R EVUE DE STATISTIQUE APPLIQUÉE
G. D ARMOIS
La formation probabiliste et statistique de l’ingénieur
Revue de statistique appliquée, tome 4, n
o2 (1956), p. 13-16
<
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LA FORMATION PROBABILISTE ET STATISTIQUE DE L’INGÉNIEUR
par
G. DARMOIS
J’ai dit, à
plusieurs reprises déjà,
non pas que notretemps
soit fertile en miracles, mais que lamécanique
de sondéveloppement
serapproche beaucoup plus
du caractèreexplosif
que des calmes notions de vitesse, d’accélération...Jamais n’ont été aussi actives et fécondes les
possibilités d’application
de larecherche
scientifique
à l’art del’ingénieur,
au sensgénéral
du mot ;je parle
de l’homme
qui,
auxprises
avec le concret, doit décider au mieux dans lesproblèmes qui
lui sontposés.
Or, pour obtenir
rapidité, fécondité,
Jefficacité,
il faut être dans ce mouve-ment. C’est
pourquoi
l’on doit attacher tantd’importance
à l’enrichissement del’esprit
par ce quej’appelle l’intégration pédagogique
des nouveautés. Il faut, en brisantparfois
certainesankyloses,
obtenir que se propage avec le maximum de clarté et d’efficacité tout cequi
nous rendplus capables
de poser les vraisproblèmes
et de les résoudre.Les réactions de
l’esprit
devant unequestion qui
se posedépendent
bienévidemment de sa formation
préalable.
Il faut d’abord transformer laquestion
concrète en une autre,
iugée
raisonnable etadaptée,
cette deuxièmequestion
donnant
prise àl’application
de certainesméthodes,
existantes ou àperfectionner.
Cette transformation ne
peut
commencer, ne peut se faire et réussir que sil’imagination,
si lavigueur
del’esprit,
sont à la hauteur desquestions posées.
La décision
prise dépend
del’information,
del’ampleur,
de laqualité
de l’esprit qui répond.
Nous attendons un
résultat,
parexemple,
que sorte unepièce
d’un certaindiamètre. Il sort une
pièce
de dimensionplus
forte. Que faire ? Si notre concep- tion est, disonsdéterministe,
nous croyonsqu’à
unrèglage
donnécorrespond
undiamètre
déterminé ;
la conclusions’impose :
il fautchanger
leréglage.
Si, aucontraire, nous concevons le résultat comme
aléatoire,
si nous savonsqu’un
tour
fabrique
despièces
fluctuantes, nousdevons,
non pas attendrepassivement ,
mais observer, mesurer les fluctuations, leur distribution, la stabilité de cette distribution.
Ce que certains croient être un
changement
vrai nécessitantun changement
de
politique
etd’organisation,
n’est souventqu’un changement
aléatoirequ’il
fautétudier
numériquement
pour conclure sil’organisation
actuelle est vraimentadaptée
à nos desseins.Le tour, par
exemple,
peut être censuré ou être utilisé à d’autresbesognes
moins fines.
C’est dans des cas de ce genre
qu’apparait
ce queje
crois être lasupériorité
de
l’esprit statistique.
Au
fond,
c’estl’élargissement
del’esprit
de recherche, etl’Ingénieur
nedoit pas être seul à le
posséder.
Il faut que, par son action et son influence,pénètrent
de nouvelles formes de penser et deréagir.
C’est la richesse et laqualité
des résonances nouvelles ainsi créesqui permettra
de résoudre desquestions qu’on
n’avait même pas aperçues auparavant. Cet enrichissement doit être recherché pour lesjeunes
et pour les adultes.Pour ces derniers, en effet, la maturité de
l’esprit, l’expérience acquise, l’importance
du rôle social rendent l’évolution absolument nécessaire. Il ne faut pas se dissimuler la difficulté de la tâche. Chez un homme fait, comme on dit,une certaine
prudence,
un certainscepticisme
dans le rendement desnouveautés,
de ce
qu’on appelle
volontiers lethéoricien,
ne favorisentguère qu’un
certainimmobilisme. Quitte, bien entendu, à s’élancer vers la nouveauté
quand
elle està la mode. A ce moment
là,
la difficultéparaît,
on n’a pas assez d’hommes, pasassez
d’esprits préparés.
