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JE SUIS UNE FILLE LAIDE

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Academic year: 2022

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COLLECTION "FLEUR BLEUE"

Nicole MONCEY

J E S U I S U N E FILLE L A I D E

LES ÉDITIONS DE LUTÈCE 33, Rue Pixérécourt - PARIS

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JE SUIS UNE FILLE LAIDE

CHAPITRE PREMIER

P C'est au cours d'une nuit mémorable que m a laideur me fut révélée dans toute sa force. A l'époque, je n'avais que dix-huit ans. Mes p a r e n t s et moi nous demeurions dans une villa préten- tieuse qui se dressait à proximité immédiate de Cannes. Nous avions fui Paris u n mois aupara- vant pour nous reposer des fatigues nées de la vie trépidante de la grande ville.

Ce soir-là, je m'étais rendue dans ce genre d'établissement, mi-cave, mi-cabaret, o ù se ren- contraient des fils de millionnaires et des étu- diants sans le sou, mais riches d'illusions. Toute la bande était là. Il y avait Michel, le petit-fils d'un célèbre constructeur d'automobiles; la pe- tite Cécile qui le dévorait des yeux et ne le quit- tais pas d'un pouce; Thomas, u n f u t u r d o c t e u r qui, en attendant d'avoir son cabinet de consul- tation dans le XVIe, croquait allègrement les cr^fortables mensualités que lui allouait géné- reusement u n père aveugle; Herbert, qui voulait

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devenir avocat et qui, dans l'attente de la robe, faisait le plongeur dans un grand restaurant, pour ne pas mourir de faim; il. y avait également Juliette, Bernard, Henri et tant d'autres dont, depuis, j'ai oublié le nom.

Mais, surtout, il y avait Pascal. C'est pour lui que j'étais venue, pour lui que, depuis un mois, je m'efforçais d'oublier ma laideur, de composer avec elle, de la diminuer à mes yeux, de tricher avec moi-même.

Je l'avais rencontré sur la plage et, depuis trois semaines, nous étions devenus ce que je croyais être des inséparables. C'est lui qui m'avait introduite dans la bande. Aucune fille ne m'avait fait grise mine. Ma laideur était rassurante.

Quant aux garçons, ils m'avaient accueillie gen- timent, avec un rien de moquerie dans le re- gard, à l'encontre de Pascal. Dans mon dos, les langues avaient dû se délier et Pascal avait dû subir bon nombre de plaisanteries plus ou moins spirituelles. Dans son besoin frénétique de vivre, la jeunesse est souvent cruelle. Surtout celle que la vie a comblé dès la naissance.

C'est pourquoi j'ai aimé Pascal de suite, immé- diatement, avec la fougue et la chaleur d'un jeune animal. Je lui étais infiniment reconnais- sante, non seulement de savoir supporter ma laideur, mais de s'en accommoder. J'avais pour lui l'amour d'un aveugle pour le chien qui le guide.

Et, cette nuit-là, tout allait recommencer. Du moins, je le croyais, Pascal me prendrait dans

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ses bras, nous danserions joue contre joue, il me raconterait ses mille bêtises amoureuses qu'il fait si bon entendre et il m'embrasserait furti- VeInent aux tendres accents d'un slow tout en m'assurant que ma pensée ne le quittait pas.

Et moi, je boirais ses paroles, si nouvelles pour la jeune fille délaissée que j'étais jusqu'à présent.

A dix-huit ans, on n'imagine jamais la fin d'un rêve. Surtout quand il se présente sous les traits d'un garçon aussi séduisant que Pascal.

Pourtant, il me semblait que des heures aussi merveilleuses ne pouvaient éternellement durer.

Mais, par une secrète lâcheté, que je ne voulais m'avouer, je me refusais à admettre la mort de ce paradis personnel.

