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Le conflit d intérêt de l administrateur

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P 309339 – Bureau de dépôt 9000 Gent X – Bimensuel – Ne paraît pas en juillet

IPCF | Institut professionnel des Comptables et Fiscalistes agréés

Le confl it d’intérêt de l’administrateur

SOMMAIRE

p. 1/ Le conflit d’intérêt de l’administrateur p. 4/ Le retour de la théorie des réalités

économiques ?

Les intérêts d’un administrateur et de la société dans laquelle il exerce son mandat d’administra- tion ne vont pas toujours dans le même sens. Un administrateur peut être confronté, dans certains cas, à un confl it entre ses propres intérêts et les intérêts de la société qu’il doit défendre. Face à de tels confl its d’intérêt, le législateur part générale- ment du principe que le risque d’abus est trop im- portant.

En prévoyant un « règlement particulier des confl its d’intérêt », le législateur entend prévenir de tels abus. Pour les sociétés anonymes, ce règlement des confl its d’intérêt a été élaboré à l’article 523 du Code des sociétés1. Une infraction à ces dispositions peut donner lieu à des sanctions particulières, dont l’éventuelle nullité de la décision prise et une res- ponsabilité de gestion particulière.

Le présent article commente les principales carac- téristiques de ce que l’on appelle le « règlement des confl its d’intérêt ».

1. La procédure de confl it d’intérêt

Conformément à l’article 523 du Code des sociétés, un administrateur d’une société anonyme qui « a, directement ou indirectement, un intérêt opposé de

1 L’article 259 du C. soc. s’applique à la SPRL ayant un collège de gestion. L’article 269 du C. soc. s’applique à la SPRL ayant un seul gérant et à la SPRL administrée par deux ou plusieurs gérants qui ne forment pas un collège. Et l’article 261 du C. soc. est d’application sur la SPRL unipersonnelle dont l’unique associé est l’unique gérant.

nature patrimoniale à une décision ou à une opéra- tion relevant du conseil d’administration », est tenu de respecter une procédure particulière.

Avant que le conseil d’administration ne prenne une décision, l’administrateur doit informer les autres administrateurs de son intérêt opposé.

L’administrateur concerné doit expliquer les rai- sons justifi ant son intérêt opposé et celles-ci doivent fi gurer dans le procès-verbal du conseil d’adminis- tration.

Lorsque la société a nommé un ou plusieurs com- missaires, l’administrateur concerné doit également informer ces commissaires de l’intérêt opposé.

Le conseil d’administration a l’obligation de décrire la nature de la décision ou de l’opération et d’en jus- tifi er les conséquences patrimoniales dans le pro- cès-verbal.

Le tout est alors repris dans le rapport de gestion ou, si la société n’est pas tenue d’établir un rapport de gestion, dans un rapport qui est publié en même temps que les comptes annuels. Le commissaire doit également exprimer son avis dans son rapport de contrôle annuel.

Il découle de ce qui précède que l’administrateur ayant un intérêt opposé peut participer aux délibé- rations et prendre part au vote au sein du conseil d’administration. Les statuts de la société pour-

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raient toutefois en disposer autrement. Pour les seules sociétés ayant fait ou faisant publiquement appel à l’épargne, la loi interdit que l’administra- teur participe aux délibérations relatives à la déci- sion ou à l’opération.2

2. Le confl it d’intérêt examiné d’un peu plus près

L’intérêt de l’administrateur doit être opposé à ce- lui de la société. Il doit s’agir en outre d’un intérêt opposé de nature patrimoniale et donc pas simple- ment de nature morale ou affective. Une décision du conseil d’administration va à l’encontre d’un intérêt patrimonial de l’administrateur lorsqu’elle est sus- ceptible d’avoir une incidence positive ou négative sur le patrimoine personnel de ce dernier. Un inté- rêt potentiel suffi t donc pour justifi er l’application de la procédure de confl it d’intérêt3.

Que l’impact sur le patrimoine soit direct ou indi- rect dans le chef de l’administrateur est sans impor- tance. Un confl it d’intérêt indirect surgit lorsque la décision a une incidence sur une personne physi- que ou morale à laquelle l’administrateur est lié.

