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View of Conduite de l’entretien auprès des jeunes scolaires : le cas de l’autoconfrontation dans une approche « orientée – activité »

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Texte intégral

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Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation 37:1 (2014)

©2014 Canadian Society for the Study of Education/

« orientée – activité »

Jérôme Guérin

Université de Brest, CREAD EA 3875, France

Jacques Méard

HEP Canton de Vaud, Lausanne, Suisse

Résumé

Cet article rend compte de l’usage de la méthode de l’entretien d’autoconfrontation dans le cadre d’une recherche visant à décrire et comprendre l’activité collective d’élèves en éducation physique et sportive (ÉPS). Nous examinons plus particulièrement les verbali- sations des élèves dans l’interaction avec le chercheur et les traces audiovisuelles de leur activité en classe. L’analyse qualitative de 25 entretiens collectifs et individuels avec des élèves âgés de 13 à 17 ans a mis en évidence que la construction d’une position de parole à la première personne à propos de son activité en classe était un processus long, dyna- mique et lié aux modalités d’accompagnement du chercheur. Les analyses montrent que l’entretien est aussi une situation de régulation de l’action en classe au cours de laquelle les élèves construisent de nouvelles connaissances à propos de leur activité. Une dernière partie précise les conditions méthodologiques à réunir pour que la parole des élèves ait un statut de données dans des recherches qualitatives en éducation à propos de l’activité.

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Mots-clés : entretien, autoconfrontation, vidéo, élève, mineur, éducation physique et sportive

Abstract

This article reports on the use of self-confrontation interviews with young students in a qualitative research project that aimed to describe and understand students’ collective activities in sports and physical education. Students’ verbalizations and their interactions with the researcher were examined, as well as the videos of their activities in the class- room. The content analysis of 25 interviews with 13- and 17-year-old pupils showed that the students were not spontaneously able to explain what made sense for them in the classroom. This is a dynamic and long process that must be encouraged and assisted by the researcher. The analysis highlighted that self-confrontation interviews provide the possibility to construct new knowledge about the classroom experience. Finally, the methodological requirements for building verbalization data about a situation experienced in the classroom are detailed.

Keywords: interview, self-confrontation, video, minor, student, physical education

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Introduction

Cet article est une contribution méthodologique relative à l’usage d’un outil particulier (l’entretien d’autoconfrontation [AC]) auprès de mineurs en milieu scolaire. Cette ques- tion participe d’une problématique plus globale sur la place de la parole des jeunes dans les démarches de recherche : quel statut et quelle fonction a cette parole dans la méthode et l’analyse? Comment conduire un entretien qui encourage les élèves à exprimer et partager la signification de leur activité en classe? Comment préserver l’intégrité de leur position d’enfants, d’adolescents et d’apprenants?

Pour répondre à ces interrogations, nous prendrons appui sur une étude visant à analyser l’effet des interactions entre élèves sur les modalités de construction de connais- sances en éducation physique et sportive (ÉPS). Cette étude relève d’un programme de recherche portant sur les rapports entre les configurations d’activités collectives et les apprentissages scolaires. Ce programme se réclame de l’approche dite « orientée – acti- vité » qui accorde une place centrale à l’intentionnalité et à la signification de l’expé- rience des sujets (Yvon & Durand, 2012). Dans ce cadre, les démarches méthodologiques recourent aux verbalisations des acteurs quant à ce qu’ils font en classe. Dans cette étude, l’observation en extériorité du chercheur est complétée par ce que disent les élèves de la signification de leurs actions et de leurs interactions en classe (au cours d’entretiens d’autoconfrontation). La parole des élèves est donc centrale pour comprendre les phéno- mènes et processus en situation.

En analyse du travail et en sciences de l’éducation, la prise en compte de cette parole de l’acteur donne lieu à une diversité de méthodes d’entretien, pendant ou après l’action, avec ou sans traces des comportements et des communications simultanées. Les plus visibles sont l’entretien d’explicitation (Vermersch, 2012), ainsi que l’autoconfronta- tion simple et croisée (Clot, Faïta, Fernandez, & Scheller, 2001). Elles n’ont pas toutes le même objet ni le même objectif et les moments de la verbalisation peuvent varier.

Elles ont néanmoins un point commun : quand il s’agit de susciter et de prendre en compte les verbalisations des élèves en milieu scolaire, les chercheurs sont souvent frileux, car ils s’interrogent sur la capacité des enfants et adolescents à rendre compte et à commenter ce qu’ils font. Ces outils en direction d’élèves posent aussi des difficultés spécifiques liées d’une part au statut des jeunes dans l’institution où l’enquête est réali- sée, d’autre part aux conditions dans lesquelles leur parole s’exprime. Avant de décrire la

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démarche utilisée au cours de l’étude et de discuter de la validité et de l’opérationnalité de l’entretien d’autoconfrontation dans cette démarche, nous rappellerons ces difficultés spécifiques à la parole des élèves dans les recherches en milieu scolaire.

