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Marot traducteur des Psaumes entre le Néo-Platonisme et la Réforme

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Marot traducteur des Psaumes entre le Néo-Platonisme et la Réforme

JEANNERET, Michel

JEANNERET, Michel. Marot traducteur des Psaumes entre le Néo-Platonisme et la Réforme.

Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, 1965, vol. 27, p. 629-643

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:23185

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J.

MAROT TRADUCTEUR DES PSAUMES ENTRE LE NÉO-PLATONISME ET LA RÉFORME

A peine s'est-il installé à Genève qu'en janvier 1537 Calvin dévoile une de ses préoccupations majeures: cc C'est une chose bien expediente à l'edification de l' esglise de chanter aulcungs pseaumes en forme d'oraysons publicqs 1 ». Les formes liturgiques, déjà très élaborées, qu'il découvre dans l'Eglise allemande de Strasbourg dès 1539le confirment dans son idée : il faut doter les protestants franco- phones d'un recueil de chants conforme aux exigences de la foi nouvelle. On ignore comment il se met d'accord avec Marot, qui avait déjà tourné en vers plusieurs psaumes 2 ; il en obtient treize qu'il publie dans les Aulcuns pseaulmes et cantiques mys en chant 3 ,

mais la matière était mince et l'urgence si grande, apparemment, qu'il s'essaie lui-même à versifier quelques-uns des poèmes de David.

Les deux hommes ont désormais partie liée, semble-t-il: les éditions protestantes vont se succéder, accueillant les traductions récentes de Marot en même temps que des pièces liturgiques et des épitres de Calvin, recueils d'édification ou instruments de propagande selon qu'ils servent à un usage local ou franchissent la frontière. Le séjour du poète à Genève en 1543, l'élaboration, grâce à la ténacité de Calvin et au labeur assidu de Bèze, du psautier huguenot, l'engoue- ment fanatique dont les cantiques nouveaux ont été l'objet pendant les Guerres de Religion, tout cela est venu accréditer l'idée que Marot avait servi fidèlement la cause du protestantisme français. Seulement la destinée de l'œuvre masque son origine; de l'atmosphère spirituelle où le poète traduit les psaumes aux circonstances qui président à leur diffusion, on observe un cheminement important que deux épitres dédicatoires nous permettront de retracer.

* * *

1 Articles baillés par les prescheurs, 16 janvier 1537; cité par P. Pmoux, Le psautier huguenot du XVI• siècle. Mélodies et documents, Bâle, 1962, t. II, p. 1.

2 Le réfomateur et le poète s'étaient rencontrés presque certainement à Ferrare, au début de 1536.

3 Strasbourg, 1539. Réimpression phototypographique par A. DELÉTRA, Genève, 1919.

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630 MfCHEL JEANNERET

Marot n'a pas attendu les directives de Calvin pour s'intéresser à la poésie biblique ; U est notoire, aujourd'hui, que l'hnpulsion procède de :Marguerite de Navarre, qui orchestra une bonne part de la production littéraire, en France, d'environ 1535 à 1549. Aucun document définitif ne vient démontrer que la Reine a engagé le poète à traduire les psaumes, il est vrai. Mais des témoignages convergents, qui confirment toutes les présomptions, y suppléent; il n'est pas inu- tile de les réunir ici :

~ En 1533 parait le psamne six de Marot, prernier d'une longue lignée, dans une réédition du A!iroir de fame pecheresse de ~largue­

rite 1 ; cette rencontre atteste non seulement des préoccupations communes mais l'approbation et la protection de la Reine: celle-ci affronte avec son serviteur la censure de la Sorbonne (quit dans son outrecuidance, ne manqua pas de condamner le recueil: il fallut que François rer use de son autorité pour réhabiliter sa sœur).

Hcliré à Venise, où îl s'est réfugié après ses mésaventures de Ferrare, l\Iarot avoue son amertume dans une épltre à Marguerite ; il raconte ses cauchemars d'exilé qu'adoucit parfois la résurgence d'une image du passé:

Quelque foys suis trompé d'un plus beau songe, Et m'est advis que me voy, sans mensonge, Autour de toy, Royne tres honorée,

Comme souloye, en ta chambre parée, Ou que mc faiz chanter en divers sons

Pseaulmes divins, car se sont tes chansons ... 2

Singulière évolution des traditions courtoises ... Rien d'étonnant cepen- dant pour qui connalt la religiosité de la Reine et de son groupe.

- Dans un curieux poème adressé à son frère, Marguerite ima- gine, pour le réconforter, l'intervention du roi David, envoyé par Dieu pour lui prêter main forte. Le psalmiste s'adresse longuement à la poétesse, puis

Sa pierre print, sa fonde, et me feist part De son Psautier, me disant au depart;

Garde toy bien que jamais tu ne failles Tant que le Roy aura guerre ou batailles, Lire en plorant incessamment ce livre Jusques qu'il soit de l'cnnemy delivre.

Ainsi s'en va vous otlrir son service, En me laissant de priere l'office ... 3

1 II avait déjà paru en édition séparée: Le V l" Pseaulme de DaiJid, qui est le premfer Pseaulme dt'S sept Pseaulmes translaté en {raw;oys par Clement ZHarot, Varlet de chambre du Roy no:ilre Sire, au plus pres de ln ucrilé Ebraic![ue, S.l.n.d.

2 Epilre d la Rogne de ]'ùwarre, vers 115-:W, in Cl. 'àiAnoT, Les Epflre:;, èd. critique par C. A. ;\li,YEH, Londres, 1\:!58, p. 243-51.

3 Epislre II envouée par la Boun<~ de Xaoarre avee un David au Boy Fran ça ys, son frere pour ses est reines, in Les 2\;fargaerites de la }•fargue rite des Princesses, éd. F. FHANK, Paris, 1873, t. lii, p. 210-16. D'après P. JouHDA, Alarguerite d'Angoulême, Duchesse

<l'-<Hl?ll!-'Ofl ... , Paris, 1930. cette pièce 'a été rédigée en dt'Cembre 1542-janvier 1543 • (t. Il, p. 11 B).

