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Misère des productions animales

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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HAL Id: hal-01197698

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Submitted on 30 May 2020

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Misère des productions animales

Jocelyne Porcher

To cite this version:

Jocelyne Porcher. Misère des productions animales. Textes et documents pour la classe, SCEREN- CNDP (2002-2013), CANOPE (2014- ), INRDP (1967- ), 2007, pp.18-19. �hal-01197698�

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Textes et Documents pour la Classe - CNDP N°939, septembre 2007, pp 18-19

Jocelyne Porcher INRA SAD-APT

Misère des productions animales

Les six cent mille visiteurs du récent Salon de l'agriculture qui ont admiré les animaux et laissé galoper leurs enfants près du museau des vaches savent-ils ce qu'est l'élevage ? Pour la majorité d'entre eux, la réponse probable est non. Car si, parcourant le salon, nos concitoyens peuvent ressentir le lien affectif qui existe entre nous et les animaux d'élevage, la place des animaux dans le travail leur échappe en grande partie. Quel rapport y a-t-il en effet entre la truie Cul noir du Limousin et ses adorables porcelets galopant sur le ring du « Village du cochon » et la réalité du travail dans les porcheries qui produisent les 26 millions de porcs que nous consommons chaque année ? Aucun. Il reste en tout et pour tout en France environ 200 truies Cul noir alors que le nombre de truies « standard », i.e. issues des schémas de sélection industriels, est de 1,3 million.

La différence entre ce que le Salon de l'agriculture met en scène et le réel du travail avec les animaux renvoie à la différence fondamentale qui existe entre l'élevage et les « productions animales ». L'élevage, c'est dix mille ans d'histoire partagée avec les animaux, c'est une histoire d'amour et de travail ; les « productions animales », c'est 150 ans d'exploitation industrielle de la nature et des animaux conçus comme « ressources », « machines animales » ou « matériel vivant ».

A partir du milieu du XIXème siècle en France, zootechniciens, agronomes et vétérinaires entreprennent de transformer l'élevage en « production animale », à l'instar de ce qui avait été entrepris pour la production végétale, c'est-à-dire de faire du travail des paysans et de leurs animaux une activité industrielle comme les autres, à l'image des hauts fourneaux ou des manufactures. Cet objectif, appuyé sur l'idéologie du progrès, est aujourd'hui partiellement atteint.

L'animal n'est plus un animal, c'est de la « matière vivante », les éleveurs sont des producteurs ou des ouvriers, les fermes sont des unités de production. Les rationalités multiples du travail avec les animaux ont été réduite à une seule : la rationalité économique. Les systèmes industriels témoignent que l'on peut produire de la matière animale porcine ou avicole presque comme on produit des boulons. Presque, car en dépit de la pression qu'exerce l'organisation industrielle du travail, les animaux persistent à vouloir rester des animaux et une grande partie des éleveurs à rester des éleveurs, c'est-à-dire pour les uns comme pour les autres à rester sensibles.

Qu'est-ce qu'un animal d'élevage en effet ? C'est un animal qui dès sa naissance est impliqué dans le monde du travail humain. De ce fait, il existe au sein de deux mondes : le sien propre, son monde de vache, de buffle ou de cochon, différent selon chaque espèce, et le monde humain. La relation des animaux d'élevage avec les humains est construite par le travail. Mais cela ne signifie pas que les finalités de notre relation avec eux soit uniquement productive car travailler sert à produire mais permet également de se construire, de s'épanouir et d'être en relation. Pour de nombreux éleveurs, travailler avec les animaux sert à vivre avec des animaux. Autrement dit, le travail en élevage est au service de la relation avec les animaux et non l'inverse : le lien importe plus que le bien, ainsi que l'écrivait Marcel Mauss dans un autre contexte.

