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Un duo de choc

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XX - n° 3 - mars 2016 78

C a s c l i n i q u e

* Service d’endocrinologie, CHU de Rouen.

Un duo de choc

A duo of troubleshooters

Jean-Marc Kuhn*

M adame D. âgée de 36 ans est enceinte de son premier enfant. Cette grossesse est émaillée d’une anémie par carence martiale et d’un diabète gestationnel. Ils feront l’objet, chacun, d’un traitement spécifique. Lors de la surveillance obsté- tricale est observée une élévation intermittente des chiffres de pression artérielle dont la systolique peut atteindre 230 mmHg. L’interrogatoire permet de pré- ciser rétrospectivement que madame D. a ressenti, depuis 3 à 4 ans, des “malaises” avec céphalées, palpi- tations et sueurs froides. Aucune mesure de la pression artérielle n’a été effectuée lors de ces épisodes. À la 34

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semaine d’aménorrhée, des chiffres de pression artérielle atteignant 230 mmHg de systolique sont constatés. Ils s’associent à la triade de symptômes déjà ressentie. L’ensemble évoque fortement la possibilité d’un phéochromocytome, hypothèse qui sera rapide- ment confirmée sur : l’élévation de l’élimination urinaire des catécholamines et de leurs dérivés métaboliques (normétanéphrine = 52,85 μmol/24 h [N = 0,5 à 2], méta- néphrines = 1,02 μmol/24 h, [N = 0,35 à 1]) ; la mise en évidence sur l’IRM d’une lésion tissulaire hétérogène de 8 cm de grand axe développée dans la loge surré- nalienne droite (figure). L’option est rapidement prise

de réaliser une césarienne et, dans la foulée, l’exérèse du phéochromocytome, après préparation médicale d’une dizaine de jours.

Le premier temps chirurgical va consister à réaliser une césarienne par incision de Pfannenstiel sous monito- rage hémodynamique. Lors de l’incision est observé un pic de pression artérielle systolique à 320 mmHg. Est rapidement extraite une petite fille de 2 600 g. L’Apgar est coté à 5, 5 minutes après la naissance. La délivrance est réalisée manuellement, l’hystérorraphie est fermée par 2 hémisurjets de fil résorbable et le reste du temps opératoire est effectué après extraction de la tumeur surrénalienne. L’enfant est transféré dès la naissance dans le service de réanimation pédiatrique pour préma- turité et détresse respiratoire. Les suites seront simples.

Une fois la césarienne réalisée, l’équipe de chirurgie endocrinienne intervient dans le même temps opératoire. La tumeur surrénalienne remontant en rétro-hépatique, il est nécessaire de luxer le foie pour dissection et mise sur lacs de la veine cave inférieure en sus-hépatique. Un pic de pression artérielle à 350 mmHg est observé lors de cette manœuvre, mais sera bien contrôlé par nicardipine et après arrêt des gestes chirurgicaux. Une libération progressive de la face

Figure. Examen par résonance magnétique nucléaire de l’abdomen de madame D. La planche de gauche montre le fœtus au sein de la poche amniotique. La planche de droite objective la présence de la tumeur surrénalienne droite de 8 cm de grand axe au sein de laquelle existent des logettes qui témoignent de saignements intratumoraux. Cette lésion jouxte l’utérus gravide.

Fœtus Tumeur

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Un duo de choc

antérieure de la tumeur est réalisée avec ligature par clips des différentes veines de drainage de la lésion.

L’exérèse est totalisée en posant des clips sur plusieurs branches artérielles à destinée de la surrénale droite.

L’hypotension qui la suit est contrôlée par remplissage vasculaire et noradrénaline et l’hypotonie utérine transitoire par l’introduction de sulprostone.

Depuis l’intervention, madame D., qui a récupéré sa petite fille en parfaite santé, ne ressent plus aucun des symptômes qui se manifestaient préalablement.

Elle pèse 58 kg pour 1 m 71 et a une pression artérielle de 105/60 mmHg sans aucun traitement. Ses cycles sont spontanément réguliers, la contraception reposant sur l’emploi de préservatifs. Dans le bilan de surveillance effectué quelques mois après l’intervention, l’examen par IRM de la région abdominale ne retrouve aucune anomalie. La glycémie à jeun est à 0,71 g/l, le taux de chromogranine A plasmatique à 48 ng/ml (N < 100) et l’élimination urinaire des catécholamines et de leurs déri- vés métaboliques est normale. Calcémie et taux de thyro- calcitonine plasmatique restent normaux. Madame D. est issue d’une fratrie de 6 enfants. Chez aucun de ses appa- rentés au premier degré ne sont retrouvés hypertension artérielle ou signes cliniques d’hyperadrénergie. L’étude, chez Madame D, des gènes de prédisposition au phéo- chromocytome se révèle négative. Le dénouement de cette histoire est donc heureux, mais que de stress pour la mère, l’enfant et les équipes médicales !

