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La manchette n°3 : La conversion

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Academic year: 2021

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Submitted on 18 Feb 2021

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Marie Blaise. La manchette n°3 : La conversion. Presses universitaires de la Méditerranée, 472 p., 2004, 2-84269-633-6. �hal-03145793�

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la manchette

revue de littérature comparée

La Conversion

Sous la direction de Marie Blaise

N

o

Université Montpellier III

(5)

Ce troisième numéro de la manchette paraît avec le soutien du Centre d’études romantiques et dix-neuviémistes et du Centre d’études du ving- tième siècle de l’Université Paul-Valéry Montpellier III.

Nous remercions pour leur concours le service des publications de l’U.P.V.

Comité de direction : Lambert Barthélémy, Marie Blaise, Philippe Marty, Gérard Siary, Florence Vinas-Thérond.

Mise en page et couverture :Catherine Sauveur.

Illustration de couverture :Le Caravage (-), Narcisse.

Prochain numéro :

La main, sous la direction de Gérard Siary

Commandes et abonnements :Service des publications de l’Université Paul-Valéry — Route de Mende —Montpellier cedex

Tél.    — Fax    

publications.recherche@univ-montp3.fr

Les propositions d’articles (disquette et tapuscrit) sont à envoyer à Marie Blaise, Gérard Siary ou Florence Vinas-Thérond à l’adresse suivante : Université Paul-Valéry — Route de Mende —Montpellier cedex

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Je remercie Sophie Rabau et Sylvie Triaire de leur aide précieuse et de leur soutien dans l’élaboration de ce volume qui est devenu bien plus qu’il n’était supposé au départ ; merci aussi à Gérard Goui- ran, Hervé Lieutard et Patricia Victorin qui ont e ff ectué les derniers contrôles. Et merci enfin à tous les participants, qui ont bien voulu risquer la conversion.

Marie Blaise

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Sommaire

Étymologie . . . . 

Avant-propos . . . . 

Marie B

LAISE

Ouverture : l’histoire et la romance . . . . 

Jérôme T

HÉLOT

Conversion et faim . . . . 

Pascal G

ABELLONE

Conversions, retournements : la poésie comme épreuve . . 

Hélène S

ÉRIÉ

La conversion rêvée chez Louis-René des Forêts . . . . 

Francis G

INGRAS

L’ère de la conversion et l’art du roman (  -  ) . . . . 

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Sommaire

Françoise L

AURENT

« Malade fu, puis fu garie ». La conversion dans la Vie de

sainte Marie l’Égyptienne de Rutebeuf . . . . 

Gérard G

OUIRAN

Et si tous les chemins menaient à Damas ? . . . . 

Sophie R

ABAU

D’Homère, qu’il ne se convertit pas (mais que nous le

convertissons peut-être) . . . . 

Pierre C

ITTI

Réflexion sur une histoire littéraire de la conversion

religieuse . . . . 

Lydie P

ARISSE

Une figure de convertisseur à l’aube du 

e

siècle. Léon Bloy, de la conversion religieuse à la « métanoïa » : de

nouveaux enjeux pour la littérature moderne . . . . 

Sylvie T

RIAIRE

Corps et graphie : la conversion selon J. K. Huysmans . . 

Marie B

LAISE

Mallarmé, Poe : des anges et des démons . . . . 

Marjorie B

ERTHOMIER

Berg / Büchner : la conversion musicale . . . . 

Michel C

OLLOMB

La Conversion de saint Paul, un tableau du Caravage . . . 

Samuel B

LOOM

Modèles littéraires de la conversion juive à la Belle-Époque 

(10)



Hervé L

IEUTARD

La conversion des occitanophones à l’usage du français . . 

Nathalie R

OUANET

-H

ERLT

La traduction littéraire : conversion, alchimie ou

faux-monnayage ? . . . . 

Maud R

OUTNER

Conversion et fidélité en traduction : l’exemple du Tambour 

Hervé B

ENHAMOU

Personnalité et conversion hystérique chez l’enfant.

Clinique et théorie . . . . 

Pierre B

OQUEL

De la conversion à l’impasse relationnelle . . . . 

Juliette V

ION

-D

URY

« Je ne signe pas cela » . . . . 

Nancy B

LAKE

Quelque chose en toi qui est plus que toi : In the Mood for Love de Wong Kar-wai . . . . 

(11)
(12)

Étymologie

CONVERSION est emprunté (vers  ) au dérivé latin conversio

« action de se tourner, mouvement circulaire » et, spécialement, chez les auteurs chrétiens, « action de se tourner vers Dieu », « retour à la vraie foi » ; c’est également un terme de logique grammaticale. Le mot a eu en ancien français le sens d’« habitation » par confusion avec l’an- cien sens de conversation. Il a également été introduit avec une spécia- lisation religieuse, laïcisée en « changement d’opinion » (avant  ).

Tout comme le verbe, il n’est plus guère employé au sens concret de « transformation d’une chose en une autre » (vers  , repris en

 ) sinon dans quelques spécialisations apparues au 

e

siècle ; en mathématiques (  ), en logique (  ), finance et droit (  ). Le sens physique étymologique, « action de se retourner » ( 

e

siècle ; repris 

e

siècle), n’est guère réalisé qu’en tactique militaire à propos d’un mouvement tournant circulaire. Il a produit le verbe intransitif converser (  ). Par analogie, conversion s’est étendu ultérieurement au domaine de la navigation et du ski, désignant le demi-tour e ff ectué sur place par un skieur. Au 

e

siècle, il a été repris en psychanalyse

. Emprunté pour l’essentiel auDictionnaire historique de la Langue française, sous la direction d’Alain Rey, Le Robert,.



(13)

Étymologie

dans la description de la somatisation d’un conflit psychique avec une valeur symbolique. Le terme religieux convers, erse, est emprunté (vers  ) au latin chrétien conversus « converti », spécialement « celui qui s’est retiré du monde pour mener une vie plus religieuse » et « reli- gieux, moine » (  ) issu du participe passé de convertere. Par préfixa- tion, on a fait reconvertir (  ), utilisé avec le sens religieux et repris au 

e

siècle, en économie, et reconversion (  ), lui aussi utilisé dans un contexte économique (depuis  ).

Converser v. intransitif, est emprunté (vers  ) au latin impérial conversari, proprement « se tourner (versari) vers » d’où « vivre avec, fréquenter, séjourner », composé de cum et de versari, forme fréquen- tative à valeur réfléchie de vertere « tourner » qui a donné verser et version. Le sens de « demeurer, vivre quelque part » et celui de « fré- quenter quelqu’un » ( 

e

siècle) étaient usuels en ancien et en moyen français et sont attestés jusqu’au 

e

siècle. Le verbe exprimait aussi l’idée de « circuler, aller et venir sur une même rivière, dans un même pays » ( 

e

siècle) et d’« avoir un commerce charnel avec quelqu’un ».

Dans l’ordre du comportement, il était synonyme de se conduire (  ).

Son sens actuel « échanger des propos avec » (  ), s’est dégagé sous l’influence de conversation, en même temps que celui de « monologuer, dialoguer mentalement avec » (attesté aussi en  ).

Conversation (vers  ) est emprunté au latin impérial conver- satio (de conversari) « fréquentation, commerce, intimité ». Jusqu’au



e

siècle, le mot signifie « genre de vie, conduite » et « relation », s’appliquant, dans l’ancien droit, à la relation adultère (  , être sur- pris en conversation criminelle). Cependant dès  , il possède aussi le sens d’« échange de propos familiers », qui s’imposera. Générale- ment familière, la conversation a aussi été conçue par les précieux du 

e

siècle comme un genre littéraire noble, au sens d’« entretien savant ». De là, l’emploi du verbe converser dans ce sens. Depuis, le mot désigne spécialement un entretien entre personnes responsables,



(14)



en petit comité et souvent à huis clos (notamment en diplomatie).