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.\tAROT TRADUCTEUH DES PSAU:'<ŒS 631 Outre cette preuve d'un intérêt singulier, on se rappellera la poésie même de Marguerite, les premiers recueils surtout, oil maintes réminiscences attestent une connaissance éprouvée des psaumes.

Qu'au moment oü la diffusion des Ecritures réclamait tout le soin des Evangélistes, la Reine ait approuvé, suscité peut-être, l'entreprise de Marot, rien naiment d'étonnant. Le lyrisnte de la poésie hébraïque venait prendre place harmonieusement dans son univers littéraire et religieux, où se mêlaient les aspirations de philosophies et de dévotions si diverses.

On observe d'ailleurs, tout au long de la première moitié du siècle, dans l'évolution qui mène de Lefèvre d'Etaples aux protégés de Marguerite, la symbiose des psaumes et de textes mystiques ou philosophiques qu'un christianisme orthodoxe réprouve. Lefèvre donne le ton, qui acclimate en France le néo-platonisme florentin, va chercher en terre rhénane et flamande les traces d'une haute mystique, dift'use Aristote, sans jamais négliger la Bible ; or les psaumes occupent dans ce syncrétisme une place de choix: c'est le Quincuplex psalte- rlum qui ouvre en 1;'50H la série de ses publications de textes scrip- turaires; du monument de 1530, La Saincle Bible en françoys ... , le psautier traduit sera, dès 1523, une des premières annonces; davan- tage, selon une tradition médiévale assez répandue, Lefèvre choisit les pour enseigner aux enfants royaux les rudiments du latin 1 • Etienne Dolet manifeste lui aussi, dans ses éditions, un éciec- tisme remarquable ; s'il accorde en 1542 une attention particulière aux psaumes, puisqu'il publie tour à tour les traductions de Cam- pensis, d'Olivétan et de Marot - et il fait précéder chacun de ces textes d'une préface où il montre que son érudition s'accommode d'un goùt sincère pour la poésie et d'une certaine religiosité - , il édite, la même année, La Parfaicle A.mye d'Héroet, ce manuel d'amour platonicien, et, deux ans plus tard, présente au public le texte fran- çais de deux dialogues de Platon. Cette prédilection pour le psautier dans le milieu littéraire oii se mêlent sans heurt opinions philoso- phiques et attitudes religieuses, trouve aussi à s'illustrer chez Charles de Sainte-Marthe, maitre des requêtes de la ·Reine de Navarre, érudit et poète ù ses heures, qui, en 1550, publie son Oraison funèbre de l'incomparable 1\farguerite, Royne de Navarre, <<authentique résumé du platonisme de la Renaissance française )) 2 et une médita- tion sur le psaume 90 3 Quant à Marguerite elle-même, on sait le prix qu'elle accordait à dHl'user autour d'elle la pensée de l'Académie.

1 Vocabulaire du Psa.ILWer, Paris, Simon de Colines, 1529; cf. Ph. RENOUAlill, Bibliographie des éditions de Simon de Colines ( 15:!0-46), Pa:rù;, 18\H, p. 146.

2 A. LEFHANC, ,'Hauuerîle de :'\a.uarre et le platonisme de li:t Renaissance, in Grands Ecrivains français de la Renaissance, Paris, 1!)14, p. 245.

3 ln Piialmam nonagesimum pitr adnwtium et Cflristianrt Alexiitatio, S.!.n.d. En 1543 avait déjù paru à Lyon Jn Psalmos V 11 el XXXIII pa.raplzra.sis.

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632 MICHEL JEANNERET

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Cet évangélisme qui dégénère en spiritualisme, cette religiosité qui prend prétexte d'un certain libéralisme pour justifier son syncré- tisme, Calvin n'avait pas de mots assez durs pour les stigmatiser.

Les attaques ne sont pas déguisées dans l'Excuse am:: Nicodémiles (1544), où il s'en prend à (<ceux qui convertissent à demy la Chres- tienté en philosophie 11 et qui, quoiqu'ils sachent où réside le vrai,

a excusent la pluspart des folles superstitions qui sont en la Papauté, comme choses dont on ne se peut passer. Ceste bende est quasî toute de gens de lettres.)) 1 C'est Marguerite, c'est Dolet, Des Périers et les anciens compagnons de Marot qu'incrimine le réformateur; pour l'interprète de David, il semble bien, à considérer la protection qu'on lui. accorde à Genève, qu'il soit à l'abri de tout grief; devenu le four- nisseur de Calvin, se serait-il donc affranchi d'un passé inavouable?

La traduction des psaumes et les tribulations des dernières années de sa vie l'auraient-elles gagné à la confession nouvelle'? Les spécia- listes ont admis que non, mais l'idée d'un calvinisme latent, simple- ment hostile à l'intolérance, reste la plus répandue. Or il nous semble que les épîtres dédicatoires des psaumes, dont personne n'a retenu le témoignage, présentent du poète une inattendue: Marot s'y montre fidèle à l'atmosphère tout imprégnée de néo-platonisme et d'évangélisme qu'il a respirée à la cour de France.

