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Réforme du Chapitre 6 de la Loi fédérale sur le droit international privé en matière de successions : un état des lieux

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Réforme du Chapitre 6 de la Loi fédérale sur le droit international privé en matière de successions : un état des lieux

ROMANO, Gian Paolo

ROMANO, Gian Paolo. Réforme du Chapitre 6 de la Loi fédérale sur le droit international privé en matière de successions : un état des lieux. In: 2e Journée de droit patrimonial international, organisée par le Centre de droit comparé, européen et international de l'Université de Lausanne, et 8e Séminaire de Formation de la Fondation Notariat Suisse, Lausanne, 3 septembre, 2019, p. 1-16

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:135168

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Réforme du Chapitre 6 de

la Loi fédérale sur le droit international privé en matière de successions : un état des lieux

intervention prononcée dans le cadre de la 2e Journée de droit patrimonial international, organisée par le Centre de droit comparé, européen et international de l’Université de Lausanne, et dans le cadre du 8e Séminaire de

Formation de la Fondation Notariat Suisse par

Gian Paolo Romano

Professeur à l’Université de Genève Lausanne, 3 septembre 2019

Mesdames et Messieurs,

Je tiens à remercier le Professeur Bonomi et les co-organisateurs de ce Col- loque de m’avoir permis d’y participer.

Quelle meilleure manière, après la pause estivale, de se « remettre dans le bain » que de retrouver des amis autour d’un thème qui, à défaut d’être ré- jouissant (les successions s’implantent autour du décès d’une personne) n’en est pas moins d’une importance considérable et grandissante.

Je souhaiterais aussi féliciter celles et ceux qui se sont chargé-e-s en un temps record de l’édition du livre que vous tenez entre les mains.

Lequel englobe un article, interminable, de ma plume.

Je vais en reprendre les points principaux, histoire de vous en épargner la lecture.

***

Je commencerai par observer que le nombre d’êtres humains ayant des liens avec la Suisse est en hausse.

Quelques chiffres.

Les habitants de ce pays ont largement dépassé les 8 millions.

A Genève, mais aussi dans certaines villes du Canton de Vaud, il ne s’est jamais autant construit de logements, me disent-ils mes amis de l’im- mobilier).

Et la proportion des étrangers résidents n’a jamais été aussi importante : un quart !

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On sait qu’en Romandie, cette proportion est plus élevée.

Selon un rapport de décembre 2018, les « binationaux » ou « plurinatio- naux » (les personnes ayant la nationalité suisse et une ou plusieurs nationa- lités étrangères) ne seraient pas loin des 2 millions.

« Enorme augmentation » (je cite le rapport) au cours des dix dernières an- nées.

Un Suisse sur cinq est binational (ou tri- ou quadrinational).

Le ratio binationaux par rapport aux mononationaux est ici parmi les plus élevés de la planète.

Je vais probablement moi-même rejoindre cette catégorie car, italien rési- dent en Suisse depuis « belle lurette », j’envisage de solliciter la nationalité de ce pays.

Après avoir convolé cet été avec une Suissesse, elle-même binationale, car elle est aussi colombienne.

***

Quid des Suisses établis à l’étranger ?

On sait qu’ils forment ce qui est parfois appelé la « cinquième Suisse ».

Appellation intrigante, plus encore que celle de « cinquième République ».

Alors les Helvètes déclarés aux représentations consulaires sont autour de 770’000.

Effectif qui augmente presque constamment.

Les Suisses établis par exemple en Thaïlande ou au Portugal ont triplé de- puis 2005.

Il en va de même des expatriés à Dubaï, mais aussi dans certaines régions du Maghreb.

Ces concitoyennes et concitoyens pourraient jouer un rôle non négligeable aux prochaines élections fédérales, même si leurs représentants, réunis à Montreux il y a quelques semaines, regrettent l’absence de vote électro- nique.

Ce qui n’empêche pas les partis politiques de les courtiser.

