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LE
SANCTUAIRE
DE LA
CATHÉDRALE D’AMIENS
Par Edmond SOYEZ
De la Société des Antiquaires de Picardie.
AMIENS
LANGLOIS, ÉDITEUR-LIBRAIRE
8.
— RUE DU LOUP. —
(Près delaGare duNord).
1890
EXTRAIT DU DIMANCHE
LE SANCTUAIRE
DE LA
Cathédrale d’Amiens.
% Les travaux de restauration entrepris il
y
a quelquesmois
dans le sanctuaire de la Cathédrale d’Amiens touchent à leur terme ; nous avons pensé qu’il neseraitpasinopportun de mettre sous lesyeux
des lecteurs duDimanche une
courte notice historique et descriptive relative à cette partie de la basilique.Les pages quivont suivre ne sont qu’un
résumé
succinct de l’opuscüle publié par nous sur lemême
sujeten1873
: nousy
renverrons donc ceux qui désireraient des détailsplus étendus ;on ne trouvera ici que ce qu’il est essentiel de connaître pour avoir une idée exacte
du
maitre-autel deNotre-Dame
etde ses accessoires, dans le passé et le présent.Ceux
qui parcourent ces lignes savent qu’auloyen-Age
leschœurs
des grandeséglises, principalementceuxdes cathédrales, des collégiales et des abbayes,étaient presque toujours entiè-rement
clos parune
enceinte de murailles régnant entre les piliers qui les séparent des nels collatérales. Cetteclôture, dans la partie antérieureoù
se tenaient les chantres et le clergé assistantservait d’appui au dossier des stalles hautes.Autour
du
sanctuaire, c’étaient ordinairement destombeaux
d’évêques ou de grands personnages qui occupaient les travées.Du
côté de la nefun
jubé assez élevé servait de séparation avecla partie—
4de l’édifice réservée
aux
fidèles.Le
besoin d’un recueillement plus profond pour célébrer le service divin, et probablement aussi la nécessité de se garantirdu
froid durant des offices fort longs, et qui, en grande partie, étaientchantés durant la nuit, avaient fait adopter cette disposition pour l’usage des chapitres et des monastères.La
Cathédraled’Amiens
présentait donc cetaménagement
intérieur, qui seretrouvait en mainte église.
Du
côté du trans- sept,un
jubé tenait toute la largeurdu chœur. Ce
jubé fut construit vers 1490, sous l’épiscopat de Pierre Versé. Peut-être en remplaçait-ilun
autre plus ancien, dont il ne resteaucun
souvenir ; il formaitun
portique assez profond,composé
de sept ogives de pierre et d’une voussure, supportées par huit colonnesdemarbre
noir.A
la partie supérieure,une
série de bas-reliefs peints et dorés, figuraient lesprincipales scènes de laPassion
du
Sauveur.Au
centre de la balustrade, s’élevait à lahauteur de vingtpieds,
un grand
crucifix, accosté à sa base parles stalues de la Vierge et de saint Jean.
Sous
les arcadesdu
jubé setrouvaientdeux
chapelles : à droite, celle qn’on appelait le Trésor de saint Jacques, parce que le
menton
de ce saint apôtrey
était conservé ; à gauche, celle dédiée à saintFirmin
martyr, où l’on gardait le crâne du premier évêque d’Amiens, enchâssé dans
un
buste d’argent. Entre lesdeux
autels, dans l’arcadecentrale, s’ouvrait laporte principaledu chœur. Ce
jubé futdétruit en1755. L’entréeduchœur,
considérablement élargie, reçutpour
fermeture une portemonumentale
àdeux
ventaux, en fer forgé, exécutée d’après les dessins deMichel-Ange Slodtz, dessinateur ordinaire du cabinetdu
Roi, parun
habile serrurier établi à Corbie, Jean Vayren, dit Vivarais, sur lequel nous aurons à revenirquand
nous parlerons desgrillesdu
sanctuaire.Les murailles servant d’appui au dossier des stalles faisant face au maître-autel, furent garnies d’une arcature composée de trois ogives de chaque côté, supportées par des colonnettes.
Toute cette décoration nouvelle était terminée en 1762.
Mgr
de la Motte, évêque d’Amiens, contribua à ces travaux pourune
somme
de 6,000 livres, plus300
livres de gratification pour l’architecte.0
Les hauts dossiers des stalles, sur les parties latérales du
chœur,
au nord et au midi, sont encoreappuyés
contre lesadmirables clôtures
du XVI
e siècle, dont la partie supérieure présente une suite si intéressante de sujets sculptés retraçant la vie de saint Jean-Baptiste, d’un côté, et, de l’autre, l’histoire de saint Firmin,et l’Invention, ainsiquela Translation des reliquesdu
vénéré martyr.Le
pourtourdu
sanctuaire offraitune
réunion demonuments
funéraires d’époque, de style, et de dispositionsvariés.Quelques auteurs disent que ces mausolés avaient peu à peu remplacé uneclôture uniforme, régnant entreles piliers : ceci est possible, et
même
probable ; toutefois, jusqu’à présent, il n’est permis de rien affirmer de certain surce sujet.Le
guide le plus sûrque
nous puissions prendre pour faire passer en revue au lecteur la suite de cesœuvres
d’art aujourd’hui disparues, à l’exception du mausoléedu
chanoine Lucas, c’est Jean Pagès, le bourgeoisd’Amiens
disert et patriote, qui,un
peu avant le milieudu XVIII
e siècle, consacra ses loisirs à décrireminutieusement
les principaux édifices de la vieille cité picarde, et tout spécia- lement la basilique que nous
sommes
si justement fiers de posséder dans nos murs.Il
y
avait, alorscomme
aujourd’hui,deux
portes latérales se faisant face, l’une au nord, l’autre au midi, percéesà l’extrémité duchœur,
près du sanctuaire ; elles s’ouvraientprécisémemt au même
endroitque celles actuelles, maisellesétaientbeaucoup
plus basses et plusétroites.Du
côté du nord, près de l’empla-cement
où se trouve aujourd’hui l’orgue d’accompagnement, la porte avait reçu son ornementation des libéralités de JacquesLe Doux,
del’ordredes bénédictins, évêque d’Hébron inpartibus, et sujfragant ou auxiliaire de Claude deLongwy,
cardinal de Givry, aunom
duquel il administrait le diocèse d’Amiens, ce prélat n’étantjamaisvenu
occuper notre évêché, qu’il tint encommende
