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Domesticité et mobilité des «bonnes» dans l’agglomération Abidjanaisepp. 16-27.

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Rev. ivoir. anthropol. sociol. KASA BYA KASA, n°9 - 2006

©EDUCI 2006

DOMESTICITE ET MOBILITE DES «BONNES» DANS L’AGGLOMERATION ABIDJANAISE

ASSEMIAN Mossouma Emma Enseignant-Chercheur Institut d’Ethno-Sociologie Université de Cocody-Abidjan

RÉSUMÉ

La question de l’emploi des fi lles ne disposant d’aucune qualifi cation professionnelle est en mal de travail rémunéré et celle de la civilisation urbaine dans le procès de la modernité sont les deux interrogations majeures qui émergent de notre sujet de recherche dont les ramifi cations dans l’analyse mettent en évidence la nécessité d’une part de la formation professionnelle des jeunes fi lles en vue de leur insertion dans la vie active et d’autre part l’organisation de ce secteur informel d’emploi des jeunes pour éviter toutes les formes d’abus sociaux possibles.

Mots-clés : Ménages, travail informel, mobilité spaciale, jeunes fi lles déscolarisées analphabètes, milieu urbain.

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I - CONTEXTE ET OBJECTIFS DE L’ETUDE

Cette étude est le fruit d’une longue observation qui permet de synthétiser les notes prises et les informations collectées auprès de nombreuses fi lles à travers les différents quartiers de la capitale économique ivoirienne, (Abidjan).

L’usage quasi généralisé de jeunes fi lles communément appelées «bonnes»

dans les ménages abidjanais, présente au plan sociologique plusieurs types d’intérêt que cet article vise dans sa présentation et ses analyses.

Pourquoi utilise t-on dans les ménages ces jeunes fi lles ? Quel est leur profi l ? Quel risque cache cet emploi ? D’où viennent elles et comment appré- cie t-on leurs prestations ? Au regard de la législation du travail, ce personnel entre t-il dans un cadre spécifi que ouvrant droit à une couverture sociale ? Sinon comment se règlent les diffi cultés ou litiges qui surviennent entre em- ployeurs et employées ? Si la présence et le travail des jeunes fi lles dans les ménages correspondent à des besoins évidents de suppléance au travail de la femme au foyer, comment explique t-on la grande mobilité de ce personnel à l’intérieur des quartiers, entre les quartiers et à l’intérieur des domiciles ? Que faut-il envisager pour répondre aux multiples besoins de ces jeunes fi lles en matière d’emploi, de connaissances du «métier», de sécurité et de promotion sociale, tout en répondant au mieux à l’attente des ménages utilisateurs des services fournis ?

Le constat de la grande mobilité des jeunes fi lles appelées «bonnes» dans les différentes communes de la ville d’Abidjan et même à l’intérieur d’une même commune et des sous-unités résidentielles, est le premier élément qui a attiré notre attention. Par ailleurs, les soucis constamment exprimés par les femmes (mères de familles, femmes au foyer…) et relatifs aux besoins de «bonnes», indiquent la nécessité de ce type de personnel et son utilisation dans les groupes domestiques. Du côté des jeunes fi lles «employées», il ressort un évident besoin de travailler pour avoir «un peu d’argent» afi n de subvenir à la fois à leurs propres besoins et contribuer à ceux de leurs familles respectives. Malgré le handicap de leur état d’analphabètes et de déscolarisées, nombreuses sont les jeunes fi lles qui ont exprimé ces deux préoccupations majeures, justifi ant leurs offres dans les familles abidjanaises.

La ville d’Abidjan, les familles salariées, les besoins fi nanciers de jeunes fi lles oisives, le recours à des substituts pour les travaux ménagers… tels sont les principaux éléments du contexte et les facteurs justifi catifs de l’objet de cette recherche. Ce contexte situe une recherche dont les objectifs sont de deux ordres :

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- un objectif académique de réfl exion sur le travail de la jeune fi lle analpha- bète ou déscolarisée en milieu urbain et les diffi cultés qu’elles y rencontrent ; - un objectif pratique sur les perspectives d’une formation supplétive afi n de mieux assurer son intégration dans le tissu de l’emploi.