Par métonymie, il concerne (  ) la manière de parler de quelqu’un et ce qu’il dit (familièrement : avoir de la conversation) ainsi qu’une assemblée de gens qui conversent. (...)

Convertir est emprunté très anciennement (avant  ) au latin convertere, composé d’aspect déterminé en cum de vertere, « tourner » qui a donné version et signifie « tourner, faire se tourner, changer entiè- rement » et spécialement en latin chrétien « ramener à de meilleurs sentiments, remettre sur la bonne voie ».

Le mot a été introduit avec le sens religieux d’« amener quelqu’un à une religion », également (  ), à la forme pronominale. Par exten- sion, il signifie « ramener quelqu’un à une foi considérée comme vraie » (fin 

e

siècle) et, laïquement, « rallier, faire adhérer à une opi- nion » (  ). Le sens concret, « changer une chose en une autre », apparu de bonne heure (vers  ), tend à vieillir, excepté en par- lant d’argent, d’une rente (  ), et, en termes de logique (  ), de finances, de mathématiques (  , convertir une fraction).



(15)
(16)

Avant-propos

C  il est — déjà — devenu d’usage, notre revue consacre son troisième numéro à un objet d’études que nous n’avons voulu comprendre ni comme thème ni comme concept mais comme un lieu commun permettant la rencontre de di ff érentes réflexions, à l’intérieur comme à l’extérieur du champ littéraire. Approche transdisciplinaire, donc, dont la finalité est de questionner la littérature avec de nou- veaux arguments et d’autres moyens. Le lieu commun est, cette fois, la conversion.

Les chercheurs ici rassemblés (spécialistes de littérature française et étrangère, moderne, ancienne et médiévale, et encore de musique, de cinéma ou de linguistique mais aussi médecins, traducteurs ou psycha- nalystes) ont donc exercé leur réflexion sur une notion qui, a priori, était connue de chacun d’eux, la conversion représentant, dans tous les champs retenus, une opération particulière en même temps que fondamentale. La signification courante du mot « conversion », com- mune à tous même si elle représente une restriction majeure du sens du terme, ne s’en est pas trouvé négligée pour autant : elle a été inter- rogée à plusieurs reprises dans la perspective ouverte par les diverses réflexions et est restée un questionnement historique et éthique cen-



(17)

Avant-propos

tral dans le panorama dégagé par la synthèse des travaux. La mise en tension de ces travaux avec di ff érentes pensées de la littérature a engagé celle-ci tant du point de vue de la poétique que de l’histoire ou de la théorie.

La conversion, en ce début de 

e

siècle, demeure essentiellement perçue, il est vrai, sous son aspect religieux. Le mot renvoie à la mani- festation d’un désir de lien (tel est le sens étymologique de « religion » selon les premiers auteurs chrétiens) qui conduit à se (re)tourner vers (le vrai) Dieu. En conséquence de ce retournement, le converti acquiert une compréhension nouvelle du monde, trouve sa place dans l’équilibre de la Création et adopte les règles de vie qui en découlent logiquement et naturellement — c’est-à-dire, le plus souvent, qu’il abandonne les biens et les plaisirs de ce monde au nom d’un Bien suprême qui le justifie en tant que sujet. Telle est l’origine du mona- chisme. Une telle conception de la conversion trouve son origine autant dans la philosophie

que dans l’Ancien Testament pour lequel le mouvement de se tourner vers (ou de se détourner de) Dieu se présente rarement comme un fait acquis ou arrêté

et n’implique pas un renoncement catégorique et permanent à la jouissance des biens matériels.

Telle que la définit le nouveau modèle chrétien, la conversion est grandement à l’origine de la formation de l’Occident chrétien. C’est ainsi que les Évangiles transmettent la « bonne nouvelle » apportée aux hommes par le fils de Dieu : ils participent très certainement d’une tradition orale de prédication centrée sur la mort et la résurrection du Christ qui s’adressait initialement aux Juifs pour leur démontrer que Jésus était bien le Messie annoncé par les Prophètes. À la fois témoignage et exercice de logique, les prédications se terminaient par un appel à la conversion, comme le montrent les discours de Pierre

. Voir l’« Ouverture » qui suit cet « Avant-propos ».

. Dans une certaine mesure, tel est l’enseignement du Livre de Job.



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-

dans les Actes des Apôtres

. Si les prédications dans un premier temps et, bientôt, les Évangiles, ont pour but de convertir Juifs et Gentils, il est naturel que les Actes fournissent l’un des grands modèles de converti, celui de Paul, l’Apôtre des Païens. La conversion de Saül sur le chemin de Damas est le résultat d’un miracle et suit le modèle d’une révélation. Très di ff érente est celle d’Augustin, qui forme l’autre grand modèle chrétien. Pendant des années, Augustin cherche le che- min qui pourra le conduire à la conversion et s’il demande à Dieu comme une grâce de lui venir en aide, il ne possède pas la foi aveugle du soldat Saül. Augustin est un lettré, un professeur de rhétorique ; lorsqu’il entend une voix sous le figuier du jardin de Milan où il s’est réfugié pour pleurer de son impuissance à trouver la sagesse, cette voix d’enfant qui chantonne, venue probablement de la maison voisine, ne décide pas directement de son destin : Tolle, Lege, dit-elle sur le ton d’une comptine : prends et lis

. Dans la « crise » de Milan, Augus- tin puise sa fameuse théorie de la volonté en lutte avec elle-même ; du récit de sa conversion, il tire une forme littéraire, l’autobiographie de conversion ou même, pour certains, l’autobiographie tout court.

Ce sont les mots de l’Apôtre qui scellent la conviction du professeur mais des siècles séparent déjà la conversion du rhéteur et celle du sol- dat. Di ff érentes lectures de la conversion d’Augustin se succéderont au cours de l’Histoire, qui détermineront toutes une manière particu- lière d’envisager le lien qui retourne les hommes vers Dieu. L’une des

. Voir Actes, III,-; IV,-.Cf.Jean-Claude Schmitt,La conversion d’Her- mann le Juif, Paris, Seuil,.

. Saint Augustin,Les Confessions, livre VIII. Augustin date précisément le début de sa quête qu’il définit comme une recherche de lasagesse. La révélation qui eut lieu douze ans avant l’aventure de juilletdans le jardin milanais n’est pas d’ordre religieux mais philosophique : « [...] bien des années, douze peut-être, s’étaient écou- lées, et moi avec elle, depuis que, vers mes dix-huit ans, la lecture de l’Hortensiusde Cicéron avait éveillé mon ardeur pour la Sagesse ; et je différais de mépriser la félicité terrestre et de me rendre disponible pour la rechercher ». Saint Augustin,Les Confes- sions, VII,,Œuvres, édition publiée sous la direction de Lucien Jerphagnon, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade »,, p..



(19)

Avant-propos

plus célèbres et des plus importantes pour l’histoire de la littérature constitue le jansénisme.

Mais si Paul et Augustin constituent les deux grands exemples de conversion au christianisme, les Évangiles découvrent la conversion sous d’autres formes, qui ne se présentent pas comme des modèles nar- ratifs mais plutôt comme des structures ou des phénomènes de pen- sée. Jérôme Thélot montre que la parabole du Fils Prodigue

peut être considérée sous un tel angle. Dans le double mouvement de reconnais- sance de soi et d’acceptation (et donc d’élan) vers l’autre qu’induit la représentation de la faim du fils — si pauvre, dans le pays étranger où il vit après avoir dilapidé sa part d’héritage, qu’il envie la nourriture des pourceaux de son maître — se situe pour J. Thélot le principe même de toute conversion, saisie alors comme inséparable de la pen- sée du sujet. C’est ainsi que la conversion peut être perçue comme appartenant « à la structure essentielle de la subjectivité pour autant que celle-ci se donne comme faim ».