de 1540 à 1545. JacquesLe Doux,
quimourut
le19
mars
1582, reçut la sépulture en cet endroit ; sa statue tombale était placée au dessus de la porte,dansune grande niche surmontée d’ornements d’architecture en pierre sculptée.Une
autretombe
plus modeste, celle de Nicolas Gaudran,—
6—
chanoineet pénitencier,
mort
en 1616, vint pins tard prendre place à côté de la porte, qui était en outreaccompagnée
de groupes sculptés représentant l’un, le départ des douze mission- naires qui, au IIIe siècle, quittèrentRome,
leur patrie, pour évangéliser le nord de la Gaule, et l’autre, les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse, prosternés devantle trônedu
Très- Haut.La
grande travéesuivanterenfermait lestombeaux
richement travaillésdu
cardinal Jean de laGrange
et de Jean de Boissy, son neveu, tousdeux
évêques d’Amiens, le premier vers la findu XIV
e siècle, le second quelques années plus tard. Lesdeux
prélatsétaient représentés couchéssur descénotaphes et revêtus de leurs habits pontificaux. Les statues placées à la suite l’une de l’autre avaient les pieds tournés vers l’Orient.La
statue, enmarbre
blanc,du
cardinal de laGrange
existe encore : elle a ététransportée auXVIII
e siècle, dans uneniche surbaissée, au- dessousdu
mausolée de Guillain Lucas, vis-à-vis la chapelle dite de la petite paroisse. Cestombeaux
étaient abrités sousune
haute voussure de pierre, reposant sur des colonnesformantune
arcature ogivale redentée, à travers laquelleon
pouvait, quoi- qu’imparfaitement,apercevoircequisepassaitdanslesanctuaire.Dans
la travée plus étroite, voisine du maître-autel, ily
avait des groupes sculptés dans le genre de l'histoire de saint Firmin, etreproduisantleslégendes des saints Fuscien, Vietoric et Gentien Ces sculptures dataient de 1524. Elles étaient dues à la munificence
du
chanoine Jean Sacquespée.La
légende de saint Fuscien et de sescompagnons
était complétée dans l’entrecolonnement suivant par l'Invention et la Translation de leurs reliques, scènes figurées de lamême
manière par
deux
groupes de statuettes encadrées dansune
double arcade.Des
médaillons en demi-relief, représentant la vie de saint Quentin, martyr, ornaient la partie inférieure dumur
supportant les arcades qui garnissaient cesdeux
travées.M
e Charles de laTour, pénitencierdu
Chapitre,mort
en 1556, avait fait les frais de tout cet ensemble décoratif. L’épitaphe, gravée sur cuivre, de ce généreux donateur, était appliquée sur l’un des piliers voisins.Dans
la travée la plus proche, on éleva auXVII
e siècleun
mausolée àdeux
chanoines,MM.
Bécourt etLe
Sieur, morts,le premier en 1650, le second en 1652. Ces ecclésiastiques étaient représentés en habit de
chœur,
et agenouillés de chaque côté d’une statue duSauveur
ressuscité, tenant enmain
la croix, et portant sur sesmembres
lesmarques
de sa Passion.On
croit que cette statue en pierre de Jésus vainqueur est celle actuellement placée au-dessus de l’autel de la première chapelledu
bas côtégauche
de la nef.L’arcade centrale
du
rond-point, derrière le maître-autel, renfermait latombe
de l’évêque Arnoul,mort
en 1247, et qui contribua beaucoup à l’achèvement de la Cathédrale.La
statue couchéedu
prélat, abritée parune
niche, a été remplacée, en 1751, par l’effigie enmarbre
ducardinaldelaGrange,rapportéedu
côté gauchedu
sanctuaireLa
construction primitive de cetombeau
avait d’ailleurs été modifiée déjà en 1637, lorsqu’on éleva à lamémoire
du chanoineGuillainLucaslegrand
mausolée que nousvoyons
encore en place.Nous
croyons inutile de décrire cemonument
funèbre, l’un des plus importants de la Cathédrale, et aussi l’un des plusremarqués
à causedelastatue vulgairement désignée sous lenom
d'Enfant pleureur. Cette figure d’ange, assise sur le bord d’une grande niche, entre la statue de la sainte Vierge debout, tenant entresesbras le divin Enfant, et celle deM
e Guillain Lucas, revêtudu costume
canonial de l’époque, agenouilléaux
pieds de Marie, cette figure, disons-nous, est à juste titre regardée sinoncomme
lechef-d’œuvre,
du
moinscomme
l’un des plusbeaux
ouvrages de notre illustre compatrio'e, le sculpteur Blasset, dont l’habile ciseau a dotéla Cathédrale de plusieurs autres figures estimées àbon
droit par les connaisseurs.En
revenant vers le côté méridionaldu
sanctuaire, onvoyait, dansla travée contiguë à celledu
centre latombe
deM
eAdrien
Pécoul, chanoine,
mort
en 1613.Le
bas-reliefdu
soubassement, qui représentaitle bon Samaritain de la parabole évangélique, soignant un pauvre blessé, rappelait que le vénérable défunt avaitjoint l’étude et la pratique de la médecineaux
études théologiques.—
8—
La
travée faisant face à la chapelle actuelle de saint Françoisd’Assise, renfermait des groupes en pierre, peints et dorés, encadrés par
deux
petites arcades délicatement ouvragées,du même
style que lecouronnement
des clôtures qui existent encore au reversdu
dossier des stalles. Les auteurs dequelques descriptionsmodernes
disent que ces statuettes représentaient la Nativité de la sainte Vierge. D’après Pagès, elles figuraient la Visitation et laNativité de saintJean Baptiste.Nous
n’avonspu
trouveraucun
renseignement sur l’époque à laquelle cet ouvrage fut exécuté, ni sur son donateur.L’ogive voisine encadrait
un
fastueux cénotaphe, décoré avec tout le luxe architectural de la Renaissance, et dont le faîte atteignaitleschapiteauxdespiliersdel’église. L’évêque François de Halluin avait fait préparer pour lui ce sépulcre grandiose, mais sa dépouille mortelle n’y fut point inhumée.Le
prélatmourut
accidentellement à l’abbaye du Gard, le 18 juin 1538*et lesreligieux l’enterrèrent dansla chapelle de leur monastère,
la décomposition rapide
du
cadavre n’ayant point permis de le transporter àAmiens.
