire croire à des conquêtes éclairs qui n’ont occasionné

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aucune destruction de vies humaines. Lanier souligne également que le « phéno- mène mondial de colonisation » est traité de manière limitée étant donné que dans les manuels l’on fait très largement référence à l’Afrique comme si les autres régions du monde n’y ont pas été confrontées. Lanier indique que les manuels ont tendance à mettre en avant « les intérêts économiques des colonies et les effets positifs de la colonisation ». Il précise que la quasi-totalité des manuels qu’il a analysés pré- sentent les infrastructures construites par les colons (routes, ports, voies de chemin de fer) qui permettent les échanges commerciaux et des écoles et centres de santé considérés comme « les bienfaits de la colonisation ». Ces mises en avant visent du point de vue de Lanier à légitimer l’entreprise coloniale. Même s’ils n’y consacrent pas beaucoup de places, Lanier relève que les manuels décrivent également les côtés négatifs de la colonisation comme les corvées, le travail forcé, les impôts qui pèsent sur les colonisés.

Dans son article intitulé « Loi du 23 février : des manuels scolaires bien disciplinés? », Jahan 2008 fait observer que la majorité des manuels scolaires perçoit positivement les conséquences de la colonisation. Selon ces manuels, la colonisation a permis la diminution de la mortalité, le développement de l’enseignement et l’apparition des universités, la mise en valeur et le développement économique. Jahan fait état du mutisme des manuels à propos du pillage des ressources locales et des expropria- tions. Ce silence, qui se justifie par le fait que cette politique profitait d’abord aux Blancs et à la métropole, s’explique également selon Jahan, par le fait du racisme de la société coloniale et de ses héritages, de la pérennité des tutelles économiques et politiques, de la destruction des identités et des activités traditionnelles. C’est tout ceci qui conduit l’auteur à affirmer que les aspects positifs de la colonisation l’emportent largement sur les négatifs !

Selon Granvaud 2006, dans son article « Colonisation et décolonisation dans les manuels scolaires de collège en France » le thème de la colonisation est une réalité

« euphémisée » dans les manuels scolaires. Pour lui, la « mission civilisatrice » de la colonisation est présentée la plupart du temps comme une volonté philanthropique bien réelle. Le pillage des ressources est, selon lui, mentionné par tous les manuels, mais sous des appellations diverses. On parle tantôt d’« exploitation » des richesses et tantôt de « mise en valeur ». Cet auteur relève que les termes de « pillage », de « vol » ou des équivalents ne sont jamais utilisés. Tous les manuels indiquent, comme il le fait remarquer, que les métropoles imposent leurs produits manufacturés, ce qui est parfois présenté sous la forme d’un échange. Le travail forcé est la plupart du temps mentionné, mais là aussi de manière très inégale et le plus souvent euphémisée. De son point de vue, la colonisation est une réalité niée en ce sens que le racisme qui structure la vision coloniale est le plus souvent atténué dans les manuels scolaires et il note également un refus de donner la parole à des auteurs africains pour porter une contradiction éventuelle. Granvaud souligne par ailleurs, que tous les manuels entonnent, avec plus ou moins de nuances, le refrain de la « mission civilisatrice » de la colonisation. Il relève de même que l’étude de la colonisation dans les manuels scolaires met en évidence une vision historique européocentriste et une mémoire très sélective, un euphémisme et un négationnisme pur et simple des crimes coloniaux.

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II- PRÉSENTATION DES MANUELS SCOLAIRES TRAITANT DE LA COLONISATION AU SECONDAIRE

Le thème de la colonisation est abordé dans l’enseignement secondaire ivoirien aussi bien dans des manuels d’histoire du collège que dans les manuels de français en usage au collège et au lycée. Ce thème est traité tantôt sous la forme d’un récit, tantôt par la présence de textes de tous genres.

II.1- Manuels d’histoire

Les manuels d’histoire qui retracent le souvenir de l’époque coloniale sont ceux des classes de 5ème et de 3ème. Ces ouvrages sont des manuels uniques pour l’histoire et pour la géographie. Ils ont été coédités par les éditions CEDA (maison d’édition ivoirienne) et Hatier (maison d’édition française) en 1998 pour le manuel de 5ème et en 1999 pour le manuel de 3ème. Ces ouvrages, il convient de le préciser, ont été rédigés par une équipe d’enseignants africains. Le manuel d’histoire de 5ème a été conçu sous la coordination de Sophie Le Callennec1 qui est par ailleurs l’auteur de l’avant propos.

