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Règlement Successions et projet de réforme du Chapitre 6 de la LDIP, Intervention au Forum de l'Ordre des Avocats en matière de succession, Etude Walder Wyss, 23 septembre 2021

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Règlement Successions et projet de réforme du Chapitre 6 de la LDIP, Intervention au Forum de l'Ordre des Avocats en matière de

succession, Etude Walder Wyss, 23 septembre 2021

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. Règlement Successions et projet de réforme du Chapitre 6 de la LDIP, Intervention au Forum de l'Ordre des Avocats en matière de succession, Etude Walder Wyss, 23 septembre 2021. In: Forum de l'Ordre des Avocats en droit des successions, Genève, 23 septembre, 2021, p. 1-11, 1-11

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:155033

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Forum de l’Ordre des Avocats en droit des successions

« Règlement Successions et

réforme de la Loi fédérale sur le droit international privé »

Gian Paolo Romano

Étude Walder Wyss, Genève, 23 septembre 2021

Mesdames et Messieurs, chères et chers Maîtres,

Je vous remercie de votre accueil chaleureux. Je tiens aussi à remercier l’étude Walder Wyss qui nous met à disposition ses beaux locaux rue d’Italie.

Un grand merci également et peut-être surtout à Me Peyrot – Aude pour les ami- e-s – de nous avoir réuni-e-s pour échanger sur des choses importantes.

Tristes aussi, car c’est du décès d’une personne dont il est question : décès déjà intervenu – c’est alors le règlement de sa succession qui est en cause – ou décès

« contemplé », « anticipé » : on parle d’« anticipation successorale », de « plani- fication ».

On anticipe en planifiant, en quelque sorte. Même si les superstitieux peuvent craindre qu’à force d’« anticiper » les conséquences de leur trépas, il pourrait survenir de manière… anticipée.

Ce sont en tout cas les successions transfrontalières qui nous intéressent, celles qui ont pour objet des patrimoines multi-localisés : rattachés aux territoires de plusieurs Etats ; détenus par des personnes qui, par leur résidence ou leur natio- nalité, sont rattachés aux peuples et aux populations de plusieurs Etats.

Le « transnationalisme » des patrimoines est un phénomène en plein essor. C’est une évidence.

Conséquence de l’exercice par les êtres humains que nous sommes des libertés qui nous sont reconnues dans des aires géographiques de plus en plus vastes : liberté d’établissement transfrontière, liberté d’investissement – d’acquisition im- mobilière au-delà de notre Etat d’origine – liberté internationale de mariage, de procréation…

La Suisse entendue comme groupement humain profite de ces libertés :

la population suisse compte parmi les plus internationales qui soient ; les Suisses bi-nationaux constituent le 20 % du peuple suisse (quatre sur sept membres du Conseil d’Etat vaudois sont bi-nationaux, sans parler des Hodgers, des Poggia, des Maudet, des Kanaan, etc.) ; les étrangers établis en Suisse constituent le 25 % de la population résidente, avec des pointes frôlant le 50 % à Genève ; les Suisses

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banques suisses détiennent un quart des « actifs internationaux » du monde, c’est- à-dire des actifs détenus par des non-résidents.

Alors il faut bien que tout ce beau monde puisse connaître le sort post mortem de son patrimoine se déployant à travers les frontières, et la mesure de la liberté qu’il se voit reconnaître de déterminer soi-même ce sort.

Il faut qu’une fois que la vie d’ici-bas de ces personnes s’est accomplie, leurs proches – mais aussi les créanciers et les tiers détenteurs de biens – puissent con- naître leurs droits et leurs obligations à l’égard du patrimoine en question.

***

Le cadre normatif gouvernant tout cela évolue, et heureusement.

Les choses avancent, avec les pantoufles parfois, selon le mot d’Ilaria Pretelli, mais elles avancent.

Si bien que les praticiens et les praticiennes suisses sont appelé-e-s à se familiariser avec une série de dispositions dont certaines sont en vigueur depuis peu, d’autres entreront en vigueur d’ici peu.

