• Aucun résultat trouvé

DE DEAUVILLE A PARIS

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "DE DEAUVILLE A PARIS"

Copied!
8
0
0

Texte intégral

(1)

DE DEAUVILLE A PARIS

DEAUVILLE SOUS LE SOLEIL. — U N SEUL PETIT NUAGE A DINARD. — LES PREMIÈRES SOIRÉES DE PARIS.

Mais si, le temps fait quelque chose à l'affaire !'

Depuis près de trente ans, les plages du Nord ont souffert de la pluie. Les citadins, ayant écourté leurs vacances, pris goût aux bains de mer et aux dames bronzées, se sont rués vers les plages du Midi, où l'ensoleillement vital leur était garanti. La clientèle n'étant pas élastique à l'infini, toutes les plages à marées de l'ouest se sont vues plus ou moins désertées. La pluie, qui emplissait les caniveaux, y vidait les cagnottes.

Le miraculeux été de 1955 a changé l'aspect des choses en quelques semaines et risque de le changer davantage pour l'avenir.

Il fut tout soleil. Seuls, de rares noctambules reçurent quelques gouttes de pluie entre le 1e r juin et le 10 septembre. Les habitués des côtes normande ou bretonne n'osaient pas croire au miracle.

Tous les soirs, ils regardaient le crépuscule, leur baromètre et leur parapluie. Vaines angoisses. -Le beau temps durait. Rome ne songeait pas à remplacer Sparte.

L'homme est un jouet docile aux mains de la conjoncture.

Il s'adapte au bien aussi facilement qu'aux catastrophes. J'ai passé deux week-ends à Deauville cet été. La première fois, au début du mois d'août, je n'ai guère rencontré que des sceptiques. Vous savez : « C'est trop beau pour que ça dure », ou « C'est toujours ça de pris 1 » ou encore : « Attendons le tournant du 15 août ! » Pour ce tournant, on escomptait le terrain lourd, les arcs-en-ciel entre deux averses, la confirmation du proverbe : « Quand on voit le Havre, c'est qu'il va pleuvoir. Quand on ne voit pas Le Havre, c'est qu'il pleut », les bons feux de bois et les soirées où on se serre frileusement autour des tables de baccara, comme si on éprouvait de l'amitié les uns pour les autres.

(2)

de brunir un dos en cinq jours et de foudroyer un joueur de tennis en deux sets. On voyait paraître ces accessoires extravagants : des chapeaux protecteurs, des casquettes de toile blanche. Les gens à la mémoire longue évoquaient 49 et 47. Certains même 1921 et 1911.

Eugène Cornuché, parachevant l'œuvre de son prédécesseur le duc de Morny, a complété Deauville en lui donnant une parure de palaces et de casino. Parure essentiellement tripartie, puisque le Normandy est, comme son nom l'indique, de style normand ; le casino de style Louis XVI (en ce temps-là, les casinos ne se comp- taient que par louis) et le Royal de style IIIe République. Cornuché était un animateur, mais du type brutal. Quand les dîners de gala se prolongeaient un peu trop au gré des tables de jeu, il faisait ouvrir les fenêtres du restaurant, y lançait la bise marine avec des équipes de balayeuses chargées de nettoyer les dîneurs attardés et de les pousser d'une main ferme vers les portes du devoir.

Fondateur de dynastie, Cornuché n'existe plus que par son boulevard. Il aura sans doute bientôt sa statue, sur cette plage qui est le dernier paradis de la sculpture., Mais le second de la lignée, François André, laissera un souvenir historique.

Ce monarque normand est débonnaire comme le roi d'Yvetot, à cela près qu'il se couche tard. Jusqu'aux premières lueurs de l'aube, il se promène dans ses salles de jeu, regardant les jetons et les hommes, les jetons maniant les hommes, avec le sourire d'un philosophe. Il est sceptique, un peu cynique sous un ton d'inimitable bonhomie. Il sait parler aux joueurs : « Allez donc vous coucher, vous avez assez perdu aujourd'hui. Vous trouverez certainement le moyen de perdre encore demain. — Vous, vous avez gagné. Alors, sauvez-vous vite et, pour une fois, passez une bonne nuit. »

Ces sages conseils sont sans risque car, comme les lapins dans un tiré, gagnants et perdants reviennent toujours vers le fusil.

André est d'ailleurs sincèrement désabusé. Il dit ce qu'il pense sans artifice et il ne croit pas au jeu. L'amusant est que son plus grand plaisir, à Paris, consiste à aller au Cercle des Capucines et à y jouer au chemin de fer afin de connaître, lui aussi, ces joies de la perte qu'aimait Fox.

