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Organisation et apports de la simulation pour la construction sociale du débat sur le travail : le cas d'un projet d usine 4.0

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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*Ce texte original a été produit dans le cadre du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française qui s’est tenu à Paris, les 16, 17 et 18 septembre 2020. Il est permis d’en faire une copie papier ou digitale pour un usage pédagogique ou universitaire, en citant la source exacte du document, qui est la suivante :

NASSE, C., BOUDOIN, O., et GUELLE, K., (2020). Organisation et apports de la simulation pour la construction sociale du débat sur le travail : le cas d'un projet d’usine 4.0. Actes du 55ème Congrès de la SELF, L’activité et ses frontières. Penser et agir sur les transformations de nos sociétés.

Paris, 16, 17 et 18 septembre 2020

Aucun usage commercial ne peut en être fait sans l’accord des éditeurs ou archiveurs électroniques. Permission to make digital or hard copies

Organisation et apports de la simulation pour la construction sociale du débat sur le travail : le cas d'un projet d’usine 4.0

Cécile NASSE (1), Olivier BOUDOIN (1), Kevin GUELLE (2)

(1) Technicentre Industriel SNCF, 59260 Hellemmes, cecile.nasse@sncf.fr, olivier.boudoin@gmail.com ; (2) Laboratoire PACTE, Institut d’Études Politiques,

38040 Grenoble, kevin.guelle@univ-grenoble-alpes.fr

Résumé : La contribution proposée ici a pour finalité de donner à voir aux praticiens en ergonomie, et à tous les acteurs en charge de construction de projet, les différents enjeux, méthodes et résultats d’une intervention de trois ans co-pilotée par de nombreux acteurs d’horizons différents. Cette intervention s’inscrit dans le développement d’un schéma directeur d’un établissement ferroviaire. Le choix est fait ici de se concentrer plus précisément sur la conception de process à implanter dans un bâtiment en construction. Seront abordés les différentes méthodologies pratiquées, en particulier la forte mobilisation des méthodes de simulations de l’activité, les rôles et positionnements de chacun. Un point sera fait sur les impacts de la pratique de l’ergonomie du point de vue des acteurs syndicaux et décideurs du projet. Centré sur un enjeu de centralisation des interventions, nous verrons en quoi et comment par cette problématique de co-intervention certains objectifs ont été atteints, notamment sur la construction sociale dans cet établissement.

Mots-clés : Activité ; construction sociale ; simulations ; conception ; industrie du futur (4.0)

Organization and contributions of the simulation tool for the social construction of work's debate:

the matter of a 4.0 company project

Abstract: The purpose of this proposed paper is to make visible for ergonomics practitioners and actors in charge of project construction, the different challenges, methods and results of a three-year intervention co-piloted by many actors from different backgrounds. This ergonomics intervention is part of the development of a master plan for a French railway company. We focus here more precisely on the process design to be implemented in a building under construction. The different methodologies practiced, specifically the strong mobilization of activity simulation methods, the roles and positioning of each will be discussed. We made a point on the impacts of the practice of ergonomics from the point of view of the union actors and decision-makers of this project. Centered on the issue of centralizing the interventions, we will see how and what some objectives have been achieved with this problematic of co-intervention, notably on social construction in this company.

Keywords: Activity; Social Construction; Simulations; Conception; Industry of the Future (4.0)

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INTRODUCTION

« Quelque chose de non palpable s’est passé » (Verbatim du directeur industriel) : c’est ce que cette contribution propose d’aborder. Pour l’éclairer, nous exposerons les résultats de notre intervention menée dans le cadre du déploiement du schéma directeur dans un technicentre industriel de la SNCF. Cet établissement a pour fonction de rénover des trains sur des temps de cycles de plusieurs mois.

L’objectif du projet est de regrouper les phases de démontages, remontages et traitements des pièces dans un atelier unique, optimisant ainsi les flux et surface d’atelier.

L’objectif est de montrer, comment l’organisation du projet, avec de multiples acteurs en ergonomie, et les simulations menées sur 3 ans, ont contribué à la construction sociale de notre intervention. Plusieurs éléments ont dû être pris en compte pour mener à bien cette intervention :

 La transformation industrielle d’un site historique en une usine 4.0,

 Une politique nationale de digitalisation, induisant une production cadencée, prônée par le LEAN,

 Une évolution des équipes aussi bien matérielle (atelier commun), qu’organisationnelle (refonte de l’organigramme).

