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Le livre paraît à Budapest en 2005 après vingt ans d écriture. Le climat. Dans une galerie des glaces. études, reportages, réflexions

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dans une gaLerie des gLaces

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entretien avec péter nádas réalisé par auréLie juLia

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L

e livre paraît à Budapest en 2005 après vingt ans d’écriture. Le climat imposé par l’actuel Premier ministre, Viktor Orbán, ne réserve pas tou- jours un bon accueil à Histoires parallèles (1) : les Hongrois sont même appelés à voler l’ouvrage dans les bibliothèques pour le brûler. Il est difficile de concevoir au XXIe siècle, en Europe, une exhortation tout droit sortie du Moyen Âge ou du nazisme. Péter Nádas n’est pourtant pas un agitateur. Né en 1942 dans la capitale hongroise, le futur écrivain suit des études de jour- nalisme et de photo gra phie. À 23 ans, il est employé comme rédacteur dans un magazine ; il publie la même année ses premières nouvelles. Le démon littéraire qui le titille depuis son enfance ne le quitte plus : roman, essai, théâtre, formes courtes de quelques feuillets, formes longues de centaines de pages, l’homme travaille sans relâche. Un jour, il décide de quitter la ville.

Ses pas le conduisent dans une petite commune perdue, Gombosszeg ; là, loin de l’agitation un peu vaine des métropoles, il s’enferme dans une tour et rédige : « Je me suis infligé une peine carcérale de plusieurs décennies », vous explique une voix douce, calme, aux timbres raffinés. Les yeux bleus qu’encadrent de fines lunettes ne trahissent néanmoins aucune souffrance,

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bien au contraire : derrière les pupilles pétillantes on décèle une sorte de sérénité et de plénitude. Bien que solitaire, Péter Nádas aime la vie et le rire : jamais à court de blagues, son humour adoucit à l’oral la gravité des propos tenus sur la feuille blanche. Un journaliste du Nouvel Observateur évoque en novembre 1991 le « sourire d’hiver, triste et glacial, d’un homme au visage émacié, au regard blessé d’un prophète des catastrophes ». Nous n’avons pas dû rencontrer le même auteur ! Ou peut-être l’infarctus qui le cloue sur un lit d’hôpital en 1993 le transforme-t-il radicalement : on ne sort pas indemne d’une mort clinique de trois minutes. L’expérience lui inspire la rédaction d’un livre, la Mort seul à seul (L’Esprit des péninsules, 2004).

Les longues heures qu’il passe assis derrière son bureau sont récom- pensées en 1995 : après Doris Lessing, Milan Kundera, Marguerite Duras, l’ermite reçoit le prix de littérature européenne pour l’ensemble de son œuvre. En 1998, apparaît sur les tables des librairies françaises le Livre des mémoires (Plon). La presse crie au chef-d’œuvre. La narration à trois voix de l’ouvrage monumental, nourrie de fantômes et de cauchemars issus du passé récent de l’Europe de l’Est, célèbre la politique, le sexe et la famille.

Le roman vaut à Péter Nádas une place aux côtés de Proust, Joyce, Musil, Thomas Man. « Qu’y puis-je si les critiques m’installent au milieu de tels génies ? », s’excuse presque l’auteur, à la fois fier et gêné.

Si chef-d’œuvre il y eut avec le Livre des mémoires, chef-d’œuvre il y a, aujourd’hui, avec Histoires parallèles : le qualificatif ne vaut pas seulement pour ces dix-huit années d’écriture, ces mille deux cents pages, ces cinq ans de traduction (il faut saluer le fabuleux travail de Marc Martin), il vaut aussi pour l’incroyable construction romanesque, pour cette pièce musicale influencée par Béla Bartók et György Kurtág. Richard Wagner n’est pas non plus étranger à la composition avec sa manière d’appréhender le temps comme un infini. Sans début ni fin, Histoires parallèles offre un voyage cha- huté de soixante ans à travers la Hongrie et l’Allemagne. Écho aux crimes majeurs du XXe siècle, le livre propose aussi des chapitres de la vie quoti- dienne. Tel un cameraman, Péter Nádas joue sur le cadrage ; son objectif alterne les gros plans et les prises de vues générales sur l’Histoire. Tout ici est affaire de sens et de sensualité : que l’on se retrouve dans un camp de concentration ou au cœur d’une partie fine, la chair des personnages (et donc du lecteur) souffre ou exulte. Chaque épisode se vit par le corps ; il y a bien une réelle incarnation du verbe. L’écrivain a le don de disparaître derrière ses personnages : capable de se glisser dans la peau d’une femme, d’un SS ou d’un commissaire de police, l’auteur parvient à pénétrer le plus intime de l’être puis il s’en détache. Péter Nádas ne triche jamais et c’est à cela que l’on identifie un très grande plume.

