C AHIERS DE
TOPOLOGIE ET GÉOMÉTRIE DIFFÉRENTIELLE CATÉGORIQUES
G EORGES R EEB
La mathématique non standard vieille de soixante ans ?
Cahiers de topologie et géométrie différentielle catégoriques, tome 22, n
o2 (1981), p. 149-154
<
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LA MATHÉMATIQUE NON STANDARD VIEILLE DE SOIXANTE ANS?
par
Georges REEB
CAHIERS DE TOPOLOGIE ET GEOMETRIE DIFFERENTIELLE
Vol. XXII - 2
(1981)
3e COLLOQUE
SUR LES CATEGORIESDEDIE A CHARLES EHRESMANN
Amiens,
Juillet 1980L’exposé qui
suit est lié à lapersonnalité
de CharlesEhresmann,
à
plus
d’untitre ;
enparticulier,
mon maîtreavait, dès 1945, posé
oralementle
problème
d’une théoriemathématique
du moiré( et aussi, je
lerappelle
au passage, des cristaux
liquides).
Le cours des choses a fait que(les suggestions
sur les cristauxliquides
ont abouti selon lesprévisions
ini-tiales,
alorsque)
les résultats sur le moirépar Harthong, qui ignorait
lessuggestions
de C.Ehresmann,
sont tout à fait récents.Notre thèse ici est de
rappeler
que lesméthodes
del’analyse
non-c las sique (a.n.c.)
ou non standard d’une part, permettentd’ attaquer
effi-cacement des
problèmes, naguère dédaignés,
dont le moiré fournit un exem-ple remarquable,
et que d’autre part, cesméthodes
dérivent desinterroga-
tions
qui, depuis plus
de soixante ans, accompagnentl’investigation
desproblèmes
des fondements enmathématiques.
Ainsi D. Hilbert - pour nousen tenir à un seul nom - a montré
clairement,
dans son célèbre article surl’infini,
commenc la formalisation(
parexemple N , R , q )
de notions con- crètes( les
entiers de tout lemonde,
lespoints
du continuintuitifs )
intro-duit
nécessairement,
enquelque
sorte contre lavigilance
du formalisateur d’abondantsobjets idéaux,
nondésirés.
On peut dire que lamathématique
non
classique
consiste - audelà
des immenses commodités du formalisme - à tirerparti
de la distinction entreobjets
concrets de lamathématique
in-tuitive
qu’il s’agit
de formaliser et des intrus idéauxinévitables
lors de la formalisation. C’estl’insigne
mérited’A.
Robinson et de ses continua-teurs d’avoir sensibilisé les mathématiciens à cette distinction
féconde,
mais
d’apparence
subtile audépart.
Il est certes curieux de constater que la stérile
conception
très ré-pandue
d’unemathématique
formellequi capterait
exactement lesobjets
concrets dont elle entend
traiter,
estdénuée
de tout fondement à cejour.
Cela est d’autant
plus
curieux que les ancêtres:Brouwer, Hilbert,
ù3wen-heim, Skolem, Gôdel,
V. Neumann .., avaient clairement vu que formalisa-tion
signifiait
intrus.l. SUR LA
THEORIE
DUMOIRE
Nous traitons ici de
quelques points
de la théorie du moiré uni-dimensionnel,
en essayant de convaincre le lecteur que lelangage
de l’a.n.c.
(caractérisé
par l’occurence des vocables:standard, microscopique, macroscopique,
infinimentpetit, fini,
infinimentgrand)
est à peuprès
in-dispensable
pourparler
d’une manière réaliste et cohérente du moiré.Un moiré sur R est
défini
par la donnée d’une fonction deréparti-
tion
F(x)
sur Rvérifiant
les conditions suivantes :i) F(0 ) = 0 ;
ii )
F est une fonction nondécroissante ; iii )
Pour toutcouple ,
Nous confondrons dans nos discours la fonction de
répartition F ,
la mesure
qui
lui estassociée,
et la fonction de densité (notéef ) qui, éventuellement,
la définit. On noteraqu’une
éventuelle fonction de densitéf vérifie 0 f (x) 1 ,
et une évidenteréciproque.