Me Peyrot m’a demandé d’intervenir sur le « Règlement Successions », appli- cable dans 25 pays de l’Union européenne depuis le mois d’août 2015 : cela fait donc plus de six ans.

Ce Règlement a, vous le savez, déterminé les autorités helvétiques à moderniser le Chapitre 6 de la LDIP, consacré aux successions, en vue de chercher à le rendre

« euro-compatible ».

J’y reviendrai sur cette réforme.

***

Mais parlons d’abord des principales caractéristiques du Règlement.

Il n’existe pas, vous le savez, un Code européen des successions. Les règles du droit « matériel » sont du ressort des parlements nationaux, et gageons qu’elles le resteront encore pendant bien du temps.

Mais quid d’une succession qui concerne deux ou plusieurs Etats membres ? Je prendrai le cas de ma tante : Italienne vivant entre la France et l’Italie. Je pense qu’elle passe plus de jours dans sa résidence parisienne et moins de jours dans sa résidence milanaise, encore que cela puisse varier d’une année à l’autre.

Je pense aussi qu’elle dit le contraire aux autorités fiscales. Le fisc français est plus gourmand, pour ce qui est de la fortune notamment, que le fisc italien, même si les choses ont évolué sous la présidence Macron.

Alors, elle a des actifs dans les deux pays : des immeubles dans les deux pays, des tableaux, bijoux, des actifs bancaires dans les deux pays, peut-être des bitcoins.

Où sont-ils localisés, les bitcoins ? Ne multiplions pas les difficultés.

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Bref, son patrimoine est franco-italien. Sa succession « hypothétique » sera franco-italienne. « Hypothétique », car ma tante est encore en forme resplen- dissante. Mais l’heure de prendre ses cliques et ses claques et quitter ce monde est de moins en moins lointaine.

Ce qui évidemment vaut pour nous toutes et tous, même si nous avons tendance, nous, les juristes, à croire que le droit n’est fait que pour les autres.

Alors, il y a plus de dix ans, ma tante m’a dit : « Gian Paolo, tu che insegni queste cose, è il diritto italiano o il diritto francese che devo guardare per organizzare le mie faccende ».

La loi française est, à un égard au monis, plus intéressante car elle permet d’écarter la vocation héréditaire du conjoint au profit de ses enfants, alors qu’en droit italien – comme en droit suisse – le conjoint est réservataire même s’il concourt avec des descendants. Différence importante.

A l’époque, il était compliqué de répondre à la question, pourtant parfaitement légitime, de ma tante. Le Règlement n’existait pas. La France avait ses règles de droit international privé, l’Italie les siennes. Chaos juridique intra-européen. Ma tante avait l’impression d’être victime d’un conflit italo-français de lois. « Il faut quand-même améliorer les choses », m’a-t-elle dit.

Le but du Règlement est précisément d’améliorer les choses. Et de permettre aux personnes dont la vie et la fortune enjambent les frontières de connaître le sort de leurs biens, et de connaître la liberté qu’elles ont d’influer sur un tel sort par des actes de disposition à cause de mort : testament, pacte successoral, donation- partage, éventuellement trust s’il est autorisé par les règles applicables, etc.

La France et l’Italie se sont accordées pour déterminer qui entre ces deux pays a le droit d’appliquer sa loi à l’égard des successions franco-italiennes, quel pays a le droit de prendre des mesures d’administration ou le droit de juger les litiges.

L’Union européenne est souvent critiquée. Il faut reconnaître que ce que le Parlement européen et le Conseil ont réussi à faire pour simplifier la vie trans- européenne des êtres humains est remarquable. Quinze Règlements ces dernières années.

Le but est de permettre aux citoyens européens de vivre leur internationalité – d’exercer leurs libertés, dites « fondamentales », de déplacer leur résidence d’un Etat membre à l’autre, d’entretenir plusieurs résidences, de donner à leur patri- moine une assise multi-territoriale – tout en continuant à évoluer dans un espace de droit, de justice, de sécurité, sans être victime d’un conflit intra-européen de lois, qui survient lorsque la France et l’Italie veulent appliquer leur loi à la même succession.