***

Le nombre d’étrangers résidents à l’étranger propriétaires d’immeubles en Suisse est lui aussi considérable :

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la loi, dénommée Friedrich puis Koller, a essayé d’endiguer l’« emprise é- trangère sur sol suisse » sans toutefois y parvenir entièrement.

En revanche, l’attitude des pouvoirs publics envers les résidents étrangers souhaitant déplacer leurs actifs mobiliers en Suisse est différente.

Il s’agit d’encourager un tel flux de biens, générateur d’emploi.

Ces détenteurs d’actifs suisses – on serait tenté de les appeler la « sixième Suisse » – dépassent probablement le million.

Une partie de ces biens a fait l’objet de régularisations fiscales dans les pays de résidence :

à la suite de la « norme internationale sur l’échange automatique d’informa- tions », laquelle a déjà, semble-t-il, porté quelques fruits, à en croire un rapport de l’OCDE du mois de juin.

Est-ce que cette nouvelle transparence entraînera une diminution sub- stantielle des actifs internationaux gérés ici ?

C’est ce qu’on a redouté depuis que Hans-Rudolph Merz a, en 2009, annoncé la fin du secret bancaire.

En décembre 2017, ces actifs s’élevaient au chiffre record de 2’200 milliards (trois fois le PIB de la Suisse).

D’après Carlo Lombardini, certains biens financiers seront convertis en biens non-financiers, tels que des œuvres d’art.

On sait que les coffres des banques ici ou les ports-francs de Genève sont aptes à les accueillir.

***

On parle en revanche moins des Suisses résidant en Suisse qui détiennent des biens à l’étranger.

Eux aussi en nombre croissant.

Les Suisses comptent parmi les plus grands détenteurs d’investissements di- rects étrangers au monde.

***

Quelle est la part d’Union européenne dans tout cela ?

Les ressortissants de l’Union établis ici qui avaient le droit de vote aux élections européennes étaient 1.7 million.

Chiffre supérieur aux votants d’un certain nombre de pays européens, tels que la Slovénie.

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Plus de 60% des Suisses de l’étranger vivent dans l’Union européenne : un quart en France.

Les actifs détenus par des résidents de l’Union sont autour de 65 %.

***

En somme, la branche du droit visant la dévolution mortis causa des pa- trimoines multinationaux de personnes ayant un lien avec la Suisse est de plus en plus importante.

Le volume des successions helvético-internationales à planifier ou à régler est considérable et en hausse.

Et une place de choix revient aux successions helvético-européennes.

On comprend donc que les Conseils fédéral et national s’y intéressent de près, compte tenu du fait que la LDIP date de 1987.

On le comprend encore mieux si l’on pense que 25 pays de l’Union euro- péenne sont liés par un Règlement, dit « Règlement Successions », en vi- gueur depuis quatre ans.

Règlement qui a fait l’objet d’un Commentaire par Andrea Bonomi (aidé par Ilaria Pretelli) qui a vite acquis le statut d’autorité « pan-européenne ».

J’ai déjeuné, il y a quelques jours, avec un professeur parisien, qui m’a dit :

« C’est de loin le meilleur ».

***

Voilà donc les deux mobiles de la réforme avant-projetée – car elle n’est pour l’instant qu’au stade d’avant-projet, publié en février 2018 (le projet lui-même se faisant quelque peu attendre) :

moderniser des règles désormais trentenaires ;

les rendre « euro-compatibles », compte tenu du nombre des familles et des patrimoines helvético-européens.

En suivant la systématique de la LDIP, je souhaiterais examiner les trois cas de figure classiques en passant en revue les principales innovations :

succession de l’étranger établi en Suisse ;

du Suisse ou de la Suissesse établi(e) à l’étranger ;

de l’étranger établi à l’étranger ayant des biens en Suisse.

***

Etrangers domiciliés en Suisse d’abord.

