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LA PRESSE (MOBILE) EN LIGNE

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Nouveaux usages, nouveaux enjeux médiatiques et sociaux

SÉBASTIEN ROUQUETTE

La presse en ligne voit dans l’internet mobile une manière prometteuse de fidéliser un public rajeuni. Ces nouveaux supports de diffusion de l’information écrite ne modifient-ils pas les usages des lecteurs de la presse écrite ?

Les pics de consommation de l’actualité en ligne correspondent à trois périodes bien précises d’une journée de travail : l’arrivée au bureau, la pause-déjeuner et le moment du départ. Parallèlement, un particulier peut désormais vivre l’actualité via un journal plutôt qu’en allumant sa télévision. C’est pourquoi le cyberespace médiatique structure de plus en plus son organisation rédactionnelle, sa pratique journalistique, son rapport au public en fonction d’un double temps : le temps du travail d’une part, le temps de l’immédiateté d’autre part. Ces pics d’audience expliquent pourquoi les sites d’informations doivent privilégier un public d’actifs et adapter le contenu de leur programme en fonction de l’attente de ce public disponible devant son écran.

Au total, les enjeux de consultation de sites d’informations portent à la fois sur la généralisation du temps médiatique du flux et sur les conséquences sociales de cette consultation permanente de l’actualité écrite.

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Introduction

La numérisation croissante des technologies d’information et de communication a favorisé la polyvalence, l’ouverture et la perte de fonction dominante de différents outils numériques. La consultation des sites d’informations via son ordinateur, sa tablette électronique ou son smartphone 1 s’inscrit dans cette évolution. Comme tous les outils numériques, ce sont des outils « concurrents dans leurs fonctionnalités (ils font la même chose) et polyvalents (ils en font plusieurs) puisque numériques et connectés » (Paquienséguy, 2004). Une fois connectés, les lecteurs peuvent envoyer des vidéos, des photos et rester en permanence connectés aux sites d’informations (et à l’inverse envoyer un SMS à partir de leur portail généraliste).

Certes, la transformation de ces outils, et notamment des smartphones, en véritables « couteaux suisses numériques » n’est pas nouvelle comme le montre la liste des fonctions associées à la fonction téléphone : appareil photo, console de jeu, radio réveil, caméra, GPS, calculatrice (Morel, 2002 ; Koskinen et Kurvinen, 2002). Mais depuis peu, les mobiles connectés à internet sont également de nouveaux supports de lecture de la presse en ligne.

Or, aussi florissante en termes d’audience que fragile économiquement, la presse en ligne voit dans l’internet mobile une façon prometteuse de fidéliser un nouveau public. Dès avril 2010, près de 7 millions de Français disposent d’un smartphone (I phone, Windows mobile, Blackberry, Symbian) et consultent entre autres, par ce biais, les sites d’actualité (chiffres Comscore, avril 2010). Les éditeurs de presse ont ainsi constaté que la population des moins de 25 ans équipés d’un smartphone s’accroît (Le Monde, 9/12/2009).

Ces nouveaux supports de diffusion de la presse en ligne modifient bien sûr, les modalités de diffusion et de rentabilisation de l’information d’actualité écrite (enjeux économiques : 1re section).

Mais ne modifient-ils également pas également le profil des lecteurs de la presse (enjeux sociaux : 2e section) ?

Le développement de la presse mobile ne traduit-elle pas et, surtout, ne favorise-t-elle pas de nouvelles aspirations de la part des utilisateurs de la presse en ligne ? (enjeux médiatiques : 3e section) ?

1. Un smartphone est un téléphone mobile doté des fonctions d’un assistant numérique personnel et notamment de la navigation internet.

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Les enjeux économiques de la consultation (mobile) de la presse en ligne Avec l’accès aux informations écrites en ligne sur grand (ordinateur) ou petit écran (smartphone), les journaux écrits calquent leur rythme sur le temps du direct des télévisions d’information en continu. C’est même un argument promotionnel central pour la presse magazine par comparaison à sa vente hebdomadaire en kiosque 2. En ligne, les nouvelles du monde, la mise en page, la hiérarchie éditoriale de l’actualité changent plusieurs fois par jour.

Logiquement, la publication permanente de nouvelles « Unes » comme l’actualisation boursière constitue une source de trafic d’audience et de fidélisation des lecteurs incontournable 3. Ainsi, le fil d’information importé en France par le site 20minutes.fr, sur le modèle des autres sites étrangers du groupe, a très rapidement été repris par ses concurrents généralistes hexagonaux.

Or face au caractère systématique de cette offre de la part des sites à la recherche d’une large audience, faut-il seulement privilégier les considérations d’ordre « économique », l’actualisation permanente répondant manifestement à une attente qu’il est possible de rentabiliser par une augmentation des pages vues ? En fait, les éclaircissements et implications de cette homogénéisation des temps médiatiques sont d’autant moins évidents à ordonner que plusieurs interprétations apparaissent d’emblée.

Une première explication banale de ce phénomène consiste à le limiter à la facilité et la rapidité d’accès à une grande masse d’informations 4. Cette première explication implique que les sites d’informations ont intérêt à accentuer cette plus-value « pratique ». Ce qui revient à appliquer la programmation des médias de flux introduite en France par les radios d’information en continu dans les années 1990 : « élimination de la logique de

2. « Pour compter parmi les 5 plus gros sites d’informations français, il fallait passer à un rythme quotidien affirme ainsi le responsable du Nouvel Observateur dès 1999.

Éditorial de Claude Perdriel, « L’Obs devient journal permanent », Challenges, 10/1999.

3. 71 % des sites à la recherche de rentabilisation proposent un fil d’information continu et 42 % une actualisation boursière pour respectivement 8% et 0% dans le cas des sites où le financement est secondaire.