* * *

L'épitre de " Clément Marot au Roy treschrestien Françoys pre- mier de ce nom >) paraît en 1541 et précède les trente psaumes qui sont publiés alors pour la première fois dans leur ensemble 2• Tout n'est pas original dans ces 170 décasyllabes à rimes plates ; les lieux communs d'usage, exaltation du destinataire, justification du sujet présenté, figurent en bonne place, parés des indispensables fleurs de la rhétorique. La dédicace elle-même (vers 1-38) s'efforce de hausser François rer au niveau de David et se complaît à les comparer, égaux en prudence, en courage et en gloire, destinés par Dieu à gouverner les peuples, s'en remettant l'un et l'autre à la volonté divine même si, adonnés à ~ toutes sciences bonnes n, ils ont mérité l'immortalité par leur ardeur guerrière, leur prodigieux savoir et la qualité de leurs écrits. L'opposition • de la poésie profane et de la poésie religieuse (vers 53-64) est également consacrée par l'habitude : toute la tradi- tion chrétienne a jeté l'anathème sur la frivolité des sujets mondains, se réclamant précisément de l'éminente dignité des psaumes. Sur la vertu consolatrice de ceux-ci (vers 107-14) la patristique a aussi donné

1 J. Caluini opera quae superszmt omnia, Brunswick, 1863-1900, t. VI, col. 600.

2 Editions décrites par P. Pmoux, op. cil., t. II, p. 6-8. Ibid., p. 8-10, texte de l'épître d'après lequel nous donnons nos citations.

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MAROT TRADUCTEUR DES PSAU:\iES

le ton. Marot n'innove pas davantage lorsqu'après avoir insisté sur l'exceptionnelle valeur d'édification du psautier, il en vient à défendre la qualité du style de David (vers 115-34) : la querelle n'est pas neuve qui oppose la poésie hébraïque à celle des Grecs et des Latins, ni la tentative de chercher dans les figures du psalmiste la preuve que, plus qu'Homère et Horace, il était dans l'art de seconde rhétorique un maitre consommé.

Outre ces lieux communs, on signalera les passages où le poète se conforme aux thèmes et à la doctrine des psaumes. Ainsi cette évocation des grands motifs imagés - les plaies d'Egypte, la voûte céleste, l'alternance du jour et de la nuit, la disposition de la terre et de la mer - qui confèrent au psautier cette physionomie parti- culière qu'en fidèle interprète Marot a su sentir et exploiter (vers 98-106). Même attachement à la source biblique lorsqu'il décrit, dans sa puissance et sa gloire, le Dieu de David (vers 65-78): c'est le Dieu des armées de l'Ancien Testament, Dieu personnel et trans- cendant,

77. Etant aux ungz aussi doulx et traictable

·Qu'aux <ml tres est terrible et redoubtable.

Seulement, pareme adéquation est exceptionnelle; venons-en donc aux passages où se dessine plus clairement la personnalité du poète, où le choix de ses thèmes prête davantage à conséquence .

. Aussitôt après l'adresse à François let", peu significative par son exhubérance même, le poème se fait plus dense pour traiter de l'inspi·

ration du roi David :

39. 0 doncques roy, prens rœuvre de David, Oeuvre plustost de Dieu qui le ravit, D'autant que Dieu son Apollo estait, Qui luy en train et sa Harpe rnettoit.

La sainct esprit estoit sa Callope :

Son Parnasus montaigne à double croppe Fut le sommet du hault ciel cristalin : Finablernent, son ruisseau Cabalin 1 De grace fut la fontaine profonde,

Où à grans traictz il beut de la claire unde, Dont il devint Poete en ung moment,

Le plus profond de souin le fmnament.

Car le subject qui la plume en la main . Prendre luy feit, est bien autre qu'humain.

C'est Dieu qui parle dans les psaumes~ et David, possédé d'une divine inspiration, est, à l'instar des sibylles ou des devins antiques, un interprète purement passif. Deux vers, un peu plus bas. insistent mieux encore sur la fureur sacrée dont il est la proie :

1 Hippocrène, fontaine consacree au:x Muse;;,

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79. Icy oyt on l'esprit de Dieu, qui crye Dedans David, alors que David prie.

Apprécier la position de Marot requiert une extrême prudence.

Observons d'abord que l'idée d'une inspiration divine est parfaitement orthodoxe; il n'est que d'en appeler au témoignage de Calvin:

"··· les Pseaumes de David : lesquels le sainct Esprit lui a dictez et faits. )) 1 Méfions-nous, ensuite, du vocabulaire: la série d'équivalences qu'établit le poète entre générateurs d'inspiration dans la mythologie grecque et dans le monde biblique pourrait ne recouvrir qu'une tentative d'exprimer selon une phraséologie usuelle dans la poésie d'alors une réalité entièrement chrétienne. Cependant le recours, dans ce contexte, à de tels termes de comparaison leur confère implicite- ment une certaine authenticité; au lieu de voir entre Dieu et Apollon et chacun de leurs attributs une solution de continuité, Marot sug- gère plutôt une hiérarchie parmi les principes inspirateurs, en insis- tant bien sur le fait que Dieu l'emporte sur Apollon autant que David sur Homère. Mais, plus que cela, c'est son insistance qui frappe:

Calvin ni les poètes religieux ne s'attachent tant à développer ce thème, qui pour eux ne fait point problème; c'est à la Pléiade qu'on pense plutôt, et à sa source dans ce domaine, le néo-platonisme. La philosophie de Marsîle Ficin, dont l'influence sur la Renaissance française a été relevée maintes fois 2 , s'attarde longuement à définir une théorie de la fureur poétique, dans laquelle elle voit, à l'exemple de Platon, le premier des degrés d'initiation qui conduisent au Dieu suprême. Les grands poètes, pour l'académicien de Florence, sont des prophètes inspirés ; les chantres hébreux, Moïse, David, côtoient ainsi les théologiens grecs, Orphée, Hermès Trismégiste, Pythagore ...

