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Comment s explique la décomposition de la France en juin 1940?

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Comment s’explique la décomposition de la France en juin  1940 ?

La défaite de 1940 est bien plus qu’un simple désastre militaire. Elle entraîne « la chute de la France » (Julian Jackson), tant la décomposition du pays est totale. La débâcle des armées s’accompagne d’un gigantesque mou- vement de population, l’Exode, qui s’explique par la panique engendrée par l’offensive allemande, la mémoire de l’invasion de 1914 et de ses exactions dans les terri- toires du Nord et de l’Est de la France, les conséquences d’une guerre moderne où les bombardements provoquent de nombreuses pertes civiles.

Mi- mai a lieu un premier exode, celui des Néerlandais, des Belges, des Luxembourgeois et des habitants du Nord de la France. Mais c’est surtout début juin, après que la ligne de défense constituée par Weygand sur la Somme a été rompue, que le mouvement se transforme en sauve- qui- peut général. Les convois de civils où se mélangent toutes les catégories sociales se développent sur les routes menant vers le Sud et vers l’Ouest, ponctués de nom- breux drames alors que les mitraillages des Stukas se multiplient, comme l’immortalisera en 1952 le film de

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René Clément, Jeux interdits, qui raconte l’histoire d’une jeune fille devenue orpheline sur les routes de l’Exode.

Vidant un tiers du territoire dans les deux autres, ce gigantesque mouvement de population, qui concerne entre 7 et 8 millions de personnes, provoque une dilution totale dans les départements de départ. Des fonctionnaires, des élus locaux, des acteurs économiques se mêlent aux flux de réfugiés, abandonnant leurs activités. Le préfet Jean Moulin, qui devait faire feu de tout bois à Chartres, dans une ville bombardée puis occupée, eut énormément de mal à trouver des personnes pour l’assister, l’évêque, le maire, les pompiers ou encore les boulangers ayant quitté la ville. Les magasins et maisons abandonnés font l’objet de nombreux pillages. Les gestes les plus irrationnels se multiplient dans une série d’actes qui n’auraient jamais été commis en temps ordinaire, comme à l’hôpital d’Orsay où des infirmières injectent des doses létales à des invalides ne pouvant être transportés.

Les départements d’accueil sont débordés par cet afflux de réfugiés, qui s’ajoute aux personnes ayant été évacuées des territoires frontaliers en septembre  1939 (Alsaciens- Lorrains) et provoque des difficultés d’hébergement et de ravitaillement inextricables. Les récits des réfugiés dans les régions qui n’ont pas encore connu les combats amplifient le sentiment que le pays est au bord du gouffre et ravivent les grandes peurs où, en absence d’informations précises, se mélangent fantasmes et craintes avérées sur la violence de l’adversaire et l’effondrement du pays.

L’Exode participe du traumatisme qui accompagne la défaite. Alimentant au sein de la population d’impor- tantes angoisses mais aussi des ressentiments contre les

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responsables qui étaient censés la protéger, créant un désir d’ordre et de paix alors que le pays est plongé dans le chaos, il pose à bien des égards le « fondement moral de l’armistice », selon la formule utilisée dans son Journal de la France entre 1939 et 1944 par l’essayiste Alfred Fabre- Luce. Ses conséquences se font sentir encore pendant de longs mois après la fin des combats, qui ne marque pas immédiatement un retour à la normale. Si les premiers retours de réfugiés sont organisés dès l’été 1940, certains ne peuvent revenir dans leur région d’origine, désormais en zone occupée, qu’à la fin 1940, en raison des auto- risations qu’il fallait obtenir des Allemands. À la même date, plusieurs milliers de familles demeurent encore à la recherche, via les organisations d’aide aux réfugiés (Croix- Rouge, Cimade), de leurs enfants perdus au cours de l’Exode.

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Quel est l’état d’esprit des Français au moment de l’armistice ?

L’abattement des Français fut d’autant plus grand lors de la défaite qu’aucun signe avant coureur n’avait permis d’envisager un tel désastre. La mobilisation s’était bien déroulée et, même s’il faut faire sa part au pacifisme, les combattants de 1940 étaient tout aussi désireux que leurs aînés de 1914 de faire leur devoir. L’armée française, qui avait su encaisser le choc avant d’obtenir la victoire lors de la dernière guerre, avait la réputation d’être la meilleure du monde. La France pouvait également compter sur son Empire et sur une alliance britannique qui permettait de conférer aux Alliés la supériorité sur les mers. Autant d’atouts semblaient rendre confiant dans la victoire et dans les slogans rassurants de la propagande gouvernementale (« Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts »).