4. Et ce d’autant plus que cet aspect pratique est indéniable. Lorsque les internautes d’un échantillon représentatif de 3 024 internautes américains explicitent les raisons pour lesquelles chacun utilise internet pour s’informer, les réponses soulignent la vitesse et la commodité du web. Ainsi, sur les 23% ayant consulté les informations sur internet la veille de l’enquête, la majorité a privilégié les sites web qui comprennent des mises à jour rapides des grands titres, tels que MSNBC, Yahoo et CNN. « Online Papers Modestly Boost Newspaper Readership », Le Pew Research Center for the People and the Press, 30/07/2006.

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rendez-vous, disponibilité permanente, renversement de la logique d’adaptation » (Semprini, 2003, p. 37). Une option qui a des traits de similitudes avec le choix des grandes surfaces qui ont d’abord ouvert leurs journées en continu, puis de 7 h à 23 h, puis « exceptionnellement » le dimanche matin et, quand c’est possible, 7 jours sur 7 (ibid., p. 30-35). Et ce pour plusieurs raisons : à la fois parce que cela répond à une nouvelle conception du temps et de nouvelles exigences des « clients et – plus prosaïquement – parce que les concurrents le font et qu’il serait commercialement (ou publicitairement ici) risqué de ne pas faire de même. En conséquence de quoi, « c’est le service [informationnel en ligne] qui “s’adapte” à l’emploi du temps “naturel” de l’usager » (ibid.). Quitte à ce que le cyberespace médiatique devienne partiellement décorrélé du temps social, sans jour férié ni rapport d’espace- temps similaire à ce qui se passe dans l’espace urbain (jours et horaires d’ouverture des kiosques, appropriation différente de l’espace urbain le jour et la nuit, etc. : Moles et Rohmer, 1998, p. 62).

Cet argument de la praticité d’internet est si fort qu’il est bien plus cité dans le cas des sites d’informations que dans celui des autres médias. À tel point que, pour une partie des lecteurs, la rapidité des mises à jour associée à la facilité de navigation compensent le manque d’approfondissement des informations publiées 5, des éditoriaux proposés ; un élément sur lequel s’appuient visiblement les portails généralistes.

Or, même si le temps médiatique ne constitue que l’un des temps sociaux de chaque individu – avec le temps professionnel, le temps social, familial… – un temps parmi d’autres donc, les implications de cette aspiration à un temps médiatique continu, rapide et exhaustif sont réelles.

En premier lieu, parce que l’accès à l’internet mobile permet de composer avec ces autres temps, entre deux activités (temps de transports, temps d’attente entre deux rendez-vous professionnels…). Le gain de temps que cet usage implique s’inscrit dans l’idée que le temps est précieux, qu’il ne se rattrape pas, qu’il faut le rentabiliser, que ce soit pour faire ses démarches administratives, préparer ses achats… se tenir au courant de l’actualité. En cela, l’internet mobile participe à la sacralisation contemporaine du temps qui « dans nos sociétés […] a acquis valeur et légitimité [et] est inscrit dans le système des valeurs globales des sociétés contemporaines au même titre que, par exemple, le travail, la santé, la famille, etc. » (Pronovost, 1996, p. 52).

Une tendance qui s’inscrit dans l’idée selon laquelle le temps est non seulement une valeur en soi mais que « réussir sa vie passe par la meilleure

5. « Online Papers Modestly Boost Newspaper Readership », Op. cit.

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rentabilisation de son propre temps » (Sue, 1994, p. 96-99). En cela, pouvoir s’informer pendant un temps « d’attente » (médecin, métro, bus, avant une réunion…) constitue une source de « productivité » incomparable, au sens où – dans une logique productiviste – l’internet mobile permet en effet de faire le plus de choses possibles dans un temps donné, alors même qu’il peut – par ailleurs – être présenté (et utilisé) comme un outil de loisir et de distraction. À vrai dire, le fait que « le temps et l’obsession dont il fait l’objet soient au cœur des contradictions de la société productiviste moderne n’est pas nouveau. Mais ces contradictions s’accentuent et s’exacerbent » (Ibid., p. 98), en particulier pour les individus que Nicole Aubert qualifie « d’hypermodernes », c’est-à-dire ceux qui parmi les actifs qu’elle a interrogés sont en quête de performance toujours plus grande, d’une vie hyperactive et intense, parfois pour être si engagé dans le présent que cela évite de s’interroger sur le futur, quitte à multiplier les activités et à ne pas pouvoir gérer ses différents impératifs (Aubert, 2004, p. 155-166). Or, même considérer que tous les individus de la société occidentale partagent ce rapport à la fois intense, contraint et productif au temps 6 et qu’en conséquence tous sont à la recherche d’un outil d’information qui leur fait « gagner du temps » serait une erreur, il n’en reste pas moins que cette inscription de la presse écrite dans le flux médiatique continu à la demande de ses lecteurs est révélatrice de la volonté d’une partie de ces derniers de maîtriser et de faire fructifier leur temps de connexion.

La seconde implication de cette offre généralisée serait – si l’on transpose au cyberespace médiatique le raisonnement établi par Luc Bonneville sur la représentation de la temporalité d’utilisateurs d’internet à domicile – de réduire cette temporalité à un temps présent, instantané. Une temporalité dégagée de toute contrainte et de toute dimension spatiale (quelle distance faut-il parcourir et quel temps faut-il compter pour se rendre chez son marchand de journaux ?).

« Ce qui est hautement significatif, écrit-il alors, c’est que le temps est perçu dans son rapport à l’instant présent, à sa capacité de faire en sorte qu’un résultat se présente sans délais, sans attentes » (Bonneville, 2001) mais aussi comme un

« temps concret » au sens d’une durée où l’on pratique pleinement l’activité souhaitée (ibid., 2001). En cela, la partie la plus visible du cyberespace médiatique s’inscrirait et accentuerait la portée de ce temps de consommation immédiat, sans échelle spatiale ni temporelle (sans passé, ni avenir).