Les freins à la parole des jeunes dans les recherches en milieu scolaire

Les multiples outils d’observations ou d’entretiens en sciences humaines et sociales sous- entendent une confiance réciproque, principale condition de l’obtention d’une sincérité de base, sans laquelle les données recueillies perdent leur caractère informatif (Grawitz, 1993). De plus, le sujet est défini comme un partenaire dont la coopération est précieuse pour la compréhension des phénomènes. Il est, avec le chercheur, le protagoniste d’une coproduction de savoir et d’un développement professionnel. Mais lorsque l’acteur social est un jeune mineur, un certain nombre d’entraves à ces principes apparaissent : d’abord le face à face est dissymétrique avec le chercheur, ce qui augmente sensiblement les risques de conformation des actions (observations) et des discours (entretiens, question- naires). Ensuite, l’âge du jeune implique un langage souvent décalé par rapport à celui du chercheur, d’un point de vue culturel et opératoire (Cole & Hatano, 2010).

Ces questions s’inscrivent également dans un cadre ontologique et éthique au- jourd’hui largement adopté dans le monde de la recherche clinique en sciences humaines.

Celui-ci exige notamment de se débarrasser d’un positionnement en surplomb des cher- cheurs par rapport aux acteurs sociaux. « L’informateur » n’est plus un sujet inféodé, mais un « participant » qui contribue à la construction des connaissances scientifiques à propos de son activité. Il est considéré comme un être cultivé qui a la capacité de réfléchir à ses actions. Dans le cadre d’une recherche avec des jeunes, ces principes ontologiques et éthiques s’imposent de façon encore plus aiguë, car il s’agit d’une population potentiel- lement vulnérable. La dissymétrie adulte-mineur se projette sur l’interaction chercheur- acteur et peut ainsi pervertir la démarche à l’insu de tous.

Ainsi, bien que les jeunes soient désignés comme bénéficiaires de l’aide fournie par la recherche à terme, la production de connaissances est rarement pensée en relation directe avec leur projet éducatif et l’usage qu’ils pourraient en faire. Cela se traduit par exemple par l’adoption par le chercheur d’une sorte de perception indifférenciée des jeunes, perception qui évoque indifféremment l’élève ou les élèves, comme si ceux-ci étaient une sorte de variables d’ajustement. « La réaction des élèves », « l’échec des

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élèves », « les élèves de 4e », ces formules génériques dans les discours de nombreux enseignants face à leurs classes renvoient néanmoins à des groupes précis, constitués d’individus différents. Ces formules réductrices traduisent mieux que n’importe quelle argumentation le statut mineur qui est parfois accordé à la parole de l’élève comme personne et qui risque de se projeter sur les interactions avec le chercheur. Dès lors, on observe qu’en miroir, les élèves sont souvent peu concernés par la participation à une étude relative à leur activité à l’école.

De plus, à l’école, les usages et les fonctions de la parole sont très codifiés. Les enfants et adolescents scolarisés apprennent que le contenu de ce qu’ils disent et leur façon de le dire doivent être adaptés aux lieux et aux interlocuteurs. Cette « flexibilité

» analysée par les linguistes (Dolz & Schneuwly, 1998) est une compétence visée par l’école, mais elle fait de la prise de parole une « prise de risque » pour le jeune, ce qui n’est pas sans effet sur ce qu’il dit (et ne dit pas) lors d’entretiens de recherche. Ce par- ticularisme est renforcé par le fait qu’en classe, l’enseignant valorise la parole en lien avec le savoir qu’il cherche à transmettre. À partir de là, les échanges verbaux ont pour fonction principale de vérifier si l’élève s’est approprié le savoir. De même, au cours de jeux de questionnement en classe, l’enseignant masque souvent le savoir pour « le faire découvrir » à l’apprenant; mais, ce questionnement étant public et le jeune sachant que le savoir est masqué (autrement dit qu’il ne s’agit pas d’une vraie interrogation de la part de l’adulte), sa réponse prend valeur d’élément de validation. Dans ce type de situations, la compétition à la meilleure et à la plus rapide réponse s’installe souvent entre élèves, non pour résoudre tel problème opératoire de mathématiques ou de technologie, mais pour apporter la preuve d’une compétence supérieure à celle de ses pairs. Selon le statut positif ou négatif que l’enseignant accorde aux erreurs, le jeune comprend aussi qu’il vaut mieux parfois se taire (ne pas participer à la « course à la bonne réponse »), tout ce qu’il dit pou- vant être « retenu contre lui ». La recherche de conformité est dès lors omniprésente dans l’activité des élèves en milieu scolaire, du moins en France (Sensevy & Mercier, 2007).

Enfin, les enseignants et l’administration de l’école peuvent peser sur la parole des élèves en recherche si la présence du chercheur est interprétée comme une perturbation ou un facteur de risque sur l’image de l’établissement. À ce sujet, Phtiaka (1994) souligne l’attention à porter à la contractualisation relative à la confidentialité à un niveau interne et externe. Autrement dit, ce que dit l’élève n’est pas diffusé dans l’établissement et, au cours de ses communications et publications, le chercheur veille à préserver l’anonymat

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de l’établissement. Ces précautions visent à contrôler l’adressage des données et à préser- ver les acteurs : ce qui est dit en entretien est destiné au chercheur et intervient dans un contexte social particulier qui doit être respecté.