L’idée de cette
définition
est que la mesureF(x)
définit une opa- cité variable surR ,
laquantité
où b > a , mesurant la pro-portion
delumière,
incidente uniforme tombant sur l’intervalle( a, b]
que le moiré laissefiltrer. L’opacité parfaite correspond
alors àf(x)
= 0 etla transparence
parfaite
àf (x)
= 1.Le lecteur
comprendra
tout de suite que deux moirés ayant pour fonctions dedensité f, g
réalisent parsuperposition
un moiré ayant pourfonction de
densité
leproduit f ,
g.Un moiré sera dit
macroscopique
si sa fonction derépartition
Fest une fonction
standard.
Un
premier théorème intéressant,
etqui
traduit convenablement nosidées sur le
moiré,
s’énonce ainsi:A un moiré G
donné correspond toujours
unmoiré macroscopique
F
ayant
àl’observation les mêmes propriétés optiques
que G.La locution «à l’observation»
signifie
que pour a, bstandard,
lesproportions G( b)- G(a), F(b)-F(a)
sont infinimentproches.
La dé-monstration du
théorème
estévidente,
il suffit de définir la fonctionF
ypour x
standard,
parF(x )
=approximation
standard deG (x).
Donnons-nous maintenant deux moirés ayant les fonctions de den- sité
f , g
où:fixé
et infinimentpetit,
où çj
eststandard, où 0 (x), Y (x)
sont, pour tout x , infinimentproches.
On
comprendra
enquoi
ces moirés ont des structure sfines, pério- diques,
voisines. Les moirésmacroscopiques
associés sont, en un sensévident, uniformément gris.
Etudions le moiré résultant de lasuperposition
de ces deux structures
fines;
il a pour fonction dedensité:
Dans ce
produit, après développement,
les termes1, sin(0/a), sin(Y/a)
donnent
macroscopiquement
de la«grisaille
»; seul le termeest
intéressant;
or:Finalement,
éliminant encore unegrisaille,
seul le terme :est intéressant et rend compte des motifs du moiré éventuellement visibles à l’oeil nu.
On voit que finalement
l’hypothèse
intéressante consiste à supposerqu’il
existe une fonction standardL(x)
telle que pour tout x , les valeursL(x) et u(x)
soient infinimentproches.
La fonctionL(x) décrit
alorsle motif
observé.
Un cas très
simple
oùl’hypothèse
estvérifiée
est celuioù 0(x)
est continûment
dérivable
et oùtfr(x) =cp(x-ua),
où u est standard etfixe ( ce cas mérite le nom
de : moiré de translation ).
Dans ce cas, on a :L (x )
=ltcp’(x).
Cettedernière égalité
traduit unepropriété
bien connuedu moiré.
2. SUR LA
THÉORIE
1. S. T.(NELSON )
DE L’A.N.C.Nous
rappelons
ici la théorieformalisée, proposée
sous lesigle
I. S. T. pour
développer
l’ a, n, c. La théorie I. S. T. permet très vite de par- ler lelangage
utilisé en 1.I. S. T. est donc la théorie formelle obtenue en
adjoignant
à la thé-orie Z. F. C. (Zermelo-
Fraenkel,
avec axiome duchoix)
unprédicat unaire, primitif stand( )
et trois axiomes nommésprécisément I,
S et T . L’énon- cé de ces trois axiomes demandequelque
technicité et ledébutant
peut faire sespremiers
pas dans lathéorie,
en substituant àI , S,
T des con-séquences judicieusement
choisies deI , S,
T. Nous proposons le choix suivant :T’ :
Soit A (x)
uneformule
interne( i.
e.appartenant
à Z.F.C.)
con-tenant .x comme
seule variable libre, alors:
( ici 3 ! signifie « 3 un unique »).
Cet axiome entraîne
qu’il
y abeaucoup d’objets standard,
par ex-emple 0, 1, 2, 3, 4, 5, ... N , R , P(N), p(R), ...