Il est intéressant de constater que la structure du récit — l’exil, la crise que traverse le pays d’adoption du Fils Prodigue, la rentrée en soi et, finalement, l’acceptation de l’autre — se retrouve au Moyen Âge, non seulement dans l’hagiographie mais aussi dans l’un des grands courants de la littérature courtoise, le cycle du Graal (exil, terre gaste, traversée de la mélancolie, acceptation de l’autre) et que cette même structure sert encore au 

e

siècle pour figurer la crise de l’autorité (en tous les sens du terme y compris celui de qualité de l’auteur) qui, depuis le Romantisme, a présidé à la conversion des Belles Lettres en

« littérature ». C’est elle que Mallarmé, par exemple, incarnera, dans une nouvelle sorte d’autobiographie de conversion à la « véritable poé- sie », dans la fameuse « crise de Tournon » dont sa correspondance témoigne, mais aussi Igitur. Telle est la thèse développée dans l’ar- ticle « Mallarmé, Poe : des anges et des démons ». Mais, au-delà de la

. Il peut être utile de noter que la parabole du Fils Prodigue se trouve dans l’Évan- gile de Luc, le même Luc dont la tradition fait l’auteur des Actes qui racontent la conversion de Paul.



(20)

-

structure du récit lui-même, l’idée que la poésie, en tant que parole de vérité, suppose l’épreuve d’un retournement fondamental du sujet, une conversion donc, est une idée majeure de l’histoire du genre poé- tique. Pascal Gabellone la renvoie non seulement à Heidegger mais aussi à Vico qui figure ce retournement comme « ouverture à l’homme de sa propre humanité ». Hölderlin, Leopardi, Mallarmé, Rilke et Celan constituent les étapes de cette réflexion qui fait de la poésie le seul lieu de retournement « positif » de la modernité. À cette lec- ture se rattache l’article d’Hélène Sérié qui présente l’œuvre de René- Louis des Forêts dans le mouvement d’une conversion « perpétuelle »,

« subversion inlassablement répétée » entre « deux conversions essen- tielles [...] celle de la parole en silence et, surtout, celle du langage en musique ».

Il y aurait donc des lieux, des genres, des moments particuliers de la conversion qu’en retour la conversion informerait. C’est ainsi que le Moyen Âge devient, sous la plume de Francis Gingras, « l’ère de la conversion ».

Les trois articles ici consacrés au Moyen Âge montrent en e ff et que la conversion forme le cœur de la civilisation médiévale. Sans doute la raison principale en est que, comme l’écrit F. Gingras, le phéno- mène permet de formuler les « principales questions, aussi bien phy- siques que métaphysiques qui occupent les clercs médiévaux : celle de la transformation de la matière dans l’exploration alchimique, de l’hostie dans le mystère de la transsubstantation ou de l’âme par la sanctification du péché ». Dans ce même mouvement se place la nais- sance du roman. D’abord traduction de la langue latine — figée par la tradition scholastique dans un ensemble de règles qui représentent les possibles de l’écriture tout entière — dans les langues romanes, par- lées, le roman découvre avant tout un nouveau rapport à l’écrit qui se réalise comme tel dans l’invention du roman « courtois ». L’histoire de Narcisse telle que « translatée » des Métamorphoses par un anonyme franc-comtois est exemplaire de « l’ère de la conversion ». Narcisse s’est égaré dans l’imaginaire, dans une illusion du voir où l’amour



(21)

Avant-propos

ne peut exister mais seulement l’envie, ainsi que l’enseignent les lec- tures que Thomas d’Aquin fait de Saint Augustin. Pour accéder au véritable amour, il faut une conversion de cela même qui soutient le réseau imaginaire de Narcisse, une conversion du monde ancien dans le monde nouveau, et de soi en Dieu. Traduite en termes lacaniens, la

« mise en roman » de l’histoire de Narcisse met en tension l’accession au symbolique et les pièges de l’imaginaire. Pour Françoise Laurent le miroir, « amorce du retournement et représentation du passage à Dieu, conformément à la tradition testamentaire et patristique », est le modèle même du récit de conversion. Dans La Vie de Sainte Marie l’Égyptienne de Rutebœuf, le retournement de la prostitution à l’éré- mitisme, « marquant la continuité d’Éros en Agapè », a pour but de

« retrouver [l’]essence première de [la] créature formée à l’image de Dieu » et, comme le dit Saint Paul, de faire naître du « vieil homme un homme nouveau ». Le commentaire montre la construction spécu- laire du récit et son exploitation dans la construction des personnages.

Dans l’hagiographie, comme dans le roman, la réflexion sur la conver- sion, « dynamique du christianisme », génère la forme littéraire. C’est aussi le cas dans le Livre des Aventures de Monseigneur Guilhem de la Barra, écrit au 

e

siècle par Arnaut Vidal de Castelnaudary qui met en scène un latinier, un traducteur. Ainsi que le montre Gérard Goui- ran la conversion « conduit les personnages de l’indistinction à l’indi- viduation, [...] comme si la conversion consistait en fin de compte à obtenir un droit à l’article défini sinon à un prénom ».

Le passage de l’indistinction à l’individuation est une constante du récit de conversion. Mais ce même trait se retrouve dans la construc- tion de l’image de l’auteur en Occident. Sophie Rabau s’interroge, à travers l’exemple des Vies d’Homère, sur l’existence de « fictions de conversion » parmi ces « fictions d’auteur ». Elle montre comment leur mode de construction se constitue, historiquement, à chaque lecture du texte, la représentation de l’auteur portant, en quelque sorte, comme marque de son originalité, le trait qui fonde la cohé- rence de l’interprétation, comme si « en une forme inédite d’hysté-



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-

rie dite de conversion, l’auteur présentait concrètement, par un trait moral ou, de préférence, physique, le symptôme de l’interprétation que son texte a suscitée ». Chaque lecture d’Homère représente alors une conversion d’Homère.

Ces conversions de « l’ordinaire en unique » qui sont le moteur des

« fictions d’auteur », l’histoire les a exploitées dans un autre registre.

Ainsi que l’établit Pierre Citti, le modèle de la conversion religieuse, à la manière de Saint Augustin ou de Pascal, fournit le modèle de l’avènement de l’auteur. Sa « réflexion sur une histoire littéraire de la conversion religieuse » permet de « mesurer la variation de l’auto- rité littéraire attachée à la représentation de la conversion, de l’âge classique à la fin du 

e

siècle ». Elle montre comment, à l’aube du



e

siècle, « la fonction d’intercession, pour s’être un peu e ff acée dans le récit de conversion, n’a pas perdu sa puissance ; celle qui assure cette fonction, c’est la littérature elle-même ». C’est cette fonction de « convertisseur » de la littérature qu’étudie Lydie Parisse chez les écrivains de la fin du siècle. Elle constate ainsi que ces conversions littéraires ne se rattachent pas à un système de valeur rassurant ou plus juste mais qu’elles se donnent, selon l’expression de Léon Bloy, comme une « catastrophe d’âme » qui renvoie plutôt à la mystique et pourrait bien se trouver à l’origine de l’esthétique de la perte qui, à tra- vers Bataille ou Blanchot, a bouleversé la littérature et la critique du



e

siècle. En amont, cependant, la « catastrophe d’âme » paraît relever d’une pensée de l’autorité — ou du génie — qui remonte au moins jusqu’au romantisme et aux théories du sensible et de la mélancolie.