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La première nouveauté « avant-projetée » consiste à leur reconnaître la fa- culté de désigner le « for compétent » :

plus exactement, le « for » de leur Etat national, ou d’un de leurs Etats na- tionaux.

Ajout, à l’article 86, d’un alinéa 3, qui précise que cette élection unilatérale de for doit être inscrite dans un testament ou pacte successoral.

Une dame française, établie à Lausanne, aura le droit de choisir le for fran- çais.

Le Suédois domicilié en Valais, le for suédois.

Une telle faculté est ouverte également aux Suisses bi- ou multinationaux.

Le trinational – franco-helvético-marocain – qui réside à Genève pourra choisir le for français tout autant que marocain, et écarter de la sorte le for suisse de son domicile.

Que faut-il entendre par « for » ? Dit de manière générale :

l’ensemble des autorités compétentes pour « régler » la succession, c’est-à- dire pour prendre des « mesures » qui s’y rapportent et pour régler l’éventuel contentieux qui devait en résulter.

***

Pourquoi introduire une telle professio fori ?

Trois raisons principales ont motivé les rédacteurs.

Il s’agit, d’abord, de trancher une incertitude que la LDIP laisse subsister.

Il s’agit, ensuite, de satisfaire au principe d’égalité de traitement entre l’é- tranger de Suisse et le Suisse de l’étranger.

Le Auslandschweizer se voit déjà reconnaître le droit de désigner le for suis- se d’origine.

Il paraît alors normal que l’étranger de Suisse puisse lui aussi désigner le for de son origine à lui.

C’est ce que prescrit la « règle d’or » que recommandent les grandes reli- gions et doctrines morales.

Troisième raison :

coordination avec le Règlement européen.

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Dont l’article 10 prévoit une compétence dite « subsidiaire » en faveur des autorités de l’Etat national.

Exemple.

Espagnol établi en Suisse.

Il y en a plus de deux cents mille.

Le Règlement confère aux autorités espagnoles une compétence pour connaître l’ensemble de la succession (avec quelques exceptions).

L’Avant-projet permet à l’intéressé de travailler lui-même à la coordination helvético-espagnole des autorités.

Il pourra prévenir un « conflit de juridictions » :

qui est la situation où les Etats « co-intéressés » se déclarent l’un et l’autre compétent,

pour désigner un administrateur, par exemple, ou trancher un litige sur la validité du testament.

Si le de cujus désigne les autorités espagnoles, la Suisse retirera à ses auto- rités le pouvoir de s’occuper de la succession.

Elle n’opposera pas à la compétence espagnole une « contre-compétence » suisse.

Le conflit helvético-espagnol de procédures est prévenu.

Le spectre du conflit de décisions, qui cristalliserait un déni helvético-euro- péen de justice, est ainsi exorcisé.

Alors que dans le cas contraire, les mêmes biens risqueraient d’être attribués par le juge espagnol à telle personne et par le juge suisse à telle autre personne.

***

L’innovation est de taille.

C’est, à ma connaissance, la première fois qu’un législateur « mono-natio- nal » ouvre une telle professio fori.

Je pense qu’une telle innovation est appelée à se répandre ; Et que la Suisse aura encore une fois fait œuvre de pionnière.

Dans un article paru dans Successio – qui figure dans le matériel –, j’ai essayé d’examiner de plus près le régime d’une telle professio fori.

Je me permets d’y renvoyer.

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Une seule illustration des difficultés pouvant surgir.

Il se peut que l’Etat de la nationalité dont le de cujus souhaite désigner les autorités ne soit pas d’accord d’exercer une telle compétence.

Soit une Britannique qui n’a jamais vécu au Royaume-Uni.

Le Royaume-Uni pourrait ne pas donner effet à la professio fori que Mada- me souhaiterait faire en faveur d’un juge anglais.

La Suisse a beau dire à cette personne :

« Tu peux désigner le for anglais » ;

mais si l’Angleterre ne la reconnaît pas, une telle désignation restera inef- ficace.