La question de la place du chercheur dans l’établissement devient donc dans ce contexte un élément central pour notre propos. Par exemple, à l’occasion de différentes enquêtes en milieu scolaire, Guérin, Riff et Testevuide (2004) ont remarqué qu’en dépit d’explications fournies aux élèves lors des contacts initiaux (identité des chercheurs, but de l’étude etc.), ces derniers continuaient à s’interroger : sont-ils enseignants stagiaires, inspecteurs, surveillants, policiers en civil? La participation des élèves à une enquête est donc liée à la perception qu’ils ont du chercheur. Celui-ci est d’emblée assimilé à un membre de l’équipe éducative du fait de sa proximité avec les autres adultes, ce qui affecte la forme et le contenu de la parole des élèves au cours d’une enquête. Hammersley et Atkinson (1983) résument ce phénomène par l’expression « whose side he is on? » (pour qui le chercheur prend-il parti?). Il s’agit alors pour le chercheur d’encourager les élèves à dépasser les stratégies de conformation, en s’engageant à leurs côtés et en clari- fiant son statut particulier par rapport aux autres adultes (Furlong & Oancea, 2007).

Terrain de l’étude

Rappelons que les données présentées et analysées ici sont issues d’une étude dont le but était d’analyser l’effet des interactions entre pairs sur les modalités de construction de connaissances. Celle-ci a été menée en France auprès de cinq classes mixtes (filles et de garçons âgés de 13 à 17 ans) dans deux établissements scolaires définis par l’administra- tion rectorale (niveau régional) comme « difficiles ». Pendant une période de trois mois, tous les lundis ou jeudis, le temps d’une journée de cours, des élèves de collège et de lycée ont été volontaires pour participer à une enquête à propos de leur activité en éduca- tion physique et sportive.

La discipline a été choisie, car elle semblait offrir des situations privilégiées pour l’objet d’étude (de nombreuses opportunités d’interactions en élèves). En éducation physique et sportive, les élèves sont en effet fréquemment dépendants les uns des autres pour la réalisation du travail scolaire, qu’il s’agisse d’activités sportives collectives (en volley-ball, l’élève a besoin de coopérer avec ses coéquipiers et l’arbitre et de s’opposer

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aux membres de l’équipe adverse) et individuelles (en escalade, l’élève grimpeur a besoin d’un élève assureur).

Procédure

Recueil des données d’observation et de verbalisations

La collaboration entre le chercheur et les participants a été définie par un cadre contrac- tuel visant à créer les conditions d’une confiance mutuelle. Les enseignants d’éducation physique et sportive des deux établissements avaient été contactés avant le début de l’enquête. En réponse à la proposition formulée par les chercheurs, notamment l’enga- gement d’un bénéfice partagé (pour les chercheurs une meilleure compréhension des effets des interactions entre élèves sur les modalités de construction de connaissances en éducation physique et sportive; pour les enseignants, un développement profession- nel par la recherche), cinq d’entre eux se sont portés volontaires. Le cadre contractuel qui liait les élèves au chercheur a été établi trois semaines après le début de l’enquête. Il était constitué de cinq points : a) une information complète sur les objectifs de l’étude et sur les conditions de la participation de chacun (durée de la collaboration, temps, etc.);

b) une liberté d’engagement constante dans l’étude grâce à la possibilité permanente de refuser la présence d’observateurs ou d’outils d’enregistrement en cours, ou de ne pas se soumettre aux séquences d’autoconfrontation; c) un accès libre et permanent à toutes les données les concernant; d) la protection de l’anonymat des participants et la confi- dentialité des données; e) une restriction stricte de l’utilisation des données. Plus pré- cisément, à l’issue d’une période de familiarisation ethnographique (Laplantine, 2005) de trois semaines, comme il est d’usage dans le contexte français de la recherche en milieu scolaire, l’ensemble des élèves, de leurs parents (autorisations écrites) ainsi que les cinq enseignants ont donné leur autorisation pour être filmés lors de tous les cours de la période de l’enquête (au total, 14 leçons d’ÉPS enregistrées à l’aide de deux caméras numériques et de micros émetteurs qui enregistraient séparément l’action et les communi- cations de l’enseignant et des élèves volontaires). Les points d) et e) de ce contrat ont été renégociés en cours d’enquête (voir la partie résultats).

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Ces données d’observation ont permis la réalisation d’entretiens d’autoconfron- tation individuels et collectifs menés et enregistrés (dictaphone numérique) par le cher- cheur en dehors des cours, dans un court délai par rapport aux séquences d’actions (la pause du midi, le soir) et dans un lieu proche de celui de l’activité observée. Plusieurs élèves ont refusé de participer à ces entretiens post-leçons. Certains ont d’abord accepté de participer à la condition de pouvoir venir en petits groupes (entretiens collectifs) puis individuellement. Au total, 25 entretiens collectifs et individuels d’une durée de 60 à 90 minutes ont été réalisés avec 12 élèves (sur la totalité des cinq classes, soit un effectif de 108 jeunes [et leurs familles] ayant donné l’autorisation d’être filmés).

