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Academic year: 2022

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Texte intégral

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A lire sans modération:

   

p2   ……….       A.B.   continue   ses   analyses   poétiques,   cette   fois   à   travers   la   présentation  de  Mendelstam  

   

p9   ……….     Puis,   vous   livrons   le   troisième   épisode   des   «  chroniques   de   la   vie   moscovite  »,   de   Lina   Franzovna,  qui   vous   donne   une   vue   sur   le   tourbillon   de   la   vie   moscovite  

 

p20   ……….   Nous   concluons   ce   numéro   en   douceur   avec   la   recette   des   Vatrouchki  

     

Attention aux piquants!

 

 

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Mandelstam ou les mots écrits sans permission

« Face à la mort nous n'avons qu'une ressource, faire de l'art avant elle ».

Mandelstam aurait pu adopter cette phrase de René Char, l’adopter comme devise personnelle. Elle retrace, en effet, au mieux la vie de celui qui fut sans cesse soumis au « purgatoire de la métamorphose », mort-vivant ou mort en sursis, obligé de vivre à bout de souffle pour pouvoir vivre, jusqu’au jour où il est envoyé au pays du gris.

Né à Varsovie le 15 janvier 1891, Mandelstam meurt dans les camps, non loin de Vladivostok en 1938, jeune vieillard de quarante sept ans.

Et pourtant…

Publiant dès quinze ans des poèmes, Mandelstam était un jeune poète brillant, célèbre à 22 ans, animant des écoles littéraires, chef de file de l'acméisme, critiquant l'occultisme et l'aspect religieux du symbolisme. Sa poésie n'est pas complainte ou lamentation, mais un chant musical, vivant et sous tension.

Mandelstam riait souvent aux éclats de la vie et de lui-même. Le tout dans une forme qui semble étrangement classique pour mieux nous perdre. Il a confiance dans le pouvoir de vie de la poésie, confiance au pouvoir de sa parole.

Mais Mandelstam se retrouvera pris dans la tourmente de l’histoire et des choix imposés par les événements politiques. Or de contrainte il n’en veut guère, de choix non plus d’ailleurs, son seul parti n’est autre que la poésie et la capacité de cette dernière à tout dire et à dire tout. Ainsi, il opposera à la violence de son temps son chant d'espérance. Et sans jamais changer d’attitude, irréductiblement

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il se tiendra en poète debout face à la société avec pour seule certitude cette sourde et profonde confiance que sa voix passera par-dessus les horreurs du monde. Il lira ainsi à voix haute, devant un cercle d’amis, son épigramme à Staline, faisant du dictateur un monstre objet d’un double mouvement de répulsion et de fascination. Courage ou inconscience ? Peut-être « tout simplement », explosion de vie désespérée avec pour conviction inaltérable l’idée que le poète est celui qui se doit de dire la vérité et qui peut la faire saisir grâce à l’esthétisation. Rien n’échappe à la poésie, rien n’échappe à l’épigramme, même pas un dictateur.

Alors tous ceux qui auront connu le poète seront fortement invités à l’oublier, son nom, imprononçable, fera partie de ces mots dangereux qu’il ne faudra plus de dire à voix haute, mais seulement en silence, dans un murmure. Envoyé en Sibérie, ses œuvres seront systématiquement détruites. Mais il est un support que l’on ne peut pas détruire aussi facilement que le papier, c’est la mémoire.

Nouvel aède, nouveau personnage de Fahrenheit, la femme de Mandelstam apprendra les poèmes, de son mari par cœur et les gardera en secret dans sa mémoire, pour que ne meurt pas le poète.

Après cette brève présentation du poète, voici donc notre point de vue sur le poème Léningrad.

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Ленинград

Я вернулся в мой город, знакомый до слез, До прожилок, до детских припухлых желез.

Ты вернулся сюда, так глотай же скорей Рыбий жир ленинградских речных фонарей,

Узнавай же скорее декабрьский денек, Где к зловещему дегтю подмешан желток.

Петербург! я еще не хочу умирать!

У тебя телефонов моих номера.

Петербург! У меня еще есть адреса, По которым найду мертвецов голоса.

Я на лестнице черной живу, и в висок Ударяет мне вырванный с мясом звонок, И всю ночь напролет жду гостей дорогих,

Шевеля кандалами цепочек дверных.