Et l’organisation que la de cujus a pu donner à sa succession, en confiant en la validité du choix du for anglais, pourrait s’en trouver ébranlée.

Depuis sa tombe, ou depuis là-haut, elle sera furax !

Il est bon que l’intéressé se renseigne au sujet de la reconnaissance par son Etat national de l’élection de for qu’elle entend effectuer.

On comprend en tout cas l’utilité de l’alinéa 4 de l’article 86 de l’Avant- projet :

qui prescrit la résurgence de la compétence suisse au cas où l’autorité élue par le de cujus ne devait pas « s’occuper de la succession ».

***

L’article 86 alinéa 3 a pour objet le for judiciaire.

Rien n’est dit sur le for arbitral.

Normal : car l’arbitrage fait l’objet d’un autre Chapitre de la LDIP.

Est-ce que le double national, suisse et américain, qui a « partagé » sa vie entre ces deux pays, et qui a des biens dans les deux pays, a le loisir de désigner un « for arbitral » ?

Il existe, depuis quelques années, une « Association suisse d’arbitrage en matière de successions ».

Acronyme : « SVSiE ».

Siège : Zurich.

Trentaine de membres (aucun romand pour l’instant).

Son but est (je cite) de « promouvoir l’arbitrage en matière successorale ».

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Site internet plurilingue proposant des clauses arbitrales modèles.

Alors, l’arbitrage en cette matière peut se réclamer de la préférence qu’avait exprimée en son temps George Washington.

Excusez du peu.

Le testament que le premier président américain a rédigé quelques mois avant de décéder à Mount Vernon, sa belle résidence au bord du Potomac – qu’il m’est arrivé de visiter – comporte une clause arbitrale.

De facture assez classique.

Je vous la lis :

« My Will and direction expressly is, that all disputes – if unhappily any should arise – shall be decided by three impartial and intelligent men, known for their probity and good understanding;

two to be chosen by the disputants – each having the choice of one – and the third by those two ».

La procédure de nomination est donc celle dont nous sommes familiers.

Je lis la suite :

« Which three men thus chosen, shall, unfettered by Law, or legal construc- tions – ce serait donc plutôt de l’arbitrage ex aequo et bono – declare their sense of the Testator’s intention;

and such decision is, to all intents and purposes, to be as binding on the Parties as if it had been given in the Supreme Court of the United States ».

***

Je pense que l’arbitrage international en matière de successions internatio- nales a de beaux jours devant lui.

Plusieurs raisons.

La matière est par essence patrimoniale.

Les conflits positifs ou négatifs de juridictions sont à l’ordre du jour.

La course au juge – « forum shopping » – aussi.

Les coûts des multiples procédures dans différents Etats – qui se marchent souvent sur les pieds – peuvent vite être exorbitants.

Incertitude quant à la reconnaissance mutuelle des décisions.

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La Convention fraîchement adoptée à La Haye le 2 juillet 2019 – salué com- me un « grand jour pour la justice mondiale » – exclut les successions de son domaine.

Les temps de la justice mono-nationale peuvent être bibliques.

Le Professeur Ballarino – mentor d’Andrea, d’Ilaria et de moi-même – disait souvent qu’il faut quinze ans en moyenne en Italie pour obtenir un partage judiciaire.

Il est fréquent qu’une des parties décède en cours de procédure sans avoir pu profiter des biens qui lui reviennent.

Mais je ferme la parenthèse.

***

Et je passe au droit applicable.

Droit donc applicable à la succession de l’étranger domicilié en Suisse – c’est toujours ce cas de figure que j’ai pour l’instant à l’esprit.

Or, s’il a fait une professio fori, le droit applicable sera déterminé par les règles de l’Etat dont les autorités ont été désignées.

Le règlement de la succession s’opère donc en principe à l’étranger.

L’article 90 précise tout de même que « la succession est présumée soumise au droit de cet Etat » sauf si le de cujus a fait une « réserve ».

