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DOSSIER Les manuels scolaires

Supplément au no750 du 14 mars 2015-US MAGAZINE- 21

Chacun se souvient d’au moins un livre utilisé au cours de sa scolarité, un manuel scolaire… ou du soulagement ressenti parfois quand il s’agissait de rendre ses livres, rituel qui marque la fin de l’année scolaire.

Outils de démocratisation ?

© DR© Cment Martin© Sergey Nivens / Fotolia.fr

Dossier coordonné par Véronique Ponvert et Sandrine Charrier, réalisé par Thomas Brissaire, Alice Cardoso, Magali Espinasse, Xavier Hill, Roland Hubert, Rozenn Jarnouën, Elizabeth Labaye, Daniel Lecam, Caroline Lechevallier, Virginie Pays, Aurélia Sarrasin et Valérie Sipahimalani

© Zegendos / Fotolia.fr© Cment Martin © Pink Badger / Fotolia.fr

L

e manuel scolaire, sous sa forme papier est (était ?) une institution, outil au service des apprentissages dans la classe, mais aussi donnant à voir ce qui est enseigné et recueil des exercices ou du travail à faire «)à la maison)». Il repré- sente aussi un marché important et un pilier des maisons d’édition, accusées parfois de faire pression sur la mise en œuvre des programmes et, surtout, sur leur renouvellement.

Les théories sur la disparition à terme du manuel scolaire papier fleurissent, s’appuyant sur le développement des technologies nouvelles, les évolutions des pratiques enseignantes et des démarches d’apprentissages. Quelle est la réalité aujourd’hui sur la place et l’avenir de cet outil ? Des alternatives à sa disparition émergent-elles ? Quelles sont les évolutions déjà à l’œuvre ? Sans exhaustivité, ce dossier aborde ces questions en s’appuyant notamment sur des expérimentations engagées dans certains départements ou académies, en donnant la parole à ceux qui les conçoivent et les commercialisent, et aux enseignants qui les utilisent... ou pas.

À l’heure où le discours officiel instrumentalise beaucoup le développement du numérique à l’École, il est important de faire le bilan de l’existant, de prendre conscience des potentialités qu’ouvre ce développement, mais aussi de ses limites. Sans oublier les problèmes de financement et de maintenance qui sont autant de freins trop souvent minimisés.

(2)

Quelques chiffres

22-US MAGAZINE- Suppment au no750 du 14 mars 2015

Les manuels scolaires

DOSSIER

6

à

7

kilos au primaire et 10 à 11 kilosau collège : poids quotidien estimé des manuels dans les cartables (id.)

Poids du cartable

Le manuel numérique représente moins de 10 %des ressources utilisées et concerne pour les trois quarts le français et les mathématiques. (id.)

Numérique

L

’élève y trouve des repères de contenus, le rappel du cours, les supports pour le travail « à la maison)». Les parents y voient souvent une aide pour suivre le travail de leur enfant et une image de ce qui est enseigné.

Toutes les disciplines n’en ont pas le même usage : quasi systématique en langues vivantes ou en histoire-géographie par exemple, son utilisation varie suivant le niveau de classe et les collègues en fran- çais. Certaines disciplines utilisent plus par- ticulièrement les exercices comme les mathé- matiques ou les sciences. D’autres n’utilisent pas de manuels.

L’usage du manuel par les élèves est souvent mystérieux pour l’enseignant. Qu’en fait-il en dehors de la classe : lit-il les chapitres à l’avance ? Se reporte-t-il à la «)leçon)» avant de faire les exercices ? Sait-il se servir du lexique, de l’index et même se repérer dans la page qui contient plusieurs éléments censés se compléter selon une procédure implicite ? Pourquoi encore des manuels scolaires ? Contrairement à l’opinion publique, les ensei- gnants savent qu’il ne faut pas confondre programme et manuel. L’éditeur fait des choix pour «)traduire)» le programme : dans

quel ordre présenter les chapitres, quels sup- ports et quelles illustrations, quels exercices et quelles activités ? Les derniers pro- grammes du lycée et du collège ont rendu encore plus nécessaire ce travail, par leur imprécision et brièveté.