Декабрь 1930

Осип Мандельштам

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Traduction

Léningrad

Je reviens dans ma ville connue jusques aux larmes Jusqu’aux veines, jusqu’aux amygdales gonflées de l’enfant.

Tu es revenu, avale donc au plus tôt L’huile de morue des réverbères de Léningrad.

La journée de décembre, tu la reconnais aussitôt, Son jaune d’oeuf mêlé au goudron malfaisant,

Petersbourg, je ne veux pas mourir encore.

De mes téléphones, tu gardes encore les numéros.

Petersbourg, je garde encore les adresses Où je puis des morts retrouver les voix.

Je vis sur l’escalier de service et à la tempe Frappe la sonnette qu’on tire à l’arracher.

Et toute la nuit j’attends les chers visiteurs

Jouant avec la chaînette de la porte comme avec la chaîne du forçat.

Décembre 1930 Ossip Mandelstam

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Cette présentation partielle et partiale, loin d’être exhaustive, n’entend pas s’ériger en un quelconque modèle.

Nous ne prétendons aucunement faire une analyse intégrale, exemplaire ou encore académique, scolaire.

Au contraire, il s’agit d’avantage de donner quelques fils conducteurs, pour ce qui est de l’évaluation de la pertinence du propos nous laissons ce soin à notre aimable lectorat.

Ces précautions analytiques et oratoires prises, nous pouvons dire que pour nous ce poème de Mandelstam a quelque chose du chant d’Ulysse arrivant à Ithaque, revenant en territoire connu et ne reconnaissant plus rien.

Il avait quitté Pétersbourg et il revient à Léningrad, il revient physiquement à Léningrad mais Léningrad n’est pas sa ville. Elle ne lui évoque rien, elle n’est pas habitée par ses souvenirs, par ses amis, par les discussions qu’il y a eu. Il ne l’a pas apprivoisée, il n’a pas grandi, vieilli avec elle, elle n’est pas une partie intrinsèque de son existence. Ce n’est pas la ville qu’il a connue ; attachée à tels souvenirs, tels événements, telles sensations. On lui a, en quelque sorte, dérobé son monde. Il revient dans une ville qui lui est étrangère. Il revient dans une ville qu’il ne connaît pas.

Alors ? Alors il lui reste la poésie qui devient un hymne évocatoire. Je suis obligé de dire Léningrad et pourtant je chante Pétersbourg. Un hymne évocatoire qui lui sert à raviver, à évoquer ce qui s’est enfui, ce qui a été effacé.

Evoquer le souvenir, certes, mais plus encore.

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Ce n’est pas seulement une image, un beau portrait. Non, et c’est là, où la poésie devient particulièrement opératoire, il s’agit de dire la déception avec les mots de l’enfant, avec des images d’enfant. Cela revient à dire, je reste face à ma ville l’enfant que j’étais, celui que j’étais, et puisque je ne peux la retrouver telle que je la connaissais, alors la déception que j’éprouve je ne la dirai pas autrement qu’avec les mots, avec les comparaisons de l’enfant, car c’est la seule façon, indirectement, et malgré la coupure que l’on a voulu instaurer, de rétablir le lien. Puisque je ne peux célébrer dans la joie, je célébrerai dans la tristesse, mais je ne couperai pas le lien, je reste le même et ce faisant je dis ma déception sans adopter la posture d’un étranger car si je le fais alors je deviendrai véritablement un étranger. Je dis ma déception avec les mots de l’enfant car je reste l’enfant que j’étais.

Dire la déception et ce faisant, à travers ce dire en lui et par lui même, rétablir le lien alors que la déception était précisément née de la coupure de ce lien.

Et, en même temps, utiliser les mots de l’enfant, est également une façon pudique et en même temps très expressive pour dire combien le poète est blessé dans son souvenir et dans sa mémoire.

C’est ainsi que la lumière des lampadaires de Léningrad, couleuvre à avaler, a le goût de l’huile de foie de morue.

En d’autres termes le narrateur se sent moins affecté par les modifications per se que par la perte de signification qui l’accompagne. Or c’est précisément cette menace qui rendre encore plus nécessaire l’entreprise d’écriture du narrateur.

L’écriture deviendra en effet le seul moyen de retarder l’oubli et le néant de cette ville qu’il ne reconnaît plus.