Il y a donc « présomption » que l’Espagnol domicilié en Suisse qui désigne, dans son testament, les autorités espagnoles, ait entendu soumettre sa suc- cession au droit espagnol.

Intéressant car, en matière contractuelle, il ne suffit pas d’une élection de for pour présumer une élection de droit.

C’est là, certes, un indice.

Mais en matière successorale, c’est plus qu’un indice.

***

Deux autres innovations méritent d’être signalées.

La première concerne l’ouverture de la professio iuris au double national.

Mes Collègues, Florence et Ilaria, en parleront.

La nouveauté dont je souhaiterais dire un mot ne vise pas uniquement la succession de l’étranger domicilié en Suisse ;

elle se veut générale.

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C’est le nouvel article 94 qui la consacre.

Possibilité de dissociation entre loi régissant le testament et loi régissant la succession.

Reprenons le cas de l’Espagnol domicilié en Suisse.

Supposons qu’il ne fasse pas de professio fori pas plus que iuris ; qu’avant de s’installer en Suisse, il était domicilié à New York ; et que c’est quand il habitait New York qu’il a fait un testament.

Puis il déménage en Suisse.

Son testament sera régi par le droit du domicile du « disposant » au moment de l’établissement, non pas au moment du décès.

Dans l’exemple, droit newyorkais.

Alors que sa succession demeure soumise au droit suisse du dernier do- micile.

Innovation inspirée par le Règlement mais dont le principe est déjà entériné par la LDIP à l’égard des pactes successoraux (article 95).

Dualité des lois applicables qui édulcore le principe de l’unité de la loi suc- cessorale.

L’articulation des deux lois – newyorkaise et suisse – peut ne pas être simple à réaliser.

***

Mais il est temps de passer à la deuxième catégorie de personnes : Suisses et Suissesses domicilié-e-s à l’étranger.

Lesquels – ai-je rappelé – se voient déjà attribuer, par l’article 87, alinéa 2, la possibilité de choisir le for suisse.

« For d’origine ».

Toute personne qui possède la nationalité suisse possède également un « lieu d’origine ».

Au moins un.

Si on passe en revue la jurisprudence, il semble qu’il n’arrive pas très sou- vent que les Suisses de l’étranger se prévalent de la faculté de choisir leur for d’origine comme for successoral.

Pourquoi ?

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Plusieurs raisons, probablement.

De nombreux Suisses de l’étranger ont un lien ténu avec la Suisse, où ils n’ont par exemple jamais habité.

D’autres Auslandschweizer ignorent qu’ils ont un tel droit.

On ne saurait exercer un droit si l’on ne sait pas qu’on le détient.

J’ai ignoré pendant longtemps que j’avais le droit de me faire rembourser par l’Université de Genève 100 CHF du coût de l’abonnement annuel des TPG (transports publics genevois).

Je n’ai donc pas sollicité le remboursement.

Dès que j’ai appris que j’en avais le droit, je me suis précipité pour demander le remboursement, y compris pour les années antérieures.

Mais, pour les années antérieures, cela n’a pas marché…

En revenant aux Suisses de l’étranger, on pourrait remédier à leur ignorance du droit qu’ils détiennent de désigner le for suisse, moyennant une campagne d’information par le relais des représentations consulaires.

Campagne qui pourrait cibler en priorité les Suisses « seniors » …

qui, après avoir pris leur retraite, prennent également « leurs cliques et leurs claques » et quittent la Suisse au profit souvent d’un pays plus chaud…

Même s’il fait, en Suisse, de plus en plus chaud.

Nous l’avons re-constaté cet été.

***

Mais – autre problème – le lieu d’origine est un rattachement ancestral, au sens propre :

des « ancêtres ».

Alors même qu’il a vécu en Suisse, l’intéressé-e lui-même, ou elle-même, peut ne pas entretenir de liens avec son lieu d’origine.

Il peut être rattaché beaucoup plus significativement à une autre partie de la Suisse, à un autre canton.