Marot n'a sans doute pas lu Ficin; mais sa manière d'insister sur le ((ravissement» de David prouve qu'ii a certainement absorbé un peu du néo-platonisme arnbiant dans l'entourage de Marguerite. La préface dont Richard Le Blanc, protégé de la Reine de Navarre, fit précéder sa traduction du Dialogue de Plata, intitulé Jo, qui est de la fureur poétique et des louanges de poesie 3 se prête à quelques rapprochements avec le texte de Marot; contre qui médit de la poésie religieuse, il convient d'alléguer le témoignage de Saint Paul, lequel plaçait très haut les poètes, et de plus,

<1 en l'exaltation de poesie· peult estre valabte (non pas esgalle-

ment) l'authorité de Platon, philosophe divin, lequel enquerant diligemment des choses humaines et divines, prouve par subtiles

1 A lous· Chrestiens et amateurs de la Parole de Dieu, Salut. Genève, 10 juin 1543.

Epitre destinée à paraître en tète da psautier prote~tant. Texte in P. Pmovx, op. cil., t. II, p. 20-21.

2 Ct. surtout J. FESTt:GIÈRE, La philo:mpflîe de l'amour d.e .Harsile Ficin et son influence sur la littérature frw"'çais<• au XV I• siècle, Pttris, 1941.

3 Paris, 1546. La préface dont nous donnons quelques extraits est citée par A.

LE1'RA:-.iC, Le platonisme et la littérature en France à. l'époque de la Renaissance ( 151J0- 1550), in Orands Ecrivains jra.nçais d,, la Renaissance, Paris, l!H-!, p. 125-:.!6.

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MAROT TRADUCTEUH DES PSAUMES

raisons en ce present dialogue intitulé Io, que poesie est ung don de Dieu, et en ceste probation il fait deux espeees d'aliénation de pensée, l'une par maladie et intempérance de vivre, qui est perturbation d'esprit et foHie. L'ault re est une fureur procedant de Dieu, qui est une inspiration divine. ( ... ) Et tout ce que les poetes excellentz, soient Greez, Latins, ou Francoys, ont faict, dict, et composé, il procede de la grace divine. ( ... ) Et véritablement, jouxte notre philosophie evangelique, nous croyons fidelement que nul bon œuvre peuH estre faict sans le Sainet Esprit, qui est la grace de Dieu. ))

L'épître à François rer développe un second thème qui nous place en porte-à-faux entre l'orthodoxie et les théories importées en France entre autres par le néo-platonisme florentin : les effets de la musique. On sait comment, de la Grèce aux Pères de l'Eglise, puis à travers le moyen âge jusqu'au-delà de la Renaissance se maintint, tenace, la croyance aux vertus de la musique, (( maistresse souveraine, à consoler un dueil, à rapaiser une vie, refreindre une audacè, tempe- rer tm desir, guerir une douleur, soulager un emmy de misere, con- forter une langueur, et adoucir une amoureuse peine 1 )>, L'image d'Orphée channant les animaux du son de sa lyre servit d'emblème à cette Hmgue tradition 2 , dont Marot nous restitue ici l'écho:

1:35. N'a-il 3 souvent au doulx son de sa lvre Bien appaisé de dieu courroucé l'yre '? "

N'en a-H pas souvent de ces bas lieux Les escou tans ravy jusques aux cieulx '?

Et fait cesser de Saül la manie

Pendant le temps que duroit l'harmonie?

Notons que l'exemple de Saül calmé par David, véritable topos dans la littérature consacrée aux effets de la musique, est allégué dans maints traités hétérodoxes, et entre autres par MarsHe Ficin 4; mais la tradition chrétienne, de son côté, l'a exploité souvent. L'idée des pouvoirs de la musique était d'ailleurs si répandue à la Renais- sance que Calvin y a insisté: " Le chant a grand force et vigueur d'esmouvoir et enf1amber le cœur des hommes, pour invoquer et louer Dieu d'un zèle plus vehement et ardent)) 5 Pareille conviction, commune au poète et au réformateur, se situe pourtant dans des

1 Pontus de TYAHD. Solitaire s.~cond (1552), in Les Discours 'philosophiques de Pontus de l'yard, Paris, 1587, fol. H}3r>.

2 ~ons ne pouvons, sur ce problème, que renvoyer aux articles de D. P. WALJ<EH;

Ficino's <Spiritus • ami iHusic, ln Annales rmisieologiques, l (Hl53), 131-50; Orpfleus the Theologian and Renuissance Platonists, ln Journal oj the lVa:rburg and Courtauld Institutes, 16 (Hl53), 100-20; The Prism 1'l!eologia in France, in Journal of the lVarbura und Courlaald Institutes, li (1!)5,!), 204-59; Le chant orphique rle Aiarsile Ficin, in ,YJusique el Poésie au XYI• siècle, Colloques du CNRS, Paris, 105<!, 17-33.

3 David.

4 Lettre à Antonio Canîsiano, in Oflera omnia, Bâle, 1576, p. 651.

5 Epistre au Lecteur, in La Forme des Prieres et Cha.ntz ecclesiastiques ... , S. 1., l;'i"!2.

Texte in P. Prnou:x:, op. cit., t. II, p. 15-lï. Snr ce problème, cf. entre autres H. P. CLIVE,

The Caluinisl ailitude lo music and Us literary tllipecls and sources, in BHR., 19 (1957), 80-102 et 2\H-31\J, et 20 (1958), 79~107.

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636 MICHEL JEANNERET

contextes bien dîfférents: tandis que Marot y voit un prodige digne d'inspirer un respect sacré, Calvin en tire argument pour recomman- der une extrême prudence, une grande sobriété, dans le maniement d'un moyen de persuation si puissant: préoccupation morale, goût de la mesure que néglige le poète. Marot suit le cours de son idée et s'adresse une nouvelle fois à la mythologie grecque pour la dévelop- per:

141. Si Orpheus jadis l'eust entendue

La sienne ii eust à quelque arbre pendue.

Si Arion l'eust ouv resonner,

Plus de la sienne

if

n'eust voÙlu sonner.

Et si Phœbus ung coup I'eust escoutée La sienne il eust en cent pie ces boutée ...