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Et, c’est ainsi, que Pétersbourg et le poète ne font plus qu’un. Il est le porte-parole, la voix du souvenir qui s’est dérobé, et réciproquement il va subir exactement le même sort.

Mourir ce n’est pas seulement quitter un lieu géographique, c’est quitter tout un monde. Et dans ce poème, outre l’hymne évocatoire, outre le souvenir, il y a aussi la supplique. Pétersbourg je ne veux pas que tu meurs car nos deux morts sont liées, et tu t’effaceras avec ma mort, et je mourrai lorsque tu seras disparue car, une fois encore, l’un ne peut aller sans l’autre, à moins de pouvoir vivre dans un monde privé de toute signification.

A.B.

 

                                           

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Chers amis,

Comme vous le savez peut-être, je vis chez une dame russe robuste, qui s'inquiète pour ma santé. En effet, elle me juge trop maigre. L'autre jour, elle s'est même jetée en travers de la porte en s'exclamant « je ne te laisserai pas sortir ainsi dans le froid, tu n'as pas assez de graisse ». Ce soir, ou plutôt en fin d'après-midi, mais il fait nuit à 16h30, elle m'a regardée consciencieusement, tandis que je mangeais 4 grandes assiettes de soupe de poule, de carottes, de patates et de flocons d'avoine.

Durant mon repas, qui s'avère, à l'heure où je vous écris, avoir été, peut-être, trop copieux, elle me disait ces mots plein de sagesse:

« Je ne vois pas comment tu peux dire que tu manges des choses saines pour la santé. Enfin, quand tu es malade, et que tu manges une carotte dans de l'eau assaisonnée au bouillon cube, c'est très mauvais! Ce bouillon-cube, c'est chimique,tu ne sais pas ce qu'il y a dedans! Tandis qu'avec moi, tu manges des bonnes choses, de la viande, c'est plus sain...Et puis, te rends-tu compte de ta cruauté envers cette carotte? Tu la cuis toute seule, alors que moi, je la cuis avec d'autres carottes, et d'autres aliments encore! Et comme ça, la carotte se baigne avec ses amis! ».

L'alimentation de ma logeuse se compose essentiellement de viandes, de produits laitiers, et, lorsqu'elle est en France, de fruits de mer. Elle considère que les autre aliments n'apportent rien d'utile à l'organisme, et peuvent à la rigueur faire office d'amuse-gueules, par exemple dans une salade de mayonnaise assaisonnée à la betterave. Elle explique ainsi la dégénérescence de la race française par son goût immodéré des poires, des oranges, et autres aliments malsains qu'il est impossible de manger, comme le riz, ou, plus infect, les

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lentilles. Ce régime délétère a à ce jour mené tous les Français à ressembler à Vincent Cassel, pour reprendre mot pour mot ses propos.

Cela dit, je ne me plains pas qu'elle me nourrisse, car la nourriture russe peut être très savoureuse, et la générosité de ceux qui me l'offrent ne fait que la relever. Parfois, je déplore quelques préjugés, notamment sur le saucisson français, jugé néfaste pour l'organisme, parce qu'on voit des morceaux de gras dedans. Alors que le pâté cylindrique rose barbie que je trouve souvent sur la table passe pour être l'une des meilleures saucisses de tout l'empire des tsars.

Toutefois, manger comporte des dangers, même s'il faut se plier à cet exercice de sociabilité pour une intégration réussie. Prenons l'exemple suivant:

une des concierges de mon immeuble, vieille dame au long nez, aux rides expressives, à la longue chevelure grise et au sourire édenté plein de jovialité, m'a prise en grande affection. Très souvent, elle me donne à manger, quand je rentre tard le soir. Une fois, elle m'a soudain versé la moitié de son paquet de noix dans la main sans prévenir, et devant mes protestations, s'est exclamée « on partage en frère! C'est une honte, dans notre patrie, de compter la nourriture que tu donnes aux autres! C'est notre âme, elle est plus grande, plus belle! ». J'ai donc mangé ces noix,, qui avaient bon goût, et j'ai survécu. Cette semaine, toujours en rentrant tard, ma concierge me hèle, et me dit « tu aimes le raisin? » Je réponds que oui. Elle revient avec une énorme grappe appétissante, qu'elle me fourre dans la main. Étant donné qu'il n'y a pas de raisin au supermarché, et que parfois, je suis un peu lasse de manger des « pommes patriotiques », je mangeai le raisin avec joie, me disant que quand même, certains grains ont un petit goût.