Qui conçoit l’enseignement ?

Le manuel est-il une ressource ou une entrave ? Normalise-t-il les contenus enseignés et les pratiques de classe ? Il n’est pas rare que les enseignants essuient des reproches, surtout en lycée, car ils n’utiliseraient pas assez le manuel que les familles ont acheté.

Depuis la généralisation du numérique et du vidéo-projecteur et, dans certains établisse- ments, du TBI, le manuel traditionnel n’est

plus l’unique ressource utili- sée en classe.

Toutes les disciplines profitent de ressources nouvelles, le tra- vail de préparation des cours en est enrichi et complexifié. Col- ler à l’actualité, se renouveler, faire les meilleurs choix de supports sont presque des injonctions : le «)bon)» enseignant ne pourrait plus «)se contenter)» du manuel de la classe.

Les manuels numériques et les ressources en ligne proposés par les éditeurs vont-ils tout changer ?

Le manuel est certainement un facilitateur pour l’élève et les parents, mais son usage didactique est pensé et maîtrisé par l’ensei- gnant concepteur de son enseignement. ■

367,6

millions d’euros en y ajoutant le parascolaire.

281

millions d’euros, soit 10,4 %du chiffre d’affaires de l’édition.

61

millions d’exemplaires vendus (chiffres sur l’année 2010, source : rapport IGEN 2012).

Produit commercial

Les usages du manuel

Support pour enseigner

outil pour apprendre

Le manuel a diverses fonctions et de nombreux destinataires. L’enseignant en utilise plusieurs pour varier les supports, trouver les exercices adaptés, recomposer une séquence.

© Cment Martin

Il ne faut pas

confondre programme et manuel

Un dilemme de métier

Ouvrez le manuel...

Le renvoi au manuel permet de mettre les élèves au travail en autonomie.

C

’est une mise en activité fréquente dans les classes : mais certains élèves n’ont pas leur manuel...

L’enseignant doit faire au mieux pour que le travail prévu puisse avoir lieu. Il doit donc trancher, isoler ceux qui n’ont pas de livre (mais il faut assumer d’exclure plusieurs élèves de l’activité prévue), ou passer dans les rangs et faire des croix afin de sanctionner, quitte à sacrifier une bonne partie de la séance.

Il faut aussi aller faire en catastrophe des pho-

tocopies (tant pis pour la couleur), renoncer à l’activité prévue, répartir au mieux les livres disponibles, et tant pis si un livre pour trois...

Le dilemme est si ordinaire en certains lieux que des collègues l’ont résolu en amont : ils ont décidé de conserver les manuels en classe, renonçant à leur utilisation à la maison.

Y a-t-il une bonne réponse)? Aucune fiche de

« bonne pratique » n’est applicable dans le réel de l’activité professionnelle dont les rami- fications de l’inattendu sont infinies.

Des disciplines sans manuels…

Les enseignants de technologie, arts plas- tiques, éducation musicale, et de certaines disciplines technologiques du lycée n’utilisent généralement pas de manuel en classe.

Une véritable culture professionnelle s’est développée : les enseignants conçoivent leurs documents et leurs activités de cours en s’appuyant sur des ressources institu- tionnelles en ligne, des ressources numé- riques diverses, des sites de collègues ou d’associations proposant des pistes d’acti- vités, des séquences «  clé en main  », des outils de réflexion, des dossiers, des sites communautaires, le tout relayé et débattu via des listes de diffusion disciplinaires. Ainsi, des collectifs de réflexion, des communautés d’échanges se sont créés sur le net au fil des années. Les enseignants sont devenus auteurs, utilisateurs et acteurs de la pro- duction de ressources pédagogiques.

(3)

23-US MAGAZINE- Suppment au no750 du 14 mars 2015

C

ette diversité de ressources) – son, images et vidéos, animations, cartes et exercices interactifs, liens vers «)l’ex- térieur de la classe)», boîtes à outils... – res- pectant les programmes et soumise à contrôle, permet d’un côté aux enseignants de construire leurs séances, et de l’autre de diver- sifier les supports, voire les parcours d’ap- prentissage des élèves, éventuellement de favoriser leur travail en autonomie. Dans cer- taines disciplines (histoire-géographie, SVT...), l’ajout d’espaces collaboratifs permet aussi le partage de ressources locales.

