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POUR UNE PRISON QUI CONDUIT DEHORS

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Academic year: 2022

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Jean-Louis Daumas

POUR

UNE PRISON QUI CONDUIT DEHORS

1

L'

1Administration pénitentiaire a connu l'automne dernier son sixième conflit social en six ans, celui-ci ayant mis en lumière, une fois de plus, une situation délicate: cinquante- huit mille détenus au 1er juin pour quarante-neuf mille places, un taux d'encadrement humain parmi les plus bas des pays du Conseil de l'Europe (un surveillant pour 2,8 détenus), des questions de fond qui perdurent : taux de récidive, contenu du métier, allongement du temps de détention, etc.

Pourtant, les pouvoirs publics ont manifesté récemment des signes inhabituels d'intérêt soutenu pour le milieu pénitentiaire.

Ainsi, le plan pluriannuel pour la justice (PP]) va créer en cinq ans trois mille neuf cents emplois. Du jamais vu, alors que la tendance dans la fonction publique est strictement inverse! Le mouvement

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de déconcentration amorcé il y a quelques années va s'accentuer au profit des neuf circonscriptions régionales : qu'il s'agisse de la gestion difficile d'une population pénale nombreuse ou de décisions relatives à l'affectation de personnel, les directeurs régionaux décideront plus, plus vite et plus en accord avec les impératifs du

«terrain »...C'est tout du moins le pari qui est pris.

D'autres mesures vont dans le bon sens : en décidant la création, sur plusieurs années, de mille deux cents places de semi-liberté, la chancellerie a indiqué clairement qu'il convient de développer des modes de prise en charge plus souples, plus conjugués avec le milieu ouvert - meilleure transition vers l'autonomie retrouvée... même si actuellement près de 50 % des places de semi-liberté sont sous-utilisées.

Par ailleurs, une mission d'appui au personnel (d'une durée de vie de dix-huit mois) et une réflexion engagée autour du concept de «projet d'exécution de peine» contribuent à amorcer un travail dynamique sur la question essentielle qui agite en vain l'administra- tion pénitentiaire depuis 1988: quel métier, quelles sanctions pénales dans quelle société?

En son temps, la consultation approfondie, animée par Gilbert Bonnemaison, avec le rapport « Geste », avait eu cet immense mérite, demeuré unique, de consulter l'ensemble des acteurs de la profession et de dégager des réponses pour l'avenir.

Nous savons qu'à l'époque, en raison de la frilosité de la Place Vendôme, cet énorme travail avait été prestement enterré. C'est tout à fait regrettable. Ce comportement avait eu au moins un mérite : celui de rappeler à la profession que le personnel politique reflétait alors le pays en lui signifiant un désintérêt relatif pour les prisons. Depuis, au compte-gouttes puis plus clairement en 1992 et 1994, des moyens ont été dégagés. Contrairement à certains qui manient la langue de bois syndicale, il est inexact de proclamer que ces mesures sont dérisoires : quatre mille emplois, quatre mille places en milieu fermé, mille deux cents en semi-liberté, ça n'est pas rien, et d'autres administrations voudraient bien pouvoir afficher la même addition.

L'essentiel n'est pourtant pas là. Solidement ancré dans l'inconscient de ce ventre mou qu'est l'opinion publique, le sentiment d'abandon qui caractérise tout ce qui tourne autour des

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prisons a toujours la vie belle. La nation continue de se soucier fort peu du sort qui est réservé aux quatre-vingt-dix mille personnes qui séjournent chaque année plus ou moins longtemps en prison.

L'opinion réclame avant tout de la sûreté, de la punition et de l'oubli ! Elle manifeste d'ailleurs bien peu d'intérêt pour celles et ceux qui, en son nom, assurent la garde et l'accompagnement vers la liberté des citoyens qui ont transgressé la loi. Elle réserve un sort identique aux hommes qui s'occupent d'autres hommes: comment sont récompensés, considérés, reconnus l'infirmière, l'instituteur de banlieue, le policier îlotier, l'éducateur? Disons-le franchement : notre reconnaissance collective, surtout lorsqu'il s'agit de la concrétiser en espèces sonnantes et trébuchantes, va principalement vers les marchands, vers ceux qui s'activent autour de la circulation du produit.

Le parcours du combattant

Quant au délinquant, son devenir n'intéresse que les militants.