L’évêque Pierre Versé,
mort
le28
février 1500, avait sontombeau
dans la grande travée méridionale, à l’oppositede celuidu
cardinal de la Grange, et, demême
que le cardinal et Jean de Boissy, il était représenté en habits pontificaux, lesmains
jointes, et couché sur
un
cénotaphe.Le
mausolée, qui était àdeux
faces, et visible également à l’intérieurdu
sanctuaire, n’occupait pas toute la largeur de la travée.Dans
le sanctuaire, à côtédu tombeau
de PierreVersé
etplus prèsdel’autel,ily
avaitlachaireépiscopale,dont nous parlerons tout à l’heure ; àl’exté- rieur, contre le
mur
auquel étaitadossé le trône, ily
avaitdeux tombeaux
: celuideM
e Pierre Cagniet,écolâtre,mort
en 1458,et celuidu chanoine Charles Roignart, qui trépassa en 1535.La
décoration delà porte latéraledu chœur,
du côtédu midi, étaitdue aux
libéralitésdu
doyen,Adrien
de Hénencourt, ledonateurdesbellesclôturesquiexistentencoredanslespremières travées de ce côté, au revers du dossier des stalles. Au-dessus de cette porte, il
y
avait une chambrette destinée au gardien préposé à la sonnerie et qu’on appelait alors, en raison de sacharge, clocquement ou guidon
, lequel devait coucher dans
l’église pour être tout prêt à donner le premier signal des matines, etaussipourveillersurles
nombreux
trésors renfermés dans lesanctuaire.Un
escalier, contenu dans une sorte de tou- relle sculptée à jour et ornée des statues des quatre grands docteurs de l’Eglise, conduisait à cette petitechambre
où se trouvaitune
horloge dont le cadran était tournédu
côté de l’intérieurdu chœur
;un
réveil accompagnait l’horloge afin d’avertir leguidon
de l’heure à laquelle il fallait sonner le premier coup des matines.Le
timbre de l’horloge étaitmis
enmouvement
par une statuettemécanique
représentantun
enfant de chœur.Le
16mai
1615, vers dix heures du soir, le feu prit dans lachambrette
du
guidon qui avait négligé d’éteindre sa lumière avant de s’endormir, et si la promptitude des secours n'avaitempêché
le développement de l’incendie, peut-être aurait-on eu à regretterla perte totaledes stalles et dela boiserieduchœur
;le
dommage
fut peu important, mais aujourd’hni encore nouspouvons
juger de la gravitédu
danger en voyant les pieds droits de lapyramide
quisurmonte
la dernière stalle de ce côté vers le sanctuaire porter des tracesde carbonisation.Tel futjadis l’aspectdu pourtour
du
sanctuaire deNotre-Dame
à l’extérieur
; pénétronsmaintenant dansson enceinteet
voyons
quelleétait la disposition intérieurede cette partie de l’édifice.Les statues des douze apôtres surmontaient les
deux
portes latérales; il
y
avait six figures de chaque côté, abritées par des dais en pierre richement sculptés. Cet ouvrage dataitdu
XVI
e siècle.Deux
degrés marquaient l’entrée du sanctuaire, précisément aumême
point que dans la disposition actuelle.Sur
la seconde de cesmarches
étaient placés quatre grands chandeliers de cuivre, et, au dessus, àune
assez grande hauteur, une poutre transversale fixée à sesdeux
extrémités dans lemur
de clôture, tenaittoutelalargeurduchœur
etsupportait d’autresflambeaux.La
chaire épiscopale était du côté de l’épître, dans la grande travée, prèsdu tombeau
de Pierre Versé. Elle consistait enun
siège de style bysantin, qui avait, dit-on, servi à Jessé, évêque
-
10d’Amiens
auIX
e siècle;deux
colonnettes torses, enmarbre
vert serpentin, supportaientun
dais enbois sculpté;deux
sièges fixes, placésun
peu plus basque le principal, étaient destinésaux
assistants du prélat. Mais ce trône cessa d’être en usage longtemps avantleXVIII
e siècle, etdans l’espacecompris entre ces sièges fixes et la porte latérale duchœur,
on dressaitune
estrade mobile supportant des fauteuils, toutes les fois que cela était nécessaire pour les offices pontificaux.Un
peu en avant de l’autel ily
avait encoredeux
degrés,surmontés
d’une balustrade ou chancelen bois sculpté.Le
maître-autel, reconstruit en 1413, s’élevait sur troismarches
; il était placé précisément à l’endroit où l’on a poséun
autel provisoire durant le temps des derniers travaux de restauration. Ilétaiten pierre blancheet latable, demarbre
noir,remarquable
par sagrande
dimension et son épaisseur, avait été donnée par le chanoinePierre Millet. Cette table, croyons- nous, est celle qui existe encore, enchâssée dans l’autel actuel.En
1493, pendant l’épiscopat de Pierre Versé, le maître-autel tut décoré d’un retable d’argent ciselé, d’un très beau travail,œuvre
des orfèvres PierreFamel
et Pierre deDury. On y
voyait, dans la partie centrale le Christ en croix,
accompagné
de la Vierge et de saint Jean.Au
pied du crucifix, saint Claude présentaitun
évêque agenouillé surun
prie-dieu ; de chaque côté de la croix étaient rangées les figures en pied des douze apôtres, et, au-dessus dechacune
d’elles, celles des douzepetits prophètes.Chacune
de ces statuettes d’argent, rehaussées de dorure etde pierres précieuses, avaitété offerte parun
donateur different.Aux
extrémités, ily
avait, à dro te la décollation de saint Jean-Baptiste, àgauche
celle de saintFirmin
le Martyr.Des
volets de bois peint cachaient ordinairement cette riche décoration que l’on ne découvrait que les jours de fêtes solen- nelles.Le malheur
destemps
forçaplus tardle Chapitre à dépouiller l’autelde cesmagnificences.En
1597, aprèslasurprise d’Amiens par les Espagnols, il fallut payer au vainqueurune
lourde contribution de guerre, spécialement pourle rachat des cloches de la Cathédrale, queles canonniers de l’arméeennemie
préten-—
11—
daient s'approprier par droitde conquête.