Les conditions d’utilisation de ces manuels sont aussi très diverses : simple achat du livre-professeur, installation «)en local)» sur les supports, accès à une version en ligne – généralement installée sur l’ENT – achetée via une licence annuelle.

De nombreux sites proposent des démarches d’accompagnement.

Notamment les ressources du CNED.

D

ébut 2014, le CNDP devient CANOPE et espère ainsi, par une réorganisation de son réseau et une offre orientée vers les ressources numériques, répondre – enfin ? – aux besoins d’accompagnement et de conte- nus demandés par les enseignants. Le site EDUSCOL, quant à lui, axe ses ressources autour de sitograhies en lien avec les pres-

criptions ministérielles. Si les ressources et les sites recensés et proposés suscitent un intérêt, il faut néanmoins s’armer de patience pour s’y retrouver et ils ne rivalisent donc pas avec les nombreux sites disponibles sur le net.

Le CNED nouvel acteur

Depuis 2014, le site English For School propose aux élèves du cycle 2 du primaire des activités ludiques pour les aider à apprendre l’anglais et des ressources pour les enseignants. Ce site Les utilisations spécifiques aux manuels numériques sont optimisées avec la possibi- lité offerte à chaque élève d’avoir accès à un terminal (ordinateur, tablette), mais la réa- lité des pratiques est très variée, la plus répandue restant une utilisation, souvent inter- active mais aussi seulement frontale, par le biais du TNI (tableau numérique interactif).

Des ressources à apprivoiser

Des collègues qui se sont lancés dans l’uti- lisation du manuel numérique soulignent l’attrait des élèves pour ce nouvel outil, mais reconnaissent un investissement ter- riblement chronophage, l’adéquation entre le manuel et la démarche de chaque ensei- gnant restant imparfaite et nécessitant une mise en œuvre longue.

Les obstacles qui limitent l’exploitation plus riche des manuels numériques en direction de l’élève sont clairement identifiés : équipe- ment insuffisant en supports informatiques fiables, maintenance compliquée, manque de formation, coût (de 2 à 6 euros pour les manuels, plus toute la partie maté- rielle associée)... sans compter souvent la pré-

paration d’une séquence-doublon en «)plan B)» tant les aléas liés à l’informatique sont importants dans les établissements.

Des ressources qui évoluent

La palette des «  manuels numériques  » est vaste  : simple numérisation du manuel papier en format pdf, manuel fortement enrichi de ressources multimédia et de liens, jusqu’au logiciel en ligne collaboratif type Sésamath.

40 %

des enseignantsen moyenne disent utiliser « presque toujours » un manuel, 18 %« souvent », 12 %

« parfois seulement » et 14 %« jamais ».

Les écarts entre les disciplines sont

sensibles : 78 %des enseignants d’histoire-géographiel’utilisent

« presque toujours » et 12 %

« souvent » ; 68 %de ceux de mathématiques répondent « presque

toujours » et 17 % « souvent » ; mais en français, seulement36 %

répondent « presque toujours » et 27 %

« souvent ». (Enquête réalisée en 2009 et publiée en 2010 par la DEPP.)

Usages

Les manuels bénéficient d’une dotation de l’État et sont gratuits au collège depuis 1977.

Gratuité

Tablette, au-delà du manuel numérique…

Un collège de Corrèze où les élèves sont tous dotés d’un d’iPad. Intéressé dans un premier temps par l’utilisation d’un manuel numérique, Nicolas, enseignant en HG, les a rapidement trouvés peu adaptés, trop figés, manquant d’interactivité… et trop chers ! Il s’est tourné vers la conception de l’ensemble de ses séances sur les tablettes, sur trois niveaux, via un outil open source, NetQuiz, adapté au secondaire.