Aurélie Julia

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evuedes deux Mondes – Votre roman se présente comme une vaste fresque historique d’un demi-siècle. Nous traversons les années trente, quarante, soixante et quatre-vingt-dix. Le déroulement narratif ne suit pas l’ordre chronologique. Vous placez d’ailleurs en exergue une belle formule de Parménide : « Il m’est indifférent de commencer d’un côté ou de l’autre, car en tout cas, je reviendrai sur mes pas. » Comment s’est bâti Histoires parallèles ?

Péter nádas – La charpente du livre était prête avant l’écriture.

En vieillissant, je trouve la construction essentielle. Je souhaitais, au départ, débuter par la fin et écrire à l’envers. La structure pouvait ainsi rester ouverte ; il n’y aurait pas eu d’enchaînement causal, soit pas de causes précédant des conséquences. J’ai donc écrit le dernier chapitre il y a vingt ans, puis l’avant-dernier. Très vite, j’ai compris que cette technique ne fonctionnerait pas car je n’avais pas d’idées précises sur le contenu des différentes parties. Or l’improvisation est indispensable dans l’écriture. Si j’avais réussi à écrire de la fin jusqu’au début, la matière même du livre aurait été morte. J’ai com- mencé la rédaction d’Histoires parallèles en 1985 non pas avec le chapitre qui ouvre le roman mais avec le troisième, qui se déroule dans les années soixante en Hongrie. Quatre ans plus tard, les deux Allemagnes se réunissaient. En 1993, j’avais un infarctus. Ces deux épisodes m’incitèrent à reprendre toute la construction. La structure actuelle a été définitive après ma mort clinique. Ce choix me rassu- rait et me permettait de me jeter entièrement dans l’écriture.

revue des deux Mondes – Vous proposez comme scène ini- tiale la découverte d’un cadavre et comme scène finale un meurtre.

Serions-nous finalement en présence d’un long roman policier ? Péter nádas – Le crime de l’avant-dernier chapitre est un crime résolu, on connaît le criminel et son motif. En revanche, on ne sait rien du premier homicide. Le livre se présente comme une large enquête qui ne porte ni sur l’identité du mort ou ni sur celle de l’assassin mais sur un tas d’autres choses. Je me suis amusé avec ce que la culture européenne utilise pour se distraire : un assassinat est commis et le soir même, la police du feuilleton ou du petit polar démasque le coupable. À l’image de l’existence, Histoires parallèles n’a pas vraiment de début ni de fin ; nous ne pouvons pas prévoir notre biographie et encore moins celle des autres. Nous rencontrons

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des personnes que nous devons ensuite quitter. Nous pensons à elles, nous les appelons mais leur vie continue sur un chemin que nous ne voyons guère. Je voulais échapper à la règle de causalité dans mon livre qui, pour moi, n’existe pas. La chute du mur de Berlin sert de décor au premier chapitre ; ceci n’a rien de sym- bolique ; c’est une donnée concrète. Le roman parle de plusieurs formes de dictatures.

écrire sur la shoah

revue des deux Mondes – Il était capital pour vous d’écrire sur la Shoah. Comment une plume romancière parvient-elle à dire l’indicible ?

Péter nádas – Plutôt que de savoir comment qualifier l’inqua- lifiable, je me suis heurté à un autre obstacle : pouvais-je éviter le thème de l’Holocauste ? La réponse était non. Tout le roman tourne autour du point névralgique que représente cette tragédie. Même si le sujet me hante depuis ma jeunesse, le propos me resta long- temps inaccessible. J’avais beau lire, me documenter, me rensei- gner de toutes les façons… rien. J’ai contourné le problème dans le Livre des mémoires ; à l’époque, il s’agissait d’une question éthique.