On
détacha etonven- dit la plupart des statuettes en ronde-bosse. L’année suivante, nouvel impôt levé cette fois par Henri IV, pour la réparation des remparts de la ville,endommagés
durant le siège. Les cha- noines nefurent pasexempts
dece tribut, etpours’en acquitter,ils durent
envoyer
aucreuset cequi restaitdu
rétable.On rem-
plaça cette somptueuse pièce d’orfèvrerie par despanneaux
en chêne sur lesquels était peint avec beaucoup d’art, dit Pagès,le crucifiement
du
Sauveur.Sur
la table de l’autel, on mettait, les jours de fêteun grand
crucifix et six chandeliers d’argent ; on
y
plaçait aussi desreliques contenues dans des châsses d’argent ou de vermeil, les unesen forme de bustes,lesautresen forme debrasoud’édicules.
Derrière le maître-autel s’élevait
un
contre-retable en pierre, d’une assez grande hauteur, dans lequel avaient été pratiquées trois niches abritant de bien précieux reliquaires.Au
milieu, c’était la châsse en or, dans laquelle l’évêque Thibault d’Heilly avait, en 1204, transféré les reliques de saint Firmin,martyr
; de chaquecôté, maisun
peu plus bas étaient,à droite, lachâsse de saintFirmin
le Confesseur, à gauche, celle de saint Honoré, toutesdeux
en argent.Le couronnement
des trois niches contenant ces reliquaires étaiten pierre délicatement sculptée à jour, avec toutel’élégancedu
styleflamboyant.Au
milieu, ily
avaitun
trèsgrand
crucifix, attaché à une croix de vermeil incrustée de pierres précieuses et entourée des statues en albâtre de la Vierge, de saint Jean- Baptiste et de saintJean l’Evangéliste. Ces imagesétaientun
don deM
e Jean de Sains, chanoine, et deM
e J. Chantepine.Au
pied de la croix,une
crosse d’argent doré enrichie de pierreries servaità suspendreun
tabernacleenformede lanterne hexagone renfermant le Très-SaintSacrement
;
un mécanisme
permettait de faire descendre ce tabernacle sur l’autel,quand
on voulait renouveler les espèces eucharistiques. Cette crosse,surmontée
d’un ange adorateur, qui tenait dans ses mains jointes l’extrémité de la chaîne de la suspense, avait été donnée parM
eJehan Le
Clerc, archidiacre d’Amiens,mort
en 1511.Un
pavillon d’argent ciselé recouvrait depuis1708
la lanterne renfermant la sainte Hostie.12
—
De
chaque côté du contre-rétable s’élevaitun
portique voûtécomposé
de trois arcades danschacune
de sesdeux
parties, s’étendant de l’autelaux deux
premiers piliers du rond-point etfermant l’abside. L’arcature que l’on voit au fond de la Sainte- Chapelle
du
Palais, à Paris, offreune
disposition analogue.Moins
élevée que le contre-rétable, dont il formait le prolonge- ment, ce portique portait en plusieurs endroits l’écu d’Adrien deHénencourt
qui, sans doute, contribua à sa construction.Des châsses étaient posées au
sommet
de cette clôture dans l’ordre suivant: à gauche, en partantde l’autel, 1° cellede saintAche
et de saintAcheul
; 2° celle de saintDomice
; 3° celle de sainteUlphe
; à droite, 1° celle des saints Fuscien, Yictoric et Gentien ; 2° celle des saints Warlois etLuxor
; 3° celle de saint Blimont.Au
dessus de ces châsses régnaitun couronnement
en pierres sculptées et dorées formant arcature, que lévêque François de Halluin fit construire en 1537.Devant
les reliquaires couraitune
corniche en métal,composée
de feuillages entremêlés de fleurs et de fruits et supportant des bobèches de cuivre sur lesquelles brûlaient des ciergesaux
jours de grandes fêtes.De chaque
côté de l’autel, sur la première marcha, se dres- saient troiscolonnes de cuivre au fût historiéde diverses images de saints et dont le chapiteau supportait des statues d’anges en habit clérical, tenantchacun
enmain
l’un des instruments de la Passion ; ces colonnes, placées à la file étaient reliées entre elles par des tringles de métal, auxquelles étaient suspendues par desanneaux
les draperies d’étoftes précieuses ou courtines qui fermaient les côtés de l'autel, selon lacoutume
usitée en Occident auMoyen-Age
et qui ne futabandonnée
àAmiens
que vers le milieudu XVII
e siècle.Un
lustre en argent à trois branches pendait de la voûte au milieu du sanctuaire, et au-dessusdu
maître-autel était sus-pendu un grand
dais de forme oblongue en richeétoffebrochée, fleurdelisée et frangée d’or.L’espace qui s’étendait derrière le maître-autel et le portique supportant les châsses en
comprenant
tout le rond-point de l’abside, était désigné sous lenom
de chapelle de Rétro oudu
—
13-
Saint-Sépulcre.
Dans
la travéecentrale,contre le reversdu mo- nument
d’Arnoul, s’élevaitun
autel que surmontaitun
groupe de pierre représentantJésus mis autombeau
; cette sculpture,don
du chanoine NicolasLe
Marié, datait de 1484.Lorsque
l’évêque officiait pontificalement au maître-autel, le chanoine de semaine disait une messe basse à l’autel de Rétro, ne lacom- mençant
qu’à l’offertoire de lamesse
du prélat, afin de pouvoir suppléer celui-ci,danslecas oùquelqu’accident l’auraitempêché
d’achever le saint-sacrifice.Au
milieu du sanctuaire, sous le dallage, fut déposé, enfermé dans une boîtede plomb, lecœur du
cardinalde Créquy, évêque d’Amiens, décédé le20
juin 1574.Le
corps de ce prélat avait étéinhumé
dans l’abbaye de Saint-Wast, de Moreuil, lieu de la sépulture de ses ancêtres ; selon l’usage observé pour les princes de l’Eglise,un
chapeau rougeétait suspendu àla voûte, au-dessus de l’endroitoù
se trouvait lecœur du
cardinal; cet
insigne a, depuis longtemps, disparu.