Objectif donc parfaitement louable du Règlement.

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Quant à sa structure, plusieurs volets : règles sur la compétence des autorités, y compris litispendance ; sur le droit applicable ; sur la reconnaissance des décisions et des mesures ou actes, et aussi – autre nouveauté intéressante – certificat successoral européen : document de légitimation à validité pan-euro- péenne, qui devrait simplifier les choses pour les bénéficiaires de droits, y compris les administrateurs.

***

Quelles sont les principales dispositions ?

Premier point d’importance : le de cujus a le loisir de désigner pour applicable à toute sa succession le droit du pays dont il tient la nationalité.

S’il est bi-national ou tri-national, il peut choisir le droit d’un de ces pays. Le nombre de personnes ayant la nationalité de deux Etats membres augmente. Ce qui ne surprendra pas celles et ceux qui connaissent le but de l’Union tel qu’il est formulé dans les traités constitutifs, qui est de favoriser, je cite, « une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens ».

Les Germano-Polonais – les ressortissants allemands qui ont également la natio- nalité polonaise, ou si vous préférez, les ressortissants polonais qui ont la égale- ment nationalité allemande – sont plus de 500.000. Les Italo-Roumains plusieurs centaines de milliers.

Professio iuris donc. Nous y avons en Suisse l’habitude. Mais pour beaucoup de pays européens – à commencer par la France – c’est une innovation.

Ma tante peut donc choisir le droit italien. Et la France devra respecter ce choix et mettre en œuvre sur le territoire français les droits et obligations résultant du Codice civile.

Petite aparté : la limite de l’ordre public existe toujours. Mais une loi qui ne prévoit pas de réserve héréditaire ne heurte en principe pas l’ordre public. La Cour de cassation française a eu l’occasion de le préciser dans quelques affaires récentes. Le Tribunal fédéral l’avait aussi précisé au début des années 70 : affaire Hirsch v. Cohen.

D’ailleurs, la réforme du droit matériel suisse des successions, qui entrera en vi- gueur le 1er janvier 2023, réduit la réserve – à vrai dire, plutôt celle des descen- dants – pour augmenter la part « disponible ».

***

Quid si le de cujus n’exerce pas de professio iuris ? Il sera alors soumis à la loi de sa résidence habituelle au moment du décès. Mais s’il a pris des dispositions à cause de mort, la loi de la résidence habituelle au moment de l’établissement de ces dispositions régira une série de questions. Principe qui vaut aussi pour les pactes successoraux.

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Prenons un Italien résidant aujourd’hui en Allemagne. Il veut faire un pacte suc- cessoral avec ses enfants, lesquels sont prêts à renoncer à leurs droits encore hypo- thétiques dans la succession contre versement immédiat d’une certaine somme.

« Meglio un uovo oggi che una gallina domani », selon la sagesse populaire italienne.

Eh bien, un tel pacte successoral reste valable s’il l’est au regard du droit allemand de la résidence de notre personnage au moment où le pacte est établi. Et ce alors même que le de cujus aura réintégré, d’ici quelques années, sa résidence habituelle en Italie, qui sera sa dernière.

Loi italienne qui régit la succession, loi allemande qui régit le pacte. L’articula- tion entre les deux lois peut ne pas être simple.

***

La résidence habituelle est aussi importante s’agissant de la compétence des au- torités. Chef de compétence principal. On y déroge de manière restrictive.

Autre exemple : Allemand habituellement résidant en Espagne. Il y en a beau- coup. Il y a aussi des Suédois, des Belges, des Norvégiens, etc.

Migration du troisième âge « nord-sud » : vers les pays du soleil et où le coût de la vie est moins élevé.L’accès à la propriété aussi : pour 150.000 Euros on peut acheter une belle propriété à Tenerife.

Alors, notre protagoniste désigne le droit allemand. Il décède avec dernière résidence à Las Palmas : l’éruption du volcan ne l’a pas fait fuir.

Les autorités espagnoles sont en principe compétentes et doivent mettre en œuvre le droit allemand choisi par notre disparu.

