l’exception-nel n’interdit-elle pas la conversion que nous avons définie ? Ou pour
le dire dans les termes de Borges dans « l’Immortel », si, alors que
j’ai une idée d’Homère comme poète génial, je me trouve face à un
peu ragoûtant sauvage, saurai-je reconnaître le poète génial,
pourrai-. Sur Pessoa et Kafka, je suis le travail inédit de Julia Peslier. Julia Peslier, « Trois matériaux de la fiction d’auteur : Pessoa ou la provocation, Kafka ou l’ambiguïté, Larbaud ou la faille ».
. Antonio Tabucchi, Monsieur Pirandello est demandé au téléphone, Dialogues manqués, trad. de l’italien par Jean-Baptiste Para, Paris, C. Bourgois,.
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je opérer la conversion ? On retrouve ici la diégèse, mais c’est pour lire
l’histoire d’un échec, car le narrateur de « l’Immortel » ne reconnaît
pas Homère et se trouve peut-être à son insu métamorphosé, sinon
converti, en Homère
. Le miracle de la conversion hagiographique
n’a pas lieu, comme si la rencontre des contraires, le passage d’un
extrême à l’autre et la reconnaissance du même dans l’autre exigeait
un pouvoir divin dont est dépourvu l’interprète de l’Odyssée. C’est
toute l’ironie de la nouvelle de Borges que de reposer sur l’idée
para-digmatique de la conversion de l’ordinaire à l’exceptionnel et de
l’ex-ceptionnel à l’ordinaire, tout en montrant, sur un axe syntagmatique,
l’échec de cette conversion. Mais ce n’est pas seulement l’écart entre
l’ordinaire et l’exceptionnel, comme il y aurait un écart trop fort entre
le péché et le bien, qui explique cet échec. C’est au contraire une trop
forte ressemblance, voire une coexistence entre l’ordinaire et
l’excep-tion. Telle est en tout cas la vérité que découvre, grâce à Homère,
le narrateur de « l’Immortel ». Au regard de l’histoire immortelle du
texte, la source unique du sens, la réinvention du texte, sa traduction,
son interprétation, sa réécriture ne se conçoivent en effet que par
l’as-similation du grand auteur à l’individu ordinaire, voire à l’absence
d’individu : «Nadie es alguien. Un solo hombre immortal es todos los
hombres
». Le seul fait, entre d’autres termes, de penser Homère, ou
de se penser comme auteur immortel et génial, comporte l’idée
qu’au-trui maîtrisera son œuvre au point que l’on n’en sera plus la source.
Cette idée n’est pas seulement une fantaisie borgésienne, et elle ne
concerne pas seulement le devenir hypertextuel des textes homériques.
C’est l’idée même d’Homère qui se trouve au centre d’une
hésita-tion, d’un balancement entre le collectif indifférencié et
l’individua-lité. Quand il aborde la question de l’existence d’Homère, dans son
. Au fur et à mesure de la nouvelle, lejede l’énonciation gagne en obscurité et perd en individualité au point de suggérer au lecteur que le narrateur est devenu Homère.
. Jorge-Luis Borges,El immortal,op. cit., p.. « Personne est quelqu’un. Un seul homme immortel est tous les hommes ». Ma traduction.
Sophie Rabau
essai sur la « Personnalité d’Homère
», Nietzsche ne prend pas
posi-tion dans le débat ; il montre comment la seule quesposi-tion homérique
authentique porte sur et présuppose le balancement entre
l’individua-lité et le collectif. La question homérique se réalise dans différents
débats qui tous expriment cette hésitation entre deux idées de
l’au-teur : création collective orale ou composition individuelle par écrit,
poésie populaire ou poésie artistique, œuvre unique ou tissu
hyper-textuel, etc. L’idée même d’Homère n’est pas exactement le résultat
d’une conversion. Elle fait conversion. Penser Homère c’est penser le
mouvement réversible, le va-et-vient de l’ordinaire à l’extraordinaire.
« Homère », comme concept, est peut-être l’opérateur de cette
conver-sion, le principe même de ce mouvement.
Alors ce n’est plus l’hagiographie qui doit permettre de penser
Homère. C’est la figure d’Homère qui nous conduit à faire retour
sur la vie de saint. Mais pouvons-nous concevoir ce saint qui porte en
soi l’avant et l’après de sa conversion, qui fasse l’union contradictoire
du païen et du chrétien et qui surtout porte en soi, d’une manière
ou d’une autre, le principe même de la conversion de l’un à l’autre et
l’autre à l’un ? Certes le récit autobiographique de conversion, celui au
premier chef d’Augustin, suppose précisément la mémoire du péché
au moment de la sainteté, et la simple structure diégétique de la
péri-pétie pourrait être comprise comme le principe de conversion que
nous cherchons : le saint parce qu’il raconte son passé de pêcheur
por-terait en soi la possibilité d’une conversion diégétique. Mais même
Augustin n’est pas au même instant pécheur et saint, comme Homère
est en même temps un seul et tous les hommes. Sans doute faut-il
abandonner les saints. On trouvera alors un personnage, qui pour ne
pas être saint, n’en est pas moins le héros de l’impersonnalité, qui
est lui-même par le fait même d’être Personne. Les nombreuses
assi-milations d’Homère à Ulysse
, au premier chef l’analogie dressée par
. Friedrich Nietzsche,Sur la Personnalité d’Homère, Traduit de l’allemand par Guy Fillion, Paris, Le Passeur,, (), p.et suivantes.
. Sur cette assimilation, voir Sophie Rabau, « Homère à côté d’ Ulysse »,Actes du
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