Quelle en est l’approche méthodologique ? II - APPROCHE METHODOLOGIQUE

C’est dans la commune de Yopougon que se sont effectuées, les premiè- res démarches empiriques de ce phénomène «bonnes» et précisément au quartier Niangon-CIE.1 Cette observation s’est, par la suite, organisée selon des critères géographiques et sociologiques.

2.1. Au plan géographique

La classifi cation de la ville d’Abidjan en quartier de cadres, quartiers populaires et quartiers mixtes2 a été retenue. Ainsi décision a été prise de considérer le phénomène dans la commune de Yopougon considérée comme quartier mixte ; Cocody comme quartier de cadres et Abobo-gare comme quartier populaire, sur la base de la qualité des infrastructures et équipements.

2.2. Au plan sociologique

Les jeunes fi lles constituant la cible principale de cette recherche viennent en majorité (85 %) de l’intérieur du pays. A ce niveau les Régions du Centre et du Nord-est en sont les principales pourvoyeuses ; notamment le groupe Akan et les sous-groupes Baoulé et Abron ; suivent les Malinké et les autres sous groupes assimilés.

Les caractéristiques de ces «bonnes» sont de plusieurs ordres : - un faible niveau de scolarité (moyenne, CM2)3 ;

- un âge moyen (18 ans) ;

- une faible capacité de locution d’autres langues nationales (en dehors de celle de leur ethnie d’origine) ;

1- CIE : Compagnie Ivoirienne d’Electricité

2- Cette distinction est très grossière, néanmoins, elle peut être retenue pour l’analyse.

3- CM2 : Cours Moyen 2è année (cycle primaire).

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- le français dit populaire reste la langue de communication des partenaires (employeurs et employées) ;

- un salaire dont la moyenne est de 17 500 F / mois ; - une forte mobilité chez l’employeur (18 mois) en moyenne.

2.3. Technique d’information

Afi n de collecter les informations requises, il a été envisagé trois techniques de collecte d’informations :

- le questionnaire ; - l’entretien semi-directif ; - le focus group.

Ces trois techniques complémentaires ont été appliquées aux groupes- cibles suivants :

- les fi lles appelées «bonnes» ;

- les employeurs (maîtresses et maîtres de maison) ;

- les parents des «bonnes» ou leurs représentants (tuteurs / tutrices) ; - les responsables des services de placement ;

- les services du ministère de l’emploi.

Les centres d’intérêt de chaque groupe cible sont évidents pour cette enquête.

En ce qui concerne le premier groupe, il s’est agi de viser le groupe cible lui-même, concerné au premier chef par cette recherche : ses avis, opinions, attitudes, comportements et perspectives sont indispensables pour l’atteinte de s objectifs projetés.

Le second groupe, celui des employeurs et principalement des maîtresses de maison était tout aussi utile dans l’appréciation des «prestations servies»

par les employées «bonnes» vivant au quotidien l’exécution du calendrier de travail de leurs employeurs ; les maîtresses de maisons sont incontournables dans l’analyse de ce phénomène social. De façon subsidiaire, les hommes (maîtres) ont été concernés (interférence entre bonnes et épouses) au sujet de la présence de ces «bonnes» dans le foyer.

En ce qui concerne les services de placement qui sont surtout des structures légères et quasi informelles, trois ont été retenues, à Abobo-gare, à Adjamé-

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marché et Adjamé-Bracodi (la dernière étant la plus célèbre et la plus connue).

La distribution qu’ils assurent dans les foyers et les quartiers et le relais qu’ils constituent d’une part entre les parents, les villes et villages et les foyers abidjanais d’autre part exigent leurs points de vue dans cette étude.