(3)

François André est un causeur agréable. On sait, au moins depuis l'année dernière, qu'il chante la chanson avec mieux qu'un talent d'amateur et sa mémoire lui permet d'évoquer et de fre- donner toutes celles qui ont couru l'univers occidental depuis une cinquantaine d'années. Il a des souvenirs de toutes sortes. N'a-t-il pas connu une bonne moitié du monde, sans parler des secrets ? Mais il se plaît surtout à évoquer ce qui fut la grande époque de Deauville, les années folles d'après-F autre-guerre et la faune que ces années avaient fabriquée à leur mesure. Le diamantaire De Hahn, à qui on n'avait pas fait un gros banco, qui avait tranquil- lement pris le sabot sous son bras et qui allait de table en table proposer son banco de 1.000 louis, tandis que les chefs de partie, affolés par ce manquement à toutes les règles, couraient à ses trousses. Le petit Américain blond Erskine Gwynne, toujours joufflu, toujours rose et toujours gai, qui, suspendu aux lampes, faisait du trapèze volant et qui atterrit tout à coup sur. une table parmi des joueurs étonnés. C'était Gwynne aussi qui chantait une parodie de La Marseillaise de sa composition :

Entendez-vous dans les cagnottes Tomber les billets d'cinquant'louis ?

ou encore la fameuse duchesse d'Armstrong, qui avait près de quatre-vingts ans, pas mal de millions de dollars et deux secrétaires, un de jour, un de nuit, chargés de la réveiller toutes les fois qu'un banco passait à sa portée. Car, entre deux coups de carton, parfaite- ment détachée de tous les autres phénomènes de la vie, la brave dame somnolait. Les folies des fantaisistes, les distributions de billets à des petites femmes émerveillées par le commodore Drouilly ou par Ralph-Beaver Strassburger, les aubades nocturnes, les farandoles de l'aube dans les couloirs des hôtels, les excentricités subites des reines d'un soir, les mots de S»m l'économe et de Capus le prodigue ou de Tristan Bernard, le plus assidu des joueurs de baccara : « Savez-vous quel est le moment le plus cruel pour un joueur ? — Je ne sais pas... c'est quand on lui abat neuf. — Non.

C'est quand on fait les cartes » et : « L'ennui* avec l'argent qu'on gagne au jeu, c'est qu'on le dépense d'abord et qu'on le reperd ensuite. » Tout cela amuse André bien davantage que les chiffres des grosses parties, les séries au trente et quarante ou les hauts et

(4)

Aujourd'hui, il n'a plus le droit, comme jadis, de fumer de gros cigares format Churchill, mais il goûte encore en vrai connais- seur les plaisirs de la table. Il veut que ce soit bon et ne s'y trompe pas. Il ironise à l'encontre des malins qui affirment : « Le grill est excellent, mais, aux Ambassadeurs, c'est très mauvais », alors que tous les plats viennent de la même cuisine. Il choisit lui-même pour ses hôtes des pêches dont il veut qu'elles soient les meilleures de France.

Il aime à recevoir à sa table et tous les fidèles de Deauville y défilent : Van Dongen, André de Fouquières et Michel Georges- Michel, qui sont de fondation ; et puis le dessinateur Van Moppès, Saint-Granier, Gérard Bauer, Suzy Solidor, Suzy Volterra et Lily Quesnel, Elvire Popesco et le néo-Deauvillais de 1955, Marcel Pagnol.

André a aussi une marotte innocente et certainement bénéfique.

Il tient à la tenue et vous regarde avec désespoir quand vous arrivez le soir au casino en petit costume gris. D'ailleurs, on vous relègue dans la grande salle-omnibus où lui-même ne daigne guère se promener, car il souffre du débraillé. Un des moments difficiles de sa longue carrière survint à la Pentecôte quand l'ex-roi Farouk prétendit entrer dans les salles de jeu vêtu d'un de ces déshabillés dont il a le secret. Epouvantés, les commissaires de la porte lancèrent un S. O. S. au maître du lieu qui vint en personne trouver la Majesté et qui lui fit valoir que, sans doute, il ne s'opposerait pas au bon plaisir de Sa Majesté mais que la Majesté elle-même ne laisserait pas de se sentir gênée parmi des gens correctement habillés. Farouk céda à des raisons si courtoises et se fit beau... Je veux dire qu'il se mit en smoking.

A Dinard, même temps, même chaleur, même ciel bleu au-dessus d'une mer qui avait du mal à se faire verte pour mériter le nom de Côte d'Emeraude. Un vétéran de ces rivages pouvait même s'indigner : « On ne vient pourtant pas en Bretagne pour se mettre nu et pour attraper des coups de soleil ! » Ma foi ! il n'avait pas tout à fait tort, mais, par ces rudes journées, la baie de la Rance

(5)

éclatait dans toute sa splendeur, Saint-Malo surgissait comme une cité de rêve parmi un fourmillement de petites voiles blanches et les sévères maisons de granit aux toits d'ardoises prenaient un air de gaieté inhabituel. A Saint-Briac, on jouait enfin au golf sans parapluie et certains allaient jusqu'à prendre deux bains de mer par jour.