Les conséquences en furent dramatiques.

Ainsi, ma vie se passe, entre émerveillements ou effrois devant toutes sortes de monstruosités impromptues, agacement devant une absurdité organisationnelle permanente (qui a pourtant son côté comique), et une menace de débandade intestinale planant tel le général Hiver sur les armées napoléoniennes. Parfois, une lassitude m'envahit, quand je passe une heure à

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chercher, au milieu d'un immense tas de carottes, une qui ne soit pas couverte de tâches noires ou que je ne puisse pas plier pour m'en servir comme d'un boomerang; ou quand, à la cantine, j'ai pour la énième fois le choix entre des boulettes de viande à la chapelure/ des boulettes de viande à l'aneth et à l'orange/des boulettes de viande au fromage râpé et à l'aubergine/ des boulettes de viande au champignon avec de la sauce au gras. (le pire, c'est l'usage récurrent dans la cuisine russe de petits champignons tout fins que je n'ai jamais vus en France, et qui se signalent par un don étonnant: sécréter, de la morve, malgré leur absence de nez ). Récemment, en déjeunant à la cantine de l'ambassade de France, j'ai aussi ressenti une sensation oubliée: boire de l'eau pendant les repas, et non du jus de tomates poivré.

Mes repères culinaires et affectifs ont été définitivement anéantis quand ma logeuse m'a expliqué que je me suicidais en consommant de la margarine, dont on ignore les composants, alors que du beurre, c'est que du bon lait de vache. Elle m'a dit « tu te rends compte? Si ça se trouve, ta margarine, elle est faite avec du cadavre !!! ».

Cela dit, je précise que la cuisine russe comporte bien des spécificités délicieuses, à commencer par son recours à l'aneth ou son usage varié des cornichons, et qu'une fois rentrée en France, je me languis d'une bonne tartine de pain noir avec de la smetana. Pour noyer mon chagrin, j'ensanglante ma cuisine en tranchant avec sauvagerie d'innocentes betteraves pour mon borchtch, tandis que je gémis contre le pays d'anorexiques où l'on m'oblige à vivre.

C'est une chose bien difficile que de ne plus très bien savoir de quel côté on est....

Le désordre qui fait rage en mes intestins n'est pourtant rien en comparaison de celui qui règne en dehors de mon microcosme physique. Je vous ai déjà parlé de l'urbanisme moscovite, qui ne laissait rien augurer de bon

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concernant la façon dont les habitants de ce lieu prodigieux s'organisent. Je vais confirmer ces mauvais pressentiments en vous donnant un bref aperçu de mon travail. Toutefois, pour respecter le secret professionnel auquel je suis astreinte, je n'indiquerai aucun nom, ni aucune fonction précise, ce qui sans nulle doute donnera l'impression que je suis coursière pour une confrérie de spectres déguisés en humains. Sachez seulement que ma compagnie d'occultistes se fait passer pour une entreprise spécialisée dans l'organisation d'événements culturels franco-russes.

Les esprits des ombres qui m'emploient me chargent souvent de transmettre des sacs d'or venus de Karakorum (qu'on appelle « défraiements », chez les gens vulgaires), et d'accompagner les victimes au lieu du sacrifice, après un petit tour de ville (nous les faisons passer pour des artistes invités pour participer à des spectacles).

Un soir, je fus chargée par un des fantômes de rencontrer une troupe de saltimbanques gitans afin de leur transmettre beaucoup d'or. Il était 18h30 et je devais retrouver mon preux, venu à Moscou grâce à un aigle d'acier. Le fantôme ne m'avait jamais parlé de cette mission auparavant, mais sans doute attendait-il cette heure nocturne pour m'informer de cette tâche urgente et secrète. Je l'avais entendu le matin, cependant, dire qu'il avait l'intention de « m'envoyer dans le Cosmos ». L'esprit des morts me dit de rester dans le secteur et d'attendre son coup de téléphone, pour avoir plus de détails. Le spectre étant très énervé et occupé, obtenir plus d'informations s'avéra difficile Le problème était qu'il était impossible de savoir dès cet instant si les saltimbanques se rendraient d'abord à leur hôtel ou au théâtre les invitant, parce qu'il était impossible d'en décider à l'avance, pour une raison qui m'échappe toujours. Mais je crois la deviner:

décider à l'avance est impossible à beaucoup de Russes, c'est une limitation insupportable de leur liberté.