C’est sans doute que le 

e

siècle tout entier, comme l’écrit Syl- vie Triaire, a fait de la dynamique de la conversion le moteur de sa représentation du monde et un modèle de pensée sociale, politique, religieuse ou artistique. Mais si, dans cette nouvelle translation des valeurs qui s’initie avec le romantisme, le « génie du christianisme » semble renaître de ses cendres et proposer à nouveau la conversion religieuse comme un modèle d’autorité, au delà de ce modèle la dyna- mique de la conversion déborde du religieux pour devenir le principe



(23)

Avant-propos

même de la littérature qui convertit ou « transpose », selon le mot de Mallarmé, le réel. Dès lors la relation de la conversion religieuse à l’exploitation de la conversion pour d’autres fins que le religieux est surtout problématique dans des œuvres de « convertis ». S. Triaire montre comment Huysmans opère « une présentation di ff ractée de la conversion » à travers les personnages de Gilles de Rais, dans Là-bas, et de Lydwine, la sainte de Schiedam. La genèse de l’œuvre, véritable

« conversion artistique », se donne avant tout comme « une conver- sion au sensible ». Gilles de Rais et Lydvine permettent à Huysmans de « nouer étroitement corps et conversion, nouage où se radicalise la part du sensible présente dans les expériences esthétiques de Durtal ; nouage enfin qui illustre, pour le lecteur d’aujourd’hui, la conversion entendue dans le sens que lui a donné la psychanalyse, à savoir ce lan- gage du et par le corps, face à une impasse du dicible ». En ce sens le modèle de la conversion religieuse a lui-même hérité de la poétique de l’e ff et qui, d’Edgar Poe à Baudelaire et Mallarmé, engage, au delà du religieux, un modèle de pensée de la littérature.

Conçue comme un « outil » de lecture autant qu’un générateur de formes, la conversion permet à Marjorie Berthomier de témoigner des rapports entre texte et musique lors de ce même tournant du siècle à travers l’exemple de Woyzech / Wozzeck. Elle montre comment la pièce de Büchner, « fragmentaire et brutale » n’est entrée dans l’histoire lit- téraire que « convertie à la chrétienté » en même temps qu’au hoch- deutsch par une édition de la fin du 

e

siècle qui assure sa réception.

De cette édition, Berg, en une seconde conversion du texte initial, fait un opéra. Cette seconde conversion, du texte de théâtre en livret d’opéra, nécessite un travail sur le texte puisqu’elle resserre l’action autour du couple principal qui, par contraste avec le traitement clas- sique des personnages secondaires, se trouve « presque seul dépositaire du caractère subversif de l’opéra ». La musique opère enfin l’ultime conversion : l’atonalité introduite comme unité « dans les grandes formes aussi bien que dans les petites » conduisant à une « expression musicale qui interroge, à l’opéra justement, le rapport des pulsions au



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-

langage et à la représentation des corps, et celui de la matière sonore à l’indicible de l’émotion ».

Ce « scandale esthétique » auquel le spectateur de Wozzeck ne peut que se convertir, Michel Collomb le lit dans La conversion de Saint Paul, du Caravage. Le tableau montre la chair (du cheval, du servi- teur, du cavalier mis à bas). Il expose la présence des corps sans trans- cendance : pas de décor, pas de rayon lumineux frappant le cham- pion des pharisiens. Saül est placé plus bas que le cheval qui l’a jeté à terre. Mais, dans cette « plénitude nouvelle du monde où le Christ est venu » réside peut-être la véritable dimension de la conversion du persécuteur : « la force qui jette Saül à terre [...] est la même volonté d’incarnation qui cloue le Christ à la croix ».

Mais le modèle de la conversion a servi aussi, de manière plus socio- logique, à marquer les crises identitaires. Sam Bloom, à travers une analyse des représentations du juif converti au tournant du siècle, montre à la fois l’abondance du type dans le roman et la manière dont les stéréotypes utilisés pour le représenter relèvent quasiment du mythème. L’ambivalence du personnage — familière même aux

« blagues juives » — dépend de l’ambivalence toujours possible de la lecture et du lecteur. De même que la conversion ou la « dé- conversion » n’aboutissent pas, selon Pierre Citti, à un mode littéraire particulier, de même sémitisme et antisémitisme ne produisent pas de modèle particularisé du personnage, ni d’idéologie bien définie de la conversion. Il en va tout autrement dans les moments où le totalita- risme fige le processus de conversion qui anime l’histoire pour reven- diquer une « table rase » de tout rapport à la tradition et inaugurer, en même temps qu’un nouveau calendrier, l’entrée dans une ère nou- velle qui, comme le Troisième Reich, doit durer des milliers d’années.

La radicalisation des clichés n’autorise plus l’ambivalence. L’établisse- ment d’un système normalisé immuablement empêche le retourne- ment intime de l’être et la crise du sujet que suppose la conversion. Il n’y a pas conversion mais adhésion à une image. On sait aujourd’hui que la Terreur a produit de telles radicalisations. Il est intéressant de



(25)

Avant-propos

constater que, dans ce refus de la di ff érence qui forme l’image de cohé- sion du groupe, l’opération de traduction elle-même est mise en ques- tion. Hervé Lieutard rapporte comment la France révolutionnaire, au nom de ses idéaux égalitaires, a voulu se débarrasser de ces langues qu’on appelle aujourd’hui « régionales ». Une langue permet de mar- quer l’unité ou la particularité d’un groupe. C’est ainsi qu’à la Révo- lution, la Convention a mis au point un véritable projet de conver- sion de masse au français, invoquant les principes moraux de la Répu- blique, la liberté et l’égalité, pour faire de la pratique d’une langue ou d’une autre, un comportement républicain ou anti-républicain.

Le français devient alors « la langue exclusive du progrès social ».

La « conversion » forcée de l’occitan au français montre combien la langue est un enjeu de pouvoir et que les moyens mis en œuvre pour jouer de cet enjeu ressortissent eux-mêmes du pouvoir. C’est ainsi que la traduction, en tant qu’elle ménage un passage entre les langues et justifie leur existence par l’aveu de même de son impuissance à rendre la totalité des significations, revêt, d’une certaine manière, un intérêt politique, au sens le plus fort du terme.

Les traductrices appelées ici à envisager leur travail sous l’angle de la conversion insistent toutes deux sur la position éthique autant que poétique du traducteur. Nathalie Rouanet-Heft, en comparant la conversion fiduciaire et la traduction littéraire, montre comment la perte inhérente à la seconde constitue en même temps le véritable sens d’une esthétique de la traduction. Maud Routner questionne la notion de « fidélité » et suppose en cela que la traduction consti- tue le rapport à l’autre comme acte de foi. Déterminée par le « plai- sir du lecteur », la traduction est aussi une poétique de l’e ff et qui exige une conversion du contrat littéraire puisqu’elle engage le traduc- teur comme auteur-interprète d’un autre qui l’a précédé. « Tel est le dilemme du traducteur, écrit-elle, entre la transparence et l’obstacle : se tourner vers cet autre, lecteur, et vers cette altérité, l’autre langue, constitue un risque pour celui qui s’adonne à l’activité traduisante dans la mesure où sa marge de manœuvre et sa liberté sont restreintes,

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-

subjectivement et objectivement, puisqu’il réécrit, après l’avoir inter- prété, un texte écrit par un autre pour un autre ».

Il est significatif sans doute que les dernières théories de la traduc- tion fassent référence au Romantisme et se placent sous l’autorité de Schleilemacher : le Romantisme, après tout, se donne comme l’autre

« ère de la conversion » après le Moyen Âge auquel il emprunte son nom, romantisme, comme pour signifier, au delà de l’engouement provocateur pour les « vieux romans », l’importance de la translation médiévale pour la civilisation occidentale dans son ensemble.

Mais l’ultime portée de la conversion, comme l’indique le « scan- dale esthétique » qui l’accompagne lors de sa mise en œuvre, s’opère au niveau du corps lui-même. La grande majorité des articles rassem- blés insiste sur l’incarnation que suppose la conversion. C’est le sens même que la psychanalyse confère au mot. La conversion est tradition- nellement liée, dans les diverses théories psychanalytiques, à l’hystérie, cette « maladie par représentations » comme l’écrivait Janet à la fin du



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siècle.

Pour la psychanalyse, la conversion représente en e ff et le retour du refoulé sous la forme de symptômes physiques. Il existerait donc une relation de causalité, qui n’est pas nécessairement linéaire, entre les fac- teurs psychiques, liés à l’histoire du sujet, et les symptômes physiques.