Il faut toutefois souligner ici que le simple fait qu’une personne soit administrateur dans les deux sociétés contractantes ne permet pas en soi de conclure à l’existence d’un confl it d’intérêt4.

Un intérêt patrimonial indirect existe par contre lorsque l’administrateur est également actionnaire ou associé de la société/l’autre partie ou lorsque l’administrateur exerce un mandat (d’administra- tion) rémunéré dans la société/l’autre partie.

Quand une société conclut un contrat de gestion avec la société de gestion de l’un de ses administra- teurs, il ne peut donc y avoir aucun doute sur le fait que l’administrateur a un confl it d’intérêt indirect en tant qu’unique actionnaire ou gérant/adminis- trateur rémunéré de sa société de gestion5.

2 Art. 523, § 1er, dernier alinéa C. soc.

3 F. Parrein, « De belangenconfl ictprocedure : de toepassing op de mana- gementvennootschap en de nietigheidssanctie kritisch bekeken », TRV 2010, 556.

4 H. De Wulf, Taak en loyauteitsplicht van het bestuur in de naamloze vennootschap, Anvers, Intersentia, 2002, 594, n° 942.

5 M. Moortgat, « De managementovereenkomst en het belangenconfl ict binnen de raad van bestuur », Jur. Falc. 2008-2009, 470.

3. Les exceptions à l’obligation d’appliquer le règlement des confl its d’intérêt.

L’article 523 du C. soc. ne doit pas être appliqué dans le cas d’opérations ou de décisions habituelles conclues dans des conditions et sous les garanties qui prévalent normalement sur le marché pour des opérations de même nature.

Il est question d’une opération ou décision habituel- le lorsque celle-ci porte sur l’activité normale de la société. Il s’agit d’actes que la société pose habituel- lement dans son fonctionnement journalier en vue de réaliser son objet statutaire6.

L’octroi d’un prêt par une société hypothécaire à l’un de ses administrateurs à des conditions nor- males et au taux du marché, sera considéré comme habituel7.

Par contre, la conclusion d’un contrat de gestion ayant pour objet l’exercice d’un mandat d’adminis- tration au sein de la société ne constitue pas une activité habituelle dans une société active comme bureau-conseil en informatique8.

La question de savoir si les opérations courantes se font aux conditions du marché reste naturellement une question de faits. Il faut néanmoins souligner que le législateur a clairement choisi comme point de référence les conditions telles que normalement en vigueur sur le marché et non pas les conditions telles que normalement stipulées par la société pour des opérations similaires9.

Les décisions ou opérations qui relèvent de la com- pétence du conseil d’administration et qui portent sur des sociétés liées ou interviennent entre so- ciétés liées font l’objet d’une deuxième exception, le règlement des confl its d’intérêt n’étant donc pas appliqué. Sont visées ici des sociétés dont l’une détient (directement ou indirectement) 95 % au moins des voix attachées à l’ensemble des ti- tres émis par l’autre ou des sociétés dont 95 % au moins des voix attachées à l’ensemble des titres

6 Comm. Hasselt, 6 juin 2006, TRV 2010, 567.

7 M. Moortgat, « De managementovereenkomst en het belangenconfl ict binnen de raad van bestuur », Jur. Falc. 2008-2009, 463.

8 Comm. Hasselt, 6 juin 2006, TRV 2010, 567.

9 M. Moortgat, « De managementovereenkomst en het belangenconfl ict binnen de raad van bestuur », Jur. Falc. 2008-2009, 464-465.

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émis par chacune d’elles sont détenus par une so- ciété tierce.

4. Conséquences d’une violation du règlement légal

Pour favoriser le respect du règlement des confl its d’intérêt, le législateur a décidé d’y insérer deux sanctions particulières, en plus de la sanction liée à la violation du Code des sociétés. Il s’agit de la sanc- tion de nullité et d’une sanction de responsabilité particulière.

a. La nullité (éventuelle) de la décision ou de l’opération

En cas de violation de la procédure prévue à l’ar- ticle 523 du C. soc., la société – plus précisément le conseil d’administration10 – peut agir en nullité de la décision ou de l’opération, si l’autre partie à ces décisions ou opérations avait ou devait avoir connaissance de cette violation de l’article 523 du C. soc.