Seulement c’est aussi une question éthique de savoir si une fiction littéraire peut parler des tourments. Ce qui a été vécu en 1939-1945 dépasse la souffrance humaine. Jusqu’à présent, la littérature s’est occupée de douleur personnelle. Avec l’Holocauste, nous franchis- sons un cap. Pour sortir de l’impasse, il fallait résoudre la difficulté du point de vue formel. Les passages que je consacre à la Seconde Guerre mondiale n’ont rien d’imaginaire ; les situations, les événe- ments sont puisés dans les annales historiques ; ils sont réels. Je me souviens d’avoir demandé un jour l’autorisation à Imre Kertész.

Nous étions tous les deux dans un bus, debout, en direction de l’aéro port de Francfort. Une dizaine de personnes nous séparaient.

Le bruit des avions rendait le dialogue impossible. « Imre, dis-moi, me suis-je mis à hurler, puis-je écrire sur l’Holocauste alors que je ne l’ai pas vécu ? » Irme me répondit, en hurlant : « Oui ! » Voilà pour la petite histoire. En réalité, il est presque impossible de parler du meurtre de masse en fiction. Tolstoï y parvient dans Guerre et Paix,

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Claude Simon également dans la Route des Flandres avec un person- nage qui s’éloigne de l’histoire pour devenir lui-même cette histoire, mais ce sont des cas rares.

revuedes deux Mondes – Si la religion n’occupe pas une place majeure dans votre ouvrage, vous intégrez le thème religieux de manière rapide et efficace : il y a l’image d’une sculpture engloutie par les eaux (2) ; il y a aussi les paroles du jeune homme Döhring (3), par exemple : « J’ai aidé le créateur dans son œuvre de destruction journalière. » Le Dieu de votre roman n’a rien du Dieu chrétien ; vous le gratifiez d’un faciès barbare et monstrueux...

Péter nádas – La sculpture à laquelle vous faites référence tourne et retourne sur elle-même jusqu’à ce que le courant l’emporte . Notre culture nous engage à voir dans ce morceau de bois un cruci- fix. Nous n’imaginons pas d’autres formes possibles. Or si nous sor- tons de notre terreau culturel, nous pouvons imaginer une sculpture grecque, avec le drapé rouge qui cache le bas-ventre. Au-delà du détail, j’aimerais revenir sur la conception chrétienne et pragmatique de Dieu, et sur l’idée de libre arbitre. La notion se repère déjà chez le Dieu des juifs. Le libre arbitre s’est agrégé à la théologie de la libé- ration chrétienne, théologie que les protestants Luther et Calvin ont tenté de ralentir. Si l’on regarde les deux guerres mondiales, si l’on se penche sur l’Holocauste, on ne peut qu’envisager un Dieu méchant ; on ne peut plus concevoir le Dieu des juifs et des chrétiens comme un Dieu qui nous réconforterait chaque jour. Il n’y a dorénavant aucun lien logique entre le Dieu d’hier et le Dieu qui a permis l’Holocauste.

Rudolf Vbra, un évadé des camps de concentration, a écrit un petit livre sublime, Je me suis évadé d’Auschwitz. Les pages racontent son calvaire derrière les barbelés. Nous sommes dans les années 1942- 1943 ; les nazis choisissent chaque semaine quelques détenus, les parquent dans une sorte de mini-camion et les conduisent à Birkenau où ils doivent déshabiller les morts et les jetter dans les flammes.

Des humains sont aussi brûlés vifs, notamment des enfants. Après plusieurs journées de ce « travail », les soldats ramènent les prison- niers à Auschwitz. Un jour, de retour au camp, Rudolf Vbra est assis à côté d’un rabbin dans le véhicule : « Non, Dieu n’a guère changé, lui affirme-celui-ci. Il s’occupe toujours de nous mais il nous punit, nous les juifs, parce que nous commettons sans cesse des offenses. »

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Le camion longe alors le camp des femmes. Quinze mille d’entre elles attendent, nues, dans le froid. Des voitures stationnent, moteur en marche. Les nazis poussent les prisonnières dans les véhicules, les voitures démarrent et prennent la direction de Birkenau. Là, le rabbin pousse des hurlements : « Il n’y a pas de dieu ! » Pendant plusieurs minutes, le rabbin hurle : « Dieu n’existe pas, Dieu n’existe pas ! », et je suis d’accord avec lui. Je ne suis pas athée, je ne l’ai jamais été, toutefois je pense que notre conception de Dieu est fausse. Le dieu que l’on prie dans les églises n’existe pas. Nous adorons notre bêtise qui nous permet de poursuivre une imbécillité.

revuedes deux Mondes – Vous parliez néanmoins tout à l’heure de libre arbitre. L’homme est libre de faire le bien ou le mal. L’Holocauste ne serait-il pas plutôt une histoire d’hommes que de Dieu ?