Même problème que plus haut: si la souveraineté de David porte ombrage aux poètes-musiciens de la tradition antique, les exclut-elle pour autant? Il semble plutôt que le psalmiste se situe ici au principe d'une longue lignée de musiciens sacrés; c'est la théorie néo-plato- nicienne, avec un accent nouveau pour dégager la supériorité de David.

Il ne s'agit pas, prenons-y garde, de déceler dans cette épître une quelconque intention de polémique à l'égard des doctrines réformées.

C'est plutôt, au moment où ses psaumes paraissent dans les recueils de piété huguenote, une absence presque totale de calvinisme qui nous frappe chez Marot, une fidélité entière aux idées débattues dans le cercle de Marguerite de Navarre. La fin de l'épître, où resurgit la personnalité du destinataire, confirme ce point. Si les modulations du psalmiste se sont évanouies, dit Je poète, il reste ses vers~ dont Dieu a voulu que, pendant de longs siècles, Us servent à le vénérer;

une telle longévité, certes, les a <( renduz obscurs, et durs d'intelligence}) (vers 157),

158. Mais tout ainsi qu'avecques diligence, Sont esclarcis, par bons espritz rusez,

Les escripteaul:x, des vieulx fragmentz usez, Ainsi (ô roy) par les divins espritz

Qui ont souin toy Hebrieu langaige appris, Nous sont jectez les Pseaulmes en lumiere, Clairs, et au sens de la forme premiere.

Marot attribue à juste titre la restitution des psaumes dans leur authenticité aux Lecteurs royaux, promoteurs d'une fonne de culture nouvelle, certes, mais fidèles, et pour cause, à la foi traditionnelle.

Il les avoue ici pour ses maîtres; il confesse, semble-t-il, que sans Ie travail préalable des érudits - on songe, surtout, à Vatable - son entreprise n'eût pas été possible. Sur la démarche de Calvin, son vaste projet de diffusion du psautier en langue vulgaire, pas un mot. C'est bien la preuve que Marot situe sa traduction dans la perspective d'un

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:\L\ROT TK~DUCTEUR DES PSAUMES 637

évangélisme devenu cadue après l'aiTaire des Placards; i1 n'est pas disposé à admettre qu'en 1541 la situation ·a changé et qu'il convient désormais de choisir entre François rer et Calvin 1• ·

* * *

L'épUre "Aux Dames de France » 2 a été écrite à Genève puisque, datée du l"' août 1543, elle introduit les dix-neuf psaumes 3 que le poète en exil vient d'achever, et qu'il joindra aux trente pièces déjà publiées. Les critiques n'ont pas cru bon de s'y arrêter. Pourtant, outre ses éminentes qualités de style, elle présente certaines singu- lru·ités: elle adresse les psaumes aux dames de France, destinataires catholiques ; cela étonne de la part d'un poète religieux réfugié à Genève. De quoi traite-t-elle? D'amour. Voilà qui nous éloigne passablement des préoccupations et du ton de Calvin, mais nous fait souvenir au contraire de certain débat littéraire qui émut en 1542 le Parnasse français : la Querelle des Amies battait alors son plein ; il s'y mêlait l'apport récent du platonisme et une controverse qu'avait agitée inlassablement le moyen âge français : la femme est-elle capable d'amour désintéressé? quelle est la vraie nature de l'amour'? C'est ce qu'avaient débattu tour à tour La Borderie (L'Amie de Court, 1542), Charles Fontaine (La Conlr' Amye de Court, 1542), Antoine Héroet (La Parfaicte .timye, 1542), Almanque Papil1on (Le Nouvel Amour, 1543) et quelques autres 4 A la femme cupide, soucieuse des seules réalités matérielles qu'avait présentée le premier, les autres avaient opposé une vision idéale de l'amour, où Agapè, chaque fois, l'empor- tait sur Eros. L'épître de Marot paraît donc en pleine Querelle des Amies; elle traite du thème sur quoi roule toute la polémique, l'amour;

elle s'adresse enfin aux dames, comme la plupart des pièces impli- quées dans le débat, qui s'inspiraient d'aHleurs, sur ce point, d'une ancienne tradition 5: que demander de plus pour prouver son appar- tenance à la controverse? Il n'est pas étonnant que Marot ait voulu apporter son concours puisque, d'un côté comme de l'autre, on trouve aux prises ses anciens compagnons: son <(mignon Borderie n 6 ,

1 P. LEBLA"'C, in La poésie religieuse de Clément !}tarot, Paris, 1955, etC. A. MAYER

in The Problem oi Dolel's euanaeUcat publications, in BHR, 17 (1955), 405-14, et in La Religion de !}!arot, Genève, 1\)60, ont insisté sur ce point qui nous parait important et plein de justesse.

Z On en trouvera le texte, d'après lequel nous donnons nos citations, in P. Prnocx, op. cit., t. II, p. 22.

3 Les références bibliogra.phiques indiquent tantôt 19 tantôt 20 psaumes; il y en a, en fait, 19, complétés en général par le Ca.ll.tique de Siméon,

4. Sur la Querelle, ct A. lb:noET, a:uvres poétiques, éd. critique de F. GOH1N, 2• tirage, Paris, 19·t:j,

5 Le problème féminin, envisagé sous un angle philosophique et social, suscitait un véritable engouement chez les poètes d'alors; Antoine du :\Ioulin, par exemple, un ami de Marot, suggérait comme l'existence d'une république féminine des Lettres dans son épitre aux • Dames lyonnaises •, en tète des Rymes de Pernette du GurLLET, Lyon, 1545.

~ Epitre de Frippelippes, vers 154 ; cette pièce cite les autres amis de .\[:~rot.