Ces premières implications montrent en tout cas que les explications

« pratiques » ne suffisent pas à rendre compte des tenants et aboutissants de

6. Car comme le constate Gilles Pronovost, les conceptions du temps ne sont pas uniformément exprimées selon les catégories de la population. Tout le monde ne partage pas le sentiment d’être en permanence en manque de temps, 1998, p. 6-8.

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cette stratégie de fidélisation par l’actualisation. Ainsi, ce besoin de connexion continu tient aussi à une volonté de « vivre » l’actualité, en particulier lors d’événements soudains ou importants. Les chiffres de connexion des blogs politiques au soir des campagnes présidentielles, ceux des sites après chaque attentat le montrent : l’internet (mobile) s’attribue désormais une part du rôle de

« média en prise directe avec l’actualité » jusque-là monopolisé par les reporters radios et télés. Les sites d’informations locaux peuvent même exploiter ce filon pour modifier leur image (média réactif) et accroître leur notoriété. Quand vous

« annoncez dans le journal et sur internet [la couverture d’un événement à venir] vous créez une cristallisation sur un événement, des milliers de personnes se connectent en même temps » affirme ainsi le responsable multimédia d’un journal régional. Il suffit, comme lors des dernières élections municipales, d’assurer un suivi des élections en direct, bureau de vote par bureau de vote et de diffuser résultats, interviews et réactions au fur et à mesure de la soirée, pour recueillir entre six et sept fois plus de visites 7, sachant que d’après une enquête de la société d’étude « AT Internet Institute » réalisée sur les sites d’actualité français proposant leur contenu à la fois sur le web classique et sur mobile, plus de 10 % des visites se font via les applications des smartphones 8 et même plus l’été 9, période de vacances… des ordinateurs. Surtout quand les journalistes et les internautes – comme les téléspectateurs – attachent « au direct en tant que tel une valeur de vérité » (Jost, 2001, p. 19).

Or la tendance des professionnels à insister sur cette caractéristique du cyberespace est d’autant plus forte que celle-ci se traduit par une concurrence frontale entre médias écrits et audiovisuels. Pratiquement tous les responsables de rédaction de presse écrites interrogés (Laubier, 2000 ; Leiba, 2007) insistent sur le fait que la réactivité leur permet de « reprendre la main par rapport à la radio et à la télévision […] Aujourd’hui, une bonne information, on peut la mettre en ligne avant les télévisions (France 3) ; on la diffuse de plus en plus souvent dès qu’on l’a, et on renvoie pour l’information approfondie vers le journal : c’est le stade de l’analyse et la mise en perspective » 10. Paradoxalement pourtant, cette importance accordée au « scoop » par les journalistes, en particulier pour les spécialistes des rédactions multimédias particulièrement bien placés pour constater tous les jours combien une nouvelle information (sérieuse

7. Entretien avec Christian Bach, responsable de la rédaction multimédia des Dernières Nouvelles d’Alsace, 18/12/2008.

8. http://www.atinternet-institute.com/fr-fr/comportement-internaute/mobiles- octobre-2009/index-1-1-2-182.html, 9/11/2009.

9. Ternisien, Xavier « La consultation de la presse sur téléphone multimédia connaît une croissance exponentiel », Le Monde, 24/08/2009.

10. Bach, C., op. cit., 18/12/2008.

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ou « people ») divulguée par un site (français ou étranger) est aussitôt reprise par l’ensemble du web. Plus les sites d’informations sont réactifs, moins de telles informations restent inédites et peu traitées, longtemps. En fait, si les journalistes web accordent encore aujourd’hui une si grande importance à cette primauté de l’information c’est plus pour la notoriété (provisoire) qu’en obtient le site (auquel les autres sites renvoient par un lien ou une citation) ou pour le surcroît de légitimité professionnelle que la rédaction retire de son travail (celle- ci prouvant sa compétence par une investigation qui paye) que pour le surcroît d’audience qu’une publication anticipée en ligne peut amener. Cela étant, dans une profession qui vit de plus en plus souvent un décalage entre l’image extérieure du « reporter-à-la-recherche-d’informations-inédites » et la pratique – particulièrement développée dans les rédactions web – d’un « journalisme assis » (peu de « sorties » hors de la rédaction hormis pour faire des vidéos, des vérifications d’informations préférentiellement par téléphone par souci d’économie, un travail graphique et de mise en forme de l’information important 11), tout ce qui peut valoriser à la fois la légitimité d’un titre et l’image de cette profession est appréciable.

Les enjeux sociaux de la consultation (mobile) de la presse en ligne Malgré tout, les modifications substantielles des conditions de travail des journalistes et de concurrence entre groupes médiatiques, aussi importantes soient-elles, occultent un autre aspect central de cet alignement au temps médiatique du flux : avec celui-ci, les périodes de la lecture de l’actualité sont de moins en moins circonscrites aux temps personnels (que ce soit chez soi, dans les transports collectifs, les cafés, les bibliothèques) pour entrer dans les bureaux. De fait, les pics de consommation de l’actualité en ligne, indistinctement d’ordinateur ou de mobile correspondent à trois périodes bien précises d’une journée de travail : l’arrivée au bureau, la pause-déjeuner et le moment du départ.

Pour s’assurer, malgré l’absence de données de localisation des internautes, qu’il s’agit de visites d’internautes au travail quand on est un ordinateur ou durant les moyens de transport avec un mobile il suffit d’ailleurs de comparer précisément les moments de consultation des sites d’informations en ligne avec les moments de consultation d’internet tout cours.