Plus précisément, le but de ces entretiens était de présenter à l’élève des traces audiovisuelles de son activité, en lui faisant décrire et commenter après coup ce qui était significatif de son point de vue (Theureau, 2004). Le chercheur demandait à l’acteur de décrire ce qu’il faisait, pensait, prenait en compte pour agir, percevait ou ressentait, afin de reconstituer l’organisation et la dynamique de son activité. Il l’incitait aussi à explici- ter la dimension subjective de ses actions (ses préoccupations, ses motifs, ses émotions).

La stratégie de questionnement consistait enfin à éviter que l’acteur justifie après coup ce qu’il avait fait (la question du « pourquoi? » est donc évacuée).

Traitement des données d’entretien

Les données d’entretiens avec les élèves ont été analysées en trois étapes successives. La première a consisté à retranscrire l’intégralité des verbalisations selon une convention d’écriture visant à restituer la dynamique des échanges, les silences et les hésitations. La deuxième étape a été de découper le contenu en unités de discours significatives pour l’élève avant de les regrouper de manière inductive en catégories d’expérience. Nous en avons identifié cinq : expérience relative à l’ici et maintenant (entretien); expérience relative à l’histoire de la collaboration avec le chercheur, expérience relative à l’activité en classe; expérience relative à une activité scolaire autre que l’activité support de l’entre- tien, expérience relative à l’activité étudiée ayant lieu dans un autre cours. Pour chaque catégorie d’expérience, les unités de discours significatives pour l’élève ont été regrou- pées dans des unités plus larges. Cette étape a fait apparaître les thèmes significatifs pour l’élève (évaluer son activité, comprendre la situation d’entretien).

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Cette analyse a été complétée par une organisation des notes ethnographiques en trois thèmes : a) relation chercheur-élèves en dehors de la classe; b) relation chercheur- élèves en classe et c) comportement et commentaires des élèves en entretien.

Résultats

Les analyses ont permis de faire émerger les conditions favorables à la conduite de cette forme d’entretien avec des jeunes mineurs. Le processus qui conduit les élèves à construire une position de parole « en première personne » conforme aux attentes du chercheur est décrit à travers trois étapes : commenter les images, explorer la situation d’entretien, expliciter son activité. Ensuite nous discuterons des potentialités offertes par la situation d’entretien pour que les élèves construisent de nouvelles significations à propos de leur expérience et envisagent ainsi des transformations de leur activité en classe avant d’évoquer l’entretien comme un outil d’intervention au service du maintien ou du rétablissement d’un modus vivendi en classe. Enfin la dernière partie précise les conditions à réunir pour que l’entretien d’autoconfrontation avec des jeunes mineurs puisse être un outil de recherche documentant la dimension subjective de l’activité en classe selon l’éthique et le code déontologique de la recherche scientifique en sciences humaines.

Commenter les images

L’explicitation en première personne par l’élève de son activité en classe et à l’école n’a pas été spontanée. Les premiers entretiens collectifs ont été des moments au cours desquels les élèves découvraient les enregistrements réalisés en classe. Cette modalité permettait une acculturation plus rapide des élèves aux outils de la recherche. Les élèves se montraient relativement bavards et le contenu des entretiens était hétérogène, portant avant tout sur le dispositif d’enregistrement de l’entretien et l’expérience de l’autosco- pie. À titre d’illustration, lors de l’autoconfrontation en escalade (mars 2011), les élèves ont interrompu le défilement de la vidéo puis sont revenus en arrière « C’est nous deux là, oh regardez comment on est super haut... vous pouvez remettre pour qu’on regarde Servane… ». Cette forme d’activité collective est proche de la technique du groupe de discussions (focus groups) en recherche qualitative où les participants sont invités à faire

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part de leur sentiment et leurs croyances à propos d’un sujet proposé par un chercheur (Kamberelis & Dimitriadis, 2013).

Ils riaient beaucoup de leurs actions en classe. Le chercheur a veillé à ce que certains élèves ne soient pas l’objet de moqueries afin d’éviter tout harcèlement. Ce qui dominait les conduites des élèves, c’était donc la confrontation à leur image. Ils mon- traient une tendance à ne pas parler à la première personne (« je »), mais à s’exprimer avec le pronom « on », et à vouloir afficher un consensus. Enfin, une part importante de leurs interventions consistait à questionner le chercheur à propos de son identité, sur la raison de cette étude et sur l’usage des enregistrements : « Pourquoi vous vous intéressez à nous, vous allez utiliser les images pour les montrer à d’autres élèves? » [AC, tennis de table, avril 2010].

Le chercheur a laissé se développer les commentaires des élèves tout en favori- sant leur expression lorsque celle-ci contribuait à expliciter l’activité en classe. Durant cette phase, la préoccupation du chercheur était de rester largement à l’écoute des élèves et d’éviter de trop contraindre les réponses. Les questions étaient « Vous seriez d’accord pour me dire ce qui se passe à ce moment-là? Vous avez l’air déçu ». Les difficultés à donner la parole et la prendre pour certains élèves ainsi que la spécificité de l’entretien ont conduit les participants et le chercheur à poursuivre les temps d’échange collectif par des entretiens individuels.