Certes, Dinard n'est plus ce qu'il était avant 1914, au temps où Mrs Hughes-Hallett tenait table ouverte, où tous les membres de la famille Gillou jouaient au tennis avec Mrs Lambert-Chambers, où les Sassoon habitaient leur villa, où on faisait un baccara de famille au « High Life Casino ». La vie y est plus calme, moins cossue et les distractions essentielles sont les régates, la pêche à la crevette lors des grandes marées, le .tennis de château et le bridge à vingt sous chez l'habitant.

Mais il y a tout de même quelquefois des distractions imprévues.

Un soir, au casino, les « Trois Baudets » donnaient une repré- sentation avec Fernand Raynaud, l'homme de «Bourreau d'enfants », et les Carnets du Major Thompson. Parmi les chansonniers qui ouvraient le feu, on annonça M. Boris Vian. M. Vian commença par deux chansons anodines de sa composition, qui ne provoquèrent aucune réaction particulière, si ce n'est quelques applaudissements polis. C'est alors qu'il dit en substance :

— Maintenant, je vais vous chanter une chanson assez connue et qu'a créée Mouloudji, Le Déserteur. Je vous informe que je ne suis pas antimilitariste, car j'estime qu'il faut des militaires, qui sont l'ornement des réunions mondaines. En revanche, je suis contre la guerre, mais, là encore, je suis pleinement en accord avec' les militaires, qui ne la font pas et qui la font faire par les civils.

Cela, sur un ton sifflant et avec une mine passablement agres- sive. Pourtant, le discours préalable ne provoqua que ce qu'il est convenu d'appeler un « léger remous » et M. Vian entama le premier couplet, où le héros (je ferais mieux de dire « le personnage principal ») déclare aux populations :

Je viens de recevoir Mes papiers militaires Pour aÛer à la guerre.

Je ne veux pas la faire...

Il n'alla pas plus loin. Aussitôt, et de tous les horizons de la salle, des cris et des coups de sifflet surgirent. Un peu pâle et

(6)

haut-parleur, il n'était pas de force contre la tempête et il nous offrit pendant quelques secondes, un numéro assez réussi de cinéma muet. Alors, il s'arrêta et profita de l'accalmie pour lancer :

— C'est pas parce que vous êtes cinq cents et moi tout seul

que je vais me dégonfler. ' On aurait pu lui faire remarquer que les disproportions de

cet ordre sont le propre du spectacle et que l'idée de l'équilibre des forces en présence relève précisément de la technique guerrière.

En tout cas, la salle prit assez mal ce défi et l'artiste, essayant de réattaquer son couplet, fut submergé par un chœur à l'unisson.

Comme il restait planté là et que la situation menaçait de se pro- longer, M. Vienney, maire de Dinard, qui se trouvait dans la salle, marcha vers lui d'un pas assuré et lui donna le sage conseil de déserter en bon ordre, puisqu'il était prouvé qu'il ne plaisait pas au public. M. Vian discuta et les quolibets de pleuvoir de plus belle.

Enfin, il consentit au repli vers les arrières, avec le visage vindicatif d'un mutin qu'on aurait empêché de se mutiner.

Le public respirait, mais la speakerine, charmante d'ailleurs, vint nous supplier de ne pas poursuivre l'affront fait à son camarade et de l'entendre au moins dans une autre chanson. Non, à l'unani- mité. Personne ne voulait plus voir M. Boris Vian. Les artistes délibérèrent alors pour savoir si la solidarité leur permettait de reprendre le spectacle. La sagesse prévalut, le spectacle poursuivit son cours normal et les autres chansonniers reçurent l'accueil chaleureux que leur talent méritait.

Ses camarades de tournée affirmèrent plus tard, dans le privé, que le délicat auteur de Tirai cracher, sur vos tombes avait fait applaudir Le Déserteur à Deauville.

Et sans doute ausBi à Oued-Zem.

Les étés les plus radieux ont une fin. Pour que ses habitants ne regrettassent pas trop les plages, Paris a eu la délicatesse de les accueillir par une vague de froid.

C'est Marcel Achard qui a ouvert la saison nouvelle à la Micho- dière, avec une comédie dont je ne connaissais encore que le titre.

(7)

Je ne parlerai pas de la pièce, qui est du ressort de Robert Bourget-Pailleron, mais, aussitôt après le spectacle et le défilé traditionnel dans le labyrinthe des couloirs de la Michodière, où, malgré les lignes bleues, les points rouges, les signaux verts, les flèches, la boussole individuelle, le plan spécial Michelin et le radar portatif, il y a toujours quelqu'un qui se perd et qu'on ne retrouve que vingt-quatre heures plus tard, Marcel Achard et Paul- Louis Weiller conviaient les amis au sous-sol, où un confortable buffet les attendait.