Le phéochromocytome est rare pendant la grossesse puisqu’il n’est identifié que chez une femme enceinte sur 54 000 (1). Une récente revue décomptait 135 cas rapportés dans la littérature entre 2000 et 2011 (2).

Sa rareté ne doit pas le faire méconnaître, car les conséquences en seraient dramatiques. Non détecté, il expose à une mortalité maternelle et fœtale 1 fois sur 2. À l’inverse, identifié de façon précoce, ces chiffres de mortalité s’abaissent respectivement à moins de 5 % et moins de 15 % (3, 4). Les symptômes du phéochromocytome sont présents chez 90 % des patientes au cours du troisième trimestre de la grossesse (3). Mouvements du fœtus, taille et contractions de l’utérus, palpation abdominale

représentent autant de facteurs inducteurs des pics de pression artérielle. Chez la femme enceinte hypertendue, certaines nuances sémiologiques doivent permettre de faire la distinction entre hypertension artérielle gravidique et phéochromocytome. La première est le plus souvent permanente, sans poussée paroxystique et se développe après la vingtième semaine de gestation. On observe l’inverse dans le phéochromocytome. Par ailleurs, l’œdème des chevilles, l’existence d’une protéinurie et d’une élévation de l’uricémie ne font pas partie des stigmates du phéochromocytome. La confirmation du diagnostic repose sur les données de l’IRM et les résultats de la mesure des métanéphrines et normétanéphrines urinaires dont les chiffres ne sont que peu modifiés lors d’une grossesse normale (5). Si le diagnostic est posé avant la fin du sixième mois de gestation, après une préparation médicale de 2 semaines (α-bloquant, inhibiteur calcique), l’ablation par laparoscopie de la tumeur permettra de résoudre le problème et d’aborder l’accouchement dans des conditions optimales. Si, au contraire, le diagnostic est fait au cours du troisième trimestre de grossesse, un traitement utilisant les mêmes médications sera instauré jusqu’à l’obtention d’une bonne viabilité fœtale. Cette prise en charge ne permettra pas de supprimer l’excès de catécholamines, dont le passage transplacentaire est au demeurant très faible (6), mais de s’opposer à leur effet vasoconstricteur sur la circulation utéroplacentaire qui est le facteur délétère principal sur le fœtus. Ce traitement médical permettra également de normaliser les chiffres de pression artérielle de la mère et de rétablir une volémie adéquate. Enfin, une fois la viabilité fœtale obtenue, seront réalisées au cours du même temps opératoire, la césarienne puis l’ablation de la lésion surrénalienne.

Ce sont ces modalités opératoires qui ont été employées avec succès chez madame D.

Quoi qu’il en soit, la coexistence d’un phéochromo- cytome et d’une grossesse reste une situation à haut risque et de gestion difficile. L’amélioration du pronostic repose sur un diagnostic précoce et une bonne stratégie de prise en charge médicochirurgicale. ■

1.

Lenders JW. Pheochromocytoma and pregnancy: a decep- tive connection. Eur J Endocrinol 2012;166(2):143-50.

2.

Biggar MA, Lennard TW. Systematic review of phaeochro- mocytoma in pregnancy. Br J Surg 2013;100(2):182-90.

3.

Ahlawat SK, Jain S, Kumari S, Varma S, Sharma BK.

Pheochromocytoma associated with pregnancy: case report and review of the literature. Obstet Gynecol Surv 1999;54(11):728-37.

4.

Sarathi V, Lila AR, Bandgar TR, Menon PS, Shah NS.

Pheochromocytoma and pregnancy: a rare but dangerous combination. Endoc Pract 2010;16(2):300-9.

5.

Zuspan FP. Urinary excretion of epinephrine and nore- pinephrine during pregnancy. J Clin Endocrinol Metab 1970;30(3):357-60.

6.

Dahia PL et al. Low cord blood levels of catecholamine from a newborn of a pheochromocytoma patient. Eur J Endocrinol 1994;130(3):217-9.

R é f é r e n c e s

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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