Lorsqu’un administrateur d’une société modifi e, par exemple, la forme de collaboration existante avec un tiers cocontractant dans le mépris du règlement des confl its d’intérêt, ce qui rend la collaboration moins avantageuse pour la société, et que ce tiers est contrôlé par le conjoint de l’administrateur, le cocontractant a alors connaissance de la violation du règlement des confl its d’intérêt et la société peut agir, dans ce cas, en nullité de la décision11.

La société ne doit prouver aucun dommage pour pouvoir invoquer la nullité en vertu de l’article 523 du C. soc12.

La nullité ne peut être invoquée que par la société elle-même et non pas, par exemple, par un action- naire minoritaire. A noter ici que le conseil d’admi- nistration agit au fond « comme juge dans sa pro- pre cause », de sorte qu’en dehors de l’hypothèse où la composition du conseil d’administration change, le risque de voir la société intenter une action en nullité est faible. Dans la pratique, la sanction

10 D. Van Gerven, « Bestuursaansprakelijkheid wegens schending van de wetsbepalingen inzake tegenstrijdig belang », TRV 2002, 468.

11 Anvers 1er mars 1999, DAOR 2000, 54 ; TBH 2000, 615 ; TRV 2000, 181.

12 F. Parrein, « De belangenconfl ictprocedure : de toepassing op de mana- gementvennootschap en de nietigheidssanctie kritisch bekeken », TRV 2010, 558.

prouvera surtout son utilité en cas de reprises, dans le cadre de la faillite ou de la liquidation de la société et lors de confl its au niveau de l’organe de gestion13.

De plus, la jurisprudence et la doctrine appréhen- dent l’application de la sanction de nullité de ma- nière très nuancée. Toute infraction à l’article 523 du C. soc. ne donne pas nécessairement lieu à une nullité.

Dans une affaire arbitrée par la Cour d’appel de Bruxelles, tous les administrateurs étaient confron- tés au même confl it d’intérêt, de sorte que leur com- munication de l’intérêt opposé au conseil d’admi- nistration n’avait certainement pas pu infl uencer la prise de décision au sein de cet organe. Selon la cour, l’assemblée générale disposait en outre d’in- formations suffi santes pour juger les administra- teurs en connaissance de cause. Dans de telles cir- constances, la Cour d’appel de Bruxelles a estimé qu’une interprétation raisonnable était possible et a refusé à la société la possibilité d’invoquer la nullité de la décision14.

b. La sanction de responsabilité particulière

Comme évoqué précédemment, le règlement des confl its d’intérêt comporte également une sanction de responsabilité particulière, qui est reprise à l’ar- ticle 529 du C. soc.

Sur la base de cet article, les administrateurs sont personnellement et solidairement responsables du préjudice subi par la société ou les tiers à la suite de décisions prises ou d’opérations accomplies confor- mément au règlement des confl its d’intérêt « si la décision ou l’opération leur a procuré ou a procuré à l’un d’eux un avantage financier abusif au détriment de la société ».

L’avantage procuré à l’administrateur doit donc s’accompagner d’un préjudice pour la société. De plus, l’avantage obtenu par l’administrateur doit avoir un caractère illégitime. La sanction ne sera dès lors infl igée que lorsqu’une disproportion ma- nifeste, un déséquilibre évident est constaté entre

13 P. Ernst, Belangenconflicten in naamloze vennootschappen, Anvers, Intersentia, 1997, 564.

14 Bruxelles, 15 mai 2007, TRV 2010, 560.

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l’avantage procuré à l’administrateur et le préjudice pour la société15.

c. La responsabilité en cas d’infraction au Code des sociétés

Une violation des dispositions de l’article 523 du C.

soc. constitue fi nalement une violation d’une dispo- sition du Code des sociétés.

Dans de tels cas, l’article 528 du C. soc. prévoit une responsabilité solidaire et une présomption irré- fragable de responsabilité dans le chef de tous les administrateurs, même s’ils n’ont pas pris part à l’infraction.