Je me savais laide, atrocement laide. Je sa- vais Pascal beau, trop beau pour ma silhouette efflanquée, mon buste maigre comme un chat de gouttière, ma poitrine inexistante, mes che- veux raides, mon visage en lame de couteau.

Je savais tout cela. Je ne voulais pas y croire.

Et même quand je fouillais mon intimité, quand je descendais au plus profond de moi-même, au tréfonds de mon âme, je me persuadais que l'amour est cérébral avant d'être physique, que les grâces de l'esprit effacent les disgrâces du corps.

C'est alors que je serrais toutes les mains tendues que j'ai su par instinct que ce soir-là serait différent des autres, que j'allais redeve- nir moi-même, ce que j'étais avant de rencon-

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trer Pascal : une petite fille murée dans -sa soli- tude, priseaMiiè-re de sa laideur.

Ils étaient tous là; Pascal aussi. Ils avaient tous bu. Assez pour posséder cette redoutable franchise que procure une demi-ivresse. Sur la table qu'ils occupaient dans le coin le plus dis- cret de la salle, coupes de Champagne, whisky et verres de fine se mélangeaient. On fêtait un événement. Ceci arrivait souvent. Les motifs les plus futiles étaient sujet à beuveries.

Des cris m'accueillaient. De force, on me met- tait une coupe dans la main. Puis une autre. Et encore une autre. On voulait que, moi aussi, je sois plongée dans cette euphorie qui était propre à chacun, sauf à Pascal. Lui qui appréciait par- ticulièrement cette ambiance tapageuse, il me paraissait d'abord lointain, distant. Enfin, je pouvait mettre un nom sur cette attitude qui me plongeait dans la perplexité.

Il était gêné. Gêné de ma présence, de la joie bruyante de ses camarades, de l'événement que fêtait si joyeusement la bande. J'avais déjà sablé bon nombre de coupes de Champagne et j'igno- rais toujours de quoi il s'agissait. A mes ques- tions se heurtaient des mines de conspirateur, des sourires et des œillades accompagnés d'une même réponse : « Tu verras bien après. »

Ainsi, toute cette mise en scène me concernait en direct. Etais-je l'objet d'une farce ?

Cette farce que je pressentais, je la savais déjà liée à Pascal dont le visage de coupable ne m'échappait plus. Car c'était bien un coupable

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que j'avais devant moi. Il en avait les traits vides d'expression, le regard fuyant, les gestes embarrassés.

Je voyais déjà l'amorce d'une rupture. Il était de règle dans la bande de ne rien se cacher.

Pascal avait dû se confier à ses amis avant de m'en avertir. Et ces derniers avaient décidé de transformer en fête ce qui était pour moi une catastrophe. Ça leur ressemblait tant...

Autour de nous, les couples se déchaînaient et les musiciens se dépensaient. De la bande, personne ne dansait. On attendait tous quelque chose. C'est à deux heures du matin que Tho- mas, le futur docteur, se décidait.

Pour la bande, Thomas faisait figure de chef.

C'était lui le grand maître des réjouissances. C'est lui qui organisait les sorties, les soirées. Il n'y en avait pas deux comme lui pour rallier toutes les opinions à la sienne.

Avant de présider un étrange jeu, il imposait à la bande un silence relatif, ordonnait à cha- cun de vider son verre, d'éteindre sa cigarette, et le geste théâtral et la voix faussement grave, il entamait ce qu'il appelait -un « discours d'in- troduction » . .

— Ainsi que nous l'avons décidé à l'unanimité, nous allons, cette nuit, faire le procès du siècle.

Procès du siècle, non pas par l'acte que nous avons à juger. Procès du siècle, car sa formule diffère totalement de celle qui permet à la Jus- t i n ^ t e humaine, d'exercer ses fonctions. Je que cette justice se penche sur le cou-

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pable et juge son acte. On le condamne parce qu'il a volé ou tué. C'est faux. Ce n'est pas l'acte par lui-même qu'il faut juger, mais les mobiles, les sentiments qui en découlent et les faits qui appartiennent à la nature, des faits contre les- quels l'homme ne peut rien, des faits qui le do- minent.