Enfi n les parents des fi lles travailleuses. Le point de vue des parents a été diffi cile à recueillir, du moins en ce qui concerne les géniteurs. En effet beaucoup de jeunes fi lles (70 %) arrivent à Abidjan par un circuit «animé» par des parents non géniteurs (tantes généralement) ou membres de la parenté classifi catoire dont les rôles mi-social et mi-économique se confondent dans l’appréciation des jeunes fi lles commises à des tâches de domesticité contre une rémunération dont ces pseudo-parents sont les premiers bénéfi ciaires4. Quant aux services offi ciels de main-d’œuvre, il était utile d’examiner avec eux les dispositions légales et réglementaires au regard du Code du travail.

2.4. Méthodes d’analyse

Afi n de mieux éclairer notre sujet à partir des informations collectées, il a été essentiellement fait usage de la méthode d’analyse systémique, à travers des ramifi cations sociales, culturelles et économiques dans le cadre global de cette catégorie de travailleuses.

D’autres méthodes additionnelles ont été évoquées pour un éclairage scientifique complémentaire, notamment la méthode critique à partir des contradictions et stratégies divergentes des différents acteurs. Il importe de signaler que cette étude ne s’est pas fondée sur la quantifi cation systématique d’un échantillon. Elle a, en revanche, privilégié la dimension qualitative du contenu des informations recueillies à travers une population assez large des cinq groupes cibles (évoqués ci-dessus).

III - LA DOMESTICITE DES JEUNES FILLES : QUELS CONSTATS ? L’utilisation des jeunes fi lles comme domestiques dans les ménages est devenue monnaie courante dans les différents quartiers d’Abidjan. On pourrait, sans excès, qualifi er cela de phénomène social. Sur le marché de l’emploi, les conditions primaires des échanges sont formellement assurées : l’offre d’une part des ménages et la demande d’autre part des jeunes fi lles. A travers ce lieu commun du commerce professionnel, l’attention du sociologue ne serait pas éveillée si à partir de l’utilisation des «bonnes», il ne se posait des questions

4- Des salaires versés aux fi lles, leur quote part revient aux parents tuteurs.

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essentielles dans ce type de relation. Pourquoi les femmes au foyer sont-elles en permanence préoccupées par la question des «bonnes» ?

Dans ce champ, il a été relevé des propos du genre : - ma «bonne» n’est pas bonne, je vais la changer ; - ma «bonne» a encore cassé deux assiettes ce matin… ;

- ma «bonne» ne sait rien faire ; je ne vais pas continuer avec elle ; - façon que mon mari regarde la «bonne» là, je n’aime pas… je vais voir ça… ;

- la «bonne» là frappe mes enfants, elle va partir ; - je n’ai jamais vu une «bonne» comme celle-là/

- ma ‘’bonne’’ est mauvaise.

Les récriminations contre les bonnes sont donc très nombreuses et les satisfactions apparemment faibles dans un rapport de 65 % contre la qualité de leurs prestations estimée à 35 %. Il est à remarquer que la mobilité dans l’espace urbain des bonnes est à l’image de ces appréciations et du marché de l’emploi, saturé et peu perméable aux demandeurs de travail «non qualifi é», et qui sont de surcroît analphabètes. Le métier de bonne qui reste au niveau des jeunes fi lles, le plus ouvert, comporte ses propres tares que les résultats de notre analyse nous révèlent à travers les points ci-dessous.

3.1. Le manque de professionnalisme

Aucune structure formelle ou informelle de formation n’existe encore pour la formation des jeunes fi lles pour servir de «bonne», de gouvernante ou de cuisinière ou de «garde-d’enfants «…, en réponse à la demande des ménages. Les tentatives amorcées hier par le Ministère de la Condition de la Femme à l’Institut Marie Thérèse Houphouët-Boigny d’Adjamé, puis dans les foyers féminins5, n’ont pas donné de résultats probants. Il en est de même aujourd’hui avec les institutions de formation et d’éducation féminine (IFEF) avec le Ministère chargé de la Famille de la Femme et de l’Enfant. Les «bonnes»

sont donc embauchées sur le tas et sous la forme d’un «contrat «de gré à gré, sans aucun document écrit de travail.