Explorer la situation d’entretien

Les entretiens d’autoconfrontation individuels ont fait émerger une parole davantage focalisée sur l’activité en classe. Les jeunes ont progressivement intégré les règles du contrat et ont acquis une confiance plus importante à l’égard du chercheur. Toutefois, le temps consacré à documenter les traces de l’activité restait dans certains cas relativement réduit. Les propos pouvaient s’éloigner rapidement des images visionnées. À titre d’illus- tration, lorsque le chercheur a interrompu l’image montrant Maël dans une situation de match en tennis de table (« Qu’est-ce que tu regardes là? »), l’élève a répondu briève- ment « l’adversaire » avant de parler de sa passion pour ce sport et de ses nombreuses victoires : « j’aime bien le vendredi, car je sais que l’on va faire du ping, on est trois à être bien classés, ça permet de faire des bons matchs » [AC, tennis de table, mai 2011]. À d’autres moments les élèves ont été surpris par certaines images et demandé à les revoir

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plusieurs fois. Ils ont saisi la possibilité de se revoir pour mieux comprendre certaines de leurs actions. Face à une image en escalade, Patrice a ainsi pris la parole « là, il faut que je regarde bien ce moment, parce que je n’ai pas réussi à passer [partie de la voie], [après plusieurs visionnages de l’instant] j’aurais dû monter davantage mon pied gauche, j’avais pas vu cette prise » [AC, escalade, juin 2011]. Cette forme de parole a eu des incidences sur les transformations potentielles de l’activité scolaire de l’élève. La relation entre l’ac- tivité de l’acteur et la situation d’entretien s’est accompagnée d’une prise de recul, d’une évaluation de l’acteur en fonction de ses propres critères de pertinence, de nouvelles interprétations et, au bout du compte, d’une construction de connaissances pragmatiques;

par exemple : « sur la voie Rouge, au niveau de la dalle, il faut placer le pied gauche sur la pince ». Celles-ci ont ensuite été mobilisées lors de la séance suivante pour résoudre certains problèmes posés par l’escalade de cette voie.

Cette analyse de type réflexif, guidée notamment par des objectifs liés au travail scolaire, a été contractualisée avec les élèves participants. Il a en effet été convenu de définir deux temps distincts dans l’entretien, le premier étant consacré à une centration sur l’explicitation de la dimension subjective de l’activité et le second à une analyse technique de la pratique afin de permettre la construction de nouvelles relations et compa- raisons entre la situation visionnée et des expériences passées.

Expliciter son activité en classe

La troisième période a été marquée par un temps de parole consacré à l’explicitation détaillée de leurs actions, communications, ressentis, préoccupations de leurs activités en classe. Les élèves ont plus régulièrement utilisé la télécommande pour sélectionner un épisode signifiant pour eux. À titre d’illustration, Eric a stoppé le défilement de la vidéo pour évoquer son activité lors d’une situation de lutte. Sur l’écran, il s’observait à quatre pattes en lutte au centre du cercle alors que son adversaire lui saisissait un bras. Le cher- cheur : « Qu’est-ce qui se passe? »; Eric : « Là, j’essaie de le surprendre… je veux lui montrer que j’ai l’intention d’éviter qu’il me renverse et quand je sens qu’il me pousse, je recule mes fesses pour glisser et l’attaquer… et là je crie parce que je suis content…

» [AC, lutte, mai 2010]. Les élèves ont commenté de façon préférentielle des instants ayant donné lieu à l’émergence d’émotions positives ou négatives vécues en classe. Par exemple, lorsque le chercheur a invité Gaëtan à commenter la fin de son match de tennis

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de table contre Franck (match qu’il a remporté 11–9 alors qu’il perdait 3–9). Le cher- cheur : « Est-ce que tu pourrais être plus précis, qu’est-ce que tu veux dire par « rester concentré »? [l’élève s’apprête à servir, le score est de 10-9]; Gaëtan : « Ben, là, je me dis, souffle, lance bien la balle, je cherche un service difficile » [AC, tennis de table, juin 2010].

La principale difficulté face à l’exigence de précision dans le questionnement du chercheur (par exemple : « Qu’est-ce que tu en penses, qu’est-ce que tu regardes précisé- ment? ») était pour les élèves de trouver les mots justes pour mettre en mots leur vécu en classe. C’est pourquoi le chercheur invitait les élèves à mimer ce qu’il voulait exprimer en utilisant les objets de la pratique sportive qui étaient à leur disposition au cours de l’entretien (raquettes, ballons, mousquetons).

Les effets de l’autoconfrontation

La participation des élèves aux enquêtes a montré que la méthode de l’entretien pouvait être à la fois une méthode visant l’intelligibilité de l’activité, mais aussi un outil de trans- formation ou de régulation de l’activité des participants. Nous définissons ces effets, les

« aides en boucle courte » (à distinguer des « aides en boucle longue » qui concernent les effets après coup des résultats de recherche). D’un point de vue méthodologique, l’étude permet de dégager deux types d’aides en boucle courte.