Péter nádas – La Shoah met en avant une grande rupture avec l’image du Dieu chrétien. Hans Jonas (1903-1993) évoque le sujet dans un livre capital, non traduit en français, The Gnostic Religion:

The Message of the Alien God and the Beginnings of Christianity (4). L’auteur, un juif américain d’origine allemande, parle des gnos- tiques. Selon lui, nous avons mélangé une forme de gnosticisme avec la notion de liberté. Qu’est-ce que le gnosticisme ? Il s’agit d’une croyance qui envisage les hommes comme des âmes divines emprisonnées dans un monde matériel, créé par un dieu mauvais ou imparfait appelé le Démiurge. Au fil du temps, ceux qui croyaient en la liberté et en certains principes gnostiques ont fini par être plus nombreux que les gnostiques. À partir de là, il y a eu confusion et cette confusion très ancienne autorise le pire : elle permet le meurtre de masse, la vente d’armes… Les gnostiques cherchent toute leur vie un dieu réel auquel s’identifier ; leur recherche s’apparente un peu à celle des hindouistes. Pour atteindre la plénitude, il faut traver- ser douze mondes. Le Dieu que nous adorons est regardé par ces croyants comme un Dieu inférieur. Notre Dieu chrétien s’appa rente pour moi à une assiette anglaise !

revue des deux Mondes – Abordons maintenant un thème phare d’Histoires parallèles, le sexe. À la différence des Fragments d’un discours amoureux de Barthes ou de la Volonté de savoir de Foucault, votre Éros se situe dans l’emportement, la passion, la bru-

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talité, l’impudeur. Jamais vous ne réduisez l’ars erotica à une scientia sexualis. Est-ce l’incapacité de nos civilisations occidentales à parler d’amour, à trouver des mots au-delà de l’obscénité, qui vous pousse à esquisser une anthropologie nouvelle ?

Péter nádas – Barthes et Foucault sont des auteurs très importants. En France, il existe une tradition littéraire du sexe, avec des écrivains comme Rabelais, Sade, Bataille… Je n’avais aucune intention de choquer en rédigeant ces cent vingt pages continues d’ébats amoureux. Je ne pense pas que la société dans laquelle nous évoluons soit prude ; elle ne peut pas l’être avec la litté- rature pornographique et scientifique sur le sujet. Je n’étais pas intéressé par la sexualité mais par ce qui se passait entre deux personnes. Chaque être possède ses capacités propres, c’est ce qui le rend unique. Mais chaque être éprouve aussi les mêmes pulsions animales, les mêmes envies, les mêmes désirs que ceux de son voisin. Donc chaque être combine en lui un aspect per- sonnel et un aspect collectif ; ces deux aspects se recouvrent très rarement, d’où les relations avec l’autre extrêmement difficiles.

On essaye alors soit de contourner la difficulté, soit d’atteindre la relation avec l’autre au moyen de l’érotisme. Le sujet évoqué dans les bistrots ou dans les douches après un match prend un caractère très simple. Lorsque les thérapeutes s’emparent du sujet, le propos devient scientifique, froid et extérieur. La pornographie, quant à elle, montre quelque chose qui n’a pas grand-chose à voir avec la réalité : il s’agit de lutte des corps. D’où ma question : pourquoi la littérature ne se préoccupe-t-elle pas de ce qui préoc- cupe tout le monde ? Rappelons-nous cette scène fort célèbre dans Madame Bovary : Emma et son amant Léon s’enferment dans un fiacre et partent. Nul doute qu’ils font l’amour, seulement Flaubert n’entre pas dans les détails : il quitte l’arrière de la calèche et vient s’asseoir à la droite du cocher. Le lecteur ne sait rien de ce que pense le domestique, il ne lit aucun commentaire sur ses réactions, ni sur les bruits amoureux ; il apprend juste les multiples tours et détours effectués par la voiture dans la ville. Nous sommes laissés à notre imaginaire. Pourquoi ? Pourquoi le roman coupe-t-il de telles scènes ? La littérature raconte des délits, des assassinats, des crimes de masse, le tout à grand renfort de développements. Elle s’exprime sur les instincts meurtriers de l’homme, sur la barbarie,