« C’est un travail de fou ! » reconnaît-il tout en restant enthousiaste, relevant les aspects positifs pour les élèves : autonomie, possibili- tés d’auto-correction, lecture stimulée par un outil interactif, surlignement. Effet de nou- veauté ?... Une touche « traditionnelle » dans cet environnement numérique : les élèves continuent de rendre leur travail sur papier, les essais d’évaluation sous forme numérique s’étant montrés contre-productifs.

À distance, à disposition

Réseaux d’accompagnement pédagogique

© Zegendos / Fotolia.fr

Diversifier les supports, voire les parcours d’apprentissages des élèves,

favoriser leur travail en autonomie

connaît une augmentation de ses inscrits depuis que ses ressources sont gratuites. En 2012, le CNED avait mis en place D’COL, un service de soutien pour les élèves de CM2 et de Sixième.

Il semble connaître une certaine réussite avec ses 30 000 inscrits. Les élèves ne restent pas isolés pour effectuer les activités numériques et un enseignant référent les encadre deux heures par semaine en établissement. Toutefois, on peut s’interroger sur la réalité de leurs progrès : jus- qu’ici aucune étude ne les atteste.

(4)

par les communes pour l’achat de manuels choisis librement par les enseignants. Les programmes sont nationaux et obligatoires mais les éditeurs peuvent les interpréter avec une relative souplesse, sauf sous Vichy.

Patrimoine scolaire

Recueils de textes ou d’exercices, certains ont laissé une trace dans la mémoire collective et dans les souvenirs individuels, et sont parfois réédités, comme le célèbre Bled, et chacun connaît « le tour de France de deux enfants ».

Les manuels de littérature « Lagarde et Michard » ont souvent été conservés ! Des contenus parfois très contestés – les manuels d’histoire et de géographie ont au cours des années reflété colonialisme, racisme ou sexisme, et encore aujourd’hui sujets à polémique.

Au-delà des contenus eux-mêmes, le « poids des cartables » a aussi modifié l’approche, incité au cartonnage souple, au petit format, voire au double manuel (maison-établisse- ment). Surtout, la concurrence des nouvelles technologies et l’apparition du manuel numé- rique interrogent l’avenir du manuel. La question des manuels scolaires est posée

dès 1793 (Lakanal). Mais avec l’obligation scolaire se développe une véritable réflexion sur les outils d’enseignement.

P

our l’historien Alain Chopin, « l’exis- tence du manuel scolaire nécessite (...) un ensemble de conditions qui ne sont pas toutes remplies avant la fin de l’Ancien Régime : des classes recevant un enseigne- ment commun (l’enseignement dit simul- tané), une structuration des contenus en dis- ciplines autonomes, la possession d’un livre par l’élève ». Le décret du 29/01/1890 impose aux instituteurs le recours à des manuels sco- laires, véhicules obligés des valeurs à trans- mettre. Des crédits pédagogiques sont alloués 24-US MAGAZINE- Suppment au no750 du 14 mars 2015

Les manuels scolaires

DOSSIER

L

e financement des manuels scolaires en collège est pris en charge par l’État mais, sur les budgets 2014 et 2015, on note une baisse importante des crédits péda- gogiques en collège, baisse justifiée par le ministère par l’attente des nouveaux pro- grammes et donc la demande de ne pas renou- veler les collections anciennes, mettant ainsi en difficulté les enseignants et les élèves !

Une enquête de 2014-2015 sur le financement des manuels scolaires en lycée par les Régions témoigne de la disparité des situations, même si l’on tend vers une uniformisation.

Inégalités territoriales

Les méthodes de financement sont très diverses. Ici, ce sera une dotation attribuée à chaque lycée, ailleurs un crédit accordé à

Financement des manuels

Gratuité ? Égalité d’accès ?

La situation est différente dans les lycées, qui dépendent de la Région, et dans les collèges où le financement des manuels relève de l’État.

chaque élève sous des formes différentes (prime régionale de scolarité en Alsace, chèque ou carte à puce dans d’autres Régions.) La gratuité n’est donc pas l’objectif partout et on constate que, quel que soit le mode de financement, la somme allouée (qui n’a pas changé depuis 2008 pour de nom- breuses Régions) ne suffit pas à couvrir la totalité du coût des manuels, obligeant de surcroît les parents ou les élèves à devoir trouver une solution pour revendre les manuels en fin d’année.