Aides à l’action individuelle en boucle courte

La participation des élèves aux entretiens a été encouragée par la prise de conscience qu’ils pouvaient en tirer des bénéfices personnels. Ce temps où l’acteur prend de la distance par rapport à l’explicitation de son vécu renvoie à ce que Theureau (2004) qualifie d’entretien d’autoconfrontation de deuxième niveau. Dans ce temps consacré à une réflexion située sur son activité, l’élève faisait part de ses intentions et demandait de l’aide en relation avec des objectifs scolaires. En éducation physique et sportive, il s’agis- sait ainsi de repérer certains déterminants de l’action et de construire de nouveaux scéna- rios pour un gain d’efficacité de l’élève dans les pratiques sportives. Par exemple, en ath- létisme ou en lutte, les prises de conscience des élèves, parfois guidées par le chercheur, ont permis aux participants de typicaliser certaines expériences, c’est-à-dire de les aider à

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repérer l’action efficace après avoir identifié une proximité entre leur action et celle d’un pair plus compétent. En escalade, certains d’entre eux ont profité de la possibilité de faire abstraction de toute inhibition liée au risque de chuter pour mettre en relation un degré de tension optimal de la corde avec leur recherche de sécurité et d’efficacité (Guérin, 2012).

Ces phénomènes confirment les résultats d’autres travaux en formation qui soulignent les incidences transformatives du visionnage de la vidéo, notamment sur la construction de nouvelles habitudes interprétatives (Guérin & Archieri, 2013; Zeitler, 2011). Celles-ci se transforment grâce à la perception d’éléments jusqu’alors non signifiants, entraînant la construction de nouvelles interprétations qui « dépassent » celles réalisées au cours de l’activité.

Aides à l’activité collective en boucle courte

Au bout de plusieurs semaines, une des enseignantes a demandé au chercheur l’autorisa- tion d’accéder aux contenus des entretiens menés avec les élèves. Le but était pour elle d’accéder à la signification que les élèves donnaient à ses interventions ou attribuaient aux tâches scolaires. Après avoir veillé au respect des engagements pris au départ, le chercheur et les 12 élèves ont discuté et finalement accepté de partager certains extraits d’entretiens (choisis par les élèves) en vue de lever des équivoques. Cette renégociation du contrat de départ est même apparue pour les élèves comme une occasion de faire part de certaines attentes à leur enseignante (Riff & Guérin, 2006). Ce détournement de l’outil méthodologique négocié avec les participants dans cette classe a été pour l’enseignante l’occasion de prendre conscience des malentendus l’empêchant d’accéder au sens de l’activité, des attentes et des préoccupations des élèves. Elle a ainsi appris à interpréter différemment certaines actions et communications des élèves et à faire davantage preuve d’empathie. Cette évolution du contrat de collaboration a eu des effets jugés positifs par les différents protagonistes sur la transformation de leur activité et la mise en place de situations favorables aux apprentissages.

Sur ce point, les travaux de Riff et Guérin (2006) ont montré que la parole des élèves et de l’enseignant en recherche pouvait être instrumentalisée par les acteurs pour apaiser le climat de classe et restaurer le dialogue. Dans le cadre de notre étude, les outils de la recherche et particulièrement l’entretien ont été mobilisés et modifiés (dans leur dimension contractuelle) pour devenir des opportunités d’aide à la résolution ou au

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dépassement de tensions entre l’enseignante et les élèves. Ce processus est contingent, dans l’activité des uns et des autres, d’une prise de conscience rendue possible grâce à une quadruple mise à distance : temporelle (l’entretien se déroule après l’expérience), spatiale (l’entretien a lieu dans un espace différent de celui de l’expérience), technolo- gique (l’entretien porte sur des enregistrements audiovisuels qui peuvent être visionnés plusieurs fois), médiatisée (l’entretien est conduit par un « tiers »). Cette expérience illustre une des modalités transformatives en boucle courte de recherches utilisant l’entre- tien d’autoconfrontation..

Conditions pour faire de l’autoconfrontation un outil efficace

La recherche empirique avec des jeunes a mis en évidence que l’entretien d’autoconfron- tation était délicat à mettre en œuvre. L’analyse de l’activité des élèves et de leur parole sur des empans relativement longs permet de préciser les conditions favorables et les pré- cautions à prendre pour optimiser la réussite de ces entretiens au regard de la spécificité d’un public jeune en contexte éducatif. Nous présentons trois types de conditions à réunir pour que cet outil permette la construction de données de verbalisations utiles lorsqu’on y a recours avec des élèves.

Conditions langagières et culturelles

Comme nous l’avons rapporté, les différences culturelles entre chercheur et participants affectent les méthodes utilisées (Cole & Hatano, 2010). En l’occurrence, la construction progressive puis le partage d’une culture et d’un langage commun ont contribué à l’au- thenticité et à la richesse des échanges entre le chercheur et les élèves. À cet égard, il est d’après nous pertinent de prendre en considération — en tant qu’éléments de compréhen- sion de l’activité des élèves — les incidents, malentendus, hiatus, quiproquos et anec- dotes que génèrent les méthodes axées sur la prise en compte du point de vue des acteurs.