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638 MICHEL JEANNERET

Fontaine, Héroet, Papillon ; . retiré à Genève, il s'intéresse aux opi- nions qu'échangent, sur un thème bien mondain pourtant, ses amis, et il ne juge pas inopportun d'introduire ses derniers psaumes dans le débat l. Mais interrogeons son épître pour définir la place qu'il

occupe dans la Querelle. ·

La pièce s'ouvre sur un lieu commun: Marot appelle de ses vœux l'avènement du « siecle doré)) (vers 1) où, les chansons :mon- daines une fois exclues, on n'aura d'autre soin que d'adorer Dieu.

Le recours à la terminologie antique est ici trop rapide et commun , pour rien présenter de significatif, de même que .la réprobation des chansons profanes, leitmotiv des poètes religieux. Calvin était bien d'accord, d'ailleurs, pour condamner <<celles que communement on chante qui ne sont que de paillardise et toute villennie )) 2 Un autre passage, absolument traditionnel, exige de la prudence : Marot s'ins- pire d'un tableau bucolique qui remonte à Saint Jérôme 3 pour décrire l'âge d'or souhaité où on entendra chanter les psaumes jusqu'au plus profond des campagnes{vers 41-52). Charrié par de nombreux com- mentateurs ce motif ne recouvre aucune attitude révélatrice.

Le poète en arrive dès le vers 8 à l'objet de la Querelle:

Et plus bas:

0 vous, dames et damoyselles

Que Dieu feit pour estre son temple Et faictes, soubz mauvais exemple, Retentir et chambres et salles De chansons mondaines ou salles, Je veulx icy vous presenter

De quoy sans offence chanter.

23. Amour, duquel parlant je vois, A fait en vous langage et voix, Pour chanter ses hautes louanges ...

La vocation de la femme, investie d'une mission sacrée, est affirmée bien haut, mais elle reste virtuelle puisque, en fait, les dames se complaisent aux chansons mondaines; c'est dire qu'aux yeux de Marot, la femme n'est pas parfaite mais perfectible, et que la pratique des psaumes lui permettra de manifester ses éminentes qualités.

La position du poète nous paraît donc ambiguë : il accorde à chacun des partis aux prises une part de vérité (rappelons-nous que la Bor- derie est un de ses amis), même si, en définitive, il incline du côté des

1 On a attribué à Marot l'Epistre à un amy, en abhorrant folle amour (éd. citée de C. A. MAYER, n• 53), pièce vulgaire et unilatérale, qui n'envisage de l'amour que son aspect charnel, pour le condamner. C. A. Mayer, éd. citée, p. 61, apporte d'excellents arguments contre l'attribution: La grande différence, dans l'opinion et dans le ton, qui qui sépare cette épître de la nôtre nous permet de confirmer son point de vue.

2 Au Lecteur Crestien Salut et paix en Jesucrist, in La Manyere de faire prieres ... , Rome [Strasbourg], 1542. Cité par P. Pmoux, op. cit., t. II, p. 14.

3 Cf. surtout la lettre de Paula et Eustochium à Marcella (Saint Jérôme, Lettres, Paris, 1951, t. II, p. 100-14).

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MAROT TRADUCTEUR DES PSAUMES 639

platoniciens. On ne s'étonne pas de le voir accorder à la nature féminine une pareille confiance : le généreux humanisme qu'il a toujours professé l'y engageait. Mais le ton avenant et gracieux qu'il affiche correspond davantage à l'inspiration d'un poète courtisan qu'à la démarche rigoureuse de Calvin et on n'exagère pas beaucoup en soutenant qu'il pouvait tomber sous le coup de la condamnation du réformateur :

, <<Il y a puis apres une seconde secte [de Nicodémites]. Ce sont les prothonotaires delicatz, qui sont bien contens d'avoir l'Evangile, et d'en deviser joyeusement et par esbat avec les Dames, moyennant que cela ne les empesche point de vivre à leur plaisir 1 ».

Mais c'est le thème de l'amour qui offre avec les préoccupations contemporaines les plus frappantes analogies. Du <( siecle doré »

seront bannies les chansons profanes ; aussi Marot, pour en hâter la venue, engage-t-il les dames de France à faire grand usage du psautier

59. Afin que du monde s'envolle Ce Dieu inconstant d'amour folle, Place faysant à l'amyable

Vray Dieu, d'amour non variable.

Ce couple antithétique de l'amour mondain, lascif et corrompu, et de l'amour épuré qui dirige l'âme vers Dieu, on connaît sa fortune dans le monde occidental et l'importance que lui a accordée le néo-plato- nisme: il s'agit d'échapper aux passions inconstantes pour s'élever, par l'amour,· à la contemplation du Beau. Marguerite de- Navarre était prédisposée par ses penchants mystiques à reprendre et à exploiter cette opposition ; une bonne part de ses poésies - celles des dernières années essentiellement - repose sur une dialectique de l'amour mondain et de l'amour spirituel:

Ce m'est assez qu'Amour mon cueur preserve Tant qu'autre amour n'y puisse trouver lieu 2

De même, dans la traduction du Commentaire du Banquet de Ficin par Jean de la Haye, toute la dédicace est consacrée à raconter l'an- tagonisme des deux amours ; l'auteur ne s'exprime guère différem- ment de Marot :

L'ung est cruel, soubs ung peu de beaulté, L'autre est seul beau, et seul sans cruaulté.( ... ) L'un est Dieu feinct, et des Dieux feincts supreme : L'autre est vray Dieu, et le seul Dieu luy-mesme 3

1 Excuse( ... ) à Messieurs les Nicodemites, Calvini opera ... , éd. citée, t. VI, col. 598-99.

2 La Distinction du vray Amour par dixains, dizain 20, in Les Dernières Poésies de Marguerite de Navarre, publiées( ... ) par A. LEFRANC, Paris, 1896, p. 301 sqq.

a A la Royne de Navarre, quelque amy de J. de la Haye, in Le Commentaire de Marsille Ficin, Florentin: sur le banquet d'Amour de Platon: faict François par Symon Silvius, dit J. de la Haye, Valet de Chamb1·e de treschrestienne Princesse Marguerite de France ... , Poîtiers, 1546.