Il levait les bras en ajoutant :

— Prière de me suivre. La justice ne peut être rendue que dans le calme.

Suivant son habitude, Thomas avait bien fait les choses. Le salon particulier de l'établissement nous était réservé. C'est à peine s'il pouvait nous contenir tous. Sur la table, une collation nous attendait. Les bouteilles de champagne étaient nombreuses. Thomas plaçait chacun. Je me retrouvais face à Pascal. A une extrémité, Thomas. A l'autre, Odette, la plus jolie fille de la bande.

C'est toujours Thomas qui reprenait la pa- role.

— Mangeons, buvons, mais en silence. Ceux que je nommerai seront les seuls autorisés à parler. Ils devront le faire debout. Ce n'est pas moi qui rappellerai le pari d'où est né ce pro- cès, mais les deux principaux intéressés. Je dis Pascal et Odette qui vont, tour à tour, prêter serment. Odette, lève la main droite et jure de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Odette, très dégagée, s'exécutait en quittant son siège.

— Je le jure.

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Dans le même temps, Bernard, l'habituel pré- posé aux bouteilles, emplissait les coupes. Au- tour de moi, on buvait, on mangeait et des rires étouffés se faisaient entendre. Un jeu horrible était entamé.

— Pascal, reprenait Thomas, à toi.

Pascal se levait à son tour, étendait le bras et murmurait, tête à demi baissée :

— Je le jure et profite de cette circonstance pour déclarer que cet amusement est complète- ment idiot.

— Encore un mot de ce genre et ton exclu- sion définitive de la bande est prononcée, répli- quait sèchement Thomas. Etes-vous tous d'ac- cord ?

Un « oui » général lui répondait. Pascal haus- sait les épaules, tandis qu'un sourire triom- phant se jouait sur les lèvres de Thomas, qui enchaînait :

— Pascal, assis. Odette reste à la verticale et dis-nous comment se pari prit forme.

J'écoutais, la gorge serrée. C'était comme si, subitement, mon destin allait se jouer. Un lien nous réunissait Pascal, Odette et moi. J'étais devenue le pivot de la petite comédie qui se déroulait sous mes yeux. Coup sur coup, je vi- dais plusieurs coupes de champagne pour m'étourdir, chasser le cauchemar qui naissait, tenter de prolonger un rêve dont la fin se pré- cisait dans mon esprit tourmenté.

Et Odette parlait en plongeant son regard dans le mien.

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— Ceci commence par une déclaration d'amour dont je fus l'objet.

Elle riait avant de lancer d'une voix clairon- nante :

— Une parmi tant d'autres.

— Vive la modestie ! criait Jacques.

Les rires fusaient de toutes parts. Odette avait bu. C'était visible. Son regard était toujours rivé au mien et un sourire un peu bébête errait sur ses lèvres.

— Silence ! aboyait Thomas.

Emporté par son rôle, il s'exclamait :

— Encore une manifestation de ce genre et je fais évacuer la salle !

Les rires redoublaient et Thomas, résigné, se rabattait sur un sandwich, tandis qu'Odette glapissait :

— Mais laissez-moi m'expliquer ou je fiche le camp !

Cette menace ramenait le calme et Odette poursuivait d'une voix alourdie par l'alcool :

— Il y a un mois, Pascal m'avouait un amour qu'il qualifiait d'illimité. Je me souviens.

Brusquement, j'étais glacée. Un froid mortel envahissait mon âme. La plupart des regards convergeaient vers moi. Un mois... soit une se- maine avant que je ne rencontre Pascal. Donc, il ne serait venu vers moi que par dépit amou- reux, chagrin, et que sais-je encore ?

Pascal... Ce même Pascal assis face à moi... Le nez plongé dans son assiette, occupé faussement à découper une aile de poulet froid...