Mais elles perdent leur compétence au profit des autorités allemandes – de l’Etat dont la loi a été désignée moyennant professio iuris – si les personnes concernées par la succession sont d’accord avec cette espèce de « transfert de compétence ».

Les personnes concernées par la succession, qui sont-elles ? Pas le temps de s’y attarder.

Je remarque qu’une professio fori n’est pas prévue par le Règlement. Notre de cujus ne pourrait pas désigner unilatéralement les autorités allemandes comme compétentes. Le projet de réforme de LDIP franchit un tel pas. J’y reviendrais dans un instant.

***

Je souhaiterais rester encore quelques minutes sur le terrain de la résidence ha- bituelle. Comment l’identifier ? Je n’ai encore rien dit sur ce point fondamental.

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J’ai évoqué les personnes qui se déplacent sans cesse entre deux résidences, sans qu’il soit simple d’en qualifier une de « résidence habituelle » et l’autre de rési- dence, sinon « inhabituelle », du moins pas habituelle.

J’ai dirigé jusqu’à l’achèvement une seule thèse dans ma carrière, de Vito Bum- baca : « résidence habituelle en matière de droit de la famille ». C’est pourquoi je lui ai demandé de se joindre à nous ce soir.

Le nombre de personnes qui ont des résidences dans plusieurs Etats est en augme- ntation. Il s’agit de personnes souvent fortunées.

Je travaille en ce moment sur deux affaires : helvético-américaine et helvético- russe. La question décisive est de savoir où les personnes concernées ont leur résidence habituelle ou leur domicile.

Un être humain peut appartenir, par ses deux ou trois nationalités, aux peuples des deux ou trois Etats : bi- ou multi-national. On l’a rappelé.

Pourquoi ne devrait-il pas pouvoir appartenir aux populations résidentes des deux Etats en tant que bi-résident, ou bi-domicilié ?

Ou faut-il rechercher à tout prix une seule résidence habituelle, un seul domicile ? Les choses ne sont pas tout à fait claires.

Le Règlement, quant à lui, comporte une quasi-définition de résidence habituelle, inscrite dans les « considérants » : quasi-définition qui alimente l’incertitude au lieu de la dissiper. Car elle autorise à faire porter l’analyse sur les liens du de cujus au cours des dernières années de sa vie, non pas les derniers six mois, ou douze mois.

Même si, de manière dogmatique, on devait éjecter par la porte la double résiden- ce habituelle, elle menace de revenir par la fenêtre.

Je pense encore une fois à ma tante.

Les autorités françaises peuvent dire : « Mme Rossi est résidente habituellement sur notre territoire ». Les autorités italiennes : « Mme Rossi est résidente habituellement sur notre territoire ».

Quid alors ?

D’ici quelques années on aura peut-être confié à un tribunal européen – y compris franco-italien – peut-être à la Cour de justice, la tâche de trancher ce conflit de résidences habituelles.

Aujourd’hui, c’est un problème.

Pour ce qui est de la compétence, le Règlement impose de respecter priorité de la saisine : litispendance.

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Si les autorités françaises ont été saisies les premières, et qu’elles situent la ré- sidence habituelle du de cujus en France, les autorités italiennes, saisies en second lieu, devront respecter une telle appréciation.

Mais la difficulté reste entière sur le terrain du droit applicable.

Quid de l’indication par le de cujus lui-même d’un de ces endroits comme sa ré- sidence vraiment habituelle ? Tendance appelée à se répandre.

Dans une affaire franco-suisse où j’ai consulté, la de cujus, âgée de 95 ans, avait précisé dans ses œuvres testamentaires qu’elle se considérait comme domiciliée en Suisse depuis plusieurs années.

Quelle est la valeur d’une telle déclaration ?

***

C’est ce qu’avait fait aussi Johnny Halliday.

Disons alors un mot de cette saga familiale.

Feu Johnny vit ses dernières années entre les Etats-Unis et la France. Il établit un testament en 2014. Il lègue la totalité de son patrimoine à son épouse, Laetitia, et ses deux filles adoptives d’origine chinoise. Il écarte ses deux enfants du premier lit : Laura Smet et David Halliday. Une bonne partie de son patrimoine est placé dans des trusts de droit californien.