Le SNES-FSU trouve plus efficace, pour la mise en place d’une véritable gratuité, qu’une subvention soit accordée à chaque établis- sement sur le modèle utilisé en collège.

La décentralisation a donc bien créé, à propos du financement des manuels scolaires, des inégalités très fortes entre les Régions, la fusion de certaines d’entre elles en 2016 risque d’amener un recul de la gratuité.

Deux siècles d’existence

Des choix politiques

Exemples de financement selon les Régions

Région Montants Méthodes de financement

Alsace De 100 à 70 euros Prime régionale de scolarité pour les foyers non imposables ou payant moins de 1 000 euros

Auvergne Gratuité Subventions aux lycées

Bretagne 60 euros pour acheter les manuels Chèque livres

Nord-Pas-de-Calais 70 euros Chéquier livres et fournitures scolaires ; chéquiers scolarité pour boursiers (75 euros) Basse Normandie 75 euros LGT, 25 euros LP « Cart@too » selon le niveau de formation

Des instruments de lutte ?

Rentrée scolaire 2011, quatre-vingts députés UMP s’élèvent dans un courrier au ministre de l’Éducation contre le contenu des manuels scolaires de sciences de la vie et de la Terre qu’ils jugent propager « la théorie du genre  sexuel ». Cependant la plupart des pages dénoncées par les députés ne font que reprendre le programme officiel, qui lui n’évoque jamais la théorie du genre. L’affaire s’arrête là mais les mêmes contestations politiques resurgissent deux ans plus tard avec la mise en place de l’expérimentation des ABCD de l’égalité à l’école primaire à la rentrée 2013.

Cette instrumentalisation politique du contenu des manuels montre l’importance de leur rôle de médiateur entre les pro- grammes, outils professionnels, et la com- munauté éducative large. Elle montre aussi combien le métier d’enseignant et la place qu’y jouent les manuels sont méconnus.

En effet, même si certains sujets sont sen- sibles (sexualité, évolution, changement climatique...), les manuels ne sont que les outils des enseignants pour mettre en place les programmes officiels et la remise en cause des manuels est aussi celle des enseignants.

Véhicules obligés des valeurs à transmettre

© Sergey Nivens / Fotolia.fr

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bien pernicieuse : dans certains manuels d’histoire, le suffrage universel est placé en 1848 alors qu’en réalité les femmes n’ob- tiennent le droit de vote qu’en... 1944)!

Le souci de l’égalité

Les manuels scolaires ne sont pas seule- ment des vecteurs de savoirs, ils donnent aussi à penser un idéal de société. Ils doivent donc être exemplaires et proposer des modèles diversifiés soucieux des différences de chacun, qui permettront aux élèves de se projeter et de se construire le plus libre- ment possible.

Pour prévenir les préjugés et former les citoyen-nes de demain à l’égalité, nous devons, en tant que professionnel-les, aiguiser notre regard critique sur ces questions. Le souci de l’égalité, loin d’être périphérique, doit irriguer notre réflexion et nos pratiques. ■

M

algré des progrès, la sous-représen- tation des femmes dans les manuels, leur invisibilisation ainsi que leur cantonnement bien trop fréquent au rôle de mère, épouse ou muse ne font que renforcer les stéréotypes de genre, même dans les parutions les plus récentes. De façon parfois

sont pour nous aujourd’hui davantage un support supplémentaire qu’alternatif au manuel papier, mais cela va sans doute évoluer. Les manuels numériques actuels, fortement enri- chis, sont plus que de simples numérisations en « pdf)», et induisent un surcoût de 20 à 50 % par rapport au manuel papier.

L’US :Les programmes vont être écrits par cycle  : envisagez-vous de concevoir des manuels de cycle ?