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— Est-ce bien vrai, Pascal? demandait Tho- mas.

L'interpellé se levait.

— C'est vrai, confirmait-il.

Puis il retournait très vite à son aile de poulet.

— Pour moi, Pascal n'était qu'un copain, en- chaînait Odette. Je fus flattée, je l'avoue. Il n'est pas désagréable à regarder.

— Et il fait bien l'amour, coupait Juliette.

Nouvelle explosion de rires. Nouvelle inter- vention de Thomas, tandis qu'Odette criait d'un . ton pincé à l'intention de Juliette :

— Je ne le sais pas encore ! Mais nous pour- rons bientôt confronter nos opinions !

Le rouge de la colère l'embellissait encore.

Elle vidait sa coupe d'un seul trait avant de répondre :

— Avant d'ébaucher un flirt avec Pascal, j'ai exigé une preuve de ce qu'il qualifiait d'amour illimité, une preuve qui, dans son genre, consti- tuait un pari. Pascal, le Don Juan de la plage, s'afficherait pendant trois semaines avec la fille que nous jugerions la plus laide de Cannes.

Je me sentais pâlir. La fille la plus laide de Cannes... Ce ne pouvait être que moi.

Pendant une seconde, je fus livrée au désar- roi, à la bonte. Puis, d'un bond, je me levais en hurlant :

— Vous êtes ignobles ! Tous !

Les rires s'arrêtaient d'une seule fois. Thomas empruntait un air ennuyé avant de grommeler à mon adresse :

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— On ne trouble pas les débats. Cette nuit, nous en sommes au procès de la laideur. Nous allons la juger. A la lueur des circonstances, c'est toi que nous avons choisie pour la person- nitier. Libre à toi de quitter ce salon. Mais à ce procès de la laideur, nous ajouterons celui de la lâcheté. Tu auras la parole pour défendre cette tare de la nature, et qui sait...

Il observait un temps de silence pour bien marquer son effet et ajoutait sournoisement, avec un petit sourire narquois au coin des lè- vres :

— Peut-être au nom de cette laideur que tu te dois de défendre, sauras-tu conquérir défini- tivement Pascal ? A ce moment, il te faudra en- gager un combat singulier avec Odette. La laï- deur contre la beauté. Combat singulier qui ne sera qu'oratoire, bien entendu. Alors, que décide- tu ? Tu pars ? Tu restes ?

J'aurais dû m'enfuir. De tout cela, je n'avais retenu que deux mots : lâcheté et Pascal. Ne pas mériter le premier et peut-être conquérir le second. Voilà pourquoi je suis restée, malgré moi.

On ne croit jamais pleinement à sa défaite avant qu'elle ne soit consommée définitivement.

D'une voix blanche, je rétorquais en réoccu- pant mon siège :

— Je reste.

Des bravos crépitaient. Le jeu continuait...

Une sueur froide se plaquait sur mon front et je dus lutter pendant une fraction de seconde

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contre l'envie de vomir qui me labourait la gorge. Pour la première fois de la soirée, Pascal osait me regarder franchement en grognant :

— Pourquoi cette décision? Tu ferais mieux

? de partir...

Je haussais les épaules, répliquant d'un ton que j'aurais voulu plus ferme :

— Je veux savoir ce que tu vaux.

— Pas cher, ricanait-il pour se donner une contenance.

Et il rougissait en tentant vainement d'arbo- rer un air dégagé. Pauvre Pascal... Lui que j'avais trouvé si brillant, énergique, volontaire, homme dans toute l'acceptation du mot... Il me parais- sait subitement dans toute sa réalité. Une triste réalité. Il était doucement veule, lâche. Même pas capable de tenir son rôle dans ce qui n'avait été pour lui qu'un jeu aussi stupide que cruel.

— Maintenant, je demande à un témoin de ce pari d'expliquer la suite des événements, repre- nait Thomas, accompagné du tintement des four- chettes contre la porcelaine des assiettes. Léa.