Face à cette organisation changeante, bouleversant les individus, les collectifs, les organisations et méthodes de travail, il fut important de s’ancrer dans le réel de l’activité pour en identifier les leviers, ressources et contraintes. Par la simulation basée sur des Situations d’Action Caractéristiques (SAC), et la mobilisation d’échelles différentes (1/87e, 1/50e, échelle 1), nous avons souhaité mettre le travail en débat en vue de permettre une compréhension et une adhésion au projet par tous.

Nous présenterons les choix théoriques sur lesquels notre méthodologie prend racine et développerons les résultats obtenus. Puis, par une discussion fournie, nous tenterons de mettre en exergue les enseignements issus de cette conduite d’intervention conséquente. Enfin une brève conclusion permettra de retenir les principaux points et d’ouvrir des perspectives.

CADRE THEORIQUE

Notre premier pan théorique portera la conduite de projets industriels. Le modèle statique proposé par Lorino (2014) se veut centré sur une position descendante et arbitraire de la conception du travail.

Il le présente comme éloigné des dynamiques des situations de travail réel.

Issu des systèmes de production Toyota, le Lean cherche à optimiser la productivité, tout en améliorant la qualité en entreprise en tendant vers ces deux objectifs (Morais et Aubineau, 2012) :

« Avoir une entreprise souple […] pour être au plus près de la demande du client »

« Eliminer tout gaspillage pour baisser les coûts ».

La constance du standard et son application stricte, vise à stabiliser le processus de production mais renonce « à la prise en charge, en temps réel, de la diversité et de l’imprévisibilité des situations concrètes de travail » (Bourgeois, 2011).

Un second pan partira de la conduite de projet en ergonomie telle que celle développée par Barcellini, Van Belleghem et Daniellou (2013), qui permet d’influencer les conceptions des situations de travail.

Ainsi, l’approche constructive de l’ergonomie de

l’activité (Falzon, 2013), permet d’établir des principes de prévention durables, universels et développementaux pour et par les différents acteurs (Falzon, 2004). Dans le cadre de la considération des environnements capacitants, c’est l’opportunité de :

 Positionner les opérateurs comme acteurs décisionnaires (Darses et Reuzeau, 2004),

 Donner aux opérateurs du pouvoir d’agir (Coutarel et Petit, 2013),

 Identifier et valoriser les logiques d’utilisations favorables à la productivité, la qualité et la santé/sécurité (Lamonde, 2004).

Ces méthodes propres à l’ergonomie de l’activité sont centrées sur des simulations de situations de travail futur probable comme le rappelle Barcellini et al. (2013). L’échelle est choisie en fonction de l’objectif recherché. Ainsi, pour un projet de construction d’usine, une maquette à échelle réduite sera privilégiée, tandis qu’une échelle 1 sera choisie pour être au plus proche du réel futur probable afin que les opérateurs puissent éprouver dans leur corps ces situations (Van Belleghem, 2018 ; Daniellou, 2007).

L’avant dernier champ théorique portera sur les SAC, concept introduit par Daniellou (1992), pour intégrer la dimension future de l’activité. Il s’agit de

« recenser les différentes situations qu’auront à gérer les opérateurs » (Falzon et Martin, 2007, p. 25). L’apport des SAC est un outil de négociation avec les concepteurs, en considérant le développement de(s) l’activité(s) avec ce double objectif de santé et performance -propres à l’ergonomie de l’activité. Ces SAC, montées en scénario et intégrant la temporalité de l’activité, permettent d’interroger la représentation des acteurs lors de simulation, dont la construction sociale recouvre une dimension non négligeable (Daniellou, 1992 ; Garrigou et al., 1995).

Ici, les SAC sont agrémentées par les évènements critiques redoutés (ECR) et les situations à forts enjeux (SAFE). L’ECR est vu comme déterminant de l’activité individuelle et collective (Boudoin, Réal et Arnaud, 2018). Cet évènement, s’il survient, génèrera des conséquences pour les individus et le collectif ; c’est pourquoi l’ensemble des acteurs cherchent à l’éviter.