M.-P. W. : Ils pourraient permettre de don- ner une vision cohérente des contenus ensei- gnés sur tout le cycle, sans doute utile aux enseignants, mais bien plus difficile à conce- voir et adapter à des élèves qui évoluent beaucoup en trois ans, notamment au moment de l’adolescence ou entre le pri- maire et la classe de Sixième. ■

25-US MAGAZINE- Suppment au no750 du 14 mars 2015

La longue élaboration du manuel

Entretien avec Marie-Pascale Widemann, directrice éditoriale du scolaire secondaire chez Hatier

À l’épreuve des stéréotypes

Des choix

qui ne sont pas neutres

L’image stéréotypée de la femme est encore bien présente.

Le manuel a pourtant une fonction citoyenne et donc un devoir d’exemplarité.

L’US :Quelles sont les étapes de conception d’un manuel ? Marie-Pascale Wide- mann : Dans l’idéal, la conception débute un an et demi avant)la publication : constitution de l’équipe rédac- tionnelle au printemps, dès la connaissance des projets de programmes ; définition d’une ligne éditoriale puis élaboration d’une maquette et d’un chapitre test.

L’écriture se fait l’été ; puis relectures et mise en forme s’enchaînent à partir de sep- tembre. Le « bon à tirer)» est donné mi-mars.

L’envoi des spécimens aux enseignants se fait début mai. Un décret fixe le respect de douze mois entre la sortie du programme au BOet son application.

L’US :Comment sont choisis les auteurs ? M.-P. W. : Les équipes sont majoritairement constituées d’enseignants, de quatre à une quinzaine suivant les disciplines, le niveau..., choisis sur des profils différents (enseignants en «)classes difficiles)», «)natives)» pour les LV, chercheurs sur des points précis, par exemple en histoire-géographie ou en sciences) et complémentaires (tournés vers le numérique...). Des relecteurs (absents du processus d’élaboration) apportent un autre regard critique. De nombreux métiers sont associés à la réalisation du manuel : éditeurs, maquettistes, iconographes, cartographes, etc.

L’US :Quelle place pour les manuels numériques  ?

M.-P. W. : Leur développement n’a pas changé le cœur du métier d’éditeur scolaire. Ils

Mais quel est donc le rôle du professeur documentaliste ?

Les us et coutumes des établissements, l’absence de textes officiels récents sur la gestion des manuels scolaires entre- tiennent les interrogations concernant le rôle que doit être celui du professeur documentaliste. Qu’en est-il exactement ? Dans le cadre de l’une de ses missions, celle de gestionnaire d’un centre de res- sources documentaires, il met à la dis- position des élèves et des enseignants les documents (dont les manuels sco- laires) nécessaires aux apprentissages, et même si le manuel est une ressource documentaire, ce n’est pas à lui que revient la charge des commandes ni celle de la distribution.

Ainsi, en tant que professionnel de l’infor- mation, il assure une veille pédagogique, et dans le cadre de la politique d’acquisition met à la disposition des enseignants des catalogues d’éditeurs et un ensemble de ressources pédagogiques.

C’est donc l’un des interlocuteurs incontour- nables au sein de l’établissement et la fréquentation du CDI et de ses rayonnages peut permettre de découvrir et de se fami- liariser avec les ressources disponibles.

Prévenir les préjugés et former les citoyen-nes de demain

© DR

© Cment Martin

(6)

26-US MAGAZINE- Suppment au no750 du 14 mars 2015

Les manuels scolaires

DOSSIER

L’US :Votre équipe a travaillé sur le rapport entre les supports pédagogiques et les inégalités scolaires ; en quoi le manuel est-il inégalitaire ? D’abord, les supports (manuels, fiches...) sont un témoin au cours du temps de l’évolution des exi- gences intellectuelles faites aux élèves par une série d’influences (programmes, évidences sociales, conceptions de l’enseigne- ment...). Leur étude sur 70 ans montre l’élévation des exigences dès la maternelle et l’élémentaire, jusque dans le secondaire : conte- nus plus conceptuels et processuels (moins descriptifs et factuels), à manipuler dans des situations plus variées et moins standards, etc.

Ces supports sollicitent également la construction des savoirs par l’élève lui-même, au travers de pages et documents à articuler de manière bien plus complexe.