Ce dont se fait écho le verbo correspondant de Wikipedia :

« Il se peut – je cite – que par déménagement de ses ancêtres hors de la commune d’origine, un citoyen suisse ait hérité d’un lieu d’origine d’une commune où il n’est jamais allé ».

C’est le cas de mon épouse.

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Elle a vécu entre Vaud et Genève ; mais elle a pour lieu d’origine Schüpf- heim, petit village dans le canton de Lucerne.

Elle n’y avait jamais mis les pieds avant Pâques 2017, date à laquelle je l’ai presque forcée à s’y rendre, en l’y accompagnant bien sûr.

Une espèce de pèlerinage.

J’ai déjà raconté tout cela l’année dernière.

Mais il y a du neuf :

j’ai découvert que ni son père ni son grand-père n’ont jamais vécu à Schüpf- heim.

Pour trouver quelqu’un de sa famille qui a eu un lien avec le lieu d’origine de tout ce beau monde, il faut remonter trois générations.

Je doute que si mon épouse et moi devions quitter la Suisse dans vingt ans et nous installer au Portugal, Adriana serait intéressée à désigner Schüpf- heim comme for compétent.

En revanche, il y a des chances qu’elle soit intéressée par la désignation du canton de Vaud.

Si ce n’est pas trop tard, je me permets donc de proposer aux Chambres fédérales de retoucher l’article 87 en permettant au Suisse de l’étranger de désigner…

…non seulement le for de son lieu d’origine,

mais aussi le for du lieu de son dernier domicile suisse,

ou bien le for de situation d’une part non négligeable des biens.

Voilà un moyen de donner un nouveau souffle à la faculté que consacre l’article 87.

***

Il est des situations où la compétence du for d’origine est subsidiaire.

En ce sens qu’elle ne se déclenche que si ne se déclenche pas la compétence d’un Etat étranger que la Suisse reconnaît comme prioritaire.

Le but est de conjurer un conflit positif de compétences.

L’article 87 alinéa 1 est modifié par l’Avant-projet,

histoire de mieux préciser les conditions de déclenchement de cette compé- tence subsidiaire,

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de mieux préciser quels sont les juges étrangers dont la compétence est re- connue comme prioritaire.

Il s’agit d’abord de ceux du dernier domicile.

Il s’agit ensuite – c’est là l’adjonction proposée – de la compétence d’un ou plusieurs Etats nationaux du défunt, ou de sa résidence habituelle (retenue par le Règlement), ou de l’Etat de situation des biens successoraux.

La liste est à la fois plus fournie et plus précise.

Exemple.

Un binational, suisse (supposons-le originaire d’Argovie) et allemand, est domicilié au Brésil.

Il laisse des biens au Brésil, en Suisse et en Allemagne.

Si les autorités brésiliennes s’occupent de la succession, la compétence suis- se ne pourra pas se déclencher.

En gros, si le juge argovien est saisi, il devra se dessaisir (à moins que la compétence argovienne ne soit acceptée par les parties à la procédure).

Si les autorités brésiliennes ne s’occupent pas des biens suisses et allemands, le juge argovien pourra tout de même renoncer à exercer la compétence au profit des autorités allemandes.

Il dispose d’un pouvoir discrétionnaire.

Mécanisme assez novateur.

***

Quel est le droit applicable à la succession du Suisse de l’étranger ?

C’est le droit suisse en cas de compétence suisse subsidiaire ou fondée sur le choix du de cujus :

à moins que celui-ci n’ait désigné le droit de son domicile.

Exemple.

Suissesse vivant en France, qui a eu une fille d’un premier mariage dissous par décès et s’est remariée.

Eh bien, elle peut désigner le for suisse de son origine tout autant que le droit français de son domicile.

Cumul du « meilleur des deux mondes ».

Le droit français exclut la réserve héréditaire du conjoint survivant alors que le droit suisse lui attribuerait un quart de la masse.