De même, les SAFE sont des situations présentes à la croisée des conceptions et jugées à risques, par les opérateurs, d’un point de vue organisationnel et pour la sécurité (Rocha, 2014).

Enfin, dans le cadre d’un projet de conception et de simulation, tel que défini par Barcellini et al. (2013), nous aborderons la construction sociale comme « un moteur de développement de la capacité des hommes et des femmes de l’entreprise à faire face aux changements de leur situation de travail quand ils peuvent contribuer activement à sa conception. » (p.

191) C’est en ce sens que sera abordée la construction sociale dans cet article.

La problématique portée par notre étude, était-elle d’articuler une coopération méthodique et durable dans le cadre d’une conduite de projet permise par plusieurs ergonomes d’horizons différents, tout en garantissant la construction sociale de l’intervention ?

Cette problématique nous invite à formuler les hypothèses suivantes :

 La conduite de projet en ergonomie par plusieurs acteurs nécessite de partager des concepts communs notamment celui de l’activité

 L’approche par le travail, notamment par la simulation de l’activité de travail est un vecteur fort de la construction sociale, même articulée par différents acteurs de l’ergonomie.

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METHODES

De la demande aux demandes

Le projet s’inscrit dans le cadre d’une construction d’usine du futur (ou 4.0). Ce défi architectural (27 000m²), répond à un objectif d’amélioration de l’efficience et de réduction des surfaces de 40%. Il est piloté en interne par une maîtrise d’ouvrage (MOA) assistée de maîtrise d’œuvres (MOE) internes et externes au groupe SNCF. Cette MOA s’appuie sur les compétences internes des services méthodes process et industrialisation des rénovations de trains.

Le contexte d’intervention est favorable, du fait de la présence d’un ergonome interne depuis 2012. Pour autant, au début du projet, le principe de conception du travail futur fonctionne sur un modèle statique (i.e., Lorino, 2014). Dans la lignée de la politique du groupe SNCF, l’établissement déploie les principes du Lean.

La demande d’origine a été amenée par l’ergonome interne, grâce à plusieurs échanges avec le Directeur (entre juin et septembre 2017), en l’appuyant par plusieurs articles présentant la simulation (Van Belleghem, 2012 ; Van Belleghem et Guerry, 2016). Il s’est également appuyé sur l’intérêt du Directeur à intégrer l’ergonomie dans un projet de conception, mais aussi sur la mobilisation d’une ressource détachée de la Direction du Matériel (DM).

En parallèle, le Directeur a mobilisé le réseau ARACT et des ergonomes consultants. Il souhaite favoriser l’acception du projet et freiner les

« résistances aux changements » des opérateurs, tout en étant prêt à accepter des impacts sur le projet.

Adressée à l’ergonome de la DM, la demande est de réaliser une intervention sur la modification d’organisation du travail induite par la création du nouveau bâtiment.

Parallèlement, l’ergonome interne est en charge de l’aménagement et de l’optimisation de l’ensemble des chantiers « pièces déposées ».

Dès le début du projet, le secteur de la tôlerie est identifié comme levier du point de vue de la construction sociale par l’ensemble des acteurs. Une demande centrée sur l’optimisation des box de soudure en vue des futures implantations est donc adressée à un ergonome intérimaire.

En novembre 2018, l’ergonome prestataire reçoit la demande suivante : « valider que le plan de tâches prévu par l’industrialisation est faisable ». Les entretiens d’analyse de la demande révélant des attentes fortes sur les simulations, celle-ci a été reformulée vers des simulations de situations de travail à forts enjeux, basées sur des diagnostics en ergonomie.

Déroulement et structuration projet

En premier lieu, nous avons Co construit, avec la direction et les ergonomes présents à l’instruction du projet, le modèle ci-dessous baptisé par le directeur :

« La fusée à 3 étages » (figure1).