François Périer arriva. Il n'était habillé ni en mousquetaire, ni en gardien de château historique, mais en civil, à cela près qu'il avait des cheveux et des rouflaquettes à donner la jaunisse à un adjudant. Ce n'est pas Le Mal d'Amour qui exigeait tout ce poil, mais le film Gervaise qu'il est en train de tourner et, pour cette circonstance, Marcel Achard a ajouté une réplique. Le conser- vateur du château dit à son gardien : « Il faudra voir à aller chez le coiffeur, mon ami ». Quand le film sera achevé et les cheveux coupés, la réplique le sera aussi. '

Il y avait là, naturellement, tous les héros de la comédie, bientôt augmentés de Mme François Périer, Marie Daems, passée à l'ennemi et qui joue la reprise de Histoire de rire au Théâtre Saint'Georges.

Il y avait aussi Josette Day, Marguerite Valmond, Robert de Saint- Jean, Ludmilla Vlasto, Christian Boussus.

Tout le monde faisait grands compliments d'une jeune actrice encore inconnue à Paris, Mlle Katy Vail, qui joue dans la pièce le rôle d'une visiteuse américaine. Marcel Achard raconta que Mlle Vail était authentiquement américaine et qu'elle était entrée au Conservatoire de Paris pour y perdre son accent d'origine. Il regrettait un peu de lui avoir précisément donné, pour ses débuts parmi nous, un rôle où elle était obligée de le reprendre.

* * *

Quelques jours après, nous nous retrouvions, avec quelque mélancolie, au Théâtre des Ambassadeurs où, pour la première fois depuis sa mort, on reprenait une pièce d'Henri Bernstein et, dans ce théâtre qu'il avait fait de ses mains, tout évoquait sa grande silhouette, son visage torturé, ses mots terribles ou ses étonnantes gentillesses de Tarzan câlin.

(8)

piété, c'est-à-dire en restant absolument fidèles à la création, qui avait eu lieu au Gymnase* Deux comédiens extraordinaires avaient retrouvé leur rôle : Gabrielle Dorziat et Victor Francen. Ils n'avaient pas changé d'un jour, on aurait cru qu'ils reprenaient la pièce après un mois de vacances.

Pourtant, certaines répliques situent Espoir avec précision au milieu d'une des périodes les plus anxieuses de l'avant-guerre.

Une France au bord de la guerre civile ; une Allemagne hitlérienne à nos portes.

Henri Bernstein fondait son Espoir sur les %eunes gens qui avaient alors vingt ans. Il les trouvait sérieux, graves sous un badinage de façade, dignes d'un grand destin historique. Il les croyait différents de leurs parents frivoles. Peut-être, cette fois, ce grand pessimiste a-t-il été un peu optimiste. Mais peut-être a-t-il entrevu une génération d'avance et ses remarques confiantes pourraient s'adresser quelquefois à ceux qui ont vingt ans aujour- d'hui. En tout cas, c'est l'espoir que donneront ceux qui veulent encore regarder vers l'avenir,

JEAN FAYARD.

Références

Documents relatifs

Partenaires 2020 : ENSAI, INSA, Université Rennes 1, Centre Henri Lebesgue, IRMAR, ONISEP Bretagne, Académie de Rennes. Public : Lycéennes de 1ère, spécialité maths ou indécises

J'ai tout gâté : mais aussi quelle bêtise d'aller faire le fanfaron quand ce Saint-Bernard mordait si bien à l'hameçon que mon industrie lui avait tendue par cette fenêtre.... et

Dans ce siècle d'économie , Tous les objets à bas prix sont cotés , Et pour deux francs l'on trouve un parapluie Chez les marchands de nouveautés.. CLODOMIRE , examinant

Je me sens plein de vide Je reçois le vide j'aime le vide je contiens le vide je suis le vide je suis vide le vide viderai le vide je n'évite pas le vide je connais je connais bien

Point du tout; ils sont effectivement venus jusqu'à Chambéry dans la diligence, mais là , soit que mes drôles aient eu vent de la chasse que nous leur donnons, soit qu'ils aient eu

a) contre la pollution des eaux : le système de collecteurs d'égouts et de centrales de traitement qui était prévu est sur le point d'être mis en place. Par contre, les industriels

Sous la III e République, la création de l’École de musique en 1887 16 permet d’accéder à l’enseignement spécialisé de la musique en brassant davantage les milieux

Même si elle n'indique pas l'installation du loup à Genève, cette observation témoigne de la valeur de la biodiversité genevoise: grâce à une gestion dynamique, ce précieux