Raconte.

Une grande fille brune, assez quelconque, se levait.

— Donc, Odette pariait à Pascal qu'il ne s'af- ficherait pas pendant trois semaines avec la fille jugée la plus laide de Cannes. Enjeu du pari : Odette. Pascal acceptait. C'était à nous, les filles de la bande, de mettre la main sur la laideur.

Nous avions huit jours pour cela. Après des

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recherches aussi longues que laborieuses, notre choix définitif se portait sur...

Elle avait une hésitation en me fixant.

— Sur moi-même, ai-je dit pour lui faciliter la tâche.

— Pour être sport, tu es sport, commentait- elle. Effectivement, nous n'avons pas trouver mieux. Excuse le paradoxe, mais il est de ri- gueur. On te désignait discrètement à Pascal : C'était à lui de jouer. Il avait quarante-huit heu- res de délai pour te conquérir définitivement.

Sinon, il perdait son pari.

— Pascal s'est-il bien défendu ? me deman- dait Thomas en mordant à belles dents dans une tranche de jambon.

Un sourire tout en amertume me crispait les lèvres. Avant de répondre, je cherchais Pascal du regard. Mais, après son aile de poulet, il m'ignorait en accordant son attention à un fruit qu'il pelait avec beaucoup trop de soins.

— Très bien défendu. La victoire était nette, car tellement facile... A vaincre sans péril, ai-je commencé en me voulant tristement ironique.

— On triomphe sans gloire, terminait Paul, le plus sérieux de la bande. J'aurais eu beau- coup plus de mal à triompher. Je suis presque aussi moche que toi.

— Laisse parler Sophie, ordonnait Thomas.

A mon adresse, il poursuivait :

— Et qu'est-ce qu'il t'a dit, Pascal ? Ça se passait sur la plage, hein ? Nous vous guettions d'assez loin.

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— Oui... sur la plage... il y avait foule. Du sa- ble, de l'eau, le bleu du ciel, celui de la mer...

Il faisait bon vivre. Tout était éclaboussé de lu- mière, de soleil. Et moi aussi j'étais éclaboussée de lumière et de soleil quand Pascal m'est ap- paru.

Des larmes embuaient mon regard. Ce souve- nir était encore tellement vivace... et si mer- veilleux. Je le colportais dans ma mémoire com- me une relique.

— Quel lyrisme, pouffait Henri. On va se noyer dans l'eau de rose si ça continue sur ce ton.

Et il agitait son mouchoir en faisant mine de s'essuyer les yeux.

Furieuse, je grondais à son intention :

— Imbécile ! En te regardant, ce n'est pas dans l'eau de rose que tu m'aurais plongée, mais dans le cafard. Il est vrai que de tous temps la mendicité s'est moquée de la charité publique.

De tous, Henri était le plus minable, ne vi- vant qu'aux crochets des uns et des autres. Il devenait écarlate, tandis que des rires discrets s'élevaient. Il se préparait à répondre, mais Thomas le devançait en s'exclamant :

— La parole est toujours à Sophie l

En moi, rage et douleur se confondaient.

J'étais dévorée par le désir de m'enfoncer sous terre, de disparaître à jamais; et celui plus fré- nétique de lutter, de faire face ainsi que me l'avait appris mon père dès ma plus tendre en- fance. Sur ce sentiment prédominant qui mou-

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lait ma pensée, j'hésite encore à l'appeler or- gueil. Seules, les personnes au caractère de fer héritent de ce sentiment aussi entier. Et je sen- tais que les forces allaient me manquer, que je n'irais pas jusqu'au bout du sujet.

Il en a toujours été ainsi en moi. Un besoin inné de combattre et, sapant mes résolutions Jes plus solidement ancrées, l'obscure idée que je ne suis pas à la hauteur de la tâche. C'est peut- être la pensée prématurée de l'échec toujours possible qui m'a diminué à mes propres yeux.

