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POURQUOI LES ENFANTS (NOUS) RACONTENT-ILS DES HISTOIRES ?

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Academic year: 2022

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POURQUOI LES ENFANTS (NOUS) RACONTENT-ILS DES HISTOIRES ? Par Caroline Desages

Amis qui n’existent pas ou scénarios à dormir debout, nos enfants nous mènent parfois en bateau avec de drôles de petits mensonges. Faut-il s’en inquiéter, s’en amuser,

attendre que cela passe ? Des spécialistes reviennent sur les vertus de l’imagination, et le sens caché de ces fabulations.

Sommaire

1. Non, votre enfant ne « délire » pas 2. Trouver le sens des mensonges

3. Manon, 5 ans « Je croirai toujours aux fées...

4. Paul, 10 ans « J’apprends l’école de la vie...

Caroline, quand elle avait 5 ans, adorait son grand frère Jean. Il venait la chercher à l’école quand il sortait du lycée, il l’aidait à faire ses puzzles, et quand les garçons l’embêtaient, il la défendait. Le mieux, c’est lorsqu’il l’emmenait sur sa Mobylette. Oui, vraiment, Jean était un grand frère formidable. L’ennui, c’est que Caroline n’avait en réalité qu’une petite sœur de 3 ans, un peu trop présente à son goût. Jean, lui, n’existait que dans sa tête. Amis virtuels qui mangent les bonbons en cachette, doudous qui parlent ou encore jouets animés, le monde de nos petits est souvent peuplé d’histoires auxquelles ils paraissent croire dur comme fer. Alors, graines de menteurs ou poètes en herbe ?

« Environ deux tiers des enfants entre 2 ans et demi et 7 ans passent par des épisodes d’affabulation », rassure le psychanalyste et psychothérapeute Pascal Neveu, auteur de Mentir… pour mieux vivre ensemble ? Psychologie du mensonge (Éditions de l’Archipel). Un phénomène qui s’explique par la construction même de l’individu, explique- t-il. « Durant les sept à neuf premiers mois de son existence, le bébé n’a pas conscience de son moi. Réalité et imaginaire se mélangent sans qu’il soit capable de distinguer l’une de l’autre. » Peu à peu, le tout-petit se sépare de sa mère et s’ouvre au monde, mais il lui faudra attendre 7 ans environ, le fameux « âge de raison », avant de vraiment faire la part des choses entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas.

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L’apprentissage est d’autant plus compliqué que l’entourage entretient le flou et la confusion, constate Élisabeth Brami, psychologue et auteure, avec Émile Jadoul, du Dico des bêtises et autres cacastrophes (Casterman) : « Je suis toujours surprise par les

parents qui s’interrogent et s’inquiètent démesurément lorsque leur enfant exprime une imagination débordante : que font-ils, que faisons-nous, si ce n’est raconter des

“bobards” aux petits, les abreuver de fictions mêlées de documentaires ? » Et d’égrener la liste de nos inventions mensongères : la petite souris, le Père Noël, la dernière

cuillerée qui fait grandir…

« Quant au livre du soir, cela nous vient-il à l’esprit de préciser que c’est une histoire pour de faux ? » interroge encore Élisabeth Brami. « Jusqu’à 7 ans, l’enfant est animiste, poursuit-elle, objets et animaux sont des personnes qu’il fait parler et qui lui répondent.

» D’où le succès des univers de Walt Disney ou de Lewis Carroll, habités de lapin en retard, théière bavarde ou locomotive en colère.

Non, votre enfant ne « délire » pas

« Si le petit Rimbaud avait vécu aujourd’hui, c’est sûr qu’on l’aurait mis sous calmants ! enchaîne la psychologue. Or raconter des histoires n’est pas être fou, sinon que font les écrivains ? Il faut absolument cesser de voir de la pathologie devant l’expression d’une fantaisie, voire d’une poésie enfantine. » De même, implore Élisabeth Brami, « arrêtons d’utiliser des termes psychiatriques à tort et à travers. Il n’est pas neutre d’étiqueter un enfant comme “mythomane”, de déclarer qu’il “délire”. Ces mots gagneraient à rester du registre des professionnels de la santé mentale ».