Il quitte ce monde en 2017. Son album posthume « Mon pays est l’amour » s’écoule à plus d’un million d’exemplaires. Les droits de royauté alimentent l’o- pulence de l’héritage.

« Mon pays est l’amour » : ni donc la Californie, ni la France. Intitulé tout aussi cocasse que poétique, dernier pied de nez à ses survivants et aux autorités.

Johnny Halliday avait, à vrai dire, dans son testament, indiqué être résident en Californie.

La seule manière de profiter de la législation californienne – qui validait l’exhé- rédation de ses enfants – était de se faire passer pour un résident californien.

Laura et David se réclament du droit français et de la réserve héréditaire qu’il leur assurerait.

L’affaire atterrit devant le Tribunal de Nanterre. Où se trouve la dernière résidence habituelle de Johnny Halliday ?

Les juges parisiens examinent toute une série de facteurs, y compris ses goûts alimentaires, ses posts sur Instagram, Facebook… Ils parviennent à la conclusion qu’il était… résidant français. Il est un grand Français – comme « Bebel », dis- paru il y a peu – et en cas de doute, également résident français.

Mais rien n’empêche les tribunaux californiens de situer sa résidence habituelle

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Conflit de résidences habituelles : en France pour la France, en Californie pour la Californie.

L’affaire a été réglée par un accord transactionnel. Heureusement. Ce qui est en général conforme aux dernières volontés des êtres humains qui ne sont plus là.

Nous souhaitons, pour l’après-nous, une désintégration ordonnée de notre patri- moine, non pas la désintégration de notre famille.

« Mon pays est l’amour ». N’y a-t-il pas là une invitation adressée à ses survivants à… s’aimer justement ?

D’après mon expérience, le contentieux international, y compris en matière successorale, se solde en tout cas très souvent par un accord transactionnel.

Pour plusieurs raisons : les coûts deviennent vite exorbitants, menace d’un conflit de décisions qui pourrait n’arranger personne, épuisement des parties, envie de passer à autre chose...

La question est de savoir à quel stade intervient un tel accord. La bataille sur le for ou sur le droit applicable peut bien sûr jouer un rôle important dans la teneur de l’accord, des concessions réciproques.

***

Petite digression.

Arbitrage international : je pense qu’il va se répandre dans cette matière, qui est par essence patrimoniale.

Il favorise la discrétion dans un domaine où il est important d’en avoir, et aussi la rapidité de la procédure.

Moins d’encouragements à la course vers le for.

Identifier résidence ou domicile pour ce qui est de la compétence devient super- flu : meilleure manière de prévenir un conflit de compétences.

Une certaine déconflictualisation des relations familiales.

***

Approchons-nous de la Suisse.

Comme la succession Halliday l’atteste, le Règlement est applicable aux succes- sions qui débordent le territoire de l’Union.

C’est la partie la plus problématique.

Prenons un ressortissant d’un Etat de l’Union européenne qui a sa résidence ha- bituelle en Suisse : Espagnols, Portugais, Français, Allemands, Néerlandais…

établis chez nous. On sait qu’il sont nombreux. Je suis moi aussi du lot.

Alors les autorités espagnoles, portugaises, françaises, etc. sont compétentes en vertu de l’article 10 : compétence fondée sur la nationalité, assortie de la présence

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d’une fraction, même insignifiante, du patrimoine, sur le territoire de l’Etat de la nationalité.

Le Règlement va même plus loin. Il confère une compétence aux autorités de l’Etat membre où se trouvait l’avant-dernière résidence habituelle.

Supposons une Libanaise qui, à un moment donné, a sa résidence habituelle en France. Mais elle décide de s’installer en Suisse. Elle y décède moins de cinq ans après avoir déplacé sa résidence habituelle de Paris vers Genève.