Contrairement à ce que certains se plairont ensuite à expliquer, la défaite de 1940 n’apparaît nullement comme la conséquence d’un état d’esprit défaitiste. Elle résulte essentiellement d’erreurs stratégiques de l’état- major et d’une meilleure utilisation des armes modernes (aviation et blindés) par les Allemands. L’annonce de l’armistice, signé

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le 22 juin 1940 entre les représentants des gouvernements allemand et français, provoque des sentiments contradic- toires, entre la satisfaction de voir la guerre s’arrêter et le  choc terrible que constitue l’humiliation subie par le pays (l’arrivée des Allemands à Paris provoque une quin- zaine de suicides, dont celui du grand chirurgien Thierry de Martel, qui laisse ces mots  : « Je ne peux pas »). Les variations locales ont pu être importantes, la France du Nord apparaissant davantage atteinte par la débâcle que la France du Sud qui a échappé aux combats, même si l’accueil d’un grand nombre de réfugiés a pu y développer d’importantes inquiétudes. Mais la rapidité de l’effondre- ment militaire et le chaos de l’Exode font qu’une majorité de Français, totalement désemparés, ont pu éprouver un

« lâche soulagement » en apprenant la signature de l’armis- tice, qui signifie sur le moment la fin des combats, la pos- sibilité pour les régions qui n’ont pas encore été atteintes par les Allemands d’échapper à l’Occupation et l’espoir pour les millions de réfugiés de rentrer chez eux.

Il est difficile d’apprécier les réactions des habitants des territoires près d’être occupés lors de la signature de l’armistice. Dans les villes de ce qui deviendra la zone Sud, des cérémonies de deuil national sont organisées à l’annonce de la fin des combats. Les récits témoignent tous du grand recueillement de la population, qui se rassemble devant les monuments aux morts et bâtiments publics où les drapeaux tricolores sont mis en berne. Parfois ce recueillement, qui s’accompagne de prières demandées par les autorités religieuses locales, prend la forme d’une cérémonie expiatoire alors que l’Église catholique retrouve certains accents des lendemains de la défaite de 1870 pour

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demander la purification d’un pays qui aurait pêché. Le recueillement s’accompagne également d’une communion patriotique face à l’humiliation de la défaite. À Annecy, la minute de silence observée est déchirée par les « Vive la France », tandis que les anciens combattants entonnent la Marseillaise, reprise par la foule.

Dans les esprits, au traumatisme de la défaite s’ajoute l’incertitude de l’avenir, notamment pour les départements proches des combats, où l’on se demande si cette situation pourra durer. Dans beaucoup de familles disloquées par la débâcle règne également l’inquiétude pour ceux dont on est sans nouvelles  : les soldats, mais aussi les proches errant sur les routes de l’Exode.

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Quel sort connaissent les soldats français au moment de la défaite ?

L’une des grandes inquiétudes de l’été 1940 concerne le sort des soldats, dont on ne sait pas toujours s’ils ont été tués ou faits prisonniers. Les préfectures publient des listes de prisonniers de guerre par communes, afin d’informer les familles, en se basant sur les renseignements du Centre national d’information sur les prisonniers de guerre.

En septembre  1939, 4,5  millions d’hommes ont été mobilisés. Les plus anciens, ceux des classes 1909 à 1917, avaient déjà combattu en 1914-1918. Les plus jeunes, ceux de la classe 1938, venaient tout juste de faire leur ser- vice militaire. Bien que brève, la campagne de France a donné lieu à des combats très violents, provoquant des pertes importantes dans les rangs français, même si les chiffres ont été ramenés à la baisse par les historiens (entre 50 000  et 60 000 tués et 123 000 blessés). 1 850 000 sol- dats français sont capturés, soit à l’occasion des combats du printemps 1940, soit du fait de l’armistice, qui livre au vainqueur les unités situées dans la zone devenue occupée.

Les soldats qui ont pu échapper à l’avancée allemande ou des forces qui ont repoussé l’ennemi (notamment l’armée

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des Alpes qui a résisté face à l’offensive italienne) sont démobilisés au cours de l’été 1940 et retournent dans leurs foyers. Seule une petite minorité d’entre eux reste dans l’Armée de Vichy, dont les effectifs sont limités à 100 000  hommes par la convention d’armistice.

Les prisonniers de guerre (PG), traités conformément aux conventions de Genève, sont dans un premier temps consignés dans leur caserne ou répartis dans des camps de fortune aménagés par les Allemands en zone occupée.

Ces cantonnements improvisés n’étant pas toujours bien surveillés, certains en profitent pour « se faire la belle », souvent avec la complicité des populations locales, comme Leclerc qui s’évade d’un hôpital. Début juillet  1940, pour faciliter la remise en route du pays, les Allemands acceptent de mettre des PG à la disposition des agricul- teurs de la zone occupée pour aider aux travaux agricoles, alors que la main- d’œuvre fait défaut. Certains prisonniers affectés dans les campagnes profitent d’une surveillance relâchée pour s’évader et revenir clandestinement chez eux. Environ 10 % des PG ont pu alors s’échapper, évi- tant le sort de ceux transférés en Allemagne.