On a souvent en tête qu’une population moins «) héritière) » qu’autrefois a été confrontée aux mêmes objectifs dans la scolarité unique et la massification, mais, c’est moins connu, les écarts se

sont aussi creusés «)par le haut)» avec des exigences plus élevées.

Enseignants, élèves et concepteurs de manuels ont donc à réduire cet écart seuls, faute de politiques qui travaillent à l’égalité sociale des apprentissages.

L’US :Au sujet du traitement des pages dans les manuels, ils sont plus colorés, plus riches en visuels de types différents : cette diversité est-elle un atout  ?

Les manuels actuels sont en effet plus fournis en images (cartes, photos, graphiques...) et en types de textes (énoncés de savoirs, document d’époque à étudier...). C’est à la fois un avantage, en per- mettant des activités plus riches, et un risque, car pour conduire ces dernières, de haut niveau, des prérequis sont nécessaires. Et les documents, plus nombreux, ont aussi changé de statut : ils ne sont plus des illustrations redondantes du texte qu’il suffisait de rete- nir, mais des sources d’informations tacites à prélever, et sur les- quelles une réflexion doit avoir lieu en relation avec un objectif de construction et de formulation du savoir. Des articulations d’in-

formations plus hétérogènes et plus éloignées dans les séances sont nécessaires.

Or, l’école, loin s’en faut, ne prend pas en charge pleinement et progressivement le dévelop- pement chez tous les enfants de la familiarité avec les activités culturelles, cognitives et langa- gières requises. On leur dit de réfléchir, sans guider suffisam- ment ce que cela implique.

L’US :Le manuel est censé assurer le lien entre le cours et les devoirs, l’élève en classe et l’élève dans sa famille : est-ce le cas ? Non, les manuels sont construits sur le modèle de l’élève conni- vent, qui ne représente qu’une minorité des enfants de la sco- larité obligatoire. Les change- ments d’exigences rendent par- tiellement obsolètes les savoir-faire de la plupart des familles. Les supports scolaires actuels favorisent les enfants qui ont à la maison non seule- ment des ouvrages didactiques, mais aussi une série d’objets culturels tels que les albums de littérature de jeunesse, qui circulent entre école et familles, et dont les évolutions sont similaires au manuel (besoin d’interroger les images pour comprendre les non-dits du texte, etc.).

De plus, les manuels actuels, faits pour des classes hétérogènes, sont ambigus, la formulation de nombreuses consignes laisse la possi- bilité aux non-initiés de conduire des activités de bas niveau : ils sont occupés, mais sur des tâches disjointes des objectifs réels.

L’US :Quelles conclusions en tirez-vous ?

C’est l’ensemble de la culture et des formes de travail adulte qui sollicitent des activités intellectuelles plus complexes. L’école et ses supports doivent s’en saisir, mais pour créer les conditions d’apprentissage et non pas seulement pour exiger et évaluer. Une politique d’ensemble est nécessaire pour remédier aux inégalités, avec des programmes plus progressifs, une réelle relance de la formation initiale et continue permettant d’avoir du recul sur les exigences et le choix des supports.

Entretien

Stéphane Bonnéry est maître de conférences en sciences de l’éducation, laboratoire CIRCEFT-ESCOL, université Paris 8

« Les écarts se sont aussi creusés “par le haut” avec des exigences plus élevées »

© Pierre Pytkowicz

(7)

mettant d’accéder aux contenus enrichis. Les chercheurs constatent enfin qu’effet de nou- veauté passé, les contenus numériques ne sont pas plus stimulants pour les élèves que les autres situations pédagogiques proposées par les enseignants.

Un pas vers la démocratisation ? Passer du papier au numérique serait-il dans ces conditions une garantie d’avancée pédagogique, un pas vers la démocratisa- tion)? Il est permis d’en douter. Si les outils numériques et applications informatiques enrichissent l’offre pédagogique, ils ne peu- vent se substituer à la nécessité pour l’élève de faire l'effort de travailler et de s’inté-

L

es manuels scolaires et les progressions trouvées sur internet sont souvent uti- lisés à cet effet. L’enjeu de la formation est de donner aux enseignants les outils pour devenir concepteurs de leur progres- sion. Pour cela, la formation initiale doit inclure de l’épistémologie et de la didac- tique de la discipline afin de connaître les obstacles à l’apprentissage, l’ensemble des pédagogies existantes (et pas uniquement les

«)innovantes)») afin de pouvoir choisir la plus adaptée au contexte d’enseignement, des analyses collectives de pratiques, la connaissance des élèves (psychologie, sociologie)...