Le symptôme est une manière de langage interprétable. Tel est le tra- vail de l’analyste : restituer par-delà les déformations produites par les mécanismes inconscients de déplacement et de condensation la trame du conflit originel par le biais de l’interprétation, dont le rapport à la vérité se substitue alors au silence du symptôme et rend, dans le même temps, la somatisation déplaçable et réversible. La conversion pose donc la question de l’interprétation, question centrale de la psychana- lyse dès son origine — interprétation de l’analyste certes, mais aussi relation du symptôme à l’histoire du sujet et au conflit psychique ori- ginaire et formation de ce symptôme. Depuis Freud, di ff érentes écoles interprètent di ff éremment le processus et c’est de cette diversité que l’on a voulu témoigner ici à travers la présentation de deux études



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Avant-propos

de cas commentées selon des perspectives radicalement di ff érentes et de deux réflexions théoriques qui s’appuient pour la première sur la littérature, pour la seconde sur l’étude d’un film.

Le docteur Hervé Benamou, psychiatre, présente le mécanisme de la conversion dans l’hystérie. Il s’inscrit dans la théorie freudienne au sens large qui a ffi rme que l’échec du refoulement provoque le symptôme. Le cas d’hystérie infantile qu’il présente lui permet de s’in- terroger sur les di ff érentes manifestations de la conversion dans les processus psychiques et d’envisager sa pertinence ailleurs que dans les mécanismes hystériques. Il en conclut que « la conversion uti- lise certes un langage moteur corporel particulier, mais [qu’]il paraît impossible de la dissocier totalement de l’hystérie, puisqu’elle utilise, dans sa formation, les mécanismes spécifiques de l’hystérie dans sa définition psychanalytique ». Le docteur Pierre Boquel, médecin géné- raliste et psychothérapeute spécialisé en sophrologie, se situe lui dans une approche relationnelle de la thérapie psychique, élaborée spéci- fiquement dans le but « de penser le somatique » et qui, dans « un changement radical de perspective [remplace ] la causalité linéaire cir- culaire [de la psychanalyse freudienne] par une causalité circulaire et écarte de ce fait l’idée d’une psychogenèse ». Pour lui le conflit qui provoque le symptôme « peut être relationnel et non intra-psychique, la relation prenant alors la forme d’une situation d’enfermement ».

Le refoulement peut ne pas échouer et donner lieu, à la place de la formation symptomatique, à une formation appelée « caractérielle ».

Des traits de caractères remplacent alors les symptômes et blindent le sujet dans une « cuirasse caractérielle » qui lui permet de s’adapter aux règles de la vie ordinaire ».

Si la psychanalyse clinique, dans ses catégories, renvoie le plus souvent la conversion dans la constellation de l’hystérie, certaines approches théoriques, à commencer par celles de Freud et Lacan eux- mêmes, utilisent le terme dans d’autres registres. C’est ainsi que le transfert ou la sublimation, par exemple, pourraient être approchés en termes de conversion.

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Juliette Vion-Dury, en comparant les formes de la conversion dia- bolique chez Mann et Freud, expose les liens entre la dépression mélancolique et le faux « retour à soi » que suppose l’emprise de l’ima- ginaire sur le sujet. Si la conversion essentielle est celle qui fait adve- nir le sujet, « celle par laquelle le moi peut advenir là où était le ça » dit Thomas Mann, la conversion diabolique se fait par la maladie.

Le diable « divise » qui « se tourne vers lui comme vers soi-même », dévoilant peut-être en cela la dimension masochiste de la mélancolie.

La conversion diabolique (perverse ?) fait apparaître comme négative- ment la structure de la conversion réussie : si, dans la conversion au diable, le but est bien de « revenir à soi-même », ce retour s’e ff ectue à l’aide d’une fausse image (du père, dit Freud) qui, contrairement au symbole, ne peut que diviser au lieu de rassembler. Le diable, autre- ment dit, attribue à l’imaginaire la fonction symbolique. Le nouage de la mélancolie à la sublimation s’inscrit là en filigrane et renvoie à la question des fictions d’autorité qui, durant tout le 

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siècle ont pré- senté un auteur soumis au « génie de la mélancolie », accomplissant une traversée du désert (littérale ou renvoyée au désespoir, à l’impuis- sance, aux tragédies de l’histoire, etc.), traversée de la mélancolie qui porte virtuellement la conversion au devenir auteur.

Si Freud considère la conversion dans l’hystérie surtout sous l’angle des symptômes somatiques, moteurs ou sensitifs, Lacan souligne les dédoublements et les e ff ets de répétition douloureuse qui la caracté- risent. Dans sa lecture de In the Mood for Love, Nancy Blake, à partir des réflexions de Lacan sur la dynamique du désir et de sa représen- tation de « l’objet a [qui] peut être considéré comme le moteur de la conversion vitale opérant à travers le fonctionnement du désir, dans le champ du signifiant », interroge le principe de la genèse de l’œuvre,

« conversion fondée sur un lieu toujours vide ou un manque à la satis- faction [qui] semble aussi être le moteur de la représentation ». Que l’on me permette de remarquer, pour clore cette entrée en matière et avant de rendre son tribut à l’histoire dans les pages qui vont suivre, que tel était le principe de la lyrique des troubadours.

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Ouverture : l’histoire et la romance

Car nous voyons, à présent, comme dans un miroir, en énigme mais alors ce sera face à face. À présent je connais d’une manière par- tielle ; mais alors je connaîtrai comme je suis connu.

Tel fut le récit de Pontianus. Mais, toi, Sei- gneur, pendant qu’il parlait, tu me faisais faire violemment volte-face : je me tournais le dos, ne voulant pas me regarder et, toi, tu me plaçais bien en face de moi, pour bien me faire voir combien j’étais vilain, difforme, sale, plein de taches et d’ulcères. Je me voyais, et j’étais horrifié. Mais où fuir loin de moi ? Si j’essayais de me détourner de moi, le récit se poursuivait encore et, toi, de nouveau, tu m’opposais mon image, l’enfonçant dans mes yeux pour me faire découvrir et haïr mon ini-

. «Videmus nunc per speculum in enigmate tunc autem facie ad faciem nunc cognosco ex parte tunc autem cognoscam sicut et cognitus sum» Paul, Première épître aux Corin- thiens, XIII,.



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Marie Blaise

quité ; je la connaissais, certes, mais je me la dissimulais, la repoussais, l’oubliais.

Le soldat et le rhéteur

S  du domaine religieux qui l’a comme annexé et pris dans son acception la plus étendue, le terme de conversion décrit la trans- formation de la réalité sous l’e ff et d’un principe extérieur, la philoso- phie, la grâce, un conflit psychique...

L’étymologie du mot, du latin conversio, renvoie à un retourne- ment ou, plus largement, à un changement de direction. Avant de se presque figer dans le sens religieux que lui confère l’usage moderne,

« conversion » a simplement désigné ce retournement et, par là, la transposition et le changement de place. Cet emploi demeure dans des lexiques spécialisés, en logique ou en psychanalyse par exemple.

Il renseigne aussi sur l’origine de l’utilisation du mot en matière de religion et sur le sens que les premiers chrétiens accordaient à leur

« conversion ».

Le grec ancien distinguait deux sortes de conversion. La première, appelée Epistrophè, désigne un changement d’orientation mais sug- gère aussi l’idée d’un retour à l’origine ou à soi. La seconde, Metanoïa, signifie un changement dans le registre de la pensée et peut donc évo- quer une mutation ou une renaissance mais aussi désigner le renon-

. «Narrabat haec Ponticianus. Tu autem, domine, inter verba eius retorquebas me ad me ipsum, auferens me a dorso meo, ubi me posueram, dum nollem me adtendere ; et constituebas me ante faciem meam, ut viderem, quam turpis essem, quam distortus et sordidus, maculosus et ulcerosus. Et videbam et horrebam, et quo a me fugerem non erat. Et si conabar a me avertere aspectum, narrabat ille quod narrabat ; et tu me rursus opponebas mihi, et inpingebas me in oculos meos, ut invenirem iniquitatem et odissem.