Dans ce manuel, le thème de la colonisation est traité aux pages 92 et 93 sous le titre « La colonisation de l’Afrique », qui présente les causes de la colonisation, la rencontre des vieux continents, les comptoirs.

Dans le manuel d’histoire de la classe de 3ème ce thème est évoqué de la page 18 à la page 41 et de la page 60 à la page 69 sous les titres :

• Débuts de la colonisation

• Accords de la conférence de Berlin

• Partage de l’Afrique

• Premier âge colonial en Afrique noire

• Résistance des vieux États

• Résistances des États récents

• Résistance des peuples

• Création de la colonie de Côte d’Ivoire

• Résistances en Côte d’Ivoire

Administration de la colonie de Côte d’Ivoire

Exploitation de la colonie de Côte d’Ivoire

La marche vers l’indépendance

L’indépendance de l’Afrique noire française

L’indépendance des autres colonies

L’indépendance de la Côte d’Ivoire

II.2- Manuels de français

Au collège, les manuels de français dans lesquels il est question de colonisation sont ceux des classes de 4ème (La 4e en français) et de 3ème (La 3e en français) coédités par les éditions CEDA et EDICEF en 1999. Au lycée, il s’agit du manuel de seconde

1 Historienne et anthropologue, spécialiste de l’Afrique subsaharienne, elle est l’auteur de manuels scolaires pour les classes africaines. Elle dirige également, aux éditions Hatier, la collection Magellan, constituée de manuels d’histoire, de géographie, d’éducation civique et de sciences à destination des classes de primaire en France.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Sophie_Le_Callennec .

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(Le français en seconde) édité par EDICEF en 1998 et de celui de première/terminale (Le français en première et terminale), édité par EDICEF en 2000. Dans le manuel de 4ème le thème de la colonisation est traité dans les textes intitulés :

Une étrange rencontre (pages 8 et 9)

Un village en émoi (pages 104 et 105) Dans le manuel de 3ème on a les textes intitulés :

Ils m’ont dit… (page 76)

Amis ou ennemis ? (pages 104 et 105)

Dans les manuels de 2nde et de 1re/Tle, la colonisation est abordée dans les textes proposés dans la partie relative à la littérature écrite de la littérature négro-africaine.

III- VISION DES MANUELS D’HISTOIRE ET DE FRANÇAIS : CONVERGENCES OU DIVERGENCES.

III.1- Les manuels d’histoire

On remarque de la part des auteurs des manuels d’histoire, le souci de restituer l’histoire de la colonisation sans heurter les sensibilités. Dans le manuel de 5eme par exemple, les auteurs affirment que lorsque les Européens découvrirent les richesses locales (de façon accidentelle), ils établirent des relations commerciales avec les peuples africains. Étant convaincus de la supériorité de leur civilisation, ils entre- prirent de convertir les populations au christianisme. Ces auteurs parlent de rencontre entre les Africains et les Européens. Cette rencontre est présentée comme un choc d’une part parce que les Européens découvraient l’Afrique qui dans leur imagination s’assimilait à d’immenses ressources en or, et d’autre part parce les Africains dans leur grande majorité voyaient pour la première fois, l’homme blanc.

Selon ces auteurs, les premiers contacts entre colonisateurs et colonisés furent courtois. Les peuples africains se montraient accueillants. Cette vision pacifique des faits est remise en cause par le texte proposé à la page 93 de ce manuel qui présente l’arrivée des Européens comme un évènement sanglant qui allait désorganiser la société africaine.

Le manuel de 3eme contrairement à celui de 5eme semble exposer les faits sans états d’âme. Les auteurs emploient des termes comme « le partage de l’Afrique, la main mise de l’Europe sur l’Afrique, une époque difficile, la guerre des peuples, une administration contraignante » pour présenter la colonisation. Pour permettre aux utilisateurs du manuel d’avoir une vision plus juste de celle-ci, qui ne se limite pas à leur seule point de vue, les auteurs du manuel de 3eme leurs proposent des textes d’écrivains européens, des déclarations d’administrateurs et fonctionnaires coloniaux sur la colonisation. Les auteurs de ce manuel présentent les causes de la colonisation.