Pour cela, il est nécessaire de favoriser une familiarisation des participants aux divers outils de l’enquête : les outils techniques culturellement « saturés » (caméra et micro par exemple) et les outils méthodologiques tels que les modes d’observation, les prises de notes. Il est indispensable de prévoir une période de type ethnographique pour obtenir cette familiarisation mutuelle (Eder & Fingerson, 2002). Deux objectifs sont

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intentionnellement visés : de la part du chercheur, il s’agit de « suspendre » les points de vue personnel et professionnel, pour se rapprocher au plus près de celui des apprenants;

à travers des observations et des discussions informelles avec les élèves, en dehors des cours, à la cantine ou en récréation, le chercheur peut ainsi progressivement s’imprégner de la culture des acteurs, en intériorisant les significations qu’eux-mêmes attribuent à leurs comportements et leur vocabulaire. Du côté des apprenants et de leurs enseignants ou formateurs, tous devenus « collaborateurs » du chercheur, il s’agit de s’habituer à la présence du chercheur, de s’informer sur les objectifs et les modalités concrètes de l’étude et de discuter des aspects contractuels qui les lient au chercheur.

Conditions de confiance mutuelle

L’importance des contrats dans la construction de la confiance s’est révélée de façon retardée aux yeux des jeunes participant à l’étude. Dans un premier temps, ils n’y ont pas prêté beaucoup d’attention, réagissant « comme d’habitude » face à la multitude de discours dont ils sont destinataires à l’école. Par la suite, ils se sont approprié progressi- vement le sens des règles contractuelles, « mettant leur patte » aux reformulations. Sur ce point, la question de la confidentialité des données et de circulation des informations (points d) et e) du contrat initial) a été déterminante, car elle les a engagés dans une véritable négociation entre eux et avec le chercheur (acceptation ou refus, choix des séquences à montrer à l’enseignante). L’établissement de la confiance en le chercheur engage collectivement les élèves de la classe, y compris ceux qui n’y participent pas. De ce fait, cette confiance ne peut être considérée seulement comme un préalable à la réali- sation des entretiens (Hill, 2005). Elle est le produit d’un processus à la fois actif (il est nécessaire que les participants puissent mettre à l’épreuve cette confiance et exercent leur vigilance) et non linéaire (car il se nourrit d’événements qui nourrissent la collaboration de recherche, en l’occurrence dans la classe où l’enseignante a demandé d’accéder aux données d’entretiens avec les élèves).

C’est aussi à partir de l’observation attentive des comportements concrets du chercheur que les élèves ont discerné ses intentions, le sens de son travail et le sens de la collaboration. C’est donc de la capacité du chercheur à se comporter de façon cohérente et constante que semble dépendre la qualité de la collaboration de recherche. Outre le comportement du chercheur, l’introduction d’un temps d’échanges consacré aux objectifs

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personnels des élèves a eu des incidences sur leur engagement dans la recherche. Dans un contexte où les élèves se perçoivent comme désavantagés par rapport aux adultes sur le plan du pouvoir et des possibilités d’actions, cette forme d’entretien est une occasion de servir leurs intérêts personnels. Eder et Fingerson (2002) mobilisent à ce sujet le concept de « réciprocité » pour définir les conditions susceptibles d’atténuer la dissymétrie entre adultes et enfants en milieu scolaire.

Conditions matérielles d’interrogation

En se polarisant uniquement sur la compréhension de l’activité de l’élève, on risque de sous-estimer l’occasion pour lui d’utiliser l’entretien pour se transformer, en relation avec des objectifs personnels. Autrement dit, le chercheur doit selon nous maintenir un juste équilibre entre l’aspect contraignant lié à la construction de données de recherche et une liberté laissée à l’élève de développer une réflexivité située et qu’il ressent utile.

Ainsi, nos observations au cours de cette étude ont montré que, bien que les élèves se soient relativement familiarisés aux situations d’autoconfrontation, le procédé consistant à débuter la séquence directement par le visionnage des bandes s’avérait souvent brutal. En procédant ainsi, on ne fait pas cas de l’actualité des préoccupations de l’élève au moment de l’entretien dans la mesure où celle-ci exige une forme de sus- pension de l’activité présente pour tenter de s’immerger à nouveau dans une séquence d’action passée. Or, quelques heures après la leçon, les élèves n’ont plus cette expérience passée au premier plan de leurs préoccupations. Ce sont fréquemment les échanges qu’ils viennent d’avoir avec un autre élève, une altercation avec un surveillant dans le cou- loir, un résultat d’évaluation décevant, qui occupent leur conscience. Suite à ce constat, une démarche graduelle dans l’amorçage des autoconfrontations a été adoptée, d’abord en partant de la situation de l’élève (comment il se sent, quelles préoccupations il a au moment de l’entretien), puis en approchant progressivement la séquence qui est l’objet de l’entretien, enfin en l’accompagnant dans cette phase de transition uniquement de façon verbale, pour ensuite, dans un second temps, avoir recours aux enregistrements.