Manquant de connaissances techniques, que peut faire la «bonne» face à des employeurs exigeants ? Généralement «instruits», les utilisateurs ont des exigences quant à l’hygiène domestique (propreté des lieux, des vêtements),

5- Les foyers féminins sont aujourd’hui appelés Institutions de Formation et d’Education Féminine (IFEF).

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des soins puericulturaux (soins des enfants parfois des bébés) aux préparations des mets, à la tenue du linge… L’amateurisme des «bonnes» et leur ignorance souvent trahis par leurs gaucheries, mettent de temps en temps la maîtresse de maison en colère et certains excès répétitifs sont causes d’injures graves, de bastonnades et de renvois. Comment être si exigeants envers des travailleurs sans compétence ni assistance ?

3.2. Abus des ménages ?

Le calendrier journalier de la bonne, tel que les tâches ont été répertoriées et recoupées dans plusieurs ménages (80 %), montre bien que le cahier des charges des «bonnes» est surchargé :

- réveil entre 5 h et 6 heures ; - balayage ;

- chauffage de l’eau ; - nettoyage du véhicule ; - préparation du petit déjeuner ; - nettoyage des enfants pour l’école ; - courses au marché pour le repas ; - préparation et service des repas ; - lessive ;

- nettoyage et rangement de la vaisselle ; - balayage ;

- repassage du linge ;

- préparation du repas du soir ; - bain et soin des enfants ; - service du dîner ;

- nettoyage et rangement de la vaisselle ; - coucher entre 22 h30 et 23 h30.

Selon le volume horaire du travail et de la composition du ménage, la «bon- ne» est plus ou moins harassée au terme de 15 h à 18 h de travail quasi-continu.

Pour un emploi de temps aussi saturé, les insultes qui ponctuent chaque acte manqué ou chaque évaluation insatisfaisante du travail, renforcent le stress de la jeune fi lle. Parfois déprimée et exténuée, elle envisage la démission du travail avant que sa maîtresse ne lui signifi e son expulsion pour «rendement insuffi sant, mal propreté, vol, incompétence.»6

6- Motifs fréquemment utilisés pour le licenciement des bonnes.

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3.3. Faibles motivations des servantes

Par ailleurs, au cours de nos investigations, il a été constaté une faible mo- tivation des «bonnes» au travail ; témoins, ces propos recueillis : «on travaille dans la maison des gens… les enfants-là, ils sont trop bandits… et puis la madame-là est trop méchante avec moi… si ce n’est pas à cause de l’argent, je vais faire quoi ici et puis, on va m’insulter tous les jours…et puis dormir dans le salon des gens…».Le principal motif du travail est l’argent, c’est-à-dire la contre partie fi nancière du travail. Ce n’est donc pas l’amour des enfants à garder, ni la volonté d’apporter un soutien à une famille en diffi culté qui les mobilise au travail.

Dès lors, à la moindre friction, la ‘’bonne’’ s’en va, prétextant la maladie d’un membre de la famille avec la complicité d’un parent ou d’une autre «bonne»

voisine. Parfois les perspectives de leur auto-promotion ou d’une aide sociale expliquent leur mobilité dont les raisons se trouvent dans cette énumération faite par près de 40 % des domestiques fi lles :

- avoir de l’argent pour s’acheter une machine à coudre et être coutu- rière ;

- avoir de l’argent pour se constituer des biens pour le mariage ; - économiser pour entreprendre un petit commerce ;

- réunir des économies pour aider à la scolarisation d’un frère ;

- gagner une somme d’argent pour contribuer au paiement de la dette familiale.