Noveram eam, sed dissimulabam et cohibebam et obliviscebar.» Saint Augustin,Confes- siones, VIII,,. Traduction : Saint Augustin, Les Confessions, VII,,Œuvres, édition publiée sous la direction de Lucien Jerphagnon, Paris, Gallimard, « Biblio- thèque de la Pléiade »,, p..



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:’   

cement et le repentir. Le latin, ne disposant que d’un seul terme, a confondu les deux versants de la mutation psychique induite par le grec en la seule opération de conversion. Traduisant les deux termes du grec par ce seul mot, il a rapproché l’idée d’un retour à soi-même avec celle de renoncement et la renaissance avec le changement de direction, sans aucun doute marquant ainsi fortement l’imaginaire du christianisme et, à travers lui, celui de tout l’Occident moderne.

Pour le monde grec, cependant, la conversion n’a pas été d’abord a ff aire de religion mais, et cela se continue jusque dans le déclin de la Rome Éternelle, de philosophie. C’est ainsi que, dans la République, le but fondamental de l’enseignement est de convertir, par un radical retournement de l’âme, le regard des citoyens afin de leur permettre de voir la réalité de ce qui est

, au delà des ombres de la Caverne.

Pour Platon, ce déplacement philosophique constitue la condition nécessaire de la citoyenneté, c’est-à-dire qu’il se trouve être la condi- tion même de l’existence de la cité. Après lui, l’événement particulier que constitue l’accession à ce qu’on pourrait appeler un point de vue éthique, s’intériorise et devient, de plus en plus, une figure du des- tin individuel, un changement radical des conditions d’existence, se jouant en dehors de la vie de la cité et cela de plus en plus radicale- ment jusqu’à, finalement, exclure la vie sociale. Ainsi, au terme d’un retournement qui signifie assez en lui-même une véritable conver- sion éthique, la condition fondamentale qui ouvrait à la vie politique conduit à y renoncer et c’est au moment où on la quitte qu’on se montre le plus digne d’en exercer les responsabilités. Cependant, de

. Cf.: « [...] cette puissance d’apprendre est présente dans l’âme de chacun, avec aussi l’organe grâce auquel chacun peut apprendre : comme si on avait affaire à un œil qui ne serait pas capable de se détourner de l’obscur pour aller vers ce qui est lumineux autrement qu’avec l’ensemble du corps, ainsi c’est avec l’ensemble de l’âme qu’il faut retourner cet organe pour l’écarter de ce qui est soumis au devenir, jusqu’à ce qu’elle devienne capable de soutenir la contemplation de ce qui est, et de la région la plus lumineuse de ce qui est. Or c’est cela que nous affirmons être le bien ». Platon, La République, (c), traduction de Pierre Pachet, Paris, Gallimard, collection folio essais,, p.,.



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Platon jusqu’à Caton et même Saint Augustin, l’arrachement à l’in- conscience aveugle que constitue la conversion philosophique réussie se produit grâce à l’e ffi cacité d’une parole qui professe le retour (epi- strophè) par la mutation (metanoïa). Converso ad philosophiam : la phi- losophie propose un style de vie à qui sait écouter la raison. Chaque école, chaque secte, propose ses propres exercices pour réussir pleine- ment la métamorphose. Tel est le cadre que suivront les premières conversions chrétiennes et l’un des deux grands modèles

dont hérite le Moyen Âge. Les conversions d’Augustin, Cyprien ou les conver- sions de Juifs telle celle d’Hermann

en sont le fruit. Traditionnelle- ment, la conversion d’Augustin est liée à l’abandon du plaisir sexuel.

Mais Augustin n’est pas un pêcheur impénitent, contrairement au poncif. Selon ses Confessions, c’est dans l’Hortensius de Cicéron qu’il découvre pour la première fois l’exhortation à la philosophie qui le dispose à chercher la métamorphose du regard qui le conduirait au véritable bonheur. Son premier mouvement est de se tourner vers la Bible mais, en bon étudiant de la rhétorique latine, il la trouve grossiè- rement écrite. Il préfère longtemps la doctrine des manichéens, plus spéculative, puis découvre en Italie le néo-platonisme. À Milan cepen- dant il est séduit par les prédications d’Ambroise, il lit Paul. Augustin cherche, il demande à Dieu de lui redresser le regard

. Lorsque, au terme d’une crise de plusieurs mois, l’ambitieux jeune rhéteur se sent enfin favorisé d’un signe dans le jardin milanais où il s’était endormi, cette recherche du retournement radical trouve enfin sa conclusion : ainsi que Cicéron l’en avait assuré des années plus tôt, il comprend la vanité des ambitions humaines, abandonne la chaire de rhétorique qu’il tenait à Milan, renonce au riche mariage arrangé par sa chré- tienne de mère et finit par regagner l’Afrique. C’est donc dans la reli- gion chrétienne que la conversion ad philosophiam a finalement eu lieu.

La conversion d’Augustin est donc, dans une certaine mesure, reçue

. L’autre est celui de Paul.

. Voir Jean-Claude Schmitt,La conversion d’Hermann le Juif, Paris, Seuil,.

. Augustin,Les Confessions, VIII, chapitre, paragraphe.



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:’   

comme une grâce et cette lecture explique l’importance de l’évêque d’Hippone pour Luther autant que pour le jansénisme. Mais elle n’est pas que cela. Augustin tire de sa « crise de conscience » dans le jardin de Milan une théorie de la volonté en lutte avec elle-même et, des siècles avant la psychanalyse, conclut à la division du sujet

. Quant aux Confessions, elles donnent naissance à une forme littéraire, celle de l’autobiographie de conversion, qui connaît un grand succès durant le Moyen Âge et réapparaît, transposée mais néanmoins reconnaissable, dans le romantisme.

L’Ancien Testament, dans la logique de l’Alliance qui l’anime, fournit un autre modèle. Des temps mythiques de la Genèse jus- qu’aux temps historiques des Prophètes et des Rois, l’Alliance conclue entre l’Éternel et son peuple est sans cesse rompue. Les hommes se détournent continuellement du chemin tracé par la Loi pour fouler la route antique des hommes pervers

, c’est-à-dire adorer les images des dieux anciens ou étrangers. Menaces de Dieu et retour à la Loi rythment non seulement le Pentateuque et les livres historiques mais aussi, dans une large mesure, les livres prophétiques. Le retour à l’ori- gine, aux termes de l’Alliance établie entre Abraham et Yahvé, sup- pose de renoncer à l’adoration des idoles et d’adopter des règles de vie strictes, rigoureusement définies dans le code deutéronomique. La grande épopée de l’Exode est, en ce sens, le récit d’une conversion qui commence sur l’Horeb, au moment où Moïse, voyant un buisson brûler sans se consumer, se détourne pour voir. Du buisson s’élève alors une voix qui l’appelle et se présente comme le Dieu de la tradition hébraïque. Moïse est par ce biais mis en garde : il sait, comme tout

. « Tout était là : Ne pas vouloir ce que moi je voulais [...] ».Ibidem, Livre IX, prologue. Saint Augustin,Les Confessions, VII,,Œuvres I,op. cit., p..

. Job, XXII,.



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juif, que nul ne peut voir Dieu et vivre

. Il ferme donc les yeux

. On peut entendre ainsi l’anecdote : s’il était possible de voir Dieu, c’est-à- dire de se le représenter, l’interdit fondamental serait transgressé. Tel est cependant le premier mouvement de Moïse : détourner les yeux pour voir ; se figurer Dieu de manière indirecte. Or la seule manière de se « convertir » à l’Éternel, ainsi que Job en fera l’expérience, est de consentir à l’aveuglement. Alors seulement, ne voyant pas, on est enseigné

. « Les voies du Seigneur sont impénétrables ». Cette condi- tion remplie, Dieu o ff re à Moïse le pouvoir de se faire comprendre et obéir des Juifs déportés en Égypte : pour sceller les nouveaux termes de l’Alliance, il révèle son nom à celui qu’il a choisi. Commence alors

. L’interdit se retrouve en Grèce toutefois. Il scelle le destin d’Actéon par exemple.