Au commencement
duXVIII
esiècleun
autredenosévêques,Mgr Henry Feydau
de Brou, fut enterréau
pieddu
maître- autel r sa dépouille mortelle a été transférée quelques années plus tarddanslachapelledessaintsEtienneetAugustin, l’avant- dernièredu
bas-côtéméridional de la nef, enremontant
vers lechœur
; la dalle demarbre
blanc, chargée d’une longue inscrip- tion latine, placée au-dessusdu
cercueil, lors de l’inhumation primitive, recouvre encore les restes du prélat à l’endroit de la translation.Hernand
Telle, lecapitaine espagnol qui eut l’adresse de se rendre maîtred’Amiens
par surprise en 1597, ayant été tué le4 septembre de la
même
année durant le siège que le roi HenriIV
dut faire subir à notre cité pour la reprendre sur ses ennemis, avait, lui aussi, grâce à l’exigence de ses soldats, qui violentèrent l’évêque et le chapitre, reçu leshonneurs
de la sépulture non loin de l’autel principal de notre basilique; maisquand
le roi légitime eut repris possession de sabonne
ville, les chanoines se hâtèrent de faire retirer le corps de l’étranger de la place usurpée, et ils le déposèrent sans appareil dans le transsept,non loin de l’auteldeNotre-Dame du Puy
;une simple—
14—
dalle en losange, de la
même
dimension que les autres pavés environnants, indique l’emplacement de cette dernièretombe
par des initiales aujourd’hui à demi-effacées.Il n’existe, ànotre connaissance
du
moins,aucun document
précis surla nature et la disposition de l’ancien carrelage du sanctuairedela cathédrale;le dallage primitifdutêtre remanié, sinon refaitentièrement
an XV
e siècle, lors delareconstructiondu
maître-auteLCe
dallage consistait-il,comme
dans le reste de l’église, en carreaux de pierre blanche et de pierre bleue ; se composait-il demarbres
de différentes espèces ; ou bien n’était-ii pas plutôt forméde cesbriques émaillées de diverses couleurs très en usage au
XIII
e siècle, et dont on a retrouvé quelquesjolis spécimens dans les petites sacristies des chapelles de la nef?
Nous
l’ignorons:Pagès
nedonne que
des notions assez vagues sur le pavé de la cathédrale en général, et sans en décrire d’une façon spéciale les différentes parties.Au temps
deMgr
de la Motte, d’après le dire de l’abbé Dargnies, le dallagedu chœur
etdu
sanctuaire se trouvait dansun
état de délabre-ment
tel que ces endroits étaient lesplusmal
pavés de toute l’église.Ce
devaitdonc
êtreun
ouvrage très ancien ; mais nous ne pouvons former là-dessus que des conjectures.La
décorationdu
sanctuaire deNotre-Dame
était complétée par les verrières coloriées qui garnissaient les grandes fenêtres au-dessus du triforium et les baies ajourées de cemême
trifo-rium. Cette riche ornementation se continuait d’ailleurs dans toute la basilique, aussi bien dans le
chœur,
la grande nef et le transsept, que dans les chapellesdu
pourtour de l’église. Les vitrauxdu
sanctuaire, demême
que ceux des autres fenêtres de l’édifice, étaient dûs à la libéralité d’évêques, de chanoines, de magistrats, d’opulents bourgeois de la cité, oumême aux
différents corpsde métiers et
aux
habitants des principalesvillesdu
diocèse.Pagès
nousdit quelevitrailplacé dansle sanctuaire perpendiculairement au-dessus des groupes sculptés figurant l’Invention des reliques de saintFuscien et de sescompagnons
(côté de l’Evangile),portait l’écu du donateur de ces sculptures, Charles de la Tour, pénitencier
du
chapitre ; il est probable que ce chanoine avait aussidonné
les vitres peintes de cette—
15—
grande fenêtre. Les vitraux placés de chaque côté de la fenêtre centrale de l’abside portaient l’écu échiqueté d’or et d’azur, armoiries des comtes de
Vermandois,
anciens possesseursdu comté d’Amiens
; la présence de cet écusson en cet endroit adonné
lieu à différentes interprétations, qu’il est assez difficile deconcilier. Ilreste encoredansdeux
des fenêtresdu
rond-point troispanneaux
représentant des figures en pied, à peu près méconnaissables: D’après les anciennes descriptions, l’une de ces figures serait celle de la reineBlanche
de Castille,mère
de saint Louis, qui contribua de ses largesses à l’achèvement de la cathédrale. Peut-être cette princesse a-t-elledonné
ces vitres; on retrouvait d’ailleurs en plusieurs endroits le blason de la pieuse reinede France. Les bordures debeaucoup
de fenêtres se composaientde châteaux de Castille alternantavec des fleurs de lys.Seule, la verrière de la grande fenêtre supérieure
du
fond de l’abside a échappé à la destruction, ainsi que les vitraux qui garnissent les baies du triforiumimmédiatement
au-dessous;dans letriforium paraîtle tableau
du
mystèrede l’Annonciation,
entre les images de saint Jean-Baptiste et de saint Firmin, martyr.
La
grande fenêtre est partagée en quatre divisions danssalargeurpar troismeneaux
de pierre, etle peintre verrierLa
divisée endeux
dans le sens de la hauteur par la disposition des sujets représentés sur les vitres.Au
premierétage on voit, à chacune desdeux
extrémités,un
évêque crossé et mitre, tenant à lamain un modèle
de vitrail ; il est tourné versMarie
tenant l’Enfant Jésus, dont l’imagedeux
fois répétée occupe lesdeux
divisions centrales.A
l’étage supérieur semontrent quatreanges,les ailes relevéesau-dessus dela tête: tous quatre portent dans leurs
mains
des couronnes.La
rose inscrite dans la pointe de l’ogive a été plusieurs fois remaniée dans le courant de ce siècle; aujourd’hui cette rose estgarnie de verres bleus, au milieu desquels se détacheune
figurine que nous n’avonspu
reconnaître. L’inscription en grandscaractères gothiques placée au bas de cetteverrière fait savoir quelavitre a été donnée par l’évêque Bernard, l’an 1269.Bernard
d’Abbeville, appartenant àune
illustremaison
de Picardie, occupa le siège épiscopal—
16—
d’Amiens de
1259
à1278
II eut lebonheur
de voir achever la construction de la cathédrale.On
retrouve encore sur cette verrièrelesécus deFrance
et deCastille, et celuideVermandois.