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640 MICHEL JEANNERET

Que la tradition platonicienne ou les poètes mystiques (Mar- guerite en propose maints exemples) identifient Dieu et amour ne surprend guère; que le traducteur du psautier s'engage sur ce terrain étonne davantage. Les psaumes, dit-il, ne parlent que d'amour:

19. Ce n'est qu'amour. Amour luy-mesme, Par sa sapience supreme,

Les composa, et l'homme vain N'en a esté que l'escrivain.

Pareille terminologie ne relève ici que d'un jeu de mots; mais, s'il n'est d'abord doué d'existence qu'au niveau lexicologique, amour se charge bien vite d'une réalité plus intense et justifie son nom par l'effet qu'il exerce sur l'âme humaine:

29. L'amour que je veulx que chantez Ne rendr.a vos cueurs tormentez Ainsi que l'autre; mais sans doute Il vous remplira l'ame toute De ce plaisir solatieux

Que sentent les anges des cieulx : Car son esprit vous fera grace

De venir prendre en vos cueurs place, Et les convertir et muer

Faisant voz levres remuer, Et vos doigtz sur les espinettes, Pour dire sainctes chansonnettes.

Ce n'est plus le pouvoir de la musique que célèbre Marot, mais l'action d'amour qui comble l'âme de plaisir, se répand dans le cœur et dicte aux hommes des mélodies sacrées. Il inspire à qui sait s'abandonner une plénitude parfaite qui ne trouve à s'exprimer que dans les louanges.

Voilà qui renvoie à la théorie de la fureur platonicienne ou à la ter- minologie mystique davantage qu'à l'orthodoxie calvinienne. Le poète insiste sur la joie qui s'empare de l'âme et la quiétude de celui qui est possédé d'amour: on songe au personnage de la Ravie, dans la Comédie de Mont-de-Marsan de Marguerite de Navarre:

Jamais d'aymer mon cueur ne sera las, Car dieu l'a faict d'une telle nature Que vray amour luy sert de noriture : Amour luy est pour tout plaisir soulas 1

Toute la poésie mystique de la Reine est d'ailleurs parcourue de ce thème de la joie, comme de l'idée qu'un amour désincarné hausse l'homme au niveau de Dieu :

1 Vers 603-06. Cf. Marguerite de NAVARRE, Théâtre profane, éd. critique par V. L.

SAULNIER, nouv. éd., Genève, 1963.

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MAROT TRADUCTEUR DES PSAUMES

Elle ayme sa melancolie Et ne refuze nul tourment,

Puisqu'Amour par doulceur la lye A son vray et parfaict amant 1.

641

Cette assimilation audacieuse de Dieu à l'amant divin, Marot l'es- quisse dans l'épître à François

rer,

lorsqu'il tente de définir le carac- tère sacré des psaumes:

61. Pource que là ilz trouvent leur amant Plus ferme et cler que nul vray dyamant 2

Voilà qui mène au-delà de la Querelle des Amies, où les problèmes de morale et de philosophie ont écarté le débat religieux. Il n'en reste pas moins que l'épître aux Dames repose sur deux thèmes qui suffisent à lui ménager une place dans le différend : la toute puissance d'amour et l'opposition des affections mondaines aux passions divines.

L'attachement de Marot à la spiritualité du groupe évangéliste implique avec le calvinisme des différences qu'il n'est pas nécessaire de souligner. Quelques motifs communs, cependant, appellent la comparaison: l'idée que la musique est source de joie, qu'elle fait participer les hommes à la félicité des Anges séduit et le poète et le réformateur. Calvin ne néglige pas non plus la relation que développe Marot entre chant et amour; mais tandis que, pour l'un, elle invite à se livrer à l'action exaltante de Dieu, il existe pour l'autre une res- triction- l'abandon à l'amour de Dieu doit se doubler de crainte- qu'ignore le poète : « ... Affin que tu eusse chansons honnestes t'en- seignantes l'amour et crainte de dieu>> 3 • Par ailleurs, le réformateur n'omet pas les élans du cœur et de l'âme dont Marot célèbre la dou- ceur, mais les subordonne à l'intervention de l'intelligence:

« Il nous faut souvenir de ce que dit sainct Paul, Que les chansons spirituelles ne se peuvent bien chanter que de cœur. Or le cœur requiert l'intelligence. ( ... ) Après l'intelligence, doit suivre le cœur et l'affection 4• n

Ce point capital du calvinisme, le poète l'ignore dans chacune de ses deux épîtres.

* * *

1 Chanson spirituelle sur le chant: «Avez point veu la peronnelle? &, in Les Dernières Poésies ... , op. cil., p. 314 sqq.

2 Variante de 1543: « Pource que là trouvent leur doulx amant ... &, Remarquons, dans la même épître, deux autres emplois du vocabulaire mystique que Marot doit sans doute à Marguerite ; cette allusion à la dialectique du tout et du rien :

91. Et y orra sur la Harpe chanter

Que d'estre rien, rien ne se peult vanter, . Et qu'il est tout ( ... )

Plus bas, le poète oublie François I•r pour s'écrier: · 107/J. 0 gentilz cueurs, et ames amoureuses ...

3 Au Lecteur Crestien ... , op. cit.

4 A tous Chrestiens ... , épître citée du 10 juin 1543.

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642 MICHEL JEANNERET

Fidèle à son passé, Marot est donc, en 1543, un soutien bien hésitant de la confession nouvelle. Il n'empêche que son épître aux Dames, datée du premier août 1543, a paru pendant qu'il résidait à Genève. Elle figurerait dans le psautier préparé par Calvin pour l'édification des fidèles que notre thèse serait sérieusement infirmée.