L’aveuglement de Tirésias, dans lesHymnesde Callimaque, est dû au fait qu’il a vu, par mégarde, Athéna nue, se baignant avec sa mère.

. « L’ange de Yahvé lui apparut dans une flamme de feu, au milieu d’un buisson.

Moïse regarda : le buisson était embrasé mais le buisson ne se consumait pas. Moïse dit « je vais faire un détour pour voir cet étrange spectacle, et pourquoi le buisson ne se consume pas ». Yahvé vit qu’il faisait un détour pour voir et Dieu l’appela du milieu du buisson. « Moïse, Moïse » dit-il, et il répondit « Me voici ». Il dit « N’approche pas d’ici, retire tes sandales de tes pieds car le lieu où tu te tiens est une terre sainte » Et il dit « Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob » Alors Moïse se voilà la face, car il craignait de fixer son regard sur Dieu ».

Exode, III,.

. « Et Job fit cette réponse à Yahvé : “Je sais que tu es tout puissant : ce que tu conçois, tu peux le réaliser. Qui est celui qui voile les plans par des propos dénués de sens ? Oui, j’ai raconté des œuvres grandioses que je ne comprends pas, des merveilles qui me dépassent et que j’ignore. Écoute, laisse-moi parler : je vais t’interroger et tu m’instruiras. Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu. Aussi je me rétracte et m’afflige sur la poussière et la cendre” ». Job,,-. Job n’a pas reçu de réponse à ses questions sur la justice. Mais l’ultime argument de Yahvé, la puissance et la beauté du Léviathan (indomptable alors qu’il est lui-même une créature de Dieu), démontrée par Dieu durant les deux chapitres XL et XLI, persuade le patriarche déchu que le silence divin peut donner un sens à la souffrance et à la mort des hommes. Telle est la « vision » que Job a eue de Dieu et qui le conduit à retrouver ses biens « au centuple ». Sa « conversion » repose sur le fait que le Léviathan est le signe, dans le monde imaginaire des hommes, de la puissance insigne de Dieu.



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:’   

l’histoire du retour en Dieu de son peuple, matérialisé par la traversée du désert. Au terme de cette « conversion », les tables de la Loi et la terre promise consacrent l’entrée des Hébreux dans une vie nouvelle où, désormais a ff ranchis de la servitude, ils devraient se gouverner avec justice, selon les termes de l’Alliance. Si l’idée d’un exercice du regard, au terme duquel une nouvelle relation au monde est obtenue, ne se retrouve pas à proprement parler dans la tradition biblique, il n’en demeure pas moins que la « conversion » est tout de même l’e ff et du renoncement à un certain rapport à l’image, celui de l’idolâtre. La problématique se retrouve au centre des débats lorsqu’il s’agit, pour partie du peuple élu, de déclarer une nouvelle alliance — définitive celle-là puisqu’elle annonce la fin des temps — scellée sur l’incarna- tion de Dieu et la dématérialisation du Royaume.

À cette tradition biblique se rattache l’épisode de l’aveuglement de Paul sur le chemin de Damas, récit

qui constitue l’autre grande figure de la conversion en Occident avec celle d’Augustin. À la di ff érence de celle du rhéteur, la conversion de Paul n’est pas le résultat d’une recherche ni l’expression d’une volonté. Saul ne doute aucunement ni de l’existence de Dieu, ni de la justesse de sa vie. Il croit fermement à la vérité de la loi de ses pères et défend autant qu’il lui est possible, par son savoir

comme par la violence

, l’Alliance avec l’Éternel. Aussi est-il le grand persécuteur des chrétiens qu’il considère comme des hérétiques. Saul sert donc ce qu’il croit être la vraie foi sans aucune arrière-pensée et c’est même dans l’accomplissement de son devoir qu’il est frappé par la décision divine car, tel Moïse, Paul est élu. L’ap- parition sur le chemin de Damas bouleverse radicalement toutes ses certitudes. Devenu Paul, il a changé de foi comme il change de nom, préférant, ce qui n’est pas sans signification, le nom romain au nom

. Voir : Actes IX,-; Paul lui-même y fait allusion : Épître aux Galates, I,,-

; Épître aux Éphésiens, III,-.

. « [...] mes progrès dans le judaïsme, où je surpassai bien des compatriotes de mon âge ». Galates, I,.

. Étienne en est la victime la plus célèbre.



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juif. Les circonstances de sa conversion — la clarté venue du ciel, la chute, la voix de Jésus, l’aveuglement de trois jours durant lesquels le futur apôtre des païens jeûne, Ananie, enfin, le chrétien envoyé par le Christ pour rendre la vue à l’ancien bourreau — concourent claire- ment au miracle. Contrairement à celle d’Augustin, la conversion de Paul appartient donc au registre de la révélation. Il est vrai que trois siècles les séparent : Paul est pratiquement le contemporain de Jésus, Augustin de l’e ff ondrement de la Rome Éternelle.

Philosophie et religion

Le christianisme, dans la logique de l’ancienne Loi, propose aux hommes de « renaître » en scellant une nouvelle alliance avec Dieu. Il ne s’agit pas, cette fois, d’un retour à l’ancienne Alliance qui assure de la possession terrestre des corps et de la terre, mais d’une nouvelle promesse : la conversion dans cette vie se double d’une accession à un au-delà de la vie terrestre, consécration du règne de Dieu dans lequel les justes trouveront place. La renaissance

dans le Christ est confor- tée par la foi dans l’advenue du règne de Dieu

annoncé par le Christ et qui se manifeste dans l’accomplissement des miracles. Cette tempo- ralité nouvelle, les Épîtres de Paul la mettent en place pour des siècles.

La perspective eschatologique change les données de la conversion : le retournement, ou repentir doit advenir avant le jugement de Dieu qui approche. Le rite du baptême consacre le lien entre le changement intérieur et l’avènement du Royaume. Mais, ce faisant, il marque aussi

. Dans le même ordre d’idées, diverses religions de la réforme ou du réveil (comme le méthodisme) engagent aussi une forme communautaire de conversion qui peut aller jusqu’à l’extase collective.

. Nous n’entrerons pas ici dans la question de l’interrègne messianique, du royaume millénaire qui doit advenir entre la révélation et avant la fin des temps.

Elle possède de solides racines dans la tradition chrétienne et fait retour auesiècle mais ce temps « entre les temps » nous entraînerait trop loin de la perspective géné- rale que nous essayons de suivre ici. Voir à ce sujet, Giorgio Agamben,Le temps qui reste, traduction Judith Revel, Paris, Bibliothèque Rivages,.



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:’   

la division entre les chrétiens, appelés dans la cité de Dieu, et les autres peuples

. Cette division est fondamentale pour l’histoire du christia- nisme, universel et missionnaire. Les conversions forcées, celle des saxons par Charlemagne, celle des cathares sous Louis IX ou encore celle des « parpaillots » par Louis XIV pour ne citer que des exemples français, sont la contrepartie collective, assumée politiquement — au nom de la « république spirituelle »

, largement européenne qui, au delà des conflits de seigneurs unit les clercs jusqu’à la fin du Moyen âge — de l’expérience individuelle de la conversion

.

Philosophie et religion semblent fournir à la fois les modèles d’une expérience intérieure et le principe de son rapport à l’ordre. En tant que rapport à l’ordre, la conversion intéresse bien évidemment la poli- tique et la sociologie et, de manière plus large, tout discours se repré- sentant l’évolution de l’humanité dans ses liens avec l’individu. En tant qu’expérience intérieure mettant en jeu ce rapport, la conversion a nourri la pensée du sujet au delà des limites du discours théologique.