Nous
venons de décrirebrièvement l’extérieur du sanctuaire deNotre-Dame
et sa disposition intérieure tels qu’ils étaient vers le milieudu XVIII
e siècle.A
cetteépoque, des modifications très importantes furent opérées dans l’état des lieux, et en peu d’années cette partie de notre église prit l’aspect qu’elle a conservéjusqu’à nos jours.D’un
hautintérêtau point devuearchéologique, l’assemblage desmonuments
funéraires et desgroupes de statuettes qui for-maientlaclôture, était loinde présenter
un
ensemblesatisfaisant pour l’œil à cause des différences de style, d’âge, de caractère, de dimension qui existaient entre cesœuvres
d’artjuxtaposées, maisnon homogènes
; de plus, les travées se trouvant presque toutes entièrement obstruées, les fidèles ne pouvaient apercevoir des nefslatérales ni l’autel, ni les cérémonies saintes.
La
plupart des sculptures avaientd’ailleurs subide graves etdenombreuses
mutilations. L’évêque d’Amiens, qui étaitalorsMonseigneur
dela Motte, prélat rempli d’un saint zèle pour l’ornement de la
maison
de Dieu, résolut, d’accord avec le chapitre, de renou- veler entièrement la décorationdu
sanctuaire.En
1751 et. 1752, tous lesmonuments
qui remplissaient les travées de chaque côté, depuis lespremiersdégresdu
sanctuaire jusqu’au rond-point de l’abside furent enlevés.On
détruisit également le portique fermant la chapelle de Rétro, avec les
niches des reliquaires qui le surmontaient.
Dans
les travées demeurées libres, furent posées des grilles; le vieil autel de pierre et son retable firent place à l’autel actuel en bois sculpté, auquel le chapitre d’alors avait, dit-on, la pensée de substituer plus tard un autel de marbre, projet qui ne reçutjamais d’exé- cution.
On
laissa d’abord au bois sacouleur naturelle :ladorure n’y futappliquée pour la première fois qu’en1768,comme
nousle verrons plus loin.
En
1761, onsupprima
lachambre du
guidon, l’horloge, et toutes les constructionsaccompagnant
lesdeux
portes latéralesdu chœur. Des
grilles ouvrant àun
battant les remplacèrent en—
17partie ;
une
muraille servant d’appui au dossier des stalles occupa lereste delatravée;du
côtédu
nord,une
decesmurailles a disparu ily
aune
quarantained’années,lorsde l’établissement de l’orgue d’accompagnement.La
démolitiondu
rétable et des clôtures du fond dégagèrent l’abside et laissèrent voir toute l’architecture de l’édifice;
mais
la nouvelle disposition n’était pas sans certains inconvénients dont on ne tarda pas às’apercevoir. 11
y
avaittropdevideautour de l’autel, et la circulation dans le déambulatoire durant les offices gênait le célébrant.On
prit lepartide fermerdenouveau
aumoins
les percées du rond-point. Plusieurs artistes etamateurs d’architecture, entre autres Slodtz, de
Wailly,
Rousseau, l’abbé Laugier, présentèrent des projets.Nous
avonsvu
quelques-uns de ces derniers dans la remarquable collection de l’un de nos compatriotes,M.
Duthoit.La
piété inspira àMonseigneur
de la Motteune
penséequ’ilsoumit à l’appréciation des chanoines dansunelettre qui a étéintégralement reproduite par l’abbé Dargnies, le premier biographe du Prélat.Le
digne évêquevoulait que dans lesanctuaire tout serapportât au Très- Saint Sacrement, et inspirât lerespect etl’adorationde l’Eucha- ristie ; c’est pourquoi il désirait quedes angesnombreux
fussent groupés autour de la suspense contenant la sainte hostie, etexprimassent par leur maintien l’étonnement, l’admiration et la joie ; que
deux
séraphins adorateurs se fissentremarquer
entre les autres par l’importance de leur taille et l’humilité de leur attitude ; qu’auxdeux
côtés de l’autel, on vît, d’une part la sainte Viergemontrant
le Saint-Sacrementet semblant s’écrier :Ecce
quem
diligilanima mea
;et, de l’autre,saint Jean-Baptiste, indiquant le Dieu caché d’un geste qui rappelât la parole du Précurseur : EcceAgnus
Dei. D’autres anges entoureraient le sanctuaire, en portant des flambeaux pour honorer la présence réelle de Notre-Seigneur.L’expressiond’un
hommage
à Jésus-ChristauSaint Sacrement,telle fut donc la pensée
dominante
deMonseigneur
de laMotte
en suggérantaux
décorateursdu
sanctuaire deNotre-Dame
le plan qu’ils devaient se tracer ; ce plan n’allait point tarder à êtremis
à exécution d’une façon très heureuse et très remar-—
18—
quable. L’intention
du
prélat fut comprise par les artistes.L’auteur d’une description encore inédite de la Cathédrale d’Amiens, écrite au
commencement
de ce siècle, Jean Baron, bibliothécaire de laVille, dit que l’honneur d’avoirsu tirer parti des données fournies par l’évêque, revient à Soufflot, l’architecte de l’église de Sainte-Geneviève, à ParisLe
sculpteur amiénois Dupuis, et son gendre Christophe, n’auraient eu qu’à exécuter, sous les ordres et d’après les dessins de Soufflot, la Gloire et toutes les statues qui l’accompagnent. Les travaux étaient terminés en 1771.Adossée
aux
piliers del’abside,la Gloire se déploie au devant delatravéecentrale,et sa baseélargie, prolongée pardesnuages, emplit tout le rond-point, sans toutefoismasquer
entièrementlesentre-colonnements latéraux, à travers lesquels le spectateur placé
au
milieu duchœur,
aperçoit les fenêtres élancées des chapellesdu
chevet.Nous
neferons qu’indiquer ici ladisposition générale de cetteœuvre
grandiose, dont l’effet décoratif est incontestable.La
plupart des lecteurs sous lesjeux
desquels passeront ces lignes, connaissent trop bien l’ornementationdu
sanctuaire de notre basilique, pour qu’il soit nécessaire de leurénumérer
ces anges devant lesquels on ne peut s’empêcher de penseraux
chérubins- créés par le pinceau de Murillo, et qui, prosternés sur les nuages dans des attitudes variées, paraissent ravis d’admiration en présence de l’Eucharistie, et lui offrentl’hommage
de leur adoration. « Il n’j a pas, ditRi
voire,une
seule tête de ces chérubins qui ne soitun modèle
à copier. »Ajoutons
que
la diversité des physionomies mérite une étude toute spéciale, ainsi que lemodelé
decescorps d’enfants, rendus avectant de justesse et de vérité.On admire
tout particulière- ment, au milieu de cette gracieuse phalange,deux
archanges souslestraitsd’adolescentsde hautetaille; leurposeest pleinede dignitéetde noblesse, leur visageempreintd’unprofondsentiment religieux;lesdraperies quilescou vrentsontdisposéesavecart.Dans
lapartie-supérieure, plusieurspetitsanges supportent uneguirlande d’épis de blé et de raisin, la matière des espèces eucharistiques, entremêlés avec des fleurs ; à cette
couronne
est suspendue lepavillon doré, abritantla
colombe
de vermeil servantde ciboire,—
19—
et contenant l’hostie consacrée, qui se trouve ainsi devant le centre de laGloire, partie plane, surlaquellelepinceauasimulé
un
foyerlumineux
d’où s’échappent des rayons qui percent le cercle des nuées de plus en plus épaisses et saillantes àmesure
qu’elles s'éloignent dupoint d’où partlabrillante clarté, d’après Baron, sous ce
rayonnement
figurait autrefois l’Agneau pascal posé sur une sorte d’autel, etcouché sur la croix,appuyée
elle-même
sur le livre fermé de sept sceaux dont il est parlé dans l’Apocalypse.Ce symbole
a depuis longtemps disparu.Dans
la partie inférieure, de chaque côté, ily
a des angesappuyés
sur des trophéescomposés
des insignes épiscopaux entremêlés de palmes, d’une croix et d’un glaive : quelques auteurs de descriptions ont cru reconnaître là les attributsdu martyre
de saint Jean-Baptiste et de celui de saint Firmin.De
toutes parts sortent des rayons pleinement dégagés et brillants dans le haut, à demi-couverts sur les côtés et vers le bas.