Selon eux, les Européens pensaient qu’ils avaient le devoir de civiliser les Africains, de les convertir au christianisme. Ils avaient également des besoins de matières premières agricoles et minières pour leurs industries et cherchaient aussi à accroître leur prestige en se taillant de vastes empires coloniaux. Pour cela, des règles de la colonisation furent fixées à la Conférence de Berlin, ce qui allait aboutir au partage

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de l’Afrique. Les puissances européennes, dans leur volonté d’occuper les territoires non encore colonisés, se lancèrent à l’assaut du continent. Cette expansion coloniale prit parfois l’aspect d’une véritable guerre contre les Africains. Dès leur installation, les Européens exploitèrent massivement les richesses naturelles de l’Afrique, enrôlaient de force les Africains et les employaient pour la chasse, la cueillette et le portage.

Toutes formes de résistance étaient violemment étouffées. Selon ces auteurs, il est impossible d’évaluer les pertes humaines provoquées par cette campagne brutale.

III.2- Les manuels de français

Les manuels de français par les textes qu’ils proposent semblent être de véritables réquisitoires contre la colonisation et le colonisateur. Ces textes qui sont pour la plupart des textes d’écrivains issus de pays colonisés, présentent les affres de la colonisation.

Dans le manuel de la classe de 4ème par exemple, on a les textes des pages 8 et 104 qui rendent compte de la colonisation. Ces textes sont respectivement intitulés : une étrange rencontre, un village en émoi. Le premier est de l’auteur Sénégalais Cheikh Hamidou Kane, extrait de son roman l’Aventure ambiguë paru chez Julliard.

Cette œuvre retrace l’histoire d’un jeune Diallobé, à la fois marqué par son éducation musulmane et fasciné par la science et la civilisation occidentale. Dans le texte pro- posé, l’auteur développe ses réflexions sur la rencontre de deux mondes : l’Afrique et l’occident, à l’époque de la colonisation. Pour évoquer l’arrivée du colonisateur, l’auteur parle d’une grande clameur qui réveilla un matin, d’une étrange aube. Selon ses propos, le matin de l’occident en Afrique fut constellé de sourires, de coups de canon. Ce matin, selon l’auteur, était semblable à un matin de gésine (accouche- ment). « Le monde connu s’enrichissait d’une naissance qui se fit dans la boue et dans le sang ».

Le plan du texte permet d’aborder dans un premier temps le choc, l’opposition et l’affrontement inégal de deux mondes (lignes 1-16), ensuite la sujétion des indigènes (lignes 17-20) et enfin l’attitude ambivalente des Blancs. Le texte met en opposition à travers des désignations, les Africains et les Occidentaux.

Les Africains Les Européens

- Ceux qui n’avaient point d’histoire - Ils étaient sans passé, sans souvenir - Les vaincus

- Ils choisissent l’amitié

- Ils n’avaient point d’expérience

- Ceux qui portaient le monde sur leurs épaules - Ils étaient blancs et frénétiques

- Ils savaient combattre, étaient étranges, savaient tuer avec efficacité, mais aussi guérir ; - Ils mettaient du désordre et suscitaient un ordre nouveau.

Le second texte est de l’écrivain Camerounais Ferdinand Oyono, extrait de son roman Une vie de boy paru chez Julliard. Dans le texte intitulé Un village en émoi le narrateur, un jeune boy, accompagne le commandant, et un ingénieur dans une tournée d’inspection en brousse. Le village a été prévenu d’avance de cette visite.

L’auteur décrit l’attitude d’un boy, un noir qui accompagne ses patrons les coloni- sateurs dans leur tournée d’inspection en brousse. Ce dernier adopte totalement le point de vue de ses patrons, colonisateurs de son pays. Non seulement, il regarde

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ses compatriotes avec indifférence, mais le regard qu’il porte sur eux véhicule tout le mépris et la malveillance que les pires colonisateurs s’efforcent sans y parvenir de dissimuler. Son œil averti lui permet de distinguer immédiatement ce qui choque ou amuse les Blancs. Le boy voit avec les yeux des Blancs colonisateurs, des yeux d’adultes, dominants et hautains. Il est uni à ceux qu’il accompagne par les liens redoutables de la servilité.