J'allai donc me poser dans un quelconque lieu de débauche et d'ivrognerie en compagnie de mon galant. Soudain, le spectre m'appelle, vers 19h30, et

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m'ordonne d'appeler dans une demi-heure une certaine Anastasie, chargée d'accompagner les saltimbanques, et me transmet son numéro de téléphone. Une demi-heure passe. J'appelle Anastasie. Laquelle me répond « euh, en fait, nous venons de l'aéroport, nous sommes dans un taxi, mais nous ne savons pas où nous allons ». Un blanc se fit dans ma tête, puis je repris « vous êtes dans un taxi, mais vous ne savez pas où vous aller? ». Réponse d'Anastasie: « Euh, enfin, la situation n'est pas très compréhensible pour nous... je vous rappelle dans une demi-heure ».

Me revoilà donc à attendre. Anastasie, vers 21h, me rappelle « euh, en fait, on va à l'hôtel Cosmos, vous pouvez venir? ». Oui, bien sûr. Le Cosmos est un hôtel de grand luxe situé dans la périphérie nord de Moscou: il peut s'enorgueillir de différentes choses.

-Tout d'abord, c'est une sorte de grand C (en vue aérienne), en béton couleur de bouse, avantageusement relevée par un gigantesque panneau clignotant bleu, rose, rouge, vert, jaune, qui représente des astres tournoyants.

-Le général de Gaulle dresse fièrement sa haute silhouette – une dizaine de mètres, toute de pierre, dans la cour de ce superbe bâtiment. Le sculpteur a donné à cette œuvre la souplesse de l’huître.

-à deux pas se trouve le VDNKH, le grand centre des expositions stalinien, empire du kitsch délabré, des portiques néo-sumériens agrémentés de choux dorés et de théières géantes en bois de Carélie.

• tout près, mais de l'autre côté, resplendissent de leur éclat argenté les légendaires statues de l'ouvrier et de la kolkhozienne.

Nous nous précipitons donc, mon dévoué ami et moi-même, dans le métro. Nous arrivons une demi-heure plus tard à l'hôtel, où nous ne trouvons pas nos artistes, mais des cohortes de Japonais. Anastasie m'avait dit qu'elle m'appellerait en arrivant. Nous attendons sur les banquettes maronnasses. Une demi-heure plus tard, j'entends parler français. Je relève la tête. Je vois une jeune fille qui appelle sur son portable, et le mien sonne. Mes saltimbanques! Je vais leur porter leur

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or, et ceux-ci s'exclament, après d'aimables remerciements, et les questions touristiques d'usage (c'est loin la place rouge? Tu connais un bon sauna?): « Tu sais ce qu'il y a voir dans le quartier? » « l'ouvrier et la kolkhozienne... » « Oh les mecs, énorme, venez, on va tous fumer devant l'ouvrier et la kolkhozienne!

Quoi, y'a de la pluie glacée? On s'en fout!!! ».

Et nous les laissâmes à leur bonheur, non sans avoir jeté un dernier coup d’œil émerveillé au majestueux couple argenté qui se détachait sur le ciel noir.

Moscou se bonifie la nuit ou en hiver, ses couleurs un peu vives se justifient mieux sur un fond uni.

Le vendredi suivant, une autre aventure m'arriva. Un spectre m'avait chargé de montrer les merveilles de Moscou à une autre gitane, que je devais ramener à une salle de spectacle à 7h. Nous y fûmes à 6h40. À ce moment, le spectre devait nous rejoindre et aller au spectacle avec la gitane. Ne voyant point mon maître des ténèbres, je l'appelai. Celui-ci me dit, d'une voix ravagée par l'angoisse:

-- je n'ai pas fini mon travail, je n'arriverai qu'à l'entracte:! Il faut que tu restes avec elle!