D’après une étude réalisée dans 30 pays européens en 2008 à partir de l’audience de 988 sites, « près de 50 % des visites de la semaine (49,3 %) se font entre 10h et 17h », elles sont réduites durant la nuit, progressent de 7h à 11h,

11. Piel, Simon, Ibid.

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baissent à midi « au moment du repas avec une reprise à 13h (tranche horaire comptabilisant le plus de visites dans la journée). À partir de 14h, le nombre de visites décline doucement au fil de l’après-midi et de la soirée 12 ». Ainsi, alors que l’audience moyenne des sites d’informations est élevée entre 8 et 9h30, elle progresse toute la matinée dans l’ensemble du web ; quand elle augmente de nouveau entre 16h30 et 18h, elle baisse tout l’après-midi dans l’ensemble du cyberespace. Ainsi ces trois pics d’audience des sites d’informations sont en voie de « ritualisation » : le premier est « une sorte de relevé des compteurs », le second pendant le moment du déjeuner se caractérise par des sessions plus actives et plus longues. « Enfin, celui de départ agit comme un temps de clôture et de transition vers la sphère privée. En matière de volume, ce sas apparaît rapide et mineur : il reprend les pratiques du sas matinal » 13. Ainsi, quand un quotidien national du soir – ou un journal régional 14 – se lit traditionnellement le soir à Paris et dans quelques grandes villes et le lendemain matin dans le reste de la province, « le site enregistre ses pics d’affluence entre 9 et 12h » 15.

Parallèlement, une étude réalisée spécifiquement sur la consultation d’information sur téléphone portable a constaté que « les pics de lecture se situent entre 7h30 et 8h30 le matin, puis baissent lorsque les utilisateurs vont travailler 16. On assiste à un nouveau pic à partir de 20h jusqu’à 23h », autrement dit les téléphones portables étendent plus qu’ils ne modifient les temps de consultation de la presse en ligne.

Il est dès lors logique que ces nouveaux temps de lecture se traduisent par une augmentation et surtout une diversification de l’audience globale des journaux écrits (site et titre papier, cf. introduction), une part de ces « nouveaux lecteurs » consultant au bureau des titres qu’ils ne prendraient pas le temps de lire chez eux, le soir ou le week-end.

L’existence de ces pics d’audience permet d’abord de réfuter l’idée énoncée aux débuts de la presse en ligne grand public selon laquelle le lecteur/internaute serait en ligne – automatiquement – maître de son temps. Certes, contrairement

12. « Comportement de l’internaute », Xitimonitor, http://www.xitimonitor.com/pdf/fr- FR/Prime%20time%20Europe%20%20Mars %202008 .pdf, 05/06/2008.

13. Olivier Goulet, entretien avec Anne-Lise Carlo, « Les médias s’installent sur les lieux de travail », Stratégies, 17/01/2008.

14. Christian Bach a constaté le même phénomène pour les Dernières nouvelles d’Alsace avec « une montée en puissance entre 8h30 et 9h30, 16h30-18h30 » ce qu’il appelle un

« effet bureau », ibid.

15. Joachim Mizigar, ibid.

16. Xavier Ternisien, « La consultation de la presse sur téléphone multimédia connaît une croissance exponentielle », Le Monde, 24/08/2009.

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à l’écoute d’un journal radio ou télévisé d’une chaîne généraliste celui-ci ne décide ni de l’heure de diffusion, ni de l’ordre, ni de la durée du message (le temps d’une brève ou d’un reportage de plus de deux minutes, un sujet de journal télévisé). Un internaute ne peut manquer ni son programme ni ses infos (Chandon et Saber Chtourou, 2001, p. 16-17). Il n’a pas à accélérer un rendez- vous, à organiser sa journée en fonction des heures de diffusion de ses programmes préférés. D’ailleurs, cette logique de flux comprise comme le fait de ne pas avoir à s’organiser (Semprini, op. cit.) participe au succès d’audience des sites d’information. L’internaute n’est cependant pas seul décideur de la quantité, de la durée et de la fréquence d’exposition, tout au moins pas tout le temps. Parce que la consultation de l’information en ligne se fait principalement au travail, ces derniers ne sont pas toujours maîtres du temps dont ils disposent.

En effet, le temps médiatique du cyberespace n’est pas moins déterminé que les autres médias par le temps social, professionnel et de loisir.

De même, ce n’est pas parce que le cyberespace médiatique privilégie l’information en continu qu’il n’y a pas des moments de plus forte affluence.

Même si, de fait, une telle fluctuation est moins déterminante pour les sites d’information écrite que pour les médias audiovisuels. En partie pour des raisons culturelles propres à la presse écrite bien moins habituée à réfléchir en termes de programmation horaire – plus précise encore que la distinction appliquée entre jours de semaine et week-end – que les télévisions. En partie, voire surtout, parce que, contrairement aux médias audiovisuels – les régies publicitaires des sites n’utilisent pas ces « heures de fréquentation de pointe » pour négocier de meilleurs tarifs publicitaires, les espaces étant négociés selon les taux de clic et non selon les moments de diffusion.

Ces pics d’audience expliquent – et impliquent – surtout pourquoi les sites d’informations doivent privilégier un public d’internautes d’actifs, public qui plus est rajeuni pour ceux qui passent par l’internet mobile. Comme le confie un journaliste web, « le critère fondamental qui caractérise le type de lectorat du journal [n’est pas l’âge]. La différence se fait plutôt selon des critères socioprofessionnels : 80 % des gens qui lisent Libération sur le net travaillent en entreprise » 17. Ce constat serait banal s’il n’impliquait pas indirectement que les sites d’informations ont structurellement intérêt à privilégier un public d’actifs connectés, et plus précisément encore des secteurs et catégories professionnelles bien déterminées plutôt que d’autres. Car, comme le rappellent régulièrement des enquêtes mesurant le degré de diffusion des outils informatiques et d’internet dans les entreprises, les secteurs du commerce, de la

17. Fabrice Rousselet, interrogé par Anne Francou et Bruno Moulin, CRDP de Lyon, http://savoirscdi.cndp.fr/Archives/dossier_mois/Rousselot/rousselot.htm, juillet 2007.