Dans le manuel de la classe de 3ème, les textes relatifs à la colonisation sont : le texte poétique de la page 76 intitulé Ils m’ont dit… et le texte des pages 104 et 105 Amis ou ennemis ?

Le premier texte est du poète Camerounais François Sengat-Kuo extrait de son œuvre Fleurs de latérite, Heures rouges parue chez Clé. Ce poème évoque le cheminement spirituel du « nègre » colonisé. Dans les trois premières strophes, le premier et le deuxième vers font allusion à l’oppresseur, désigné par Ils, pronoms qui indique la pluralité. Mais ce pronom ne remplace pas un nom indiqué auparavant de façon concrète. Il désigne, d’une manière à la fois elliptique et métonymique « les colonisateurs », « chaque colonisateur », mais aussi et surtout leur statut, leur com- portement d’oppresseurs. Placée au début de chaque vers, de manière anaphorique,

« ils m’ont dit », cette phrase elliptique marque avec insistance la force de l’accusation, de l’indignation. Le portrait dépréciatif de l’Africain commence par sa désignation de

« nègre », dans la bouche des colonisateurs, chez qui elle contenait le plus souvent une connotation péjorative, dévalorisante. Il est ensuite traité comme un « enfant » (immaturité, insouciance). Il est « sauvage », à leurs yeux, sa civilisation est primitive, donc sauvage, avec ses « totems » et ses « sorciers ».

Le second texte est de l’écrivain français Denis Diderot, extrait de son œuvre Suppléments de voyage de Bougainville. L’arrivée du colonisateur est considérée comme une calamité. Les colons sont taxés d’ambitieux et de méchants. Le colon est représenté avec un morceau de bois dans une main (la croix) qui symbolise l’assujettissement des esprits par l’imposition des croyances du blanc et dans l’autre le fer (l’épée) qui symbolise la conquête territoriale violente. Les colonisateurs sont considérés comme des brigands. Avant leur débarquement, c’était le bonheur comme l’attestent les énoncés « nous sommes innocents, heureux », « nous suivons le pur instinct de la nature », « ici tout est à tous », « nous sommes libres ». Avec l’arrivée des colons, les populations sont enchaînés, égorgés, assujettis aux vices, corrompus, viles, aussi malheureux que les Européens.

Dans le manuel de français de la classe de seconde, les textes relatifs à la colo- nisation sont des textes écrits pendant la période de la lutte anticoloniale entre 1947 et 1960, date de l’indépendance de 18 pays africains. Les écrits de cette période accusent l’Europe d’avoir assassiné les civilisations africaines.

On pourrait citer à titre d’exemple, le texte de René Maran, intitulé « Ils nous crèvent lentement », extrait de Batouala, véritable roman nègre paru chez Albin Michel en 1921. Dans l’ancien Oubangui-Chari, actuelle République Centrafricaine, la coloni- sation bat son plein. Abus, malversations et frustrations font se révolter Batouala, le héros écouté de ce roman qui porte son nom. Dans ce texte on peut relever les séquences suivantes :

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Je leur reprocherai leur cruauté, leur duplicité, leur rapacité.

Depuis que nous avons le malheur de les connaître Ils vous volent jusqu’à nos derniers sous

Notre travail n’alimente que l’impôt, lorsqu’il ne remplit pas, par la même occasion, les poches de nos commandants

Nous ne sommes que des chairs à impôts.

Nous ne sommes que des bêtes de portage.

Nous sommes pour eux, moins que ces animaux (chien et cheval).

On vivait heureux, jadis, avant la venue des « boundjous » (blancs)

Le thème de la colonisation est également abordé dans le poème de l’écrivain sénégalais David Diop intitulé « Les vautours ». Ce poème est extrait de son recueil Coup de pilon, paru dans la revue Présence Africaine en 1956. Dans ce poème le colonisateur est assimilé à un vautour, comme l’illustrent les vers suivants :

Les vautours construisaient à l’ombre de leurs serres

Le sanglant monument de l’ère tutélaire (l’époque où les pays d’Afrique étaient

« sous tutelle » européenne).