Le lien doit être pris dans son double sens : ce qui relie, mais aussi ce qui attache. Rappelons tout d'abord que le lien avec les animaux d'élevage est un héritage. Les sociétés humaines se sont construites avec les animaux et sans doute en grande partie grâce à eux. Le développement des sociétés humaines, de près ou de loin, et le plus souvent de très près, s'est fait partout dans le monde avec les animaux. Le travail avec les animaux nous relie à eux mais nous relie également entre nous. Ainsi que le constate un éleveur « les bêtes fédèrent les gens ». Mais le lien aussi nous attache. Parce qu'ils les font naître et grandir, les nourrissent, les soignent, partagent leur vie

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au quotidien, les éleveurs en effet sont attachés à leurs animaux, même si à l'attachement doit succéder le détachement car, du fait de leur rôle dans notre alimentation, « les animaux, hélas, on ne peut pas tous les garder ».

L'attachement des éleveurs pour leurs animaux, dans le contexte du développement international des « productions animales », est une cause de souffrance pour les personnes car, alors que le travail en élevage permet d'articuler attachement et détachement, d'aimer puis de faire son deuil après l'abattage, quand la fierté de l'éleveur passe de l'animal à la viande, l'organisation du travail dans les « productions animales » contraint les travailleurs à réprimer leur affectivité « on ne peut plus faire de sentiment » et, au delà même, à renoncer à un rapport moral avec les animaux « on ne peut pas avoir de considération pour les bêtes ». Contre la souffrance, les travailleurs mettent en place, individuellement et collectivement, des défenses psychiques qui leur permettent de tenir au travail, qu'ils soient salariés d'élevage, techniciens, vétérinaires de groupement, cadres dans un groupe agro-alimentaire... Ces défenses sont notamment appuyées sur une idéologie au sein de laquelle priment recherche du profit, compétitivité, performance technique. Bien que d'autres systèmes d'élevage fassent la preuve de leur efficacité économique et sociale, le système industriel est donné à voir comme le seul « vrai » car il faut « nourrir le monde », « les animaux ne sont pas si malheureux, la preuve c'est qu'ils produisent »... toutes représentations qui permettent aux acteurs des filières industrielles de ne pas souffrir, d'oublier qu'ils collaborent à faire souffrir, et plus fondamentalement, les dispensent de penser.

La cruauté des systèmes industriels a généré à partir des années 1980 en France une forte critique sociale, rapidement réduite, sous le contrôle des biologistes et des comportementalistes, à la question du « bien-être animal » qui, comme son nom l'indique, ne s'intéresse qu'à l'animal, et plus précisément même à l'animal en tant qu'organisme biologique. La réglementation européenne

« bien-être animal » est aujourd'hui le résultat de compromis entre le lobby des productions animales et celui de la protection animale, fortement influencé par le mouvement de la « libération animale ». Les partisans de la « libération animale », qui confondent élevage et productions animales, revendiquent de faire cesser l'« esclavage » de tous les animaux domestiques.

Mais qu'on les libère, suivant en cela les partisans de la « libération animale » ou qu'on s'en libère, comme y prétend l'industrie de la viande dont l'objectif est in fine de produire de la viande sans animaux grâce aux biotechnologies, le résultat serait le même : un monde sans animaux d'élevage.

Industriels et libérateurs refusent d'admettre que nous avons une dette envers les animaux d'élevage et que le paiement de celle-ci passe par la reconnaissance de la place des animaux dans le travail et dans le lien social. Car ce qui importe aujourd'hui en effet est sans doute moins, pour les animaux d'élevage comme pour nous, de se libérer du travail que de redonner au travail sa dimension émancipatrice. C'est pourquoi il est nécessaire de soutenir les systèmes d'élevage respectueux des travailleurs et des animaux dans leur diversité et leurs richesses. Ainsi que l'écrivait Marx, le travail est la voie de la liberté créatrice, de l’autonomie, le vecteur du lien entre les hommes et avec la nature. Mais contrairement à ce qu'il pensait, le travail n'est sans doute pas un propre de l'homme. Le travail pourrait-il être accompli si les animaux n'apportaient pas leur contribution à sa réalisation ? Mais ce qui est en jeu dans le travail pour les animaux, ce sont moins les finalités du travail que ses moyens. Les vaches ne collaborent sans doute pas à produire du lait. Elles collaborent sans nul doute par contre, et de manière intentionnelle, à la réalisation -ou non- du travail immédiat. Le caractère extra-ordinaire, inattendu, fabuleux, des liens entre humains et animaux portés par le travail en élevage en témoigne, les bêtes ne sont vraiment pas si bêtes.

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