Seulement, les cinquante psaumes, une fois achevés, furent publiés dans deux éditions très différentes. On a perdu toutes les traces du tirage préparé sous le patronage de Calvin pour servir à l'Eglise protestante ; mais son existence est attestée par un extrait des Registres du Conseil de Genève, qui autorise l'impression des

« Psalmes de David, lesqueulx sont imprimé avecque la game et les prieres de l'Eglises ... » 1 ; or, l'édition conservée ne contient pas trace de musique. De même, l'épître de Calvin, datée du 10 juin 1543, qui figurait certainement dans la publication ecclésiastique, se termine par une allusion à la mélodie : « il a semblé le meilleur qu'elle fust modérée en la sorte que nous l'avons mise». L'autre édition, conservée à la Bibliothèque du Protestantisme français 2, était sans doute destinée à l'exportation 3 puisqu'elle ne contenait ni musique ni préface de Calvin, mais reprenait l'épître à François Ier

et comprenait l' épitre aux Dames et un huitain nouveau daté du 15 mars 1543, adressé au Roi de France, en tête des dix-neuf derniers psaumes:

Puis que voulez que je poursuive, ô Sire, L'œuvre royal du Psautier commencé, Et que tout cœur aymant Dieu le désire, D'y besongner me tien pour dispensé. ( ... )

Enfin, parmi les morceaux poétiques dont Marot faisait suivre habituellement ses psaumes - le Cantique de Siméon, les Commande- ments de Dieu, les Articles de la Foy, l'Oraison de nostre Seigneur

Jesus Christ, Prieres devant et a pres le repas - figure une pièce absolument inattendue, la Salutation angelique, que l'année même, la censure genevoise, chargée de délivrer l'imprimatur pour les cinquante psaumes, avait expressément prohibée :

« Psalmes de David, lesqueulx sont imprimé avecque la game et les prieres de l'Eglises, mes pour ce qu'il fayet mention en icyeulx de la

1 Reg. du Cons. 37, fol.121v•, Genève, 9.6.1543, cité par P. Pidoux, op. cit., t. II, p. 20.

2 Cinquante Pseaumes en François par Clem. Marot. Item une Epistre par luy nagueres envoyée aux Dames de France, S.l., 1543. Cote: André 273. Ed. décrite par P. Pidoux, op. cit., t. II, p. 25. Comme le signale C. A. Mayer dans sa Bibliographie de Marot, n•• 116-17, il existe à la BPF un second exemplaire dépareillé (cote: 8917);

il s'agit certainement du même tirage, auquel un protestant fanatique a peut-être arraché les premières et les dernières pages, qui contiennent les pièces litigieuses.

3 C'est Th. Dufour qui a signalé ces deux éditions et leurs différences pour la première fois dans son compte-rendu de O. DouEN, Cl. Marot et le Psautier huguenot, in Revue critique d'histoire et de littérature, 1er semestre 1881, p. 108.

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MAROT TRADUCTEUR DES PSAUMES 643 salutation angelique, resoluz que icelle soyt ostée, et la reste est trouvé bon, et que il ne soyt fayet faulte de cella oster 1>>

Avoir sollicité des censeurs genevois l'autorisation d'imprimer un recueil contenant l'Ave Jill aria, ce pouvait être, de la part de Marot, naïveté ou maladresse, et méconnaissance flagrante des rudiments du calvinisme. Au moins savait-il dès le 9 juin à quoi s'en tenir;

cela ne l'empêche pas de réimprimer la pièce litigieuse entre le premier août et la fin de l'année 2 Que la publication destinée au public français sorte des presses genevoises ou provienne d'ailleurs - elle ne porte aucun lieu d'édition-, qu'elle ait été imprimée sous les yeux de Calvin ou à son insu 3, elle découvre chez Marot deux mobiles importants: il envisage sa traduction dans la perspective de l'Evan- gélisme pratiqué largement dans les années 1530 et, après 1540, dans quelques groupes restés attachés à un passé révolu; c'est ce que montrent l'épître aux Dames et la Salutation angelique, parue déjà dans le Miroir de treschrestienne Princesse Jlllarguerite de France ...

en 1533, où elle avait parfaitement sa place. En outre, il attend de sa traduction bien autre chose que la confiance et l'amitié des Hugue- nots, auprès desquels il s'est toujours senti mal à l'aise: un retour en grâce à la cour de France; l'édition destinée au public français le prouve dans son ensemble, et particulièrement le huitain à François Ier.

Devenus les soutiens d'une longue tradition protestante, les psaumes de Marot ont été créés dans une perspective qui nous décon:- certe. Une enquête plus large montrerait pourtant que compromis et atermoiements se multiplient jusqu'à la veille des Guerres de Religion, dans le milieu des gens de lettres particuJièrement. L'atti- tude de Marot et la destinée de ses psaumes ne présentent donc qu'un phénomène habituel P.armi les mille paradoxes que prodigue si géné- reusement la Renaissance française.

Paris et Neuchâtel. Michel JEANNERET.

1 Décision du 9.6.1543, déjà citée.

2 Ces termini sont donnés respectivement par la date· de l'épître aux Dames et la date d'édition du recueil.

3 Un extrait des Registres du Conseil du 15 octobre 1543 prouve qu'à cette date les ponts n'étaient pas encore rompus; Calvin attache tant d'importance à voir le psautier achevé qu'il sollicite pour Marot une rétribution : • Le sieur Calvin a exposé pour et au nom de Clement Marotz requerant Iuy faire quelque bien et ilz se perforera [parforcera] de amplir les seaulme de David. Ordonné de luy dire qui pregnent passience pour le present. • (Reg. du Cons.37, fol.243v•, cité par P. Pmoux, op. cil., t. II, p. 23).

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