Les autres administrateurs ne peuvent échapper à la responsabilité solidaire que s’ils apportent une triple preuve contraire cumulative16.

L’autre administrateur devra d’abord prouver qu’il n’a pas pris part à l’infraction. Ce qui signifi e que l’administrateur a voté contre la proposition au conseil d’administration ou n’a pas pris part aux délibérations. Par ailleurs, l’administrateur ne doit

avoir collaboré en aucune manière à la mise en œu- vre de la décision.

Aucune faute ne peut ensuite être imputée à l’ad- ministrateur. S’il était absent lors des délibérations sans motif valable, cet élément peut déjà être utilisé contre lui comme faute imputable.

Enfi n, l’administrateur doit dénoncer la violation lors de la première assemblée générale qui suit le moment où il en a eu connaissance.

Outre la violation de la procédure, le dommage ainsi que le lien de causalité entre la faute et le dommage doivent naturellement être prouvés. La société ou le tiers doit donc prouver que la décision du conseil d’administration a causé un dommage et que cet- te décision n’aurait pas été prise si la procédure de l’article 523 du C. soc. avait été respectée. Cette charge de la preuve est lourde, car l’article 523 du C. soc. ne limite aucunement le pouvoir de décision du conseil d’administration17.

Paul SOENS Avocat, VWEW advocaten

Le retour de la théorie des réalités économiques ?

I. Introduction

Notre droit fi scal est d’ordre public. Ce principe a pour corollaire qu’il n’existe pas de possibilité de prélèvement patrimonial par voie d’impôt en dehors des hypothèses expressément prévues par la loi fi s- cale qui, de surcroît, doit s’interpréter de manière stricte.

Les actes sincères posés par les contribuables dans le respect de la législation fi scale s’imposent donc normalement à l’administration. C’est le principe

15 Ph. Ernst, « Art. 529 W. Venn. », dans H. Braeckmans, K. Geens et E.

Wymeersch (eds.), Comm. V. et V ; novembre 2000, 5.

16 M. Vandenbogaerde, Aansprakelijkheid van vennootschapsbestuurders, Anvers, Intersentia, 2009, 89-90.

17 F. Parrein, « De belangenconfl ictprocedure : de toepassing op de mana- gementvennootschap en de nietigheidssanctie kritisch bekeken », TRV 2010, 555.

de la liberté du choix de la voie la moins imposée, consacré par la Cour de cassation dans son célè- bre arrêt du 22 mars 19901 opposant la SPRL AU VIEUX SAINT-MARTIN à l’Etat belge où elle a in- diqué qu’« il n’y a ni simulation prohibée à l’égard du fisc, ni partant fraude fiscale, lorsque, en vue de bé- néficier d’un régime fiscal plus favorable, les parties, usant de la liberté des conventions, sans toutefois violer aucune obligation légale, établissent des actes dont elles acceptent toutes les conséquences, même si ces actes sont accomplis à seule fin de réduire la charge fiscale »2.

1 Cass., 22 mars 1990, Pas. 1990, I, p. 853.

2 Par cet arrêt, la Cour de cassation a confi rmé la position qu’elle avait exprimée dans une affaire BREPOLS contre Etat belge dans lequel elle avait rendu un arrêt du 6 juin 1961 (Pas.,1962, I, p. 1082) sur la base du même motif, l’arrêt du 22 mars 1990 ayant uniquement ajouté les termes « même si ces actes sont accomplis à seule fin de réduire la charge fiscale ».

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Cette jurisprudence a été considérée comme son- nant le glas de la position administrative qui ten- tait d’opposer à ce principe de stricte interprétation un principe « des réalités économiques », prétendant que le droit fi scal devait également s’interpréter à la lumière des comportements généralement adop- tés par les opérateurs économiques (au sens large) qui agissent en dehors de considérations purement fi scales.

Hors violation d’une obligation légale, la simula- tion constituait alors la seule limite à la liberté du choix de la voie la moins imposée, les actes sincères s’imposant à l’administration (même si leur moti- vation était exclusivement fi scale) et seuls les actes simulés pouvant être remis en cause.