Au-
dessus de l’autelde Rétro, cesrayons se terminent ens’écartant, et laissent libre
un
enfoncement qui abrite le coffre où l’on conserve lachâsse de saintFirmin
le Martyr.Un
petit bustede bois peint et doré, renfermant des reliques de saintFirmin
le Confesseursurmonte
le rétable de cet autel.De
chaque côté de la Gloire, dans le bas, des piédestaux supportent les statues colossales de la sainte Vierge et de saint Jean-Baptiste,exprimant
par leur attitude les sentiments in- diqués parMonseigneur
de la Motte dans la lettre citée plus haut.Les nuagesse prolongentencore, après ces statues, s’abaissant de plus en plusencontournant lerond-point,jusqu’auxpremiers piliers de l’abside à l’endroit
où commence
le palier, qui occupe tout le fond. Contrechacun
de cesdeux
piliers est adosséun
groupecomposé
d’ungrand
ange soulevant les draperies qui recouvrent àdemi
des reliquaires, et d’un enfant portantun
flambeau.Les quatre autres piliers
du
sanctuaire servent d’appui à autantde groupes portés sur des nuages.Au
centre de chacune de ces compositions, ungrand
médaillon entouré de draperies dorées etappuyé
sur celle des quatre figures symboliques qui20 —
convient au sujet représente le buste en demi-relief de l’un des Evangélistes. Les médaillons les plus rapprochés de l’autel sont accostés à droite et à
gauche
parla statue d’unAnge
adolescent, vêtu d'une courte tunique, et portantune
torchère.Auprès
desdeux
médaillons placés à l’entrée, il n’y a qu’un seul de cesAnges
;du
côté des portes latérales, en dehors de l’enceintedu
sanctuaire, se trouveune
grande urne dorée d’où s’échappe lafumée
de l’encens.Un
lambris demarbre
blanc avec plinthe enmarbre
rouge règne devantle soubassement desgrilles, et enveloppantla base despiliers, formelesocle dechacun
desgroupes quiles décorent.Deux
degrésmarquent
l’entréedu
sanctuaire; de chaque côté s’élève à
une
hauteur d’appui prise de l’intérieurune
barrière demarbre
blanc veiné avec base demarbre
rouge, seterminant parun
piédestal. Les balustres sont en cuivre doré ;cette balus- trade, dans chacune de cesdeux
parties, ne dépasse point l’ali-gnement
des stalles basses.Le
pavagedu
sanctuaire estcomposé
demarbres
de couleurs variées ; aucentre s’étendune
grande rosace à huit rayons d’un dessin fort élégant;sur lescôtés etles paliersdu
fond,ledallage présente desanneaux
entrelacés ; lesquatre degrésdu
maître- autel, demême
que lesmarches du
palier, sontenmarbre
rouge.De
1767 à 1792, époque à laquellecetteœuvre
d’art, confis- quée par l’Etat avec la plus grande partie de l’argenterie del’église, dût passer au creuset, la garniture du maître-autel de
la Cathédrale se
composa
d’une grande croix et de six chande-liers d’argent ayant
chacun
environ quatre pieds de hauteur.Ce
bel ouvragesortait desateliers
du
sieur Porcher,orfèvreàParis, sur le pontNotre-Dame. Un
archéologue de nos jours,M.
F.Pouy,
de la Société des Antiquaires de Picardie, en a publiéune
description, ily
a quelques années, d’après la lettre d’un amateur, quiavaitpu
voircesornements lorsqu’ilsfurentofferts à notre église parMgr
de la Motte.Sur
les pieds triangulaires de la croix et des chandeliers, ily
avait de fort jolis bas-reliefs représentant différents traits dela vie de saint Jean-Baptiste.Le
pavillon qui surmontait lasuspension renfermantleSaint-—
21—
Sacrement, était également en argent; ilavait la forme d’une cloche parsemée de fleurs de lys dorées.
Chacune
des travées du sanctuaire, à l’exception de celledu
centre, occupée parle
monument du
chanoine Lucas, est fermée d’une grille de fer forgé, relevée d’ornements en tôle repoussée.Ces grilles ont été exécutées entre les années 1751 et 1755.