Les autorités françaises sont compétentes : non pas en vertu de la nationalité de la de cujus (qui est libanaise), non pas en vertu de sa dernière résidence habituelle (qui se trouvait en Suisse), mais en vertu de son avant-dernière résidence habi- tuelle (qui se trouvait en France).

On peut avoir les autorités de trois pays – Liban, Suisse et France – qui sont internationalement compétentes. Cela peut provoquer beaucoup de désordre.

Gaspillage de beaucoup d’argent public tout autant que d’argent privé.

***

Le fait est que la Suisse, du point de vue du Règlement, est un « Etat tiers » : à défaut d’avoir conclu un accord avec l’Union européenne.

D’ici quinze ans, un tel accord aura probablement été conclu : traité bilatéral, ou multi-latéral dans le cadre notamment de l’AELE, à l’instar de la Convention de Lugano.

Au fond, pourquoi en matière de contrats internationaux ou d’obligation alimen- taire internationale, la Suisse et l’UE sont « partenaires » et ne devraient pas l’être en matière de successions internationales ? Les besoins de leurs justiciables sont les mêmes dans ces différents domaines.

Ce n’est pas le cas pour l’instant. Pourquoi ?

La faute du moins en partie aux discussions interminables au sujet de l’« accord- cadre ». On sait comment elle se sont soldées. Elles ont empêché depuis plusieurs années d’envisager un accord helvético-européen dans le domaine des successions.

Qui en fait les frais ? Les ressortissants et résidents suisses et européens.

Quand il y a un bras de fer entre autorités, les justiciables, pris au milieu, souf- frent. Un peu comme lorsqu’il y a un bras de fer entre les parents, ce sont les enfants qui souffrent.

***

Il faut donc saluer l’initiative du Conseil fédéral : tâchons au moins, s’est-il dit, de modifier unilatéralement la LDIP pour essayer de la rendre « euro-

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Avant-projet du 14 février 2018.

Consultation assez vaste. Quarantaine de prises de position : presque tous les Cantons, beaucoup de partis politiques, certaines associations, une université, etc.

Elles sont intéressantes, ces prises de position.

Le projet, assorti du Message du Conseil fédéral, date du 13 mars 2020.

Je pense que l’essentiel du projet deviendra loi. Mais quand ? Je n’ai pas contacté mes collègues de l’Office fédéral de la justice pour avoir leurs lumières. Je pense d’ici deux ou trois ans.

Il est donc bon de commencer à se familiariser avec la mouture projetée. Elle peut déjà orienter l’activité de planification. On peut « anticiper » son entrée en vigueur en « anticipant » la succession de personnes aujourd’hui dans la force de l’âge mais qui s’interrogent déjà sur la meilleure manière d’organiser leurs affaires.

Car une des idées-forces du projet de réforme est de rendre plus simple, plus fruc- tueuse, l’œuvre de planification du patrimoine d’une personne ayant des liens avec la Suisse et un ou plusieurs Etats de l’Union.

Objectif à approuver, bien sûr.

Mais, attention !, il ne faut pas oublier les relations entre la Suisse et des Etats non-UE.

Etats-Unis, Royaume-Uni, mais aussi Thaïlande, Russie, Chine. Les Suisses qui ont des liens avec la Thaïlande augmentent. 8.000 Helvètes vivent en Thaïlande, trois fois plus qu’il y a vingt ans. Les Thaïlandais établis en Suisse augmentent aussi. Il en va de même des Chinois de Suisse et des Suisses de Chine.

Transnationalisme des familles et des patrimoines individuels.

Il ne faudrait donc pas que l’aspiration à rendre la LDIP compatible avec le

« Règlement Successions » rende plus problématiques du coup ses relations avec les lois de ces autres pays.

***

Alors, ce projet, que dit-il ?

Première nouveauté intéressante : possibilité pour le de cujus de désigner pour for compétent celui de l’Etat dont il tient la nationalité.

S’il est bi-national ou multi-national, il peut désigner le for d’un des Etats dont il tient la nationalité.

Prenons un Portugais établi en Suisse. Il pourra désigner les autorités portugaises comme compétentes : for de l’administration, for du règlement d’éventuels litiges, etc.