Le législateur a toutefois introduit en 1993 une nou- velle limite à la liberté du choix de la voie la moins imposée en insérant au Code des impôts sur les re- venus de 1992 (ci-après « CIR 1992 ») un nouvel ar- ticle 344, § 1er dont notre Cour de cassation fait une interprétation à travers laquelle semble ressurgir le spectre de la théorie des réalités économiques.

Nous décrirons de quelle manière lors de l’examen des différentes conditions d’application de ce texte que nous nous proposons de commenter dans les lignes qui suivent.

II. L’article 344, § 1er du CIR 1992

Introduit par l’article 16, 2° de la loi du 22 juillet 1993 portant des dispositions fi scales et fi nanciè- res3, le texte de l’article 344, § 1er du CIR 1992 est libellé comme suit :

« N’est pas opposable à l’administration des contribu- tions directes, la qualification juridique donnée par les parties à un acte ainsi qu’à des actes distincts réa- lisant une même opération lorsque l’administration constate, par présomptions ou par d’autres moyens de preuve visés à l’article 340, que cette qualification a pour but d’éviter l’impôt, à moins que le contribua- ble ne prouve que cette qualification réponde à des besoins légitimes de caractère financier ou économi- que. »4

3 M.B., 26 juillet 1993, p. 17350.

4 Des dispositions similaires ont été introduites au Code des droits d’en- registrement (art. 18, § 2 CDE) et au Code des droits de succession (art. 106, al. 2 CDS).

L’adoption de ce texte avait pour but d’offrir à l’ad- ministration une possibilité de remise en cause de montages fi scaux reposant sur des actes sincères et donc non simulés, inattaquables jusque là en appli- cation de la jurisprudence de la Cour de cassation, lorsque ces actes ont pour seule motivation d’éviter l’impôt.

Pareille remise en cause d’actes sincères ne peut toutefois s’opérer que dans le respect de conditions strictes.

III. Conditions d’application

1. Acte ou actes distincts réalisant une même opération

Rares sont les hypothèses ou un seul acte isolé est susceptible de requalifi cation, essentiellement pour des considérations tenant à la seconde condition d’application du texte, examinée infra, qui exige que la requalifi cation choisie ait des effets juridiques si- milaires à celle retenue par les contribuables.

Par actes distincts réalisant une même opération il y a lieu d’entendre un ensemble d’actes posés dans le but d’aboutir à un résultat prédéterminé.

En d’autres termes, il faut que l’ensemble des actes soit mû par une même intention et qu’au moment où le premier acte a été posé, les parties savaient que les autres allaient suivre pour parvenir à un objectif global connu ab initio.

En fait, cet ensemble d’actes réalise une même opération économique que les parties ont choisi (pour des raisons fi scales) de découper artifi cielle- ment en une suite d’actes apparemment mais arti- fi ciellement distincts dont aucun, toutefois, n’est simulé.

2. Respect des effets juridiques des actes posés

L’article 344, § 1er du CIR 1992 autorise l’adminis- tration à passer outre la qualifi cation choisie par les contribuables sans toutefois remettre en cause la sincérité des actes posés dont, par hypothèse, les intéressés ont respecté l’ensemble des conséquen- ces juridiques (sans quoi il y aurait simulation).

Cette condition ne ressort pas expressément du tex- te légal mais est exprimée dans les travaux prépa-

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ratoires5 de l’article 344, § 1er du CIR 1992 et a été confi rmée par la Cour de cassation6.

L’administration se doit par conséquent de respec- ter les effets juridiques des actes posés et ne peut procéder à la requalifi cation qu’en les respectant.

Elle est donc en principe seulement autorisée à mo- difi er « l’étiquette » choisie par les parties mais elle ne peut altérer la substance de la relation qui les unit.

C’est évidemment la condition la plus problémati- que pour l’administration car il est particulière- ment ardu de substituer une qualifi cation juridi- que à une autre tout en respectant absolument les conséquences de la première.

C’est pourquoi on considère généralement qu’il suf- fi t que les effets de la requalifi cation choisie soient similaires à ceux des actes requalifi és.