Ce sont les conditions matérielles de l’entretien qui assurent la spécificité de l’autocon- frontation par rapport à d’autres formes d’entretien. Elle concerne notamment la richesse des traces (audiovisuelles). Sur ce point, cette richesse semble participer de l’évocation et de la réflexivité, non seulement parce qu’elle restituait la continuité dynamique de

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l’activité originale (images animées), mais aussi les arrêts sur image, les interruptions, les retours et avances rapides, qui constituent une aide à la ré-évocation pour les élèves.

Donc, il ne nous paraît pas y avoir d’isomorphisme entre l’action et la ré-évocation, la deuxième ayant une dynamique largement autonome par rapport à la première. Autre- ment dit, les entretiens d’autoconfrontation ont à la fois puisé dans les ressources offertes par la dynamique originelle des enregistrements, et dans les possibilités offertes par le magnétoscope comme outil permettant de jongler avec le temps et accompagnant la ré-évocation.

Conclusion

L’objectif de cet article était d’examiner et de discuter la position de la parole d’élèves dans le cadre de recherches « orientées – activité » en classe. Justement parce qu’il s’agit d’élèves, cette parole peut apparaître plus aléatoire dans les entretiens que celle des parti- cipants adultes, du fait de la dissymétrie des rapports avec le chercheur, d’une connivence et d’intérêts communs (sinon réels, du moins apparents) entre chercheurs et enseignants, et enfin d’une recherche de conformité de la parole en milieu scolaire. À son corps défen- dant, le chercheur est ici soumis aux mêmes écueils que l’enseignant : l’insincérité stra- tégique des élèves, le désengagement, le risque de déconcentration et de déviation. Cette première caractéristique implique des précautions plus importantes que pour le recueil de la parole de l’adulte. Il s’agit notamment d’insister sur le processus de familiarisation, d’apprentissage-développement chez l’élève, inscrit dans la durée des échanges, à l’inté- rieur d’une relation de confiance. Ce processus dynamique et long permet alors de lever les possibles éventuelles ambiguïtés et de co-construire une compréhension partagée à propos de la signification de l’entretien dans le cadre de la recherche.

Dans une étude « orientée – activité » qui utilise l’autoconfrontation, les entretiens ont une double fonction : premièrement, ils servent d’outil pour recueillir des verbalisa- tions à propos de l’expérience et mieux « comprendre ». Sur ce point, cette étude a permis de préciser le lien entre apprentissages et configurations sociales (Guérin, 2013) : conflits d’interprétation entre professeur et élèves, recours à des objets servant de médiateurs de signification partagée, mobilisation de connaissances distribuées qui, dans un groupe d’élèves, apporte un bénéfice à chacun en termes d’apprentissage. Les autoconfrontations

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ont notamment permis de comprendre l’activité d’élèves qui s’engagent en même temps dans le but de suivre les consignes de l’enseignant, pour apprendre, mais aussi pour nouer des liens sociaux (et qui pour cela coopèrent au lieu de s’opposer ou s’opposent au lieu de coopérer). Deuxièmement, l’autoconfrontation sert de levier à un développement de leur activité de travail. Il faut noter que le fait d’assumer cette dimension transformative exige que les précautions éthiques de toute démarche en sciences humaines soient accentuées.

Faire de l’activité humaine un objet d’étude qui engage fortement la subjectivité d’acteurs potentiellement vulnérables impose de rester vigilant quant aux relations entre chercheur et acteurs sociaux.

L’autoconfrontation pose enfin des problèmes spécifiques liés à la puissance tech- nique des outils. Par exemple, on a mesuré combien les enregistrements en classe pou- vaient être détournés par les acteurs eux-mêmes pour résoudre les tensions de la situation sociale, transiger les uns avec les autres, faire « passer des messages ». Conformément aux conclusions de Riff, Pérez, Grison et Guérin (2000), les résultats de cette étude nous incitent à considérer la méthode de l’entretien d’autoconfrontation comme une activité collective située au cours de laquelle l’articulation des activités individuelles du cher- cheur et de l’élève (ou des élèves) en relation avec les enregistrements fait émerger une position de parole souvent inattendue et parfois non souhaitée.

Ces réflexions doivent orienter les chercheurs vers l’exploitation d’autres moda- lités sensorielles que les aspects visuels et auditifs, vers l’accompagnement de l’inter- viewé lorsque ses évocations empruntent d’autres voies que celles des traces enregistrées.

De fait, la confrontation à leur image chez les jeunes entraîne des états émotionnels qui imposent au préalable une expérience significative d’autoscopie, une sorte de « désensibi- lisation » aux images. Le principe est donc bien de leur donner le temps de se reconnaître, de s’approprier leur image, en faisant perdre aux traces leur pouvoir d’information, para- doxalement trop puissant, afin de servir leur réflexivité et préserver ainsi l’intégrité de leur position à l’école ainsi que leur santé d’enfants et d’adolescents.

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