Figure 1 : La fusée à 3 étages

Par ailleurs, chaque ergonome mobilisé sur le projet partage les concepts forts et propres à l’ergonomie de l’activité. Chacun s’est chargé de répondre à la demande qui lui est adressée. Avec comme pivot

l’ergonome interne, chacun s’est aussi positionné comme ressource pour les autres collègues sur des questions méthodologiques et conceptuelles, ainsi que sur les pratiques réflexives. Sur l’ensemble des années, nous avons maintenu un dialogue et co- préparé plusieurs groupes de travail et séances de simulations. La représentation ci-dessous illustre le cumul des interventions durant le projet (Figure 2).

Figure 2 : Représentation du cumul des interventions

De plus, l’ARACT, par souci d’action sur la conception du travail futur, d‘intégration des représentants du personnel, et de prise en compte d’une représentation globale des acteurs, a initié un Comité de Suivi (COS) composé des membres du projet (Direction, chef de projet, ressources humaines, direction industrielle, méthodes) et des membres du CHSCT.

Entretiens et simulation sur maquettes

L’ARACT associé aux consultants externes, en accord avec la Direction, a mis en place une démarche participative visant à associer un grand nombre d’agents représentatifs de l’établissement.

Après le COS de cadrage, une phase d’entretiens collectifs (84) a été menée, suivie d’une phase d’entretiens individuels (22). Ces entretiens ont pu être complétés de visite d’atelier (10), permettant ainsi d’expliciter des situations évoquées par un panel de 106 agents.

A l’issue de cette collecte de données, la co- conduite optait pour des simulations sur maquette (à l’échelle 1/50e) basées sur des SAC (Daniellou, 1988).

Quatre simulations ont été menées, toutes ciblées sur le déroulement de « plans de tâches » de remorques en phases de démontage.

Observations, rebonds, opportunités et jeux d'échelles

En accord avec le directeur, l’ergonome détaché de la DM, après quelques entretiens et sessions d’observations ouvertes a réorienté sa demande, à la suite de l’observation d’un ECR. Cet ECR a rendu visible l’oubli d’intégration des agents d’essais et Mouvement (chargés du déplacement des trains).

Par ailleurs, l’ergonome interne, grâce à son expérience dans le ferroviaire, s’est appuyé sur des interventions antérieures, pour répondre à la demande d’optimisation des chantiers « pièces déposées ». Ces données ont été complétées par des observations ouvertes et systématiques, puis par des entretiens formels et informels. En parallèle de son intervention, des techniciens et ingénieurs méthodes process ont récolté des données des pièces concernant les process, les flux, les quantités par train et les volumes. Les méthodes de collecte et compilation entre les acteurs ont été mis en œuvre par l’ergonome en s’appuyant sur des méthodes propres à la conduite de projet. Ainsi 12000 pièces déposées à traiter ont été considérées et réparties dans une dizaine de chantiers à implanter. L’étude a

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été complétée par des simulations à l’échelle 1 dans les chantiers historiques.

En complément une première séance de simulation sur maquette à l’échelle 1/50 a été organisée avec les membres de Comité de Direction (CODIR). Cette simulation ciblée sur des situations de travail de démontage de motrices avait pour but d’éveiller la curiosité et de souligner l’intérêt de l’anticipation organisationnelle du point de vue du travail.

L’ergonome intérimaire a mené des observations ouvertes, puis systématiques, avant de présenter un diagnostic centré sur les ateliers de confection en tôlerie, permettant une anticipation des besoins dans le futur atelier.

L’ergonome prestataire a choisi de cibler ses diagnostics principalement sur des SAFE. Elles sont issues d’entretiens formels et informels et d’observations ouvertes complétés d’observations systématiques. Ainsi, une trentaine de diagnostics ont été réalisés en fonction des opportunités d’accès aux situations. Certains ECR, confirmés par croisement des ressentis des agents et perçus comme contraintes dans le nouvel environnement, ont été convoqués au cours des différentes simulations. On peut citer par exemple l’incapacité à atteindre certains couples de serrage exigés par les impératifs de sécurité ferroviaire pour le montage du « groupe moteur/réducteur ».