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Le but est de permettre à la personne dont la succession est en cause d’éviter un conflit helvético-portugais de compétences.

Quid du double national, suisse et portugais ? Lui aussi pourra soustraire sa succession à la compétence des autorités suisses de son dernier domicile, sous réserve de mesures conservatoires.

Cela peut surprendre. Mais je pense que le principe est juste. Car un Suisse établi à l’étranger (il y en a environ 800.000 qui forment la « cinquième Suisse ») peut déjà désigner les autorités suisses : article 87 al. 2 dans sa rédaction actuelle.

Un Suisse établi en Egypte peut déjà désigner le for suisse. Pourquoi un Egyptien établi en Suisse ne devrait-il pas avoir le même droit ?

Il se peut que la décision égyptienne ne soit pas reconnue en Suisse.

Vous avez peut-être entendu parler de la décision récente du Tribunal fédéral qui a fait jouer l’ordre public pour s’opposer à la reconnaissance d’une décision éma- nant d’Egypte qui écartait de la succession l’épouse survivante, allemande, du de cujus, égyptien, du fait qu’elle n’était pas musulmane.

Autoriser l’élection de for étranger ne devrait pas empêcher la non-reconnais- sance en Suisse de la décision étrangère.

***

Encore un mot des Français domiciliés en Suisse, proximité oblige. Ils pourront désigner le for français.

A vrai dire, je ne suis pas sûr que une telle faculté intéresse beaucoup d’entre eux.

En général, ils souhaitent que les autorités françaises s’occupent le moins possible de leurs affaires.

Ils pourraient en tout cas choisir le droit français, tout en maintenant la compé- tence suisse de leur dernier domicile.

Le droit français – je l’ai déjà relevé – est intéressant : pas de réserve héréditaire en faveur du conjoint s’il concourt avec les descendants. Alors que la réforme du droit suisse « interne » des successions préserve l’étendue de la réserve héréditaire du conjoint diminuant plutôt celle des enfants.

Philosophie opposée !

Quid des Franco-Suisses établis en Suisse ? Ils pourront aussi désigner le droit français. Aujourd’hui, un Suisse domicilié en Suisse qui a également la nationalité d’un autre pays ne peut pas exercer une professio iuris en faveur du droit de cet autre pays. Le projet de réforme de la LDIP le lui permettra.

Véritable révolution. Bien sûr, le droit anglais serait encore plus intéressant. Car la réserve héréditaire n’existe pratiquement pas, même pas en faveur des descen-

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Un Suisse vivant à Genève qui a aussi la nationalité anglaise – il la tient de sa maman ou de son épouse : j’en connais beaucoup – pourra lui aussi choisir le droit anglais pour régir sa succession.

Les trusts mortis causa vont probablement multiplier. Je prédis beaucoup de travail pour Me Peyrot, experte genevoise des trusts.

D’ailleurs, Vito a aussi la nationalité britannique, en sus de l’italienne. Même s’il devait devenir suisse, il pourra soumettre ses affaires au droit anglais. Et laisser tout ce qu’il a à la Fondation Gian Paolo Romano et rien à sa propre famille !

***

Je n’ai pas parlé des successions italo-suisses. Pourtant, ce sont celles qui m’intéressent de plus près.

Un vieux traité d’établissement et consulaire de 1868 est encore en vigueur. Il est réservé par le Règlement et la réforme de la LDIP. Solutions anciennes, démo- dées, surprenantes aujourd’hui. Les autorités compétentes pour prendre en charge ma propre succession seraient les autorités italiennes, alors que je vis ici depuis bientôt vingt ans. Le droit italien serait a priori le droit applicable.

Le Tribunal fédéral a entériné la validité d’un choix du droit suisse par un Italien domicilié en Suisse. Mais on ignore si la Corte di cassazione serait prête à l’entériner de son côté. Grave incertitude.

***

Il y a bien d’autres questions dont on aurait pu s’entretenir.

Nous avons heurusement encore quelques dizaines de minutes : place donc à l’échange, et au partage d’expériences. Je vous remercie de votre attention.

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