L’ami imaginaire n’est donc ni la manifestation inquiétante d’un trouble psychique, ni la preuve d’un malêtre profond. Il est au contraire très souvent une source de réconfort, un

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le “chère Kitty” d’Anne Frank, la compagne idéale qui permet de briser la solitude », illustre encore Élisabeth Brami. L’enfant, en inventant ses propres histoires à dormir debout, se confronte paradoxalement à la réalité, rebondit Pascal Neveu : « En

extériorisant ce monde imaginaire, il s’en distancie. » De la même façon qu’en racontant nos rêves ou nos cauchemars, nous prenons conscience de leur virtualité.

Pour aller plus loin

Faut-il croire les enfants ?

Qu’ils racontent « n’importe quoi » ou nient l’évidence avec des yeux candides, les enfants ont besoin du mensonge pour se construire. A nous, adultes, de ne pas prendre leur parole au premier degré et d’apprendre à les écouter vraiment.

Et lorsque l’ami imaginaire commence à prendre un peu trop de place, comme le petit chat de Lilas, 4 ans et demi, à qui il faut donner du lait tous les matins ? « Il n’est pas conseillé de cautionner au point d’accorder une véritable place à un être qui n’existe pas.

Il s’agit alors de se placer sur le terrain du jeu, sans pour autant se moquer », juge Pascal Neveu. Oui, en somme, pour dire à Lilas que c’est une drôlement bonne idée de jouer à faire semblant de préparer le repas du chat avec sa dînette ; non pour verser

quotidiennement du vrai lait dans une gamelle grandeur réelle.

L’alter ego inventé peut aussi parfois servir d’alibi. L’enfant glisse alors de l’affabulation au petit mensonge. Ce n’est pas Tom, 4 ans, qui a cassé le vase chéri de sa mamie, mais Constantin, son âne en peluche, qui en grimpant sur la cheminée l’a fait tomber. De même que Flore l’assure, elle n’a pas mangé ce reste de gâteau au chocolat. En revanche, elle est quasiment certaine d’avoir vu son chien se faufiler dans la cuisine. Ce qui

pourrait être plausible si les parents de la fillette de 5 ans n’avaient pas toujours refusé la présence du moindre animal chez eux.

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Trouver le sens des mensonges

Les mensonges sont à différencier des créations imaginaires et méritent l’attention des parents, estime Élisabeth Brami. « L’enfant ment pour éviter une punition. » S’il

comprend que ça ne le mène à rien, il arrêtera. Inutile toutefois de le condamner par un

« Tu es un menteur » définitif. « Mieux vaut lui expliquer que l’on comprend qu’il tienne à son histoire inventée mais qu’on n’y croit pas. » Si ces élucubrations persistent au-delà de 7-8 ans ou qu’elles sont accompagnées d’une difficulté à aller vers l’autre, il peut s’avérer nécessaire de consulter un psychologue, ou tout au moins de s’interroger sur les raisons qui poussent l’enfant à fuir la réalité. Autre signal d’alarme, pour Pascal Neveu, lorsque les histoires concernent des personnes bien réelles. Sachant, souligne le

psychanalyste, que même lorsqu’un enfant accuse à tort un adulte de lui avoir fait du mal, « il cherche à dire quelque chose ». « Le mensonge a toujours du sens », insiste le psychanalyste et psychothérapeute. Un de ses patients, raconte-t-il, prétendait ainsi que son oncle l’avait jeté à terre et fait renifler ses chaussettes. « Après investigation, il a été prouvé que c’était faux. Mais en faisant parler l’enfant, il s’est avéré que son père, en revanche, mentait sur quantité de choses. »