Ce manque de confiance en moi, je ne l'ai pas détruit totalement.

Il est si difficile de se modeler, de se trans- former à l'image de ce que l'on aurait voulu être...

— La parole est toujours à Sophie, répétait Thomas que mon silence inquiétait visiblement.

Tu n'as plus rien à dire ?

Certes ! Me confiner dans un mutisme absolu, c'était ôter à ce jeu inédit tout son attrait. On attendait avec impatience la suite que j'allais donner à ce curieux procès dont j'étais, bien involontairement, l'âme. Sur le ton du défi, je lançais âprement :

— Si, j'ai encore à parler. Je ne voudrais pas vous décevoir. Pour une fois que vous avez pensé et réalisé un amusement plaisant dont la portée morale ne peut vous échapper, je tiens à ne pas gaspiller des minutes qui vous appartiennent. Je continue donc cette farce très réussie, par une question.

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1 — Que tu poseras à qui ? demandait Thomas, tout heureux de constater que je ne me désistais pas.

— A Odette. Puisqu'elle a juré de dire la vé- rité, toute la vérité, rien que la vérité, suivant la formule consacrée, j'espère qu'elle ne refusera pas de répondre et qu'elle le fera sincèrement.

— Accordé.

— Et comment que je répondrai ! s'exclamait allègrement Odette. Dans le monde mensonger où nous vivons, j'aime la vérité, car elle bous- cule la façade dont chacun se pare. Que veux-tu savoir, ma chère Sophie ?

— Qui a eu le premier l'idée de ce pari ? Pascal, toi, ou un autre membre de la bande ?

Elle éclatait de rire en répliquant :

— Moi, pardi !

Elle en paraissait très fière et étonnée de ma demande.

J'enchaînais en me croisant les bras sur la poi- - trine :

— Aimes-tu Pascal ?

— Aimer ? Quel grand mot, beaucoup trop utilisé et trop souvent galvaudé. S'il fallait ai- mer à chaque fois qu'on embrasse un garçon, pour ma part, mon cœur n'y suffirait pas.

— Ainsi, tu ne l'aimes pas ?

— Il me plaît, ce qui n'est déjà pas si mal.

Aimer n'est plus de notre époque. La vie va trop vite. On n'a pas le temps de s'y arrêter.

— Alors, pourquoi un pari aussi idiot que stupide ?

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— Je le trouve ni idiot ni stupide. C'est un moyen comme un autre de mesurer ma puissance de séduction. C'est tellement amusant de jauger l'attrait que l'on exerce sur les garçons.

Sournoise, elle observait en roulant distraite- ment une mie de pain entre ses doigts :

— Bien sûr, tu ne peux le savoir, ni le com- prendre... Tu dois m'en vouloir terriblement.

Non ?

La réplique me venait naturellement aux lè- vres. Encore aujourd'hui, je la pense sincère.

— Je ne te méprises même pas. A mes yeux, tu n'a jamais existé. Il en était ainsi hier, comme présentement. Il en sera pareil demain.

— Mademoiselle se veut cinglante, ricanait- elle.

— Même pas. Pour cela, il ne faudrait pas que je t'ignore. Pour moi, tu n'es même pas une ombre, un fantôme... Tu n'es rien.

— Non, mais! Elle m'insulte à présent! criait- elle en perdant de sa superbe.

— Du calme, Odette, coupait Thomas, la bou- che leine. Asseois-toi et relaxe-toi cinq minutes, sinon je te retire définitivement la parole. La courtoisie est de bon ton. Sophie ?

— Je t'écoute.

— As-tu quelque chose à dire à Pascal ?

— Quelque chose... A quoi bon... Sinon que je l'aimais... Sincèrement, un peu comme dans les contes. Le Prince Charmant et la Belle, prison- nière dans sa tour... J'avais oublié que j'étais laide.

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