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construction, des transports et des services aux particuliers restent moins connectés que ceux des secteurs de l’hôtellerie, des services aux entreprises (informatique, produits technologiques, etc.) ou des industries de bien de consommation (habillement, chaussure, édition, imprimerie), à la fois parce que toutes les entreprises n’ont pas besoin de rester continuellement en contact avec leurs fournisseurs en ligne (pour mettre à jour la base de données des produits disponibles ou à réapprovisionner, etc.) et pour capter en ligne de nouveaux clients (un site internet est plus utile pour un hôtel de tourisme qu’un artisan boulanger : Gadille et d’Iribarne, 2001). Parallèlement, tous les salariés ne disposent pas d’une connexion en ligne. Et même si les catégories qui ont le moins accès à internet au travail se connectent plus qu’avant à domicile, l’écart général reste significatif des différences professionnelles. Quand les cadres et secondairement les professions intermédiaires sont respectivement 67,5 % et 52 % à être connectés, ce n’est le cas « que » de 33,4 % des employés et 23 % des ouvriers, 41,2 % des artisans et moins encore des salariés exposés à la déqualification et à la précarité (Frydel, Insee, 2005). Car, en fonction de leurs activités et responsabilités, tous ne travaillent ni avec un ordinateur, ni à distance avec une partie de leurs collègues ou de leurs clients.

Dans cette perspective, les sites d’informations généralistes ont tout intérêt à privilégier les thèmes qui intéressent les étudiants, les cadres supérieurs et professions libérales, puis les cadres et catégories professionnelles intermédiaires, les employés (secteurs des biens de consommation, du tourisme, etc.), les ouvriers, les artisans ou petits commerçants. Pas seulement pour des raisons publicitaires (partie 1) mais tout simplement pour un axiome central en programmation 18 : adapter le contenu de son programme en fonction de l’attente du public effectivement disponible (devant son écran).

C’est aussi en tenant en compte de cette dimension de public disponible qu’il est possible de comprendre les enjeux non seulement temporels mais économiques et sociaux sous-jacents à l’offre internet (mobile).

Cette offre permet d’abord d’étendre les moments de consultation de l’information en ligne, empiétant mécaniquement sur le prime time d’information des radios généralistes : « on se rend compte que la fréquentation commence un peu plus tôt que l’internet, vers 7-8h explique ainsi le responsable nouveaux médias sur 20minutes.fr. Donc on peut imaginer que c’est essentiellement du

18. Sans que cette corrélation ne serve d’unique explication, il faut tout de même noter qu’un journal comme Lemonde.fr exemplifie plus régulièrement une question comme celle des conditions de travail à partir d’exemples de cadres (337 articles ont pour mots clés « cadre » et « conditions de travail » entre septembre 2007 et septembre 2008, dont 64 pour cadres supérieurs), plutôt que d’employés (230), d’ouvriers (149), d’artisans (34).

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transport ». En fin de journée, l’impact est comparable, le mobile élargissant à la marge les moments de disponibilité des internautes : « en revanche c’est beaucoup plus stable la journée avec un pic de visite qui peut être à 22-23h » 19. De même, et c’est un autre objectif affiché de ces offres mobiles, elles accentuent un autre atout des sites d’informations : vivre tous les événements en direct 20. Et ce de manière plus riche encore que les autres médias concurrents. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ce même site incite ses internautes à envoyer des photos de tous les événements qu’ils estiment intéressants (fait divers comme une baleine échouée ou fait social comme l’expulsion de collectifs d’associations). Ou encore, en cas d’actualité soudaine, que les rédactions se connectent désormais sur Twitter – nouveau service de

« microblogging » permettant de raconter plusieurs fois par jour son quotidien, ses dernières trouvailles sur le net, ses sentiments, etc. par des minimessages – pour recueillir les photos, les réactions envoyées par des témoins de crashs d’avions, d’attentats, etc. via un téléphone portable 21.

Mais cette offre permet aussi de toucher plus régulièrement un public précis.

De la même façon que l’un des calculs de 20minutes diffusant gratuitement son journal dans le métro était de capter des lecteurs de 15 à 25 ans qui ne vont pas jusqu’aux kiosques, sont sensibles aux prix et prennent les transports en commun (Augey et alii, 2005), de même leur objectif avec le téléphone portable est d’essayer de toucher encore plus d’actifs et de jeunes en les incitant à se connecter – gratuitement 22 – au moindre temps mort (attente, transport en commun, etc.), comme ils le font déjà pour regarder leurs SMS, jouer, rester en permanence connectés avec leurs proches, etc. (Ikka, 2002).

19. Interview de Hélène Fromen, responsable nouveaux médias sur 20minutes.fr, « 20 minutes la plus grande richesse mise à jour en temps réel », DécideursTV.com, 30/10/2008, http://www.decideurstv.com/index.php/20-minutes-helene-fromen-les- enjeux-du-mobile/video/ 30102008274.

20. « 20minutes.fr propose sur smartphone l’expérience utilisateur la plus proche de celle offerte par internet : le mix de l’info à la seconde près, ouvert à la participation des internautes. Retrouvez toutes les infos, tout le temps, telles que vous les connaissez sur le site : mises à jour en temps réel, sur tous les sujets du moment. Et aussi les diaporamas photos, sondages, commentaires des internautes également publiés sur le site internet », http://www.20minutes-media.com/pdf/20.fr/CP20min.frmobile%20.

pdf, 9/04/2008.

21. Laurence Girard, « Twitter, nouvelle starlette du Web », Le Monde, 07/04/2009.

22. « 20minutes.fr sur mobile est accessible gratuitement sur tous les smartphones en tapant directement 20minutes.fr ou alors via Gallery pour les trois opérateurs mobiles ».

http://www.20minutes-media.com/pdf/20.fr/CP20min.frmobile%20.pdf, 9/04/2008.