Les simulations, sur différents niveaux d’échelle, ont été mobilisées 44 fois sur la période d’un an. Elles ont été complétées de 50 groupes de travail. Le choix a été fait d’intégrer systématiquement des agents méthodes aux groupes de travail, ainsi que de solliciter régulièrement des membres décisionnaires de l’établissement. Nous avons privilégié une maquette 1/87e lorsqu’une vision globale de l’atelier était centrale à la représentation du travail (implantation du bureau mouvement par exemple), tandis qu’une échelle plus grande nous a permis de réaliser des zooms sur le traitement d’une voiture (travail dans les coffres, infra). Chaque fois que cela a été possible, nous avons réalisé des simulations à l’échelle 1 afin de supprimer le biais de représentation et de favoriser la capacité de projection des agents et des décisionnaires (Figure 3).

Figure 3 : Extrait de CR de COPIL représentant les simulations à échelle1 menées sur le travail dans les coffres.

LE POINT DE VUE DU TRAVAIL VECTEUR DE CONSTRUCTION SOCIALE.

Trois résultats sont notables et vecteurs de construction sociale au regard de l’historique de l’établissement :

 La mise en place d’un COS avec l’intégration de représentant du personnel dans les instances décisionnaires

 La mise en place d’une maquette représentant l’ensemble du bâtiment (échelle 1/87e) qui a servi d’objet intermédiaire tout au long du projet

 Le dialogue centré sur les questions du travail lors des simulations

La structure du projet, un vecteur de la construction sociale

Les premiers résultats se sont présentés dès avril 2018, puisque la présentation de la méthodologie et du diagnostic réalisé par l’ARACT et le cabinet de consultant a ouvert les représentations des membres du COS. Les simulations sur maquettes volumétriques ont été identifiées et sont devenus des leviers générateurs de remontées « des évidences du terrain » (verbatim issu des entretiens de l’ARACT).

Ce COS perdure à ce jour. Cette structure permet un suivi du projet et génère un espace de débat sur le travail pour les différentes parties prenantes. C’est l’occasion pour les ergonomes de communiquer sur les différents résultats. Ainsi, avant la mise en usage des locaux, lors du COS n°4 (novembre 2019), nous avons présenté, 405 problématiques identifiées et débattues, parmi lesquelles 105 étaient en cours de traitement et 230 ont été considérées comme traitées collectivement.

La mise en débat du travail : un vecteur fort de la construction sociale.

Les difficultés se sont fait sentir dès le début de projet : les acteurs ne se comprenant pas, les débats restaient peu productifs, notamment sur la question du travail. Le choix a alors été fait, par les ergonomes, d’implanter une maquette à l’échelle 1/87e. Cet objet intermédiaire avait pour finalité de favoriser les échanges sur un objet commun compréhensible par tous, de fait « on parlait tous le même langage » (verbatim d’ergonome interne collecté en entretien).

Cet outil a permis de clarifier et d’améliorer l’efficience des débats, ainsi que d’éviter des erreurs d’implantations structurelles lourdes de conséquences, comme celle d’un pilier de structure devant une cabine, empêchant la mise en place d’une motrice.

Les différentes simulations sur maquettes ont montré de nombreuses problématiques. Mais l’échelle 1/50e et l’usage de figurine Lego® rendait parfois difficile de représenter la finesse des actions à simuler. Il était alors essentiel d’amener les débats sur le travail au plus près possible du réel. Ainsi plusieurs groupes de travail, incluant des membres de CODIR et agents se sont déroulés au « pied de la caisse ». (Expression d’usage).

Le pied de la caisse étant ici l’objet intermédiaire qui a permis de nombreuses prises de décisions comme celle de choix d’équipements (passerelles de mises à niveaux pour le travail en coffre, par exemple, supra).

Les choix des échelles pour donner à voir.

L’ensemble des acteurs s’entend sur le fait que les simulations mises en œuvre ont ouvert la capacité de chacun à se représenter l’avenir. Suivant l’échelle choisie, les capacités à s’approprier et à co-construire l’activité future probable étaient plus ou moins perceptibles. A l’échelle 1/87e, « on arrive à voir tout l’espace, on arrive à voir la taille d’un bonhomme, là- dedans » (verbatim de la RH). A l’échelle à 1/50e, on arrivait « à faire cohabiter les métiers, et ça c’était tout nouveau » (verbatim d’un représentant du personnel) et enfin à l’échelle 1, un climaticien a dit : « je viens de comprendre pourquoi il faut faire retourner les remorques, en fait sur la maquette, je n’y arrivais pas ».