La gitane, qui entendait la conversation, me dit qu'elle est assez grande pour se passer de moi quand elle va à un spectacle, d'autant que nous allions retrouver un de ses collègues mages venu de Gaule en compagnie d'une interprète. Rien à faire, le maître des ténèbres ayant une peur abominable des engoulevents, pieuvres urbaines et autres bébêtes, il me demande de ne pas quitter les lieux avant son arrivée; mais dans sa bonté, il m'autorise à ne pas aller au spectacle, mais à retrouver mon galant dans le hall du lieu, en attendant son arrivée. En effet, mon galant devait me retrouver pour passer une dernière soirée tranquille avec moi avant son départ, ce qui semblait un peu compromis. D'autant que je devais à 9 heures me trouver dans un tout autre lieu de Moscou pour remettre encore un autre sac d'or à une autre gitane débarquant à son hôtel et lui faire

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signer son acte de damnation éternelle, pour nos services (on appelle ça un contrat, chez les ignorants). Me voici donc assise, sur un confortable divan, dans un immense hall, rempli de colonnes dans le style russe, aux formes rebondies chargées de lourdes arabesques (on dirait un peu qu'elles font de la rétention d'eau et qu'elles ont des varices).

La créature de l'ombre finit par me rappeler, une heure plus tard, et me déclare:

⁃ Je ne serai pas là à l'entracte! Certainement, je ne pourrai pas venir à la fin du spectacle. Où es-tu???

⁃mais je suis toujours là, dans le hall...Mais qu'est-ce-que dois je faire? Je dois aller retrouver X***, et...

⁃mais il faut que tu accompagnes Z*** au café après le spectacle!!! C'est terrible!!!

⁃Il faut quand même que je parte pour retrouver Z***...Et de quel café parlez- vous? En fait, j'aimerais bien savoir quand je peux rentrer chez moi, ce soir, j'ai mon ami de France qui est avec moi, alors, si je pouvais prévoir...

⁃ Mais tu ne veux pas rester, tu nous abandonnes!!! (je précise que depuis une semaine, je courrais à droite à gauche en suivant toutes les directives;

demander à être prévenue plus de 10 minutes à l'avance pour ne pas imposer votre rythme à vos proches, c'est trop demander...).

⁃ Je fais tout ce que vous voulez, je voudrais simplement savoir où je vais..

⁃En fait, il faut que tu sois à 8h40 à l'hôtel de X*** pour la retrouver! (elle devait arriver à 9h, et il m'était techniquement impossible de me transformer en chauve-souris pour rejoindre ce lieu en moins de 20 minutes, comme il était déjà 8h25...). Et ensuite, on va te dire si tu dois accompagner Z*** au café où elle doit nous retrouver, où si tu dois retourner ici pour accompagner X*** au même café, où si tu peux rentrer chez toi.

Sachant que je n'habite quand même pas en plein centre, je pouvais donc prévoir

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que je ne serai pas chez moi avant 11 heures, voire plus.

⁃ Maintenant, le café...En fait, je n'ai pas l'adresse, alors je ne peux pas te la donner..euh, est-ce-que tu vas trouver? En fait, tu ne vas pas pouvoir trouver, c'est dans une cour derrière un autre café, il faut passer par un couloir...Bon, tu vas à l'hôtel de Z***; tu lui tiens compagnie, et tu attends, on te rappelle!

Nous nous précipitons donc à l'hôtel, sans demander plus d'explications.

Nous arrivons à l'hôtel, un 5 étoiles dans une rue délicieuse. Le hall se présente comme une cour intérieure d'hôtel particulier dans le style du vieux Moscou, et il est coiffé d'une immense verrière qui, l'été, doit nécessiter une climatisation faramineuse. Le sol est de marbre rose, les murs à hauteur d'homme tapissés de lambris (au-dessus, ils sont jaunes,avec des fenêtres ornées de stuc), et les canapés sont verts. J'avais eu l'occasion auparavant d'apprendre, pour un de mes gitans, que l'accès au wi-fi y coûtait 25 € par jour. Ce soir-là, j'étais affamée: le midi, je n'avais pas eu le temps de manger, j'étais sensée me libérer à 7 heures, et à 9 heures, je n'avais pas encore eu accès à la moindre nourriture. Je regarde le prix du sandwich au bar de l'hôtel: 15 €.

Il y a des choses qu'un stagiaire ne se permet pas.

Une pensée angoissée me vient: comment Z*** allait-elle me reconnaître?