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Comme pour le passage à l’information en continu, « il s’agit [donc] de ratisser large sur le plan de la temporalité » (Ringoot, 2002, p. 35). Même si, pour des raisons ergonomiques (taille de l’écran, visibilité, confort de lecture et de navigation, nombre d’articles transférables), cette stratégie est difficile à mettre en place avec les terminaux mobiles. Elle est nécessairement plus facile à exploiter pour des entreprises de radio dont la programmation et le contenu sont initialement plus adaptés à une écoute mobile, ce dont ils tiennent déjà compte (multiples répétitions du jingle identifiant la radio, animateurs répétant régulièrement le nom de leurs invités, etc.). D’ailleurs, l’internet mobile est actuellement bien plus rentable pour les radios que pour les sites de presse.

Pour RTL par exemple, « seuls 30 % des recettes du site sont aujourd’hui issues de l’e-pub. La grande majorité des bénéfices générés sur internet provient de la vente de contenus. Les chroniques et flash infos de RTL sont ainsi accessibles sur les portails de Yahoo et Wanadoo […]. Présent sur les portails Vodafone Live de SFR, i-Mode de Bouygues Telecom et Gallery d’Orange, RTL.fr perçoit des bénéfices sur près de 5 000 paiements à l’acte par mois via l’un de ces trois services Wap 23 ».

Reste qu’en devenant accessible depuis n’importe quel terminal internet, mobile ou non, le cyberespace médiatique grand public va de plus en plus structurer son organisation rédactionnelle, sa pratique journalistique, son rapport au public en fonction d’un temps de l’immédiateté.

Les enjeux médiatiques de la consultation (mobile) de la presse en ligne Enfin, on ne peut totalement prendre en compte les enjeux médiatiques du développement de la presse en accès permanent sans étudier le type d’informations demandées par les lecteurs. Pour cela, deux types de données sont disponibles.

Les premières, générales, portent sur les usages les plus courants des internautes de l’internet mobile. Classées par grandes catégories d’usages, les réponses confirment que l’internet mobile s’inscrit – voire accentue – les requêtes d’information pratique et de divertissement (Rouquette, 2008). Parmi les utilisateurs de l’internet mobile interrogés, 52 % consultent les informations météos, 45 % le trafic routier et celui des transports en commun, 42 % les horaires de transport, 34 % les résultats sportifs, 33 % les horaires de cinéma,

23. « Enfin, plusieurs services premium ont été mis en place sur le site (horoscope, généalogie, jeux) avec des paiements par carte bleue, Audiotel et SMS » précise encore le responsable de RTL, Benoît Cassaigne. Émilie Levêque, « Benoît Cassaigne : Internet veut s’ouvrir à la webradio », Journal du net, 08/02/2008.

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31 % les comptes bancaires 24. Des usages d’autant moins surprenants qu’ils s’inscrivent dans une tendance à utiliser internet pour organiser sa vie, son quotidien (voyage, transports, impôts, etc.) où que l’on soit, le plus efficacement possible, en particulier quand on est en déplacement (Rouquette, 2009).

Les secondes, plus précises, sont obtenues à partir des sites d’informations, sans distinguer le lieu de connexion de ces requêtes, fixes ou mobiles. Ces données permettent de hiérarchiser les rubriques les plus consultées dans les sites d’informations en ligne, sachant que – pour le moment – 9/10e de ces requêtes sont actuellement adressées depuis un ordinateur 25. Or, de manière globale, l’accès à la presse en ligne, favorise une diversification des sujets d’actualité consultés.

Un outil proposé par le moteur de recherche Google depuis 2005 permet d’évaluer le succès de chacune des rubriques d’informations proposées. Google ne donne en effet plus seulement un classement des « résultats » des sites. Pour les URL en tête de liste, il propose en complément jusqu’à 8 sous-liens pour permettre aux internautes de cliquer directement sur les rubriques qui les intéressent, sans passer par la page d’accueil. Ces données ont l’avantage de reposer sur les mêmes critères (quantitatifs) de classement des données.

Autrement dit, de biaiser d’une façon similaire chacun des résultats obtenus (surévaluation du nombre de « visiteurs uniques », frontières des « périmètres des sites » instables, etc.).

Ces données sont étudiées en comparant les résultats de plusieurs catégories de sites : sites de presse écrite nationale (liberation.fr, lemonde.fr, lexpress.fr, lejdd.fr, etc.), sites de presse régionale (zoom42.fr, ladepeche.fr/, etc.), sites de télévisions (info.france2.fr/, m6info.fr/, Politic show, etc.), de radios (rtl.fr/, france-info.com, rmc.fr/) et pour comparaison de pure players généralistes, de portails, etc.

Comme le montre l’analyse des sitelinks de 30 sites de presse d’actualité, les internautes consultent ainsi les informations politiques ou de société avec les pure players, les informations économiques et internationales avec les médias et encore l’immobilier, l’environnement, les nouvelles technologies, l’emploi, la bourse, la citoyenneté, etc. Ainsi, l’accès de la presse en ligne favorise, selon les lieux de connexion, une consommation diversifiée de l’actualité en ligne.

24. Enquête réalisée par Opinion way http://www.opinion-way.com/pdf/opinionway- iab-internet_&_la_telephonie_mobile-pres.pdf sur 342 internautes en 2008.

25. http://www.atinternet-institute.com/fr-fr/comportement-internaute/mobiles- octobre-2009/index-1-1-2-182.html, 9/11/2009.

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Tableau 1. Diversité de la consommation d’information médiatique en ligne.