On retiendra ici l’analyse de l’activité sur le travail dans les coffres (supra) qui a rendu visible que certains véhicules se trouveraient plus hauts de 20 cm dans le

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nouvel atelier. Malgré des simulations sur plan ou sur maquette, les membres du CODIR ne parvenaient pas à se représenter ce point d’alerte remontés par les agents et par les ergonomes. Une simulation à l’échelle 1, a donc été réalisée, en levant une voiture à la future hauteur, et en demandant aux membres du CODIR de « passer au pied de la caisse ». Cette première simulation nous a permis d’en proposer une seconde, toujours à l’échelle 1, mais en configuration encore plus proche de la situation future.

Les simulations : outil de débat sur le travail

Les outils méthodologiques et objets intermédiaires développés ont permis l’acceptation, par les différents acteurs du CODIR, de passer de simulations sur maquettes à des simulations à l’échelle1. Concernés par les impacts sur le système, le choix est fait de prendre le risque de « retard sur la production ».

Ces simulations, étayées sur des SAC, SAFE et ECR, étaient vectrices de mise en débat du travail, entre des membres du CODIR et des agents. Les simulations de dépose des « clims » et de dépose des « Groupes Moteur Réducteur » sont celles qui ont particulièrement marqué les esprits par l’activité réflexive individuelle et collective mise en œuvre pour comprendre, analyser et corriger ces problématiques mises en évidences.

Les simulations sont aussi l’occasion d’interroger les métiers et leurs spécificités ainsi que les Co activités et interdépendances. Par exemple, en simulation avec les agents mouvements, de nombreux échanges ont eu lieu sur l’évolution de leur métier, du ferroviaire à la logistique : « je préfère être sur les rails », « c’est la conduite qui m’intéresse ». Certains ont alors opté pour une reconversion professionnelle.

La simulation comme ouverture vers la construction sociale

L’ensemble des simulations ont été menées dans différents objectifs : donner à voir et à comprendre, chercher à porter le débat sur les questions du travail entre les acteurs. Quel que soit l’objectif initial mis en œuvre, elles ont toutes eut un rôle majeur dans la construction sociale du projet. En effet, les simulations à l’échelle 1 ont permis de confronter les agents et membres du CODIR aux futures conditions de travail.

Elles ont permis les recherches collectives de solutions aux problématiques soulevées sur maquette. Ces résolutions pluridisciplinaires et pluri-hiérarchiques sont perçues comme des vecteurs de la construction sociale, en témoigne le ressenti exprimé par un des représentants du personnel : « cette relation étroite entre méthodes et production doit perdurer dans le temps ».

De plus, la prise en compte immédiate du problème discuté, le changement et la réorganisation des plans de travail en temps réel pendant les simulations sont comme leviers forts de construction sociale : « ils se sont sentis entendus ». Ce même acteur du COS souligne également les évolutions de jeux d’acteurs : « ceux qui participaient sont devenus naturellement ambassadeurs » dans les ateliers.

DISCUSSION

Des points de convergences conceptuels, centrés sur le travail.

Tous issus et formés selon les principes de l’ergonomie de langue française centrée sur l’activité,

les ergonomes ont assuré tout le long du projet la continuité conceptuelle. Malgré différents statuts professionnels, ils se sont retrouvés autour des concepts, méthodes et prérequis sur les questions du travail. Cette continuité est favorisée par la présence permanente d’un ergonome dans le suivi et la conduite de projet (Barcellini et al., 2013). Cette continuité est un vecteur de la construction sociale ; puisque l’ensemble des débats se sont centrés sur des SACs (Daniellou, 1988), agrémentés des ECR (Boudoin et al., 2018) et des SAFE (Rocha, 2014).

Les différentes recherches de solutions pilotées par les ergonomes suivant les principes de conduite de projet en ergonomie (Barcellini et al., 2013) ont été débattues par des équipes pluridisciplinaires (production, méthodes, CODIR et logistique) favorisant de fait les visions transversales et les résolutions plus globales. Ces groupes de travail ont été perçus comme vecteur fort de la construction sociale.