S'il convient de se réjouir de la qualité et de la diversité des associations qui gravitent autour du monde des prisons, il est en revanche tout àfait regrettable de voir que le sort de celui qui est détenu laisse indifférent le citoyen lambda. En période de grande précarité économique et de chômage persistant, celui qui a«fauté»

sera maintenu à l'écart dès sa sortie de prison. La question du logement conditionne évidemment bien d'autres étapes. Quant à l'emploi, l'absurdité du casier judiciaire présenté aux employeurs hypothèque durablement toute insertion..

Lorsqu'il s'agit de peines de Travail d'intérêt général (Tig) ou de chantiers extérieurs, les organiser devient un véritable parcours du combattant : peur, méfiance des syndicats de salariés libres, scepticisme l'emportent souvent sur une attitude qui devrait s'apparenter, certes, à de la discrimination, mais... positive. En effet, proclamer haut et fort que la lutte contre la récidive est prioritaire (60 %des détenus retourneront un jour en prison) ne suffit pas. Il faut d'abord changer les mentalités et considérer que ce public devrait assez vite retrouver un état de citoyenneté à part entière.

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A l'intérieur des murs, il est urgent d'agir en profondeur sur les régimes de détention. Ancrons l'idée qu'une personne détenue est une histoire, un visage, un nom et pas d'abord un numéro. Construi- sons des établissements de taille plus modeste (deux cents places maximum) et réservons des priorités pour donner du contenu au temps; l'inactivité est génératrice de déstructuration de la personna- lité. Formation, enseignement, sport, accès à la culture, bien évidem- ment issus des dispositifs du droit commun, doivent prendre une place dans une journée carcérale prolongée jusqu'à 21 heures (si les moyens en organigrammes suivent) dans les établissements pour peines.

Donner du sens à la sanction...

Donnons du sens à la sanction. Personnels pénitentiaires, nous ne sommes pas mandatés pour excuser ou effacer l'acte ayant entraîné la condamnation. En revanche, investis par la loi d'une mission de garde et d'insertion (le texte de juillet 1987 est sans ambiguïté), il nous incombe, avec d'autres partenaires, de travailler la question de la faute avec le condamné: quel regard porte-t-il sur son acte? Comment l'explique-t-il ?Comment veut-il se projeter dans l'avenir? Pour quelle vie? En augmentant le nombre de surveillants, en les qualifiant avec une formation initiale portée à douze mois (elle est actuellement de huit mois), nous contribuerons àdonner du sensàla sanction pénale, qui cessera alors d'être«sale»,négative, synonyme d'oubliette des Temps modernes.

Créons des réseaux de solidarité autour de chaque établisse- ment en modifiant notamment le rôle et la composition de la commission de surveillance actuellement en sommeil. Invitons les gens de l'entreprise, de la société dite «civile» en nous informant très précisément sur les caractéristiques de la région où est implantée la prison ...,à condition que celle-ci soit construite près de la ville et non pas sur un site«desservi par les corbeaux»,àl'écart de tout ce qui pourrait incarner la vie, l'activité : transports, commerces, services publics.

Confirmons les liens qui devraient être systématiques entre les milieux fermés et ouverts: toute peine de prison, avant de s'ouvrir

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sur la liberté totale, devrait comporter une étape obligatoire d'accompagnement en milieu ouvert ou en semi-liberté pour un apprentissage de l'autonomie et des responsabilités. Nombreux sont les jeunes détenus récidivistes qui disent la solitude, le dénuement qui les ont habités une fois passé le court instant d'euphorie qui suit toute libération. Le lendemain est difficile pour celui qui n'a ni emploi, ni domicile, ni soutien affectif.

... et travailler sur la confiance

Travaillons sur «la question de confiance» par l'octroi de permissions de sortir plus nombreuses (leur taux d'échec est infime et voisin de 1%) qui rythmeront ainsi les peines, particulièrement les plus longues en contournant l'écueil de la question tabou des rapports sexuels en prison avec un partenaire libre : le milieu fermé n'est pas un lieu propice à l'épanouissement sain et maîtrisé de relations sexuelles et affectives. Développons plutôt les permissions de sortir, plus longues et plus nombreuses, au cours desquelles, selon le libre choix de chaque bénéficiaire, se construiront (ou pas) de telles relations, qui n'ont pas à être organisées, cautionnées..., surveillées par l'administration pénitentiaire.