La psychologue et psychanalyste Danielle Dalloz rapporte, quant à elle, dans son ouvrage Le Mensonge (Bayard), le cas d’une fillette qu’elle gardait un été alors que ses parents étaient en voyage. Une nuit, Nathalie, 3 ans, se réveille à 3 heures du matin, après avoir mouillé son lit. À la question : « Que s’est-il passé ? », elle répond alors : « Ce n’est pas moi, c’est le facteur. » « S’agissait-il d’un mensonge ? Non, au contraire,

explique Danielle Dalloz. Elle exprimait une grande vérité : son chagrin d’être séparée de ses parents. Séparation d’autant plus douloureuse qu’il était impossible de téléphoner et que les courriers s’acheminaient très difficilement. Donc elle attendait intensément le facteur… »

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L’angoisse à laquelle l’enfant répond en inventant peut également ne pas être la sienne mais celle de ses parents. « L’ami imaginaire n’a pas pour vocation de rassurer

seulement l’enfant », glisse Pascal Neveu. La petite Rose, 3 ans, par exemple, qui s’est inventé le premier jour de l’école un compagnon de jeux appelé Téo l’a peut-être fait pour rassurer sa maman, très inquiète de voir son « bébé » entrer en maternelle. Depuis qu’elle a cessé de se ronger les sangs à l’idée de sa fille seule dans la cour de récréation, Téo a d’ailleurs miraculeusement disparu, remplacé par Clémence, qui n’a a priori rien d’imaginaire. Ce qui est amusant, c’est que c’est à la faveur de cette anecdote que

Caroline, la maman de Rose, s’est souvenue de ce grand frère Jean qui l’emmenait sur sa Mobylette…

Manon, 5 ans « Je croirai toujours aux fées...

... sinon elles n’existeront plus »

« Quand je ne suis pas dans ma chambre, mes peluches font la fête, je le sais, je les entends parfois. Mais dès que je rentre, elles retournent à leur place, elles sont très malignes ! Elles ne dérangent jamais rien, je me demande comment elles s’y prennent.

J’ai aussi une poupée, qui est comme mon amie, même si je fais un peu semblant. Je lui donne un prénom, pas toujours le même, comme ça, chaque fois qu’on joue, c’est une amie différente. C’est comme les fées. On ne les voit pas, mais ce sont elles qui peignent les ailes des papillons et les rayures des bourdons. Les fées et les licornes, mes animaux préférés, vivent dans un monde imaginaire. Mais ça ne veut pas dire qu’elles n’existent pas, c’est juste qu’elles sont magiques. C’est la même chose pour le Père Noël. Il existe pour les gens qui y croient, c’est mon papa qui me l’a expliqué. Quand je serai grande, j’y croirai encore, comme mon papa et ma maman. Je croirai aussi toujours aux fées. Parce que sinon, elles n’existeront plus. Comment feraient les papillons et les bourdons ? »

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Paul, 10 ans « J’apprends l’école de la vie...

...à mes élèves imaginaires »

« Dans ma tête, j’ai des élèves imaginaires. Toute une classe, en réalité. Je ne sais pas exactement quand cela a commencé, j’ai l’impression qu’ils ont toujours été là ou presque. Je me souviens que lorsque j’ai sauté mon CE1, je n’avais pas beaucoup d’amis au départ, et qu’il fallait bien que je m’occupe durant les récréations ! C’est peut-être bien à ce moment-là qu’ils sont apparus. Mes élèves sont tous des garçons. J’ai du mal à les décrire. Ils ont quelque chose d’angélique, ils sont un peu brillants, presque

translucides. Ils sont extrêmement sages et ne me posent jamais de questions. Je leur apprends l’école de la vie, le savoir-vivre et le savoir-faire : comment se glisser hors de leur lit le soir à l’insu des parents, comment fabriquer tel ou tel jouet, comment embêter son grand frère sans se faire prendre. Et d’autres choses que je préfère garder secrètes.

Ce ne sont pas des amis ni des frères, mais bien des élèves. Face à eux, je suis un maître d’école, celui qui sait. Je ne pense pas qu’ils disparaîtront avec le temps, au contraire.

Plus ça ira et plus j’aurai des enseignements à leur transmettre, puisqu’en grandissant j’en saurai de plus en plus. »

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