Les ergonomes ont fait le choix de mobiliser des objets intermédiaires pour centrer l’ensemble des discussions sur le réel du travail et les écarts entre le prescrit et le réel futur probable. Cela a permis de mettre les acteurs en position de décisionnaire de la conception (Darses et Reuzeau. 2004).

Les actions sur les temps de travail, le nombre d’agents pour réaliser une tâche, les conceptions d’outillages, et l’environnement de travail ont donné du pouvoir d’agir aux différents acteurs à travers des échanges pluridisciplinaires centrés sur le travail (Coutarel et Petit. 2013), confortant une orientation de l’ergonomie vers une approche constructive (Falzon, 2004 ; Falzon, 2013). Ces différentes actions ont eu des impacts sur la capacité à atteindre l’efficience et la qualité recherchée, notamment sur les enjeux de sécurité, rejoignant le point de vue de Lamonde (2004).

De fait, ces différents résultats obtenus par les interventions ergonomiques, ainsi que les actions sur le système sont de réelles avancées comparativement au schéma initial de type statique (i.e., Lorino, 2014)

L’impossibilité d’intégrations d’acteurs : freins probables à la construction sociale

Le temps de traitement de certaines problématiques, est jugé particulièrement long du point de vue des agents et des responsables de pôles.

Cela a créé chez les agents la crainte de ne pas être entendus et a été identifié comme frein à la construction sociale. En effet, la nécessaire continuité des groupes de travail allonge le temps entre 2 sessions selon la disponibilité des agents au regard de la production. De même, la mobilisation de plusieurs objets intermédiaires d’échelles différentes pour résoudre une même problématique a nécessité du temps.

La présence d’agents méthodes agissant immédiatement sur leur niveau de décision est vécue comme facteur favorable. Cependant, leur action se cantonne essentiellement à l’organisation du travail (temps, ressources humaines) et à la conception d’outillages. Ils n’ont pas de levier immédiat sur la conception de l’environnement de travail (au sens structurel et architectural). De même, l’absence de membres décisionnaires et de représentants de la MOE (concepteur de structure, architecte) en groupes de travail génère des temps de latence aux retours des problématiques issus des simulations.

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CONCLUSION ET MISE EN PERSPECTIVE

L’ensemble des acteurs impliqués s’entend sur le fait qu’au-delà des interventions ergonomiques

« quelque chose de non palpable s’est passé ».

Effectivement la construction sociale sur ce projet est forte comparativement à l’historique de l’établissement. Il est notable que ces objets intermédiaires centrés sur l’activité de travail (simulations, outils de diffusion) ; tous portés par des rapprochements, continuités conceptuelles et méthodologique ; ont donné à voir et à comprendre le futur des situations de travail à tous les niveaux hiérarchiques. Apportant des garanties, sur l’avenir, sur les questions centrales du point de vue du travail, c’est l’un des leviers identifiés de la construction sociale.

La structuration du projet, par la mise en place d’un COS notamment, est un autre levier important. Elle a permis de mobiliser des acteurs de différents horizons et de les inviter à se confronter au futur grâce à des simulations centrées sur l’activité de travail. Ainsi, chaque participant (méthodes, agents, hiérarchiques, CODIR) a pu concentrer les efforts communs sur ces enjeux qui font consensus. En effet, la sécurité ferroviaire par exemple, cœur de métier de tous, mise en débat par les méthodes propres à l’ergonomie de l’activité a permis de poser les bases d’une construction sociale effective, chaque acteur, métier trouvant sa place dans cette coopération commune vers la recherche d’un résultat optimal.

Pour autant, l’inertie du système est identifiée comme problématique, puisque certaines attentes générées en groupes de travail ne trouvent pas de réponses rapides. L’absence des représentants de la MOE précitée est un déterminant des temps de latence. En effet, les acteurs en conception architecturale et structurelle n’étaient pas présents pour se pencher sur le travail futur orienté vers des enjeux forts de santé et de performance du système, pas plus que sur des situations de travail futures.

L’un des enjeux des futures interventions dans de tels contextes ne serait-il pas de parvenir à placer ces temps de décisions autours de l’outil de simulation ? Quels acteurs seraient mobilisables dans de tels niveaux de projets ? Quels objets intermédiaires seraient compréhensibles par tous, malgré de tels écarts culturels et de métiers ?

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