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Si la compétence suisse se fonde sur autre chose, par exemple sur un accord des parties, c’est le fameux alinéa 1 de l’article 91 qui entre dans la danse.

La mouture actuelle s’en remet au droit que désignent les règles de droit international privé de l’Etat du domicile.

Quid si ces règles désignent le droit suisse ?

Le Rapport explicatif évoque l’absence de jurisprudence et une « doctrine qui part dans tous les sens ».

Et il propose de retenir le droit matériel étranger du domicile.

Exemple, tiré d’une affaire tentaculaire qui a déjà donné lieu à quatre dé- cisions du Tribunal fédéral.

Un Suisse décède à Monaco en 2013, sans avoir fait de professio iuris ni de professio fori.

Il y a plus de 1’000 Helvètes qui résident à Monaco.

Cela fait 500 Suisses par kilomètre carré.

Plus du double de la densité moyenne des habitants en Suisse…

Alors l’article 91 alinéa 1 désigne les règles de droit international privé de Monaco…

…lesquelles retiennent le droit suisse de nationalité.

Conflit négatif helvético-monégasque de lois.

En gros, la Suisse dit à Monaco :

« c’est à toi de déterminer la loi applicable ».

Et Monaco dit à la Suisse :

« c’est à toi de déterminer la loi applicable ».

Comment résoudre ce conflit ?

La question est sans réponse législative aujourd’hui.

L’Avant-projet tranche au profit toujours du droit matériel monégasque.

Le Professeur Bonomi propose de trancher au profit du droit matériel suisse.

Dans un livre sur le renvoi, j’ai proposé une solution médiane :

faire appel à une règle de conflit complémentaire, règle « tierce », supérieure aux rattachements en conflit négatif, et susceptible d’être « bilatérale », c’est-à-dire retenue par l’autre Etat, ici Monaco, et donc d’arbitrer le conflit de loi.

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Méthode qui me semble la seule conforme au tréfond du « bilatéralisme », au principe d’égalité des Etats, et à un principe universel de justice.

Et j’ai proposé de retenir, pour règle subsidiaire, l’accord des parties, ou, à défaut, le principe de proximité, avec des présomptions, par exemple en fonction de la situation de la partie prépondérante des biens.

En l’espèce, si le défunt avait des attaches prépondérantes avec la Suisse (et c’était le cas en l’espèce), le conflit helvético-monégasque négatif de lois devrait être résolu au profit du droit matériel suisse.

***

J’en viens au troisième cas de figure :

étrangers habitant l’étranger ayant des biens en Suisse.

La compétence des autorités suisses ne peut être que subsidiaire.

Il ne s’agit plus des autorités du lieu d’origine, car le de cujus n’est pas suis- se.

Mais bien des autorités du « lieu de situation ».

Les conditions de déclenchement de la compétence subsidiaire sont mieux précisées par l’Avant-projet.

Il s’agit des mêmes que pour la succession du Suisse domicilié à l’étranger.

Je ne m’y attarderai pa

Je signalerai une décision récente qui semble bien mettre en œuvre une telle méthode.

Un Belge domicilié en Grèce décède en 2014 :

avant donc l’entrée en vigueur du Règlement Successions.

Le fils unique ouvre une action en renseignements à l’encontre d’une banque genevoise.

Un compte avec un solde de 100 millions avait été clôturé en 2005.

Le requérant sollicitait les informations l’aidant à reconstruire la trajectoire de ces avoirs.

La Cour genevoise a considéré (je cite) que

« la compétence suisse est également donnée pour obtenir des renseigne- ments concernant une succession dont le patrimoine ne se trouve pas en Suisse ».

(17)

Il suffit donc que la documentation bancaire se trouve en Suisse alors même que les biens auxquels elle se rapporte ne s’y trouvent plus.

Interprétation audacieuse de la notion de « lieu de situation ».

C’est que les documents sont eux-mêmes des « biens ».

On sait que les informations résultant de certains documents peuvent avoir une valeur considérable, parfois inestimable.