C’est ce
qui
s’estpassé
dans ledéveloppement
desapplications
de la statis-tique.
Audébut,
disons vers 1937, la réaction laplus
commune fut un souriresympathique,
sansbeaucoup plus.
Valait-il lapeine d’acquérir,
de faireacquérir
cette formation
jusqu’alors négligée.
Une très forte évolution s’est faite et l’ona pu
puiser
à la double source desingénieurs
desentreprises
et de la formationdes
jeunes. L’expérience
desingénieurs
s’est enrichie de la formationthéorique
élémentaire ou
plus élevée,
et la formation desjeunes profite
de la connaissance du climat desentreprises.
Et, insistant maintenant sur cequi
est mon but,je
voudrais dire
qu’il
y abeaucoup plus
quel’avantage
immédiat de certainesapplications,
c’estjustement l’élargissement
mentalauquel
conduitl’esprit probabiliste
etstatistique.
Tout le monde connaît bien cette
impression d’élargissement
que donne unethéorie nouvelle,
expliquant
tous les résultats des théoriesprécédentes,
c’est àdire les
comprenant
comme casparticuliers
ou cas limites, mais enrichie depoints
de vueplus élevés, expliquant
par là cequi échappait
aux théories ancien- nes, et construisant par la vie normale de lapensée
des idées nouvelles, despossibilités
entièrement neuves de réalisations.Je voudrais faire une brève revue de ces nouveautés dont
quelques- unes
résultent d’unelongue
mise aupoint,
comme la théorie desprobabilités
elle-même,
qui
débutait il y a environ 3siècles,
maisqui,
reconnaissonsle,n’est
pas encore bien entrée dans le
système
de l’instructionpublique (Laplace,
unsiècle et
demi).
L’IDÉE D’ÉCHANTILLON
On sait bien, et
depuis
trèslongtemps,
que nos connaissances, nosjugements,
nos mesures ne sont, bien souvent que le résultat d’une étude non exhaustive.
Nous
jugeons
sur échantillon.Mais, la connaissance ainsi
acquise
et lerisque
attaché auxdécisions,
n’ontpris
une forme assezprécise
etnumérique
que par la théorie deséchantillons,
qui
aprécisé
l’influence del’effectif,
et lestechniques qui
fournissent le maxi-mum de connaissances pour des ressources
données.
C’est aussi de là que
part
la notion siimportante
d’écartssignificatifs.
Si notre connaissance actuelle nous
permet
une théorieassignant
un certainchamp
aux résultatsescomptés, quand
devons-nous conserver notreposition
comme suffisante,
quand
devons-nous la soupçonner d’insuffisance et rechercher l’influence de facteursnégligés,
mal connus. C’estquand
les écarts avec les résultatsescomptés dépassent
les fluctuations normales. Ces testsd’hypothèses,
comme on les
appelle,
doivent bien entendu être assortis d’une information concrète bien solide. Toutrécemment,
à propos du fameuxjeu
deCraps,
la nonapparition
dupoint
7 comme somme depoints
de deux dés était un sérieux test dedés
pipés
et, en effet, disaitJoseph
BERTRAND, ils l’étaient.INDÉPENDANCE - DÉPENDANCE - CORRÉLATION
Plus
importante peut-être, plus
totalement nouvelle est la notion de liaison deprobabilité, qu’on appelle
aussidépendance stochastique
ou encore corrélation.Les lois habituelles, disons
l’optique classique
des lois naturelles, celles deGalilée,
de Newton... c’est la liaison fonctionnelle. La nature disait Galiléeemploie
les êtresgéométriques
etmathématiques.
Ils’agit
ici d’un nouvel êtremathématique,
d’une loi deprobabilité qui change
souvent la valeur d’un carac-tère.
En liaison fonctionnelle, la connaissance de x fixe la valeur de y. Ici, c’est la
répartition
de yqui
est fixée par x. npeut
arriver que y, ainsi lié par x, soit très peudispersé.