Les rires agonisaient dans l’enfer métallique des routes Les promesses mutilées au choc des mitrailleuses Hommes étranges qui n’étiez pas des hommes Vous saviez tous les livres vous ne saviez pas l’amour Malgré vos chants d’orgueil au milieu des charniers Les villages désolés l’Afrique écartelée.

IV- DÉSIGNATION DU FAIT COLONIAL ET DU COLONISATEUR DANS LES MANUELS

Sous cet intitulé nous avons fait le relevé d’expressions utilisées dans les manuels en usage au secondaire pour caractériser d’une part le phénomène de la colonisation et d’autre part pour désigner les acteurs de la colonisation.

IV.1- La colonisation

Pour désigner le fait colonial, les concepteurs des manuels et les auteurs des textes convoqués pour rendre compte de ce phénomène utilisent un vocabulaire diversifié.

Ce vocabulaire fait appel à divers champs sémantiques et à différentes figures de style. On a ainsi des termes qui expriment des réalités émouvantes et d’autres qui ne suscitent aucun sentiment. Des termes qui représentent des évènements heureux et douloureux, qui indiquent la vision du colonisateur sur l’acte de la colonisation, mais également qui révèlent l’image que le colonisé, celui qui subit la colonisation, a de ce fait.

Dans le manuel d’histoire de la classe de 5e, par exemple, la colonisation est appelée : « rencontre des vieux continents » et « l’arrivée des Européens ». Ces expressions métaphoriques induisent un effet d’amitié, de cordialité et de retrou-

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vailles. Ces dernières masquent par la même occasion les affres et les nombreux bouleversements occasionnés par le débarquement des Européens sur les territoires colonisés. On a l’impression que cette page de l’histoire a été vécue positivement par toutes les parties.

Contrairement à cette vision paisible et quelque peu enthousiaste du fait colonial, le manuel d’histoire de 3ème présente une autre vision, moins pacifique de l’entreprise coloniale. Il la désigne plutôt par l’expression redondante : impérialisme colonial. Cette désignation semble insister sur le caractère pesant et accablant de la colonisation.

Dans le même sens, les termes protectorat et sous la tutelle européenne employés présentent la colonisation comme un acte par lequel les États européens forts, sous le prétexte d’assurer la protection des États faibles, en profitent pour les faire crouler sous le poids de leur domination. L’expression le partage de l’Afrique utilisé dans ce même manuel, présente ce continent comme un butin que l’Europe fractionne en différentes parts destinées à être distribuées. L’expression la conquête coloniale rend compte, quant à elle, de la violence et de la brutalité dont les armées européennes ont fait usage pour soumettre les populations africaines. Malgré la résistance que ces dernières opposent aux colonisateurs, elles sont vaincues et réduites à néant.

Dès lors, le chemin est tout tracé pour l’occupation, les expropriations, l’installation de l’administration coloniale, l’expansion européenne sur le terrain africain pendant toute la période coloniale. Dans l’extrait de la Déclaration aux peuples coloniaux2 présenté à la page 61 du manuel d’histoire de la classe de 3eme, la colonisation est désignée par la métaphore la nuit, la longue nuit. Cette expression met en évidence le caractère obscur et ténébreux du fait colonial. Sous la domination des colonisateurs, les peuples africains endurent d’interminables souffrances physiques et morales. La période coloniale est décrite comme symbole du mal et marquée par le désespoir.

Dans le manuel de français de la classe de 4eme, la colonisation est désignée par les métaphores : un matin de clameur, le matin de l’occident en Afrique et étrange aube. Ces expressions mettent en évidence l’effet de surprise que va occasionner l’irruption des Européens sur le sol africain. Elles font apparaître la désorganisation et la confusion qui vont régner suite à l’arrivée des colonisateurs. Le terme « clameur » semble faire référence aux détonations d’armes à feu, aux hurlements et pleurs de populations africaines terrifiées. Le terme « étrange » traduit le fait que les Africains avaient du mal à comprendre ce qui leur tombait sur la tête. On a également la métaphore matin de gésine qui met en parallèle la colonisation et les douleurs de l’enfantement. Dans le même sens, l’expression naissance qui se fit dans la boue et dans le sang rend compte des humiliations subies par le peuple noir d’Afrique et des crimes commis par les colonisateurs sur les colonisés.