Continuer à se former

Les titulaires ont besoin ensuite d’une for- mation continue de qualité leur permettant de

mettre à niveau leurs connaissances tant dis- ciplinaires que didactiques. Eux aussi ont besoin de temps à cet effet : de ce point de vue le développement des formations à distance, telles que m@gistère initié dans le premier degré ou p@irformance dans le second degré, est inquiétant puisque les enseignants se for- ment hors de leur temps de service. Autre écueil de m@gistère, l’absence d’échanges entre pairs, de débats que seul le présentiel permet. P@irformance est moins probléma- tique sur ce point puisque c’est une formation hybride alternant formation en présentiel et formation à distance.

Il est donc indispensable d’investir dans la formation continue (aujourd’hui exsangue) et de donner du temps pour se former, soit ponctuellement, soit sur une plus longue période grâce aux congés formation.

27-US MAGAZINE- Suppment au no750 du 14 mars 2015

L’enjeu de la formation

Des enseignants

maîtres de leurs ressources

À leur entrée dans le métier, la première demande des jeunes enseignants est une boîte à outils, avec des progressions «  clé en main  ».

F

aut-il pourtant, comme le ministère le prévoit plus ou moins officiellement avec la réforme du collège prévue pour 2016, les abandonner totalement au profit du numérique ? Certains voient dans le numé- rique une révolution de société comparable à celle de l’imprimerie. Un certain nombre d’études scientifiques commencent à pro- duire des résultats sur les heurs et malheurs du numérique à l’école(1). Il en sort que le numérique est un outil puissant, mais que ce n’est pas un remède miracle, ni au plan péda- gogique, ni économique.

Si le taux de connexion des familles à inter- net est très important, par exemple, celui des équipements informatiques ne permet pas de remplacer un manuel papier par un manuel numérique pour chaque élève. La distribu- tion de tablettes ne palliera pas ce déficit car ses usages ne sont pas les mêmes que ceux d’un ordinateur. La mise à disposition d’équi- pements en nombre, fiables, régulièrement mis à jour et entretenus est donc un passage incontournable, mais coûteux, pour le déploie- ment égalitaire du manuel numérique. Ces manuels posent par ailleurs la question des mises à jour informatiques et des réseaux per-

© Daniel Maunoury © Didier Adam / Flickr.fr

Donner aux enseignants les outils pour devenir concepteurs de leur progression

Le numérique est un outil puissant, ce n’est pas un remède miracle

Papier ou numérique,

des supports complémentaires

Trop coûteux, pesants dans le cartable d'élèves qui ne les utiliseraient pas, choisis par les enseignants pour leur usage personnel et non au bénéfice des élèves, les manuels papier n'ont pas le vent en poupe.

resser, ni à l’art d’enseigner de l’enseignant.

L’enseignement a toujours su se nourrir des nouveaux médias et des nouvelles technologies, mais en prenant de la distance pour les mettre à sa main. Tout comme avec l’audiovisuel en son temps, ce sont aux utilisateurs de voir comment intégrer le numérique dans leurs pratiques au service de la réussite de leurs élèves, et non à l’institution de prescrire tout et son contraire, au risque de gabegie de moyens.

On aura compris que le SNES-FSU défend la possibilité pour les enseignants de choisir les médias avec lesquels ils travaillent en classe, et de conserver les manuels papier s’ils le jugent pertinent. Le jour où les manuels numériques seront d’accès et d’usage aussi évident que leurs ancêtres papier, à des tarifs comparables – matériel informatique compris –, il est pro- bable que la transition se fasse d’elle-même.

(1) Voir par exemple les travaux d’André Tricot ou d’Eric Bruillard.

Références

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