Avec un tel objectif, les yeux de la bonne sont rivés sur le volume des économies. Une fois le seuil atteint, les subterfuges de la désertion commencent et se concrétisent très souvent, sous des prétextes fallacieux. Le perpétuel recommencement pour la maîtresse de maison se traduit par le changement fréquent des servantes.

3.4. Position des bureaux de placement

En commerçants de «bonnes», les responsables des bureaux de placement se sentent peu engagés en ce qui concerne les attitudes et comportements de leurs partenaires sociaux ; à savoir les bonnes d’une part, les membres du foyer d’accueil d’autre part. Pour eux, «… les fi lles -là il y en a qui sont bien dedans, d’autres aussi sont pas bien, nous, on peut rien faire… si ça va pas, on change». Ce même constat en termes analogiques est fait pour les maîtres du domicile d’accueil. Ces propos prouvent bien l’implication passive des placeurs

«dans le service après vente», comme s’il s’agissait d’un commerce d’objets.

En tout état de cause, ils interviennent rarement dans les ménages pour sou-

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tenir l’action des fi lles placées, ou prodiguer de conseils utiles et assurer une quelconque protection de leurs travailleuses-clientes.

3.5. Réactions des parents

En fait des parents, ce sont des tantes, des tutrices ou des sœurs qui jouent ce rôle. Les parents géniteurs n’interviennent pas dans cette chaîne. Plus intéressées par la quote part du salaire de la jeune fi lle que des conditions de son travail, les tutrices se sentent peu engagées à assurer leur dépense : «les fi lles-là sont comme ça ; ingrates ; elles te fatiguent et quand tu leur trouves du travail, c’est pour gâter ton nom… Si c’est comme ça, elle n’a qu’à venir s’asseoir….»

En défi nitive, la «bonne» est généralement esseulée et délaissée par les parents géniteurs (au village), la tutrice en ville, le bureau de placement, le couple d’accueil et les services offi ciels qui, d’ailleurs ignorent leur existence parce que non informés des transactions privées entre les partenaires. C’est peut-être le lieu d’interpeller le Ministère de la Femme, de la Famille et de l’enfant sur ce qui pouvait être le drame des bonnes dans de nombreux foyers à Abidjan.

3.6. Les incidents conjugaux

Dans l’examen des causes de départ prématurés ou précipités des «bon- nes», se trouvent en bonne place les incidents conjugaux. Ils représentent 15

% des causes de licenciements, fuites ou abandon du domicile et du lieu de travail.

En effet les jeunes fi lles de 15 à 20 ans sont parfois l’objet de harcèlement sexuel de la part de certains maris indélicats, qui voient en elles également des substituts de leur compagne. La translation du statut de la bonne à celui d’épouse de circonstance pour un commerce charnel peut conduire à plusieurs situations :

Premièrement, le consentement de la «bonne» qui lui assure progressivement la protection de l’époux, maître de la maison et corrélativement créé des comportements désobligeants de la «bonne» bénéfi ciant de la couverture du mari. Dans ce ménage polygynique de fait, les soupçons de l’épouse fi nissent par avoir raison de l’usurpatrice. Il est alors mis fi n au «contrat tacite de travail»

dans le souci de préserver l’équilibre du ménage.

Deuxièmement, la «bonne» refuse les avances jugées dangereuses de l’époux et quitte son travail sans explication réelle, pour préserver sa dignité

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et l’intégrité du ménage-hôte. Dans ces cas, elle est jugée incompétente et la maîtresse est sommée de s’en séparer et rechercher une autre capable d’un travail correct.

Troisièmement, le ménage à trois, débouche sur le scandale d’une grosses- se non désirée pour la bonne ; ce qui engendre le drame du divorce, l’abandon de la bonne et de sa progéniture dans le triste sort des fi lles-mères7.