Il faut à cet égard comparer les effets de la requa- lifi cation choisie et les effets fi naux de l’opération réalisée par les parties en un ensemble d’actes dis- tincts. Le respect des effets juridiques ne doit donc pas se faire à chaque étape du montage mis en place par les parties mais uniquement en considération du résultat fi nal de leur opération globale7.

Sur la base de cette condition, la Cour d’appel de Gand, par arrêt du 13 septembre 20058, confi rmé par la Cour de cassation9, a refusé de requalifi er une vente de la nue-propriété d’un immeuble au gérant d’une société et de l’usufruit du même immeuble à la société en une vente de pleine propriété au gérant suivie d’une location par ce dernier à sa société.

Les effets juridiques de ces deux qualifi cations ne sont effectivement pas les mêmes, le locataire d’un immeuble, au contraire de l’usufruitier, n’ayant no- tamment aucun droit réel sur l’immeuble mais seule- ment un droit de créance personnel sur le bailleur.

La jurisprudence n’est malheureusement pas uni- voque et on sent poindre en certains cas une cer- taine confusion entre requalifi cation et simulation.

5 Doc. Parl. Sénat, session 1992-1993, 762/2, p. 36 à 38 et Doc. Parl.

Chambre, session 1992-1993, 1072-8, p. 99-101.

6 Cass., 4 novembre 2005, Pas. 2005, I, n° 567.

7 Cass., 22 novembre 2007, www.juridat.be.

8 Gand, 13 septembre 2005, F.J.F. 2006, n° 79.

9 Cass., 22 novembre 2007, www.juridat.be.

Tel est notamment le cas en matière de requalifi ca- tion d’une sous-location en une location directe.

Si on est attentif au respect des effets juridiques d’une sous-location sincère, il est normalement im- possible de la requalifi er en une location directe en- tre bailleur principal et sous-locataire car il faudrait passer outre les droits et obligations mises à charge du sous-bailleur dans le schéma primitif10.

Par arrêt du 21 avril 2005, la Cour de cassation a néanmoins rejeté un pourvoi introduit contre un arrêt de la Cour d’appel de Mons qui avait admis la possibilité de requalifi cation d’une sous-location en location directe dans une hypothèse ou, en fait, il existait des éléments permettant de dire qu’il y avait simulation. Le pourvoi faisait grief à la déci- sion montoise d’avoir fait fi de l’exigence de simili- tude requise par l’article 344 § 1er du CIR 1992. Le problème est que la Cour de cassation n’a pas réelle- ment répondu à cet argument de manière circons- tanciée et a reproduit dans son arrêt la partie de la motivation de la Cour d’appel de Mons qui laisse croire que c’est davantage une simulation qui a em- porté la sanction judiciaire qu’une véritable requa- lifi cation.

Plus inquiétant encore est l’arrêt de cassation rendu le 10 juin dernier. Cette décision a refusé de censurer un arrêt de la Cour d’appel d’Anvers qui avait admis que l’administration puisse, sur la base de l’article 344, § 1er du CIR 1992, requalifi er un contrat de prestations de services en une donation pour la par- tie des sommes payées au prestataire de services qui excédait la valeur normale de ses prestations.

En l’espèce, une politique de diminution de la base imposable avait été mise en place au sein d’un groupe de sociétés consistant, pour une société A à payer d’importants management fees à une socié- té B (500.000 BEF/mois) qui ne disposait d’aucun moyen matériel ou immatériel pour assurer sa mis- sion et qui la sous-traitait auprès d’une troisième société du groupe (société C) pour un montant beau- coup moindre (190.000 BEF/mois), cette troisième société réalisant seule les prestations concernées.

Le but de l’opération était de transférer sur la so- ciété B une part des bénéfi ces de A dans la mesure

10 Sur le problème de la requalifi cation appliquée au mécanisme de la sous-location, voyez C. Lemaire, « Simulation et requalifi cation ri- ment-elles encore avec sous-location », Optimum Finance 2010, n° 13.

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où B avait d’importantes charges fi nancières sus- ceptibles d’ « éponger » fi scalement les bénéfi ces qui lui étaient transférés.