I’ :
Il
existe unensemble fini
Ftel
que:Cet ensemble F est ni
standard,
niunique ;
il entraînequ’il
existe de nom-breux
objets
non standard(ainsi
tout x,x £ F,
est nonstandard),
S’ :
Soit
A unensemble standard
etB C A
unepartie éventuelle-
m ent non
standard de
A .Alors
il existe unensemble standard Bst
t( dont
l’unicité
résulte deT’ )
tel que :Cet axiome permet d’associer à des
objets
initialement non stan-dard des
objets
standard.Nelson
explique
dans un article encore inédit commentl’usage
que font les mathématiciens del’expression
non formalisée «pour xfixé»
luia
suggéré
sa théorie formelle et lespropriétés
de non-contradiction rela- tive et de conservation. Nous allons montrerrapidement
en 3 comment lanotion d’entier
naïf,
ouplus généralement d’objet Nai’f,
conduit à des ré- flexionsprésentant quelque analogie
avec I. S. T. et dont la non-contradic- tion et la conservation sontévidentes.
3. ENTIERS
NAIFS,
OBJETS NAIF’SNous
appellerons naïfs
les éléments de N déclarés tels parappli-
cation des seuls
principes suivants : i) O
estréputé naïf,
ii )
si x est connu pour êtrenaif,
alors x + 1 estréputé naif.
Ainsi, 0, 1, 2, 3,
... ,1010...
sont naïfs. Mais rien ne nous au- torise àériger
les naïfs en ensemble.Considérons
unobjet
a, intervenant dans un textemathématique
et vérifiant a E N . Dire que cetobjet
a estnaif n’a de sens que si une «démonstration» montre que a est
naif,
ou aucontraire
qu’il
ne l’est pas. Mais deux mathématiciens n’auront pas de que- relle sur le fait que a estnaïf,
ouqu’il
soit nonnaif,
ou que, pour le mo- ment, ils ne sont pas à même d’endécider.
En ce sens, le vocable «naïf»jouit
d’un statutanalogue
à celui du vocable «tel énoncé est un théorèmes.La rhèse dont nous avons
parlé
audébut
de cet article peut être énoncée ain si :«Il y a dans N des éléments non naifs »
On
franchit
facilement un autre pas dans l’escalade endéfinissant
p lus généralement
une notiond’objet
Naif.Un
objet
seraréputé Nai f
s’il estreprésenté
par un terme(au
sens que Bourbaki donne à cemot).
La thèsegénéralisée
peut alorss’exprimer
ainsi:
«Il y a un ensemble fini F tel que tout
objet
Naif a soit un élémentde F . »
Les entiers naifs sont
évidemment
desobjets Naifs,
laréciproque
se trouve par contre être en
défaut ( même
pour les éléments de N).
Si A est un
objet
Naif nonvide, alors J
Areprésente
un élémentNarf de A (ici j
est le tau deHilbert).
Il en résulte que deuxobjets Naïfs,
ayant les mêmes éléments
Naïfs, sont égaux (on
reconnait ici unepropriété analogue
àT ).
A
partir
delà,
il estpossible
de suivre d’assezprès
lesdévelop-
pements habituels de l’ a, n, c, avec au moins un bénéfice que nous avons
dejà souligné:
la non-contradiction et la conservation sontévidentes.
Leprix
à payer consiste dans lamanipulation
nonformalisée
de la notion con-crète
d’objet
Naif. En ce sens, la théorie I. S. T. formalisée estsupérieure
à notre
considération d’objets
Naifs dontl’intérêt
seréduit
à l’ordre di-dactique
ouheuristique.
BIBLIOGRAPHIE
L’ouvrage
fondamental pour l’ a. n . c . esttoujours:
A.
ROB IN SON, Non
standardAnalysis,
NorthHolland, 1974.
L’article fondamental de Nelson permet
également
l’accès à labibliographie :
E . NELSON,
Internai settheory, Bull. A. M. S.
83( 1977), 1165 -1198.
Pour Hilbert, problème
del’infini,
voir:D. HILB ERT, Das
Unendliche, Math. Ann. 95 ( 1925), 161-190.
Les articles suivants concement des
applications
assez élémentai-res de
l’ a, n , c. ;
desexemplaires
sontdisponibles
sur demandeadressée
à:I. R.M.A.,
91Gal Zimmer,
67000 STRASBOURG.J.
H ARTHON G,
Lemoiré ;
DIENER, CALLOT,
B ENOIT,C’hasse
aucanard;
R.
LUTZ,
M.GOSE, Analyse
nonclassique.
Département de