3.7. Les salaires peu attractifs

Il n’y a pas de salaire précis pour la centaine des fi lles rencontrées et exerçant le métier de «bonne». Les traitements salariaux varient d’un quartier à l’autre et peuvent l’être d’une bonne à l’autre. Une variation est affectée au salaire en fonction du volume des membres de la famille, du type d’habitat (villa, cour commune, appartement), de la présence ou non de bébé et/ou d’enfants à bas âge, du nombre de pièces dans le logement… En fonction de la typologie des quartiers, populaires, mixte, cadre8, les salaires mensuels des «bonnes»

oscillent respectivement (et en moyenne) de :

- 10 à 13 000 F/mois pour les quartiers populaires ; - 15 à 18 000 F/mois pour les quartiers mixtes ; - 18 à 30 000 F/mois pour les quartiers de cadres.

En dehors de cette situation hétérogène du traitement, il faut rappeler que dans la convention collective (code de travail) existent bel et bien des grilles offi cielles défi nissant les rétributions de ce type de travail, connu sous la ru- brique «gens de maison». Les arrangements de gré à gré pour la fi xation des salaires s’expliquent par plusieurs raisons :

- les agences pour l’emploi sont diffi ciles d’accès surtout lorsqu’on ne sait ni lire ni écrire et qu’on est sans diplôme ni qualifi cation ;

- les opportunités d’emplois sont rares ;

- les risques de déchéance (prostitution) pour les fi lles oisives dans la ville sont un risque qu’il faut fuir même pour un salaire peu attractif.

Cette brève recherche sur la domesticité féminine ouvre quelques perspectives de réfl exion aussi intéressantes que les résultats de cette recherche.

7- Ces trois cas n’épuisent pas les différentes situations para-conjugales rencontrées. Elles sont les plus fréquemment évoquées.

8- Cette narration explique la préférence des bonnes de choisir les quartiers résidentiels où elles espèrent des traitements meilleurs.

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3.8. Contexte et communication

La ville d’Abidjan qui sert de cadre macroscopique à cette étude révèle les particularités du nouvel espace de vie qu’est la ville par opposition à la cam- pagne d’où viennent 90 % des candidates à la domesticité.

La culture urbaine et ses complexités sociales, mode de vie, faiblesse des courants de solidarité, diffi cultés d’emploi… sont autant de réalités nouvelles que découvre la «bonne» souvent loin de sa «tante» sœur ou «maman» qui l’a initiée dans le travail. L’usage généralisé de la française au détriment de la langue baoulé, abron ou malinké engendre des références nouvelles dans le fl ux communicationnel entre l’employée, l’employeur et son nouvel environnement social (enfants et autres parents). Ce changement introduit la «bonne» dans un nouveau réseau d’apprentissage de concepts, de référents culturels et d’identifi cation des choses et d’expression des réalités de sa profession de circonstance.

La société de consommation et le pouvoir de l’argent s’imposent comme une pièce de théâtre à jouer ; avoir de l’argent et acquérir de nouveaux pagnes, des bijoux, des chaussures pour métamorphoser sa vie extérieure et intégrer les apparences de la citadinité promotrice. Ces points majeurs ne font que montrer l’intérêt d’un sujet qui est appelé à se poursuivre dans la recherche sociologique9.

CONCLUSION

En tant qu’étude des faits sociaux, la sociologie générale est représentée comme un tronc commun des rapports dynamiques entre les hommes et leur milieu de vie. Dans le cadre précis de ce sujet sur «Domesticité et mobilité professionnelle des «bonnes» dans l’agglomération abidjanaise», il est surtout mis en évidence la sociologie du travail dans le contexte diversifi é de la ville d’Abidjan. Le travail en tant que processus de valorisation des potentialités humaines, met en rapport des groupes et des individus dans le marché de l’offre et de la demande, moyennant une rémunération.

Les dimensions professionnelles et fi nancières qui en découlent sont codifi ées par des lois et règlements juridiques et administratifs. Dans le choix opéré avec les ‘’bonnes ‘’, les irrégularités et exactions des employeurs sont

9- Les paragraphes 3-1 et suivants font partie des constats signalés aux points 3 et expliquent le contenu des constats relevés.