Selon l’administration, les sommes versées par A ne pouvaient être considérées comme un paiement de prestations de services qu’à concurrence du mon- tant refacturé par B à C (soit 190.000 BEF /mois).

Le surplus des sommes versées à B (soit 310.000 BEF/mois) devait, selon elle, être considéré comme une donation de A à B, non déductible dans le chef de A.

Dans son arrêt du 10 juin 201011, la Cour de cassa- tion reprend pour elle la motivation de l’arrêt an- versois selon laquelle la requalifi cation opérée ne porte pas atteinte à la réalité juridique ou aux faits constatés puisque la qualifi cation donnée par le contribuable et celle que l’administration lui avait substituée avaient les même conséquences juridi- ques, à savoir un fl ux fi nancier de 500.000 BEF par mois dont 190.000 BEF seulement représentaient le coût des prestations réalisées.

Cette position nous paraît critiquable en ce qu’un fl ux fi nancier n’est pas une « conséquence juridi- que » d’une opération, pareille conséquence ne se mesurant qu’à l’aune des droits et obligations nais- sant dans le chef des parties à l’occasion de ces transferts. Or, point n’est besoin d’être grand clerc pour aboutir à la conclusion que si elle est sincère, c’est-à-dire non simulée, une convention de pres- tations de services n’a évidemment pas les mêmes conséquences juridiques qu’une donation...

La Cour de cassation paraît donc être passée de l’exigence d’effets juridiques similaires à celle d’ef- fets économiques similaires, d’où notre crainte de voir ressurgir la théorie anciennement bannie des réalités économiques.

La lecture approfondie de l’arrêt permet toutefois de se rassurer quelque peu dans la mesure où, une nouvelle fois, la Cour de cassation et la Cour d’appel d’Anvers semblent en réalité avoir, sous couvert de requalifi cation, entendu sanctionner une opération qui avait tout d’une simulation.

Les deux cours ont en effet relevé que :

– les deux contrats de prestations de services avaient été conclus le même jour ;

11 Cass., 10 juin 2010, disponible sur www.juridat.be.

– les objets sociaux des sociétés B et C étaient iden- tiques ;

– la société B ne disposait d’aucun moyen matériel ou immatériel lui permettant d’exécuter ses pres- tations ;

– seule la société C prestait effectivement ;

– il existait une relation de groupe entre les diffé- rentes sociétés concernées ;

– le « surcoût » payé par A à B ne trouvait aucune contre-prestation réalisée par B ;

– la société B devait être considérée comme une simple personne interposée.

Ce dernier critère est révélateur et d’ailleurs carac- téristique de la simulation par interposition de per- sonne, vulgairement désignée comme le recours à un « homme de paille ». En l’espèce, c’est donc en se prévalant d’une simulation et non d’une requalifi - cation que l’administration aurait dû agir.

3. But d’éviter l’impôt

Pour pouvoir procéder à une requalifi cation, l’admi- nistration doit établir, par toutes voies de droit, que la qualifi cation choisie par les parties l’a été dans le but d’éviter l’impôt.

Les travaux préparatoires indiquent à ce propos que

« le choix entre deux voies ouvertes par le droit fiscal lui-même n’est pas (...) critiquable ». « En d’autres ter- mes, même si le contribuable choisit une qualification dans le but de réduire sa charge fiscale, il n’y a pas de

« but d’éviter l’impôt » au sens de l’article 344, §er, si le contribuable fait ainsi usage d’une possibilité qui lui est délibérément offerte par la loi fiscale »12 .

L’administration ne pourrait donc, par exemple, remettre en cause l’exonération d’une opération de fusion obtenue en réalisant une opération conforme aux conditions posées par le CIR 1992 lui-même au bénéfi ce de cette exonération.

4. Absence de besoins légitimes d’ordre économique ou fi nancier

Cette quatrième condition est intimement liée à la troisième. En fait, la requalifi cation ne peut avoir lieu que si l’opération ne poursuit pas d’autre but que fi scal.

12 D . Garabedian, « Le principe du choix licite de la voie la moins impo- sée – Un état des lieux », in L’évolution des principes généraux du droit fiscal, Larcier, p. 79.