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la cruauté mais guère sur le fait même de faire l’amour, sur les réactions du corps. À croire qu’il s’agit d’un tabou. Il n’y a pas de mot pour les descriptions sexuelles comme il n’y a pas de mot pour exprimer le manque d’amour physique. Or ces deux éléments font partie de l’homme, de son être anthropologique. Si je ne peux pas voir l’homme dans son entier, alors je ne peux pas en parler de quelque façon que ce soit.

revue des deux Mondes – Au chapitre intitulé « Tous les Hongrois sont perdus », deux personnages déjeunent ensemble, Madzar et Bellardi. Le premier lance une phrase fataliste : « Ainsi je perpétue en moi les tourments éternels des Hongrois. (5) » À quels supplices moraux faites-vous référence ?

Péter nádas – Depuis longtemps, les Hongrois se sentent comme prisonniers d’une situation exceptionnelle. Ce qui est faux, bien sûr, puisque tous les pays vivent des situations exceptionnelles ; néanmoins il y a quelque chose de réel dans ce sentiment. Depuis que la monarchie hongroise s’est effondrée au Moyen Âge, l’histoire de la Hongrie se résume à une histoire de défaites. Or il est difficile et même dangereux, d’un point de vue psychologique et politique, de vivre avec un tel res- senti. Une lourde malédiction semble peser sur les peuples de l’Europe centrale et des Balkans. La défaite et l’échec deviennent un mythe. Vous trouvez l’exact contrepoint en Europe occidentale, où le succès domine dans les esprits, ce qui, entre nous, est tout aussi périlleux : ni la réus- site ni l’échec ne garantissent un quelconque mérite.

revue des deux Mondes – Pourquoi avoir boudé les points d’interrogation, d’exclamation et les guillemets ? Seriez-vous sous l’emprise du nouveau roman ?

Péter nádas – Peut-être. L’interrogative, l’exclamative, l’affir- mative doivent venir du contenu même de la phrase ; si je signale tout cela par une série de ponctuation, je me mets au service du lecteur. Et si je réfléchis ainsi, la forme structurelle se transforme, la phrase elle-même devient alors esclave d’un lecteur inconnu (qui n’existe peut-être même pas !). La phrase est l’élément le plus musi- cal et le plus important de l’œuvre. J’espère toujours parvenir à mettre à l’intérieur de celle-ci une forme musicale d’interrogation ou d’exclamation.

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revue des deux Mondes – Qu’entendez-vous finalement par

« histoires parallèles » ?

Péter nádas – J’ai poursuivi deux objectifs principaux dans le livre : décrire des aventures qui se déroulent en parallèle et mettre au jour le jeu des influences. Des événements surviennent à la même date, des personnes ne se croisent pas forcément mais influent les unes sur les autres. La littérature se présente souvent comme un bal- let de contacts et de séparations. Je voulais échapper à cette valse et raconter les influences dans l’espace et dans le temps, dire ce qui circule entre Rabelais et moi, par exemple. Toute la constellation qui gravite autour des personnages et qui agit sur eux m’intéresse par- ticulièrement. Reste dès lors à savoir si les actions appar tiennent à l’homme ou si elles proviennent de l’extérieur. Dans Histoires paral- lèles, je voulais que le collectif croise l’individuel ; je voulais qu’une foule agissant à l’intérieur d’un lieu et d’une période rencontre l’homme pris dans sa singularité. 1968 fut une grande leçon d’his- toire pour moi. Il y eut un 1968 à Paris et un 1968 à Prague. Dans l’un et l’autre pays, il était question de liberté et de gouvernement intérieur. Si les solutions et les résultats furent distincts, les deux épi- sodes se sont parlé à travers les frontières. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de me concentrer sur les liens interagissant, d’où, entre autres, Histoires parallèles.

Nous tenons ici à remercier chaleureusement l’interprète Dominique Radanyi.

1. Péter Nádas, Histoires parallèles, traduit du hongrois par Marc Martin avec la collaboration de Sophie Aude, coll. « Feux croisés », Plon.

2. Idem, p. 509.

3. Idem, p. 40.

4. Hans Jonas, The Gnostic Religion: The Message of the Alien God and the Begin- nings of Christianity, Boston, Beacon Press, 1958.

5. Péter Nádas, Histoires parallèles, op. cit., p. 560.

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