Source : http://www.google.com, 03/2009

Pure players Sites de médias

Site-links

Sport 5, Economie 3 (sur 15) Région 21

France 2, International 2, célébrités 3, politique 2, Société 1, culture 1

fait divers 1, toute l’actualité 1 Economie 1, Citoyenneté 1 Jeux 1, sport 1, technologie 1 Horoscope 1, TV 1

Société 4 (sur 21), Politique 4 économie 6, culture 4 International 4, Sport 8 sur 21 citoyenneté 1, jeux 1

technologie 1, horoscope 1 TV 1, France 1, célébrités 1 Shopping 1, insolite 1 Immobilier 1, fait divers 1 Toute actualité1

Plus précisément encore, il faut lister les facteurs qui favorisent cette diversification de la consommation médiatique, plus ou moins prégnants suivant les lieux de connexion, afin d’en évaluer les incidences sur les usages de la téléphonie mobile. Les principaux facteurs sont les suivants (tableau 2).

Tableau 2. Facteurs de diversification de la consommation médiatique en ligne Facteur de diversification de la

consommation médiatique

Connexion via ordinateur (bureau, domicile…)

Connexion via un téléphone portable Diversification des centres

d’intérêts des internautes Oui Oui

Consommation individuelle Oui

Non (Espace soumis à un

« contrôle » public) Consultation possible

à toute heure Oui Oui

Effet serendip Oui Non

Comme pour les usages d’internet en général, cette diversité est d’abord le reflet de la multiplicité des centres d’intérêts de chaque internaute. Ces requêtes sont diverses au sens où, conformément à la diversité des centres d’intérêts d’un même individu, chaque internaute peut apprécier à la fois les articles

« sérieux » et les autres, aller successivement sur un site people et une rubrique d’actualité internationale. Ainsi, Bernard Lahire associe le constat selon lequel

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les pratiques culturelles réellement homogènes sont tout à fait minoritaires avec le fait que, en l’espace de 30 ans, est intervenue une modification du rapport à la culture savante. En particulier parce que la morphologie sociologique des catégories dominantes de la population se modifiant sous l’effet de la massification de l’enseignement secondaire (elle n’est plus exclusivement composée « d’héritiers »), c’est la culture savante des classes dominantes identifiée jusqu’alors à l’institution scolaire qui y a perdu une partie de son pouvoir symbolique (2005). Cela n’implique pas une homogénéisation des pratiques culturelles, l’éclectisme des pratiques – par exemple, dans le domaine musical, de l’écoute du jazz jusqu’à la world music – restant avant tout caractéristique de pratiques de catégories socioprofessionnelles dominantes.

Cela implique plus directement un « décloisonnement entre l’univers de la culture savante et de la culture populaire » dans le monde institutionnel (ibid.).

Mais cette diversité des requêtes est d’autant plus large que plusieurs facteurs spécifiques à internet y contribuent.

Le premier facteur est que, contrairement à l’écoute d’un journal télévisé à l’heure du prime time ou de la radio lors du repas familial, le choix des programmes d’information devant son écran se fait seul. Or, comme l’ont montré Le Diberder et Coste-Cerdan (1988, p. 41), l’audience de la télévision n’est pas le reflet de la décision d’individus libres de choisir ce qu’ils préfèrent mais du choix de ménages. De plus, il a été observé que, en cas de désaccord,

« plus on a de chance d’être porteur d’un choix novateur en matière de programme et moins on a de chance de pouvoir l’exprimer », ce qu’exploitent parfaitement les chaînes de télévision commerciale – concluent-ils – qui privilégient le goût du public majoritaire, aussi conformiste ce choix soit-il.

De fait, le thème de l’individualisation des médias n’est pas nouveau. Le terme de self média est forgé en 1973 par Jean Cloutier. Comme le rappelle Paul Beaud, l’opposition entre médias de masse et médias personnels est déjà revendiquée dans les années 1970. Quitte à caricaturer les médias de masse en médias monolithiques d’un côté, et « médias locaux », « micros-médias » et

« médias communautaires », ou médias décentralisés et du dialogue de l’autre (Beaud, 1984, p. 208). Néanmoins, si l’on considère qu’un « média individuel » peut, entre autres, se caractériser par un mode de consultation strictement individuel, alors la consultation des sites d’informations en ligne rentre parfaitement dans ce cadre.

Il serait possible de considérer que le phénomène est comparable à l’évolution de médias comme la radio, au départ écoutée collectivement par les familles (les publicités de l’après deuxième Guerre mondiale montrant les familles serrées autour d’un transistor). Puis, avec la création du transistor la

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radio devient dans les années 1950 non seulement mobile mais individuelle, ce qui a pour conséquence l’individualisation des écoutes musicales, en particulier pour les jeunes (Flichy, 2004). Mais, d’une part, la consultation d’internet n’a jamais été conçue comme prioritairement collective. D’ailleurs, contrairement à l’écoute de la radio, de la télévision ou des spectacles vivants, les internautes n’alternent pas les moments de consultation individuels et familiaux (pendant les repas, le soir). À vrai dire, c’est même l’inverse. Non seulement la consultation de sites, de pages personnelles, l’utilisation de mails, forums, etc. se fait rarement à plusieurs mais, de fait, leur usage tend plutôt à exclure toute coprésence, constate ainsi Anne-Sylvie Pharabob dans son observation ethnographique d’internet dans les familles. « La présence rapprochée d’un tiers durant une session internet gêne l’internaute […] Même dans les familles qui partagent un PC connecté, internet est une voie d’accès commune qu’on emprunte en alternance avec d’autres membres de la famille pour retrouver des univers séparés » (Pharabob, 2004).

En outre, cette consommation individuelle change de manière significative le mode de consommation de contenus initialement produits pour d’autres médias dits « de masse ». C’est notamment le cas de la télévision mobile dont l’écoute sur un outil aussi individualisé que l’est un téléphone portable ou une écoute en ligne se traduit par une consommation très personnelle de ce

« média ». D’après une enquête réalisée sur un public d’adolescents sud-coréens, leur consommation de vidéos ne se limite alors pas à des contenus spécifiques (scabreux ou sarcastiques par exemple), mais bien à n’importe quel type de contenus : regarder une émission sur les jeux vidéo, par exemple, quand elle n’est pas vraiment la bienvenue sur le téléviseur familial. Car, au fond, « sur un objet personnel [ou un objet technique comme internet pour lequel vous disposez d’une expérience et d’un savoir-faire suffisants (ce qui est le cas d’une majorité d’adolescents 26)], vous êtes libres de regarder ce que vous voulez tant que vous n’êtes pas découverts » (Chipchase et al., 2006).

