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Mais cette opération n’est-elle pas contradictoire au point d’être impossible ? La solution de continuité entre l’ordinaire et

Dans le document La manchette n°3 : La conversion (Page 187-190)

l’exception-nel n’interdit-elle pas la conversion que nous avons définie ? Ou pour

le dire dans les termes de Borges dans « l’Immortel », si, alors que

j’ai une idée d’Homère comme poète génial, je me trouve face à un

peu ragoûtant sauvage, saurai-je reconnaître le poète génial,

pourrai-. Sur Pessoa et Kafka, je suis le travail inédit de Julia Peslier. Julia Peslier, « Trois matériaux de la fiction d’auteur : Pessoa ou la provocation, Kafka ou l’ambiguïté, Larbaud ou la faille ».

. Antonio Tabucchi, Monsieur Pirandello est demandé au téléphone, Dialogues manqués, trad. de l’italien par Jean-Baptiste Para, Paris, C. Bourgois,.

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je opérer la conversion ? On retrouve ici la diégèse, mais c’est pour lire

l’histoire d’un échec, car le narrateur de « l’Immortel » ne reconnaît

pas Homère et se trouve peut-être à son insu métamorphosé, sinon

converti, en Homère

. Le miracle de la conversion hagiographique

n’a pas lieu, comme si la rencontre des contraires, le passage d’un

extrême à l’autre et la reconnaissance du même dans l’autre exigeait

un pouvoir divin dont est dépourvu l’interprète de l’Odyssée. C’est

toute l’ironie de la nouvelle de Borges que de reposer sur l’idée

para-digmatique de la conversion de l’ordinaire à l’exceptionnel et de

l’ex-ceptionnel à l’ordinaire, tout en montrant, sur un axe syntagmatique,

l’échec de cette conversion. Mais ce n’est pas seulement l’écart entre

l’ordinaire et l’exceptionnel, comme il y aurait un écart trop fort entre

le péché et le bien, qui explique cet échec. C’est au contraire une trop

forte ressemblance, voire une coexistence entre l’ordinaire et

l’excep-tion. Telle est en tout cas la vérité que découvre, grâce à Homère,

le narrateur de « l’Immortel ». Au regard de l’histoire immortelle du

texte, la source unique du sens, la réinvention du texte, sa traduction,

son interprétation, sa réécriture ne se conçoivent en effet que par

l’as-similation du grand auteur à l’individu ordinaire, voire à l’absence

d’individu : «Nadie es alguien. Un solo hombre immortal es todos los

hombres

». Le seul fait, entre d’autres termes, de penser Homère, ou

de se penser comme auteur immortel et génial, comporte l’idée

qu’au-trui maîtrisera son œuvre au point que l’on n’en sera plus la source.

Cette idée n’est pas seulement une fantaisie borgésienne, et elle ne

concerne pas seulement le devenir hypertextuel des textes homériques.

C’est l’idée même d’Homère qui se trouve au centre d’une

hésita-tion, d’un balancement entre le collectif indifférencié et

l’individua-lité. Quand il aborde la question de l’existence d’Homère, dans son

. Au fur et à mesure de la nouvelle, lejede l’énonciation gagne en obscurité et perd en individualité au point de suggérer au lecteur que le narrateur est devenu Homère.

. Jorge-Luis Borges,El immortal,op. cit., p.. « Personne est quelqu’un. Un seul homme immortel est tous les hommes ». Ma traduction.

Sophie Rabau

essai sur la « Personnalité d’Homère

», Nietzsche ne prend pas

posi-tion dans le débat ; il montre comment la seule quesposi-tion homérique

authentique porte sur et présuppose le balancement entre

l’individua-lité et le collectif. La question homérique se réalise dans différents

débats qui tous expriment cette hésitation entre deux idées de

l’au-teur : création collective orale ou composition individuelle par écrit,

poésie populaire ou poésie artistique, œuvre unique ou tissu

hyper-textuel, etc. L’idée même d’Homère n’est pas exactement le résultat

d’une conversion. Elle fait conversion. Penser Homère c’est penser le

mouvement réversible, le va-et-vient de l’ordinaire à l’extraordinaire.

« Homère », comme concept, est peut-être l’opérateur de cette

conver-sion, le principe même de ce mouvement.

Alors ce n’est plus l’hagiographie qui doit permettre de penser

Homère. C’est la figure d’Homère qui nous conduit à faire retour

sur la vie de saint. Mais pouvons-nous concevoir ce saint qui porte en

soi l’avant et l’après de sa conversion, qui fasse l’union contradictoire

du païen et du chrétien et qui surtout porte en soi, d’une manière

ou d’une autre, le principe même de la conversion de l’un à l’autre et

l’autre à l’un ? Certes le récit autobiographique de conversion, celui au

premier chef d’Augustin, suppose précisément la mémoire du péché

au moment de la sainteté, et la simple structure diégétique de la

péri-pétie pourrait être comprise comme le principe de conversion que

nous cherchons : le saint parce qu’il raconte son passé de pêcheur

por-terait en soi la possibilité d’une conversion diégétique. Mais même

Augustin n’est pas au même instant pécheur et saint, comme Homère

est en même temps un seul et tous les hommes. Sans doute faut-il

abandonner les saints. On trouvera alors un personnage, qui pour ne

pas être saint, n’en est pas moins le héros de l’impersonnalité, qui

est lui-même par le fait même d’être Personne. Les nombreuses

assi-milations d’Homère à Ulysse

, au premier chef l’analogie dressée par

. Friedrich Nietzsche,Sur la Personnalité d’Homère, Traduit de l’allemand par Guy Fillion, Paris, Le Passeur,, (), p.et suivantes.

. Sur cette assimilation, voir Sophie Rabau, « Homère à côté d’ Ulysse »,Actes du

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Borges dans « l’Immortel » entre Personne et Homère, ne sont pas de

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