J'appelle mon spectre, pour savoir si Z*** est prévenue, et si je dois préparer une pancarte et rester comme un piquet, si je peux avoir le numéro de téléphone de Z***...Mon spectre me répond, d'un ton très énervé:

⁃ Mais que dis-tu? En fait, tu ne veux pas l'attendre, c'est ça? Comment ça, comment elle va te reconnaître? Mais c'est toi qui va la retrouver, pas le contraire! Mais enfin, pour qui te prends-tu?

⁃ Mais elle ne sait pas à quoi je ressemble, comment voulez-vous que dans le hall de l'hôtel, elle se dise « oh, et si cette jeune fille m'attendait? » si par hasard elle m'aperçoit ? Elle sait au moins qui doit la retrouver?

⁃ J'ai appelé le standard de l'hôtel, et je leur ai dit de la prévenir en arrivant que

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quelqu'un l'attend de notre part.

Une demi-heure se passe. Pendant ce temps, je m'étais assise sur un fauteuil, épuisée. Quand soudain, je lèvre ma tête, et je vois sortir de l'ascenseur une dame qui ressemblait aux photos que j'avais vue de Z***. Je vais à sa rencontre, me présente, et elle me répond, toute étonnée: « vous m'attendez depuis longtemps? Je suis arrivée il y a une demi-heure, et à la réception, on m'a dit que quelqu'un viendrait me chercher dans une demi-heure! Je suis désolée, je serais descendue plus tôt! ».

Z***, après avoir réglé avec moi ses obligations administratives, partit fumer sur le trottoir. J'appelai le maître des ténèbres, pour lui expliquer où nous en étions. Et celui-ci me répondit qu'il avait fini son travail, et qu'il arrivait dans 10 minutes en voiture pour nous retrouver et emporter Z*** au café! Et ramasser les autres sur sa route.

Fort heureusement, le maître tint parole, et parut 10 minutes plus tard, juste quand Z***avait fini sa clope. Et ils disparurent, me libérant de mon fardeau.

J'espère que ces récits vous donnent une idée de pourquoi je suis souvent fatiguée et n'écris pas très souvent. J'ai bien encore d'autres petits aperçus de ma vie quotidienne au travail à vous donner: Mais la fatigue me saisit et demain, j'ai encore des contrats à rédiger.

Quand je ne travaille pas, je me laisse emporter par ma vie mondaine;

mon travail, où on n'est pas mal intentionné envers moi – les gens se traitent eux-mêmes comme ils me traitent, eux-aussi font des heures sup! On me donne souvent des invitations à des spectacles. Un jour, je me suis retrouvée seule avec une ami dans une salle d'opéra splendide, un lustre en strass de forme bulbique brillait de mille feux violets et dorés au-dessus de nos têtes. Émerveillées, nous contemplâmes la répétition générale en costume de « Pelléas et Mélisande », interrompue en plein final par le cri du chef français à un musicien: « Gentleman

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of the bell! You are a very important person! Please be careful! ».

Sinon, je vois mes amis, et nous avons des discussions très agréable entre personnes saines d'esprit, simplement un peu moins guindées qu'en France – l'embêtant, dans ses lettres, c'est que vous devez vraiment avoir l'impression que j'évolue dans un asile de fous, ce qui est tout à fait fou. Mais je dirais plutôt que nous sommes perdus dans un grand labyrinthe où tout peut arriver, et que nos personnalités sont obligées de s'adapter. C'est à la fois fascinant et épuisant...Une autre fois, je vous raconterai ces belles soirées moscovites!