Incontestablement, les choses diffèrent entre l’internet « classique » et l’internet mobile de ce point de vue : la consultation d’un site via son téléphone portable ne se faisant pas à « l’abri des regards », chez soi ou dans son bureau,

26. Une enquête réalisée auprès de 400 lycéens a, sans surprise, vérifié que les compétences des adolescents augmentaient avec l’âge, ce qui leur permettait non seulement de revendiquer un nouveau statut au sein de la personne familiale dans le domaine informatique (ainsi seuls 26 % des 11-13 ans s’occupent de l’ordinateur en cas de panne informatique pour 62 % de 18-20 ans) mais aussi d’acquérir une réelle liberté d’usage de l’outil (52 % disposent d’une adresse personnelle à 11-13 ans, 66 % à 18-20 ans ; 41 % sait effacer l’historique de ces recherches à 11-13 ans, 73 % à 18-20 ans).

Voir Martin, 2004.

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mais dans un espace public. En effet, d’après une étude de 2009 de AB France/

Opinion Way de juin 2009 27, l’usage d’internet sur téléphone portable intervient pour 66 % dans un lieu d’attente, 49 % dans les transports en commun ou 45 % dans un train et seulement 50 % d’entre eux à domicile, essentiellement quand l’ordinateur n’est pas accessible.

Le deuxième facteur propre à internet est que ces informations y sont accessibles 24h sur 24h, selon les centres d’intérêts de l’instant (tableau 3).

Tableau 3. Ipsos Média, « Observatoire de la convergence média », 31/05/2007

Variété des modes, des temps et des types d’information disponibles

« Suivre des programmes impossibles à suivre autrement » 21 %

« Pouvoir suivre un événement où que l’on soit » 24 %

« Découvrir de nouvelles stations/chaînes/sites/titres » 25 %

« Pouvoir être connecté en permanence à sa station/chaîne/site/titre » 25 %

« Pouvoir choisir le moment de fréquentation des différents médias » 30 %

« Avoir accès à des informations, des services que l’on ne trouve pas

ailleurs » 30 %

Bien sûr, comme le soulignent avant tout ces études d’usages, cette accessibilité temporelle et spatiale constitue un motif incontestable de croissance d’internet (tableau 3). Plus celui-ci est central, plus les internautes sont – à juste titre – convaincus d’y trouver les informations qu’ils cherchent – plus il sera utile d’être connecté et, plus encore, coûteux de ne pas l’être.

Lorsque 4 400 internautes sont interrogés sur les « atouts du web comme média », ces derniers soulignent à la fois : la multiplicité des offres (« avoir accès à des informations que l’on ne trouve pas ailleurs » pour 30 % d’entre eux, à tel point « qu’il y a trop d’offres, on ne s’y retrouve plus » pour 14 %), l’accessibilité permanente à la fois n’importe quand (être connecté en permanence pour 25 %, regarder quand on le souhaite pour 30 %) et n’importe où (24 %).

Mais il faut plus fondamentalement montrer que cette connectivité permanente a aussi pour effet d’élargir le registre des requêtes médiatiques. Car l’intérêt pour l’actualité peut être influencé, et donc évoluer, en fonction de l’activité du moment et donc indirectement, au fur et à mesure de leur emploi

27. http://www.iabfrance.com/?go=edito&eid=369.

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du temps (travailler dans la journée, jouer le soir), ou encore selon leur lieu (au bureau ou dans sa véranda) et leur heure de connexion (à midi ou la nuit), suivant encore la fatigue et la disponibilité d’esprit du moment (avoir envie d’approfondir un sujet d’actualité avant une réunion importante ou au contraire se divertir).

Le troisième élément propre à la consultation en ligne est que les internautes ne segmentent pas leurs activités de surf en différentes périodes hermétiques.

De manière générale, une majorité d’internautes (52 %) affirme trouver des informations sur l’actualité de la campagne présidentielle alors qu’ils vont surfer pour autre chose, en particulier les jeunes internautes (pour lesquels c’est le cas dans 59% ). Si les sites n’arrivent pas à exploiter l’effet serendip en leur faveur en aiguillant les internautes sur les liens qu’ils souhaitent, l’existence de cet effet serendip est malgré tout bien réel, les internautes cliquant simplement selon leurs propres préférences.

De manière spécifique à la consultation sur smartphone cependant, l’effet serendip joue bien moins. Deux tiers des navigations sur le web à partir d’un réseau de smartphone se réduisent en effet à une seule page (2009 28).

La convergence des médias, des temps, des contenus disponibles favorise donc l’extension des usages d’actualité envisageables : besoin d’immédiateté ou goût pour l’archive, préférence pour les réflexions écrites ou seulement pour les vidéos ludiques, intérêt pour les résultats sportifs locaux ou les questions environnementales globales. En ce sens, la convergence (des productions médiatiques) produit de la différence (d’usages).

Conclusion

Au final, les enjeux de consultation de sites de presse écrite n’importe où et n’importe quand ne portent pas seulement sur la présentation de l’information, sur leur mise en page simplifiée. Ils portent aussi sur la généralisation du temps médiatique du flux, sur les profils des nouveaux lecteurs de la presse en ligne et, au-delà, sur les conséquences médiatiques et sociales de cette convergence

« multimédiatique » de l’actualisation permanente de l’information diffusée.

28. http://www.journaldunet.com/cc/05_mobile/mobile_internet_fr.shtml.

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