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Aucun extrait de cette publication ne peut être reproduit, introduit dans un système de récupération ou transféré électroniquement, mécaniquement, au moyen de photocopies ou sous toute autre forme, sans autorisation préalable écrite de l’éditeur. La rédaction veille à la fiabilité des informations publiées, lesquelles ne pourraient toutefois engager sa responsabilité. Editeur responsable : Etienne VERBRAEKEN, IPCF – av. Legrand 45, 1050 Bruxelles, Tél. 02/626.03.80, Fax. 02/626.03.90 e-mail : info@ipcf.be, URL : http://www.ipcf.be Rédaction : Gaëtan HANOT, Geert LENAERTS, Maria PLOUMEN, Etienne VERBRAEKEN. Comité scientifique : Professeur P. MICHEL, Professeur Emérite de Finance, Université de Liège, Professeur C. LEFEBVRE, Katholieke

Universiteit Leuven. Réalisée en collaboration avec kluwer – www.kluwer.be

Si le contribuable trouve au choix de son opération une justifi cation économique ou fi nancière, même accessoire au but fi scal mis en avant par l’adminis- tration, il écartera pour cette dernière toute possi- bilité de requalifi cation. Il n’est en effet pas exigé par le texte que les motifs économiques ou fi nan- ciers soient les motifs principaux de l’opération. Il est uniquement requis que le contribuable puisse justifi er de tels motifs.

IV. Effets de la requalifi cation

Si l’administration satisfait les conditions exami- nées supra, elle est autorisée à taxer l’opération se- lon la qualifi cation qu’elle a choisie, en lieu et place de celle choisie par les contribuables.

La requalifi cation d’une opération réalisée par un ou plusieurs contribuables n’implique pas l’existen- ce d’une intention frauduleuse dans leur chef. La sincérité de leur opération n’est d’ailleurs pas re- mise en cause. L’article 344, § 1er se limite à permet- tre une requalifi cation d’opérations mises en œuvre pour des motifs fi scaux.

Il ne peut en conséquence normalement être fait usage des délais spéciaux d’investigation et d’impo- sition applicables en cas de fraude13 pour rectifi er une déclaration fi scale au-delà des délais ordinaires sur la base de l’article 344, § 1er du CIR 1992. Cette position est implicitement confi rmée par la Cour de cassation14 et expressément par l’administration15.

13 Art. 333, al. 3 et 354, al. 2 CIR 1992.

14 Cass., 11 mai 2006, F.J.F., 2006, n° 257. La cour y indique que le fait de donner une qualifi cation juridique à un acte en vue d’éviter l’impôt n’implique pas de violation de la loi fi scale.

15 Circ. 6 décembre 1993, Bull. contr. 1994, n° 735, p. 279.

V. Conclusion

On peut comprendre que des juridictions judiciai- res confrontées à des mécanismes artifi ciellement destructeurs de base imposable tentent de valider la position de l’administration. On peut toutefois regretter qu’elles ne placent pas celle-ci devant ses responsabilités lorsqu’elle a, par erreur de juge- ment, fait usage d’un mécanisme inapproprié de rectifi cation.

L’hypothèse ayant donné lieu à l’arrêt de cassation du 10 juin 2010 dernier est révélateur de cette at- titude selon nous critiquable. En l’espèce, c’était en se prévalant de simulation et non de requalifi cation fondée sur l’article 344, § 1er du CIR 1992 que les autorités fi scales auraient dû agir. L’impôt enrôlé sur la base de requalifi cation devait être mis à néant à défaut de respecter les conditions d’application de ce texte.

Pour cautionner le recours à l’article 344, § 1er du CIR 1992 en pareille hypothèse, la Cour de cassa- tion, tout en réaffi rmant l’exigence de respect d’ef- fets juridiques similaires requis par cette disposi- tion, a réduit celle-ci à une peau de chagrin. Elle a, en réalité, fait une interprétation de cette condition, pourtant garante de sécurité juridique, qui pour- rait à nouveau bien ouvrir la boîte de Pandore de la théorie des réalités économiques.

Christophe LEMAIRE Substitut de l’auditeur du travail, Licencié en droit fiscal, Professeur CBCEC

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