On est auvoisinage
de la liaison fonctionnelle, dont onvoit maintenant
qu’elle
n’estqu’un
cas limite.UNE
ACQUISITION
NOUVELLE ET IMPORTANTEUne
grande
idée deJacques
BERNOULLI estqu’on pouvait
conduire vers laconnaissance un cheminement aléatoire. La
façon
de conduire ce cheminement est cequ’on peut appeler
defaçon générale
leplan d’expérience (expérimental design).
c’est la une
dignité
nouvelle du statisticien moderne. Associé à la recherche dèsson début et dans ses pas
successifs,
il estchargé d’indiquer
comment obtenirl’information la
plus
étendue avec certains moyens.Ce cheminement
optimum
vers la connaissancepeut
être aidé etrepéré
par la théorie des informations. Ilpeut
s’arrêterquand
onjuge
l’information suffi- sante pour ladécision, (cheminement séquentiel,
estimation lameilleure,
estimation exhaustive de l’informationobtenue... )
LE CONCEPT
D’ÉVOLUTION ALÉATO!RE
Vous savez tous que la
mécanique
habituelle, utilisant l’état à un certain instant et la connaissance duchamp,
parintégrations d’équations différentielles,
ou solutions
générales
deproblèmes
dutype
deCauchy,
calcule à l’avance ledéveloppement
dans letemps, à
l’aide de modèles fonctionnels et de fonctions bien déterminées.Il y a
déjà longtemps
que des modèles àimpulsions
aléatoires ont été considérés par YULE à propos des taches solaires(1927).
En 1933,Raynar
FRISH
marquait
leprofond
intérêt de ces idées pour l’étude des mouvementséconomiques.
C’est ce
qu’on appelle
souvent les processusstochastiques,
l’évolutionaléatoire,
lamécanique
aléatoire.L’évolution d’une
population,
au sens leplus général
du mot,population
humaine,population
departicules,
ensemble constituant un stock, etc... appar- tiennent a ladémographie générale
oumathématique
dont le traitement leplus
satisfaisant est celui de l’évolution aléatoire.
Demême qu’enmécanique classique,
disonsdéterministe,
ce sont les données à l’instant t, disons l’état dusystème qui, jointes
aux conditions dechamp permettent
deprévoir
l’évolution fonctionnelle, de même on voit,jouer
un rôleprépondérant à
certains processus dits de MARKOV.En effet, la loi de
probabilité
dudéveloppement pourrait
contenir tous les étatspassés
dusystème.
Le cas leplus simple
estl’indépendance
mais c’esttrop simple.
Onpeut,
dansbeaucoup
de cas réduire l’influencepassée
et enparticulier
ne tenir
compte
que de l’étatprésent
pour estimer l’avenir.Que ce soit en
démographie, économie, physique,
etc... le rôle de cesconcepts
nepeut
quegrandir.
On peut dès maintenant considérerqu’ils
fontpartie
de ces enrichissements nécessaires à lapensée auxquels j’ai
consacré cesquelques
mots.DISCUSSION
(Président :
M.FRECHET)
M. le Pré sident remercie vivem ent M.DARMOIS de son très inté ressant
exposé
et
signale
que celui-ci non seulement a donné le conseil, mais qu’il a réalisé le voeu defaire
pénétrer
l’esprit de la statistique à la fois parmi les jeunes et parmi les adultes, eninstituant une organisation conçue à cet effet.
M. DARMOIS précise qu’il s’agit du Centre de Formation des Ingénieurs et Cadres aux Applications Industrielles de la Statistique, qui fonctionne à l’Institut de Statistique del’Université de Paris,
(1)
et par lequel il adéjà été formé environ 150 à 300 personnes qui viennenttoutes des entreprises, par conséquent dela source.En ce qui concerne l’introduction du calcul des
probabilités
et de la statistique dans l’enseignement public, M. le Président et M. DARMOISsignalent qu’un
premier pas a été fait par l’introductiond’épreuves
à certains baccalauréats relevant de la Direction de l’Enseignement Technique.
D’autre part, même avant cela, en 1938, M.