Elles sont l’œuvre d’un serrurier établi à Corbie, Jean-Baptiste
Yayren,
ditV
marais, originaire du diocèse de Viviers.Il serait difficilede travailler le fer avec plus d’habileté que
l’artiste, auteur de ces belles clôtures, des portes latérales et de la grande porte du
chœur. Ce
sont de véritables chefs-d’œuvre.Dans
les grandes travées, quatre pilastres évidés surmontés de corbeilles de fleurs,deux
pilastres dans les travées plus étroites, serventde supportàune
claire-voiecomposée
d’élégants entrelacs ; lecouronnement
est formé, au-dessus de la corniche, parun
large cartouche entouré de guirlandes de feuillages, de roses et de lys d’unmodèle
souple et gracieux ; le dur métal semble avoir été pétri plutôt que travaillé aumarteau
; les car- touchesdu
rond-point renferment quelquesemblèmes empruntés
ausymbolisme
de l’ancienne loi, tels que le serpent d’airain, les pains de proposition, etc. Plusieurs de ces cartouches contiennent les initialesdu
chanoine Cornet de Coupel, qui contribua de ses deniers particuliers à l’érection des grilles, et laissa d’ailleurs dans la Cathédrale denombreuses marques
de sa pieuse munificence.La
grandegrilledu
côté de la sacristie, donnée entièrement parMgr
de la Motte, portait à sonsommet un
écussonaux armes
du prélat ; cetemblème
héraldique, arrachéen 1793,vient d'être rétabli; lagrillecorrespondante du côtédu
nord fut exécutéeaux
fraisdu
Chapitre.Le
couronne-ment
de toutes ces grilles règne avec les dais qui surmontentles stalles hautes.
La
pensée dominante deMgr
de la Motte en indiquantaux
artistes la disposition qu’ils devaient donner au sanctuaire de
la Cathédrale était, nous l’avons dit, de faire tout converger vers le Très-Saint Sacrement, conservé dans la suspense au-dessus de l’autel, de manière à avoir, en quelque sorte, une exposition
permanente
et perpétuelle de l'Eucharistie.- 22
L’usage de présenter ainsi l’Hostie sainte à la vénération des fidèles étaitune antique
coutume
de l’Egliseet, encequiconcerne la Cathédrale d’Amiens, cet usage est aujourd’hui plus de cinq fois séculaire, puisqu’on trouve trace de son existence dès avant le milieudu XIV
e siècle.Nous
avonsmontré
avec quelbonheur
l’idéedu
pieux évêque avait été traduite, et après une interruption passagère durant lesmauvais
jours de la Révolution, le Saint-Sacrement reprit sa place traditionnelle au-dessusdu
maître-autel deNotre-Dame.Toutefoiscettecoutume
si chèreàlapiété des fidèles, constitue
une
dérogationaux
pres- criptionsdu Cérémonial des Evêques.Mgr
Bataille voulant donc assurer à sa Cathédrale la conservation d’un usage qu’il savait êtreestiméàun
haut prix, tantparleclergéque par le peuple de sa ville épiscopale, etmême
du diocèse tout entier, profitadu voyage
qu’il fit àRome
en 1878, pour faire desdémarches
auprès de la Sacrée-Congrégation des Rites, afin dedemander
le maintien de cette antique coutume.
La demande
de l’Evêque fut favorablement accueillie.Après un
long et attentifexamen
de la requête de Monseigneur,
appuyée
de tous les renseigne-ments
nécessaires relatifs à l’ancienneté et à la perpétuité de cet usage,Son Eminence
le Cardinal Bartolini, préfet de laSacrée-Congrégation des Rites, adressa, le 29
novembre
1878, àMgr
Bataille,une
lettreaccordant l’autorisation sollicitée par Sa Grandeur, L’éminentissime Cardinal,en disantquelaSacrée- Congrégation, dans son assembléedu
16novembre
précédent, avait estimé que la susditemanière
de garder le Très-SaintSacrement
devait être tolérée, ajoute qu’elle est conforme à de vieilles et respectables coutumes, etque, de plus, àAmiens
« la custode sacrée est suspendue aucentred’uneremarquable
orne- mentation, riche de dorures et artistement travaillée: eo velmagis quod
vetustœ innitalur consuetedini, ac pensilis ilia sacra custodia splendidissimo circumdetar ornalu, aaro niiente alque afabre elaborato.Toutefois,
Son Eminence
ajoutait qu’il serait nécessaire de changercomplètement
la forme du tabernacle mobile qui conte- nait les saintes espèces ; aulieu d’unpetit ciboire, renfermé dansune
lanterne de cristal, il faudrait, suivant l’anciennecoutume
— 23 —
de l’Eglise, suspendre une colombe d’argent, dans l'intérieur de laquelle on placerait le Saint-Sacrement.
Ce
mode, en effet, outre qu’il aune
signification mystique, répondmieux
à l’hon- neur que réclame la sainte Eucharistie, et il est plus conforme à l’usage ci-dessus rappelé.Mgr
Bataille reçut avec joie la réponse deRome
; il se mit aussitôt en devoir de donner satisfactionaux
injonctions de laSacrée Congrégation. Grâce à
un
chaleureux appel adresséaux
fidèles de la ville épiscopale, en peu de mois
un
habile orfèvre de Paris,M.
Poussielgue, put fournirune
colombe de vermeil artistement travaillée etremplissanttoutesles conditions exigées par la liturgie.Le
saintjour de Pâques, 13 avril 1879, le Très-Saint-Sacre-ment
reprit sa place traditionnelleau-dessusdu
maître-autelde la basilique amiénoise, et, depuis cette époque, ildemeure
ren- fermé dans la colombe mystique.La
rénovation solennelle des saintes espèces sefaitàlamesse
capitulaire,le premierdimanche
de chaque mois,comme
cela se pratique dans notre chèreéglise depuis plusieurs siècles, ainsi qu’en font foi les annales dela Cathédrale.« L’usage de conserver la Sainte
Euchar
istie dansun
vase en forme de colombe, écrivaità cepropos notre docte et pieux ami, Charles Salmon,remonte aux
premiers siècles de l’Eglise ; ce vase était suspendu par une chaîne au ciborium ou baldaquin, et descendait jusqu’àune
certaine distance de l’autelOn
croit, dit l’abbé
Martigny
(Dictionnaire des Antiquités chré- tiennes) que la colombe est la plus ancienne forme des vases eucharistiques. Bien que l’origine de son usage soit fort anté- rieure auMoyen-Age,
on n’en conserve aucune, en France du moins, qui remonte au-delà de cette époque.Le musée
de Pi- cardie en possèdeune
en cuivre émaillé,du XIP
siècle, pro- venant de l’église de Raincheval...Ce
ne fut pas sans raison, ajoute le docte archéologue, qu’on choisit pour les ciboires sus- pendus la forme d’une colombe.Pour
renfermer lemystère d’amour
et de charité, on voulait imiterlaformede l’oiseau qui, presque chez tousles peuples del’antiquité, fut regardécomme
le