Dans le manuel de français de seconde, les termes comme sous la botte de l’Europe, la mainmise de l’Europe mettent en lumière la domination écrasante que les nations colonisatrices vont exercer sur les peuples africains. Cette emprise se manifeste par l’exploitation coloniale, l’occupation européenne. Le gouvernement colonial, régime colonial, sont des expressions qui décrivent la nature et le fonction- nement de l’action colonisatrice.

2 Déclaration produite par le Ve Congrès panafricain, réuni à Manchester en Octobre 1945

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IV.2- Les colonisateurs

Dans le manuel d’histoire de la classe de 5eme, les colonisateurs sont désignés par les noms : homme blanc, Européens. Ces termes insistent sur l’origine raciale et la citoyenneté des colonisateurs. Ils pointent sans aucune différenciation tous les originaires de l’Europe et les personnes de race blanche. Cette désignation tend à faire croire que tous les hommes blancs et tous les Européens étaient complices des crimes coloniaux.

Dans le manuel d’histoire de 3ème, les auteurs utilisent les expressions : les puis- sances européennes, les États européens, les compagnies à charte. Ici, comme dans le manuel d’histoire de 5eme, ces termes font référence à l’Europe. Ils révèlent que la colonisation était le fait de compagnies nationales ou de groupes d’investisseurs privés auxquels les gouvernements européens donnaient quitus pour l’exploitation des territoires conquis par leurs armées. Ces expressions révèlent d’une certaine manière que la colonisation a été préméditée, planifié et mise en exécution avec le soutien d’États légalement constitués. Cela suppose que la colonisation n’était ni le fait de personnes isolées, ni de hors-la-loi. Dans le manuel d’histoire de 3ème le terme les colons souligne que ces derniers ont quitté leur pays pour aller occuper et exploiter celui d’autres personnes. On note également dans ce même manuel l’emploi du groupe nominal les Français qui indiquent de façon précise la nationalité des colonisateurs.

Dans le manuel de français de la classe de 4eme, les colonisateurs sont ainsi nom- més : ceux qui portaient le monde sur leurs épaules, ceux qui débarquaient, blancs et frénétiques, ceux qui étaient venus, ils étaient étranges, ils savaient tuer avec efficacité, ils savaient aussi guérir avec le même art, ils avaient mis du désordre, ils suscitaient un ordre nouveau, le monde connu. Dans cet inventaire, certains termes qui se rapportent aux colonisateurs donnent une vision positive de la colonisation, quand d’autres insistent sur ses effets néfastes. Dans la catégorie des expressions qui désignent positivement les colonisateurs on a : ceux qui portaient le monde sur leurs épaules, le monde connu, ils savaient aussi guérir, ils suscitaient un ordre nouveau.

Ces désignations s’opposent à blancs et frénétiques, ils étaient étranges, ils savaient tuer avec efficacité, ils avaient mis du désordre, expressions qui mettent en lumière la violence, les crimes et les bouleversements occasionnés par l’entreprise coloniale.

Dans le manuel de français de la classe de 3eme, les pronoms ils et eux se rapportent aux colonisateurs. Cela apparaît comme un refus de les nommer. Ils sont également désignés par les termes hommes ambitieux et méchants, brigands. A travers ces termes, la convoitise et l’obsession des colonisateurs est mise à nu de même que leur penchant présumé à faire le mal. C’est en tout cas ce qu’on peut observer dans le manuel de français de seconde où les colonisateurs sont traités de voleurs, de charognards, d’assassins, d’inhumains et de personnes dépourvues d’amour confère

« boundjous »3, ils nous volent jusqu’à nos derniers sous, ils nous crèvent lentement, les vautours, hommes étranges qui ne sont pas des hommes, qui savaient tous les livres mais qui ne savaient pas l’amour.

3 Terme qui signifie blanc dans une langue de l’Oubangui-Chari, aujourd’hui République Centrafricaine.

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V- L’IMAGE DE LA FRANCE COLONISATRICE DANS LES MANUELS L’exposé de l’histoire de la colonisation à travers les manuels analysés, permet de se faire une opinion de l’action colonisatrice de la France.