Changeons notre regard sur celui qui dépend de nous pour un temps plus ou moins long: développons, dans les lieux de détention, des attitudes, de part et d'autres, fondées sur le respect et promo- trices... de respect. S'ilconvient évidemment d'exiger de celui qui est détenu, parce qu'il a enfreint la loi, qu'il la respecte désormais en prison, il convient tout autant d'adopter des attitudes professionnelles qui soient en toutes circonstances fondées sur une déontologie qu'il est urgent d'écrire, celle d'aujourd'hui étant incomplète.

Abordons enfin un enjeu promordial qui divise régulièrement le milieu judiciaire, les pénitentiaires n'osant pas l'évoquer frontale- ment: faut-il aller vers l'application stricte de la règle du numerus clausus en maison d'arrêt? Nous savons que ce principe depuis longtemps en vigueur dans les établissements pour peines garantit une prise en charge correcte des personnes détenues, tout du moins en ce qui concerne des critères objectivement « hôteliers ». Ce

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principe n'est nullement appliqué en maison d'arrêt, où l'on absorbe, sans aucune possibilité de régulation, toutes les personnes placées sous mandat de dépôt par une autorité judiciaire; c'est ainsi qu'à la maison d'arrêt de Loos construite pour cinq cent quarante personnes, on héberge, on nourrit, on soigne, on écoute, on sanctionne mille cent individus, qui ne sont plus, dans ces conditions d'entassement, tout à fait des personnes, mais des numéros.

Disons-le clairement: aucune institution ayant en charge des humains n'agit de la sorte. Ecole, hôpital, deux exemples où la règle permet d'afficher complet. Pourquoi pas la prison? D'autres nations fonctionnent depuis longtemps avec le numerus clausus. Chaque juridiction doit avoir des moyens précis à sa disposition : la prison est l'un de ces moyens, à côté, par exemple, du contrôle judiciaire.

Etablissons des règles claires qui fassent qu'un nombre déterminé de places de détention ne puisse être dépassé. Alors, seulement dans ce cas, nous pourrons envisager de mettre en œuvre les réponses à de nombreuses questions, toutes plus ou moins dépendantes de celle-ci: pouvons-nous garantir l'application correcte de la loi avec un taux d'occupation avoisinant 200%dans certains établissements?

Prison respectueuse, garantie pour la démocratie

Par ailleurs, pour combattre le surpeuplement carcéral, peut-être y aurait-il lieu de diminuer lapunitivitéobjective de la loi?

Nous savons en effet que la cause actuelle de l'encombrement des prisons n'est plus, comme il y a dix ans, le nombre de placements en détention, mais surtout la longueur des peines prononcées, qui s'est sensiblement allongée.

Si la prison peut devenir à moyen terme un lieu où il est possible d'agir sur l'homme délinquant pour l'amener à respecter la loi, garantie de la paix civile, il convient alors, dans cette perspective, qui est moins de punir que de relever, d'imaginer des barèmes de sanctions privatives de liberté moins sévères. Rude enjeu qui nous renverrait à l'opinion, fameuse opinion, dont chacun sait qu'elle n'a pas la sérénité de ceux qui sont chargés de rendre la justice ou d'en appliquer les décisions.

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Souvenons-nous des pnncïpes de 1789 qui ont donné naissance à la prison républicaine en bannissant les châtiments corporels et la cruauté légale. Souvenons-nous également des principes humanistes du siècle suivant qui ont parié sur la prison pour améliorer l'homme. Souvenons-nous enfin de la réforme Amor de 1945née dans l'élan dela victoire sur la barbarie. Il y a eu, depuis, la réforme de 1975, immergée parmi d'autres tranformations sociétales. Avançons encore, alors que d'autres reculent, et rappe- lons que l'existence de prisons respectueuses des droits de l'homme, de tous les droits de l'homme est une garantie pour la démocratie.

Les pays qui bien souvent n'ont pas de prisons dignes de ce nom n'ont pas non plus de principes constitutionnels clairement établis.

Imaginons les prisons de l'an 2000 pour garantir la sécurité due au citoyen et, chaque fois que cela est possible, éduquer celui qui nous est confié, c'est-à-dire étymologiquement exducere : le conduire dehors.

Jean-Louis Daumas

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