La philosophie n’a d’ailleurs pas cessé de la penser. C’est pourquoi, dans le monde occidental, lorsque la religion n’est plus conçue comme le seul principe de conversion, le modèle demeure. La philosophie n’a d’ailleurs pas cessé de l’utiliser. Le cogito cartésien ne se donne-t-il pas comme une conversion, qui se retrouve d’ailleurs chez Hegel, Marx et dans la phénoménologie ? À la fin du 

e

siècle, la psychanalyse élabore de nouvelles représentations du sujet à partir de l’étude de malades qui traduisent dans leur corps une parole impossible, et fait

. Division qui existe déjà dans l’Ancien Testament entre le peuple élu et lesgoyim.

. L’expression est d’Anatole France : « Tandis qu’au temporel les peuples s’entre- déchiraient, l’unité d’obédience faisait de l’Église une république spirituelle n’ayant qu’une doctrine et qu’une langue, et qui se gouvernait par les Conciles ». Voir Ana- tole France,Œuvres complètes, édition établie par Jacques Suffel,Vie de Jeanne d’Arc, tome, Paris, Calmann-Lévy, p.,. Le livre paraît en.

. On pourrait aussi parler d’évènements beaucoup plus récents puisqu’ils ont mar- qué l’entrée dans ceesiècle : le discours utilisé à ces occasions laisse peu de doute sur la nature du conflit en question. Il suffit de remarquer combien il est différent du discours néo-colonialiste utilisé lors des guerres du VietNam, par exemple.



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de la conversion le principe même de l’appareil psychique (dans les rêves), des relations avec autrui (par le transfert) et le fondement de la sublimation, c’est-à-dire de la culture.

Il semble donc que l’histoire de la conversion en Occident aille de la philosophie vers la religion sans cependant quitter la philosophie pour déterminer finalement la psychanalyse. Deux mouvements en caracté- risent les figures, selon que l’opération consacre plutôt un retour vers soi ou vers l’origine ou plutôt une mutation. Dans ce deuxième cas, il serait assez facile de se représenter la conversion, au sens de modifica- tion de la réalité, comme le principe même de la civilisation occiden- tale, et le « progrès » comme la recherche de techniques de conversion de plus en plus e ffi caces. Mais, retour ou mutation, dans ses accep- tions philosophiques et psychanalytiques comme dans son acception religieuse, la conversion suppose une rhétorique ou, à tout le moins, un discours, fût-il apologétique. Même dans le cas de Moïse ou de Paul une parole est nécessaire, le buisson ou l’aveuglante apparition ne su ffi sent pas. D’ailleurs, dans cette perspective, la conversion, d’un certain point de vue, est conversion au Verbe ou à la Parole.

Dans l’histoire du christianisme, le récit de conversion intervient lui-même comme élément de l’entreprise dont Paul, « l’apôtre des gen- tils », se fait le champion et Augustin le théoricien. De ce fait existent très tôt des stéréotypes et des poncifs dont certains ne sont qu’indirec- tement issus des textes canoniques eux-mêmes : le retour de l’enfant prodigue, l’aveuglement du chemin de Damas, la longue vie de tâton- nements tant intellectuels que spirituels ou charnels, la renonciation aux plaisirs, l’illumination dans le jardin de Milan fournissent ainsi des trames célèbres et récurrentes. Les Actes des Apôtres et Les Confes- sions de saint Augustin ont joué un rôle capital dans l’élaboration de ces stéréotypes. Les Confessions occupent une place à part, peut-être parce qu’elles utilisent le modèle de la conversion comme moyen de penser le sujet lui-même. Au delà du récit cadre en e ff et, le texte d’Au- rélien Augustin lie à travers l’expression du Verbe, le macrocosme de



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:’   

la Création

— qui reçoit de Dieu forme et lumière — et le micro- cosme que constitue l’homme. De même que la matière se tourne vers Dieu pour être créée, l’homme se convertit pour arracher son âme au péché et recevoir l’illumination qui le retourne vers Dieu et lui permet de saisir le véritable sens de l’ordre, de la justice et de la création, autrement dit et de manière plus contemporaine, le rapport de l’éthique à l’esthétique. Les Confessions, en plaçant la conversion et le nouveau rapport au monde qu’elle suppose sur une crise du désir, établissent de nouvelles conditions d’exercice de l’autorité (au double sens du terme

) qui vont intéresser la littérature à di ff érents moments de son histoire.

Or, si le mot conversion possède, ou a possédé, un sens propre dans di ff érents lexiques et est utilisé dans de nombreux champs — la phi- losophie, la psychanalyse, les mathématiques, la logique, la sociologie, l’histoire et, bien sûr, la théologie — la théorie de la littérature, en apparence, semble s’en être passé.

Conversion et translation ; réforme et restauration

Il existe bien une littérature de conversion mais elle ne possède guère de lettres de noblesse hors du domaine religieux. Encore n’est- il pas rare de trouver Les Confessions dans tel ouvrage qui traite de

. Voir, essentiellement le livre treizième. Par exemple : « Et ainsi, grâce à votre Verbe, ce ne sont plus les profondeurs de la mer, mais la terre dégagée des flots amers qui produit, non plus les reptiles doués d’âmes vivantes et les oiseaux, mais l’âme vivante ». Augustin,Les Confessions, traduction Joseph Trabucco, Paris, G.F.,, p..

. En son sens étymologique, le fait d’être le fondateur et le garant — d’une inven- tion, d’une œuvreetc.En son sens moderne, le droit d’exercer un pouvoir et d’im- poser l’obéissance. « L’autorité » a pu, au Moyen Âge, avoir le sens de référence, de modèle et légitimer indirectement l’œuvre qui la cite ou l’imite. En référence à des textes modernes, le mot désigne ici les conditions nécessaires pour légitimer l’œuvre à travers son auteur.



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Marie Blaise

l’autobiographie

. On lui en attribue volontiers l’invention, tout au moins en ce qui concerne le monde occidental. Au delà de l’étude d’un genre ou d’une forme, le texte de Saint Augustin est tout aussi souvent cité à propos de l’origine de la représentation du « moi » ou du « sujet » en Occident. La conversion du monde antique aux valeurs chrétiennes, les liens entre la matière religieuse du récit et l’invention du sujet, les représentations qui en découlent, la naissance d’une nou- velle rhétorique et d’une autre logique, voilà qui intéresse tout autant la littérature que l’histoire et la psychanalyse.

Et cela d’autant plus que tous ces aspects sont générateurs de formes. Le Moyen Âge fait de la conversion le principe même de sa culture — conversion de l’Ancien Testament dans le Nouveau, des autorités antiques dans le monde chrétien. La littérature obéit à ce même principe. Translatio et renovatio sont non seulement à l’origine du roman

mais régissent aussi le rapport au passé, c’est-à-dire aux

« autorités » et donc au savoir. Dans ce monde de traduction, l’hagio- graphie et la littérature religieuse en général

ne représentent qu’un aspect de la grande entreprise de conversion mise en œuvre pour prendre possession du monde au nom de la Parole. C’est au sein

. Voir à ce propos la discussion que mène Jean-Claude Schmitt dansLa conversion d’Herman le juif,op. cit., p.-.

. Rappelons que le mot roman désigne, à l’origine, un ensemble de langues, issues du latin et qui s’opposent à lui dans leur emploi vernaculaire. « Mettre en roman » signifie au Moyen Âge, traduire du latin dans un de ces « parlers ». Ces traductions concernent d’abord les « autorité ». Elles sont pour commencer des adaptations en roman d’hagiographies puis des grands cycles de l’Antiquité : ceux d’Alexandre et d’Énée, de Troie et de Thèbes pour l’essentiel. Ces dernières constituent de véri- tables « conversions » des textes anciens aux mentalités médiévales. Quand le roman courtois apparaît, auesiècle c’est-à-dire à peu près en même temps que le roman d’Antiquité, il continue de faire allusion à un « livre » pré-existant (voir par exemple, les prologues de Chrétien de Troyes). La littérature médiévale se construit ainsi sur le principe de latranslationque le roman suppose et se revendique avant tout comme une opération de mise en formelinguistique.

. Comme les récits de conversion. Voir Jean-Claude Schmitt,La conversion d’Her- man le Juif,op. cit.

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