Selon les auteurs des manuels et des textes proposés, tout commence lorsque la France, convaincue de la supériorité de sa civilisation, se croit investie de la mission de civiliser les populations d’autres continents considérées comme « primitives ».

Cette mission va la conduire par exemple à faire irruption en Afrique, à bâillonner les populations locales et à piller leurs ressources. La France est présentée dans les manuels comme celle qui exploitait les richesses naturelles des territoires de l’Afrique sous sa domination. Elle enrôlait de forces les Africains et les employait pour la chasse, la cueillette ou le portage. Comme le souligne le décret foncier du 23 octobre 1904, la France expropriait les africains de leur terre, ce qui faisait d’elle le propriétaire de toutes les terres en Côte d’Ivoire. Pour espérer avoir des parcelles cultivables et habitables sur leurs propres terres ancestrales, les indigènes devaient s’adresser à la France. Cette dernière usait de tous les stratagèmes pour prendre possession des territoires qu’elle convoitait comme c’est le cas pour le Dahomey et pour Madagascar voire page 26 du manuel d’histoire de la classe de 3ème. Ce manuel indique que la France met en place ce qui a été appelé « les exigences françaises » à savoir le portage, les corvées, le travail forcé, les réquisitions de vivres, les brimades, les vexations, les brutalités de toutes sortes. Ses représentants faisaient figure de chefs d’États omnipotents. Lorsque les populations lui résistent, la France lance contre elles des expéditions punitives qui sèment la terreur, la destruction des villages.

Aux colonisés, elle exige le paiement d’impôts et d’arriérés d’impôt, leur prélève des amendes de guerre, procède à l’arrestation et à la déportation de leurs chefs, accroît les réquisitions pour le portage et les travaux forcés comme on peut le lire à la page 34 du manuel d’histoire de la classe de 3ème.

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, alors que les peuples colonisés par la France espéraient en échange de leur participation au conflit un assouplis- sement du régime colonial, ces derniers seront vite déçus. La France n’entendaient nullement renoncer à sa puissance ni accorder une quelconque autonomie. Elle finit par abdiquer devant les pressions multiformes :

• celle de l’opinion publique en Europe qui craignait que l’entretien des colonies devienne coûteux ;

• celle des Etats-Unis, ancienne colonie, qui se sentait solidaire des peuples dominés ;

• celle de l’URSS, qui au nom des idéaux marxistes d’égalité, et les communistes s’opposaient à l’impérialisme colonial ;

• celle des mouvements religieux (les églises chrétiennes prennent conscience de la contradiction qui existait entre le message de l’évangile et la domination coloniale et les musulmans manifestent leur solidarité envers leurs coreligion- naires des colonies ;

• celle de l’afro-asiatisme, qui unissait surtout les peuples asiatiques et arabes ;

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• celle du panafricanisme, lancé au début du XXe siècle par les Noirs d’Amé- rique, qui affirmait l’égalité entre les races et prônait la solidarité entre les peuples noirs ;

• celle de la négritude, mouvement qui exprimait la fierté d’être noir.

La France est contrainte de modifier le statut des colonies dans la constitution française de 1946 (IVe République), de proclamer l’égalité des colonisés avec les citoyens de la métropole, d’accorder le suffrage universel aux populations des colonies et de leur donner plus d’autonomie administrative.

CONCLUSION

La question de la colonisation occupe une place centrale dans les faits historiques décrits par les manuels scolaires en usage en Côte d’Ivoire. Le caractère sensible du sujet en ajoute à la complexité de l’environnement scolaire. Les différents dévelop- pements et autres traitements de ce thème parfois sous-tendus par des idéologies multiformes semblent prendre le pas sur les faits. C’est ce qu’on observe notamment dans des manuels scolaires français qui tendent à justifier l’entreprise coloniale. Dans les manuels scolaires en usage en Côte d’Ivoire, cependant, cette approche est remise en cause en ce sens que l’on insiste beaucoup plus sur les affres de ce fait historique.

Il semble donc se dégager en fonction du contexte, des enjeux socio-économiques et politiques une sorte de conscience nationale qui oriente les contenus à enseigner.

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