Les départs des PG vers l’Allemagne, où ils sont inter- nés dans des Stalags (pour les hommes de troupes) ou des Oflags (pour les officiers), s’étalent entre l’été 1940 et le début de l’année 1941. Quelques catégories restent dans des camps sur le sol français, notamment les soldats coloniaux, que les Allemands décident de ne pas transférer outre- Rhin pour des raisons raciales.

Âgés en moyenne de 30 ans, les PG représentent 15 % de la population active masculine. Ils font grandement défaut au fonctionnement du pays, aussi bien dans l’in-

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dustrie que dans l’agriculture (un tiers environ sont des paysans). La figure du prisonnier prend immédiatement une charge symbolique très forte. Un grand nombre de familles se trouvent touchées par l’absence d’un père ou d’un fils et s’inquiètent de leur sort tout en espérant une libération prochaine (certaines catégories –  combattants de 1914-1918, pères de famille nombreuse ou « spécia- listes »  – connaissent des libérations anticipées dès 1941) ou un retour à la suite d’une évasion.

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Pourquoi Pétain apparaît- il comme l’homme providentiel ?

En l’appelant au gouvernement en mai  1940, Paul Reynaud pensait peut- être que le vieux maréchal Pétain, le « vainqueur de Verdun », jouerait le rôle d’une potiche glorieuse qui redonnerait un peu de lustre à son gouverne- ment. Mais le Maréchal s’impose en quelques semaines à la tête du pays, dirigeant le clan des partisans de l’armistice lors du conseil des ministres du 13  juin puis succédant à Reynaud à la tête du gouvernement le 17  juin 1940.

Pétain apparaît alors, aux yeux d’une majorité de Français, comme l’homme de la situation. On espère que le Maréchal, après avoir déjà sauvé deux fois la France, en tenant bon en 1916 face à l’offensive allemande contre Verdun puis en rétablissant la situation dans l’armée après les mutineries du Printemps 1917, saura une nouvelle fois prendre les bonnes décisions. Sa façon de s’adresser aux Français à la radio et ses formules (« Je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur ») se veulent rassurantes et protectrices alors que la défaite pro- voque un véritable traumatisme et qu’une grande partie de la population a pu avoir le sentiment d’être abandonnée

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lors de la débâcle. « Ce n’était pas un homme qui nous parlait, mais du plus profond de notre histoire nous enten- dions monter l’appel de la grande nation humiliée », écrit François Mauriac commentant le discours prononcé par le Maréchal le 25  juin 1940 pour informer les Français des conditions de l’armistice.

Totalement déboussolée par l’ampleur de la défaite, la population aspire d’abord à ce que prenne fin le cauchemar et que la France sorte d’une guerre qui semble perdue tant la supériorité allemande est forte. Pétain, qui a clairement fait savoir son refus de quitter le sol métropolitain afin de

« rester parmi le peuple français pour partager ses peines et ses misères », incarne dans ce contexte la position qui semble la moins hasardeuse et la plus rassurante pour des Français désorientés, dont les préoccupations consistent d’abord à survivre dans le chaos général, celle d’une straté- gie hexagonale plus opératoire que le pari risqué consistant à essayer de continuer la guerre depuis l’Afrique du Nord ou la Grande- Bretagne.

Le sentiment que, sans lui, l’effondrement aurait pu être pire encore explique la très grande popularité de Pétain au cours des mois qui suivent l’armistice. Cette unanimité qui se développe autour du Maréchal s’explique aussi par le fait que les tendances les plus opposées y trouvent une satisfaction particulière. La mouvance néopacifiste voit en Pétain celui qui est capable de négocier la meilleure paix possible avec les Allemands. Ceux qui n’acceptent pas l’humiliation de la défaite pensent que le vieux chef saura relever le pays et préparer une guerre de revanche.

Le consensus autour de Pétain qui se développe dans le pays repose donc sur de nombreux malentendus. Dans

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ses rapports avec les Allemands, Pétain ne sera jamais l’homme du « double jeu », contrairement à ce que certains espéraient en 1940. Il ne sera jamais non plus cet homme providentiel dont on s’attendait à ce qu’il se place au- dessus de toute logique partisane pour permettre de sauvegarder l’identité nationale du pays : le Maréchal était en réalité le chef d’un mouvement désireux d’imposer un régime auto- ritaire et une révolution culturelle plongeant ses racines dans l’idéologie nationaliste de la droite extrême.

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