Exemple de cet absurde ambiant qui place des gens tout à fait rationnels dans des situations invraisemblables: un jour, je devais aller au musée avec un ami, qui venait lui-même avec un autre ami. Tous les deux avaient une demi- heure de retard, ce qui est encore pardonnable, bien qu'un peu agaçant; mais ça nous est tous arrivé. En revanche, ce qui ne m'est jamais arrivé en France, c'est qu'alors que les deux amis sont déjà arrivés à l'entrée du musée, une heure de retard se rajoute encore. Pourquoi? Et bien, l'un d'entre eux avait une guitare, dans son étui. Or le policier à l'entrée du musée refusait catégoriquement de laisser rentrer cet engin de mort, affirmant que la guitare était un objet non- homologué qui n'a pas sa place dans un musée et qu'on peut y cacher des choses (je traduis en un langage humain ses aboiements). Au vestiaire, les dames refusaient aussi de garder une guitare, considérant qu'elles doivent garder des manteaux, mais des guitares, c'est délirant – comment peut-on poser une guitare dans un endroit où l'on pose des manteaux? Un manteau ne ressemble pas à une guitare. Un de mes camarades alla voir à l'accueil du musée, où il trouva une personne un peu plus conciliante. Finalement, il s'avéra que comme le policier ne portait pas sur sa poitrine je ne sais quel galon qui fait partie de son uniforme, le responsable de l'accueil des visiteurs convint que ce policier n'avait pas le droit d'exercer sa fonction, et qu'il le laissait là seulement pour maintenir un semblant d'ordre pour les autres visiteurs. Le policier fut ainsi obligé par l'administrateur de laisser rentrer la guitare, qui fut déposée dans un des bureaux

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de l'accueil.

Nous voyons dans cet exemple que suite à un contexte social et politique tout à fait explicable, le quotidien se trouve parasité par des situations aberrantes. Pourtant, ce policier n'est sans doute qu'une personne agressive et aigrie qui cherche à compenser son bas salaire par sa capacité d'emmerdement.

Rien n'est bien fou là-dedans. D'un autre côté, une multitude de règles fleurissent de toutes parts pour donner l'impression de pallier à une absence générale de cadres stables, et voilà comment, dans cette histoire, le droit n'apparaît que comme un ensemble de règles contradictoires et contournables, au lieu d'être un moyen de protection des citoyens. Dans un tel système, il faut apprendre à penser différemment pour survivre!

Je vais vous laisser, sur la bonne surprise que vient de me faire ma logeuse. Elle vient de toquer à ma porte en disant qu'elle avait quelque chose pour moi. En ouvrant, je l'ai vu me tendre un paquet de belles carottes bien fraîches, et elle m'a confié « C'est un cadeau pour toi!!! Pour que tu ne t'ennuies pas quand tu rentres le soir! Elles sont belles, non? ».

Vous savez, au début, certaines personnes paraissent effrayantes; ce peut être aussi le cas pour un pays tout entier. Puis on se fait à leur caractère, et finalement, même ce qui nous semble être de l'excès a quelque chose d'apaisant.

Par exemple, j'expliquais à ma logeuse que je craignais que notre petit chat casse les verres si on les prenait avec soi pour boire la nuit, ou que j'étais inquiète devant l'effondrement progressif de notre appart. Et elle m'a répondu:

« Mais qu'est-ce-que tu dis, on s'en moque de tout ça!!! C'est vieux, et je l'ai acheté à Ikea!!! Alors casse tous les verres, de toute façon, on reconstruit l'appart en janvier!!! ».

Venez nombreux, ici on respire,

Votre dévouée (Umbe)Lina Franzovna

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Vatrouchki

Avis aux amateurs de pâtisseries russes, ne passez pas à côté de cette recette facile à faire et pourtant délicieuse !

Pour la pâte:

• 250 ml de lait

• 1 sachet de levure de boulanger

• 2 cuillères à soupe de sucre

• 1/2 cuil. à café de sel

• 75 g de beurre

• 450 g de farine ou

500 gr Pâte levée à la levure de boulanger ou de la pâte feuilletée

Pour la farce :

• 500 g de fromage blanc bien égoutté

• 3 cuil. à soupe de sucre

• 2 oeufs

• 2 cuil. à soupe de crème aigre (on peut utiliser la crème fraîche)

• 2 cuil. à soupe de beurre fondu

• 1 cuil. à soupe de farine

• 1 sachet de sucre vanillé

• un peu de cannelle (pour les amateurs)

• + 1 oeuf pour badigeonner les vatrouchki

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Préparer la pâte levée, laisser la pâte gonfler à température ambiante pendant 1 heure.

La découper et faire des petits disques dans lesquels on fait des creux en appuyant avec le fond d'un verre, les remplir de farce, badigeonner avec de l'oeuf et faire cuire dans le four préchauffé à 150-160°.

Astuce: Ajouter au fromage quelques raisins de corinthes préablement trempés dans du rhum ou un peu de zeste de citron non traité.

         

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