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manifestes avec leurs effets psychologiques sur ces fi lles. Sans qualifi cation et pratiquant dans le secteur non-informel où elles ne sont pas déclarées aux services d’assurance et de prévoyance sociale, le ‘’métier de bonnes’’ reste une porte ouverte à exploitation.

Pour les jeunes analphabètes et déscolarisés en quête de travail en milieu urbain, toutes les formes d’abus sociaux demeurent possibles. Ainsi le problème de travail des ‘’bonnes’’ dans les agglomérations urbaines se rapproche de celui du travail des enfants. Car c’est la question de l’exploitation des mineurs et même de l’esclavage moderne de ceux-ci qui est posée. Puisqu’il s’agit d’une proportion signifi cative de fi lles de moins de 20 ans qui exerce le métier de

‘’bonnes’’, on peut franchir le pas d’un réseau de commerce social10.

La réifi cation de la jeune fi lle non qualifi ée, transfuge de la campagne, et établie en ville comme «bonne» à tout faire, est indicatrice d’une des insuffi sances graves de la société en développement comme la nôtre. Le sujet de cet article sur la ‘’Domesticité et la mobilité des «bonnes» dans l’agglomération abidjanaise’’ ramène à une double approche théorique et méthodologique.

Sur le plan théorique, il importe de souligner le processus migratoire des jeunes des campagnes vers les villes. Ce processus qui contribue au vieillis- sement des campagnes et au rajeunissement des villes, surtout la capitale économique, en appelle à une politique de formation et d’insertion profession- nelle de ces jeunes.

Aussi, du fait de la migration polytechnique et linguistique des citadins, une pluralité culturelle se développe dans le cadre urbain. Cette pluralité ethno- culturelle est une dimension sociologique, qui situe les relations sociales dans un environnement où les liens de voisinage et de groupes associatifs créent de nombreux réseaux familiaux non consanguins.

Les expressions «tonton» ou «tantie» issues de ce contexte ethnique pluriel sont une approche enrichissante de l’examen de la profession de «bonnes».

C’est souvent par cette fi lière de la famille urbaine recomposée que s’organi- sent les mobilités des «bonnes». «Voisine, trouve-moi une bonne. Celle que j’ai ne fait plus l’affaire…». La proximité géographique entre une Attié et une Guéré par exemple qui a pu favoriser cette familiarité, fait naître aussi une interculturalité que la ville a créée.

10- Une enquête approfondie s’impose pour infi ltrer les réseaux de placement des villages à la ville en passant par les bureaux de placement et des rôles et motivations réels des tutrices ou tantes patronnant les ‘’bonnes’’.

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La famille urbaine devient ainsi un référent nouveau dans le système parental (tuteurs, parents de même région ou de circonstance…deviennent parents, frères et sœurs, père et mère…) sans que des rapports naturels de consanguinité ne justifi ent les termes d’appellation.

Sur le plan méthodologique, la recherche sur ce thème favorise l’examen de tous les groupes sociaux impliqués dans le réseau de «bonnes» : agences de placement – employeurs (maîtres et maîtresses de maison) – responsables administratifs des Ministères des Affaires Sociales, du Travail et de l’Emploi.

La pluridisciplinarité donne une portée systémique à l’approche analytique qui prend aussi en compte sa dimension historique. «Le travail de bonne est un métier classique dont l’introduction en Afrique est liée à l’emploi salarié. Son apparition n’est pas récente en Côte d’Ivoire. Elle date des années coloniales sous l’infl uence de l’urbanisation et de la monétarisation» (s.d.). C’est le lieu de mettre l’accent sur la formation des ressources humaines à partir d’une éducation de base et non-formelle qui augmente les chances d’emploi et d’auto- emploi des jeunes (dont les fi lles) proies faciles d’une société monétarisée et de plus en plus désincarnée et désoeuvrante.

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Références

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