Que l’on pense aux secrets industriels ou documents classés secret défense.

Les autorités genevoises constatent que ni les autorités grècques du domicile (car les documents ne sont pas en Grèce), ni les autorités belges de la natio- nalité du défunt (car le domicile n’est pas en Belgique) ne connaîtraient d’une action visant de tels documents.

Elles affirment leur compétence subsidiaire fondée sur le lieu de situation.

Interprétation qui me paraît justifiée.

On connaît les obstacles auxquels se heurtent, dans l’arène internationale, les ayants droits pour faire valoir leurs droits du fait des difficultés de mettre la main sur les informations nécessaires.

***

Droit applicable.

Supposons un Britannique domicilié en Angleterre, propriétaire d’un im- meuble à Nendaz.

La LDIP renvoie à la règle de droit international privé anglaise, laquelle désigne la loi suisse de situation immobilière.

Conflit helvético-britannique négatif de lois.

L’Avant-projet tranche au profit de la loi matérielle anglaise.

La solution « Romano » aboutirait souvent au même résultat :

règle de conflit de lois tierce et supérieure aux rattachements antagonistes, tel l’accord des parties ou, à défaut, le principe de proximité.

Si le défunt, et l’ensemble de son patrimoine, sont plus fortement rattachés à l’Angleterre qu’à la Suisse, il est justifié de retenir le droit anglais.

C’est ce que fait la jurisprudence d’Outre-manche dans des cas de ce type.

***

Voilà donc pour les principales innovations.

(18)

Trois remarques pour conclure.

La première concerne les Italiens domiciliés en Suisse et les Suisses do- miciliés en Italie.

Presque quatre cent mille personnes évoluent aujourd’hui dans l’incerti- tude :

quant au droit de choisir la loi applicable ou le for compétent.

du fait de la permanence du Traité italo-suisse de 1868.

Il faut œuvrer pour qu’une telle incertitude soit éliminée.

La deuxième remarque concerne la résidence habituelle et le domicile.

Il est irréaliste d’insister sur l’idée qu’une personne ne puisse avoir qu’un seul domicile ou une seule résidence.

Comme il y a, de plus en plus, des binationaux, il y a aussi, de plus en plus, des bi-résidents :

personnes qui partagent leur vie entre plusieurs résidences, plusieurs centres de vie, sans qu’il soit facile de dire quelle est la résidence principale et quelle est la résidence secondaire (ou tertiaire).

Une dame vivant entre la Pologne et la Suisse a été considérée comme do- miciliée en Pologne par les autorités polonaises et domiciliée en Suisse par les autorités suisses.

Fazit : conflit helvético-polonais de compétences.

Problème que l’Avant-projet laisse entier.

Il est impératif d’encourager les autorités des deux pays à se parler, à se coordonner par une démarche ad hoc.

Et il serait utile d’adopter une cascade de rattachements subsidiaires pour trancher la situation où chacun des Etats considère que la personne est do- miciliée ou résidente sur son propre territoire…

Sur le modèle des Conventions contre la double imposition.

Troisième remarque.

La réforme projetée ne doit pas faire croire qu’on pourra se contenter du statu quo qui en résultera.

Bon nombre de situations resteront problématiques.

Une succession multinationale, qui se déploie sur le territoire souverain de plusieurs Etats, ne saurait être réglée par un Etat tout seul.

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C’est comme le tunnel du Grand Saint-Bernard :

puisqu’il engage les territoires de deux Etats, son régime ne peut qu’être fixé ensemble par les deux Etats « co-intéressés ».

Pour ce qui est des affaires humaines qui concernent deux ou plusieurs Etats, il est temps de faire évoluer la notion de souveraineté mono-nationale (dont la LDIP est expression) vers une souveraineté binationale, multinationale, conjointe ou partagée.

Ce qui implique de revoir les fondements du droit international privé.

Je vous remercie de votre attention.

Références

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