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Protection procédurale de la victime et du témoin : enjeux et perspectives

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Protection procédurale de la victime et du témoin : enjeux et perspectives

ROTH, Robert

ROTH, Robert. Protection procédurale de la victime et du témoin : enjeux et perspectives.

Revue pénale suisse , 1998, vol. 116, no. 4, p. 384-403

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:46242

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Robert Roth, Genève

Protection procédurale de la victime et du témoin:

enjeux et perspectives*

Table des matières

/. Introduction générale If Situation llgislative III. Principes

A. Droit à la confrontation B. Immédiateté

C. Proportionnalité

!V. Les apports spécifiques de la LA VI V. Statut du participant et protection

VI. Conséquences de la protection excessive de la victime ou du témoin V!!. Conclusion

I. Introduction générale

I. Le sujet de cet exposé s'inscrit dans l'actualité internationale, autant que natio- nale. Il s'impose de partir de la répression des crimes commis en ex-Yougoslavie er au Rwanda. Les mécanismes de répression mis en place à La Haye et à Arusha et les pre- mières expériences juridictionnelles sonr instructifs à un double titre'. D'un scrict poim de vue législatif et historique, tout d'abord, la protection des victimes et des té- moins2 fait partie des règles fondatrices des Tribunaux puisqu'elle est prévue dans leur Statut.!, au même titre que la liste des incriminations applicables4

Version l~gèremem remaniée de l'exposé présemé le 14 mai 1998 lors de l'Assemblée générale de la Société suisse de droit pénal, à Zurtach. L:autellf remercie MM. Marc Henzelin et Picrrt-Yves Mauron, assistants à la Faculté de droit, de leur aide très efficace dans la mi!>C au point de cet article.

Cf. un «ho en Suisse chns une d~cision de l'auditeur en chef de l'armée rendue dans le cadre d'une procédure touchant ~alement le Rwanda, le 12 mai 1997,JAAC 62n• 22; sur la problématique de notre expos~.le Dé- partement militaire fédéral a publié en 1996 un très bon opuscule, dû il Sttfon \~hmtbtrg. Schun von Zeu- gen und Opfern im Militamrafverfahren.

2 Un des enseignements majeurs de quelques années de pratique juridictionnelle et polici~re autour des crimes intcrnotionaux et du génocide commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda tient àl'impossibilit~ de distinguer ces deux catégories-témoins/victimes-aussi bien dans la mise en œuvre de mesures de prorecrion sur le ter- rain que dans l'adminisrrarion judiciaire de leurs déclarations.

3 An ide 22 commun aux Statuts du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et du Tribunal pourle Rwanda.

4 Articles 2-5 des Sraturs.

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385 Robert Roth· Protection procédurale de la victime et du témoin: enjeux et perspectives

En second lieu, la jurisprudence rendue par les deux chambres du Tribunal de Première instance de La Haye5, qui met en œuvre les dispositions spécifiquemcm con- sacrées à la protecdon des «victimes et témoins)) dans le règlement du Tribunal6, est un jalon essentiel dans la recherche d'un équilibre entre impératifs de protection des té- moins er victimes ct nécessités liées à la défense d'accusés dans des procédures particu- lièrement complexes.

En substance, deux conceptions s'affrontent au sein même de cette juridiction et parmi les commentateurs qui suivent de près l'évolution de la pradque de La Hayc7

Selon la première, les mesures de protection judiciaire des victimes er des témoins doi- vent stricrement s'inscrire dans le cadre

fixé

par les dispositions régissant l'exercice des droits de la défense, à savoir essentieUement les articles 6 ch. 3 lit. d CEDH et 14 ch. 3 lit. e PIDCP. Selon la seconde, la portée de ces dernières dispositions peut- ou doit- être relativisée par les impératifs de protection des témoins er victimes, proclamés par l'article 22 du Starur. I.:enjeu est fondamental ct se reflète dans rous les développe- ments rendant à circonscrire l'érendue et les limites des droits des victimes et des té- moins, sur lesquels porteront le présent article. I.:on peut déjà dire ici que tant la Cour européenne des droits de l'homme que le Tribunal fédéral sont plus proches de la se- conde conception que de la première.

2. Hors de nos frontières, un auue repère est sans doute fourni par l'évolution ré- cente du droit italien. Ce pays a fait l'expérience récente d'une démarche réformatrice tendant à l'instauration d'un système accusatoire pur, qui paraissait, dans un premier temps, couronnée çle succès, s'agissant en tout cas de l'organisation de la phase des dé- bats et du respect du principe contradicroire8 • Cette démarche a été interrompue, si- non inversée, en raison, parmi d'autres facteurs de poids, des nécessités de la protection des témoins (et parfois des victimes) dans les procès menés contre les organisations cri- minelles9. La «législation Falconc)), adoptée en 199210 sur le coup de l'attentat ayant coûté la vie au «père spiritueh de la lutte anrimafia, a soustrait à la confrontation les té-

En parriculier les décisons rendues le 10 août 1995 par la Deuxième Chambre dans l'affiirc Tadjic (IT-94-I-T) ct par la Première Chambre en date du 5 novembre 1996 dans l'affaire Blaskic (11~95-14-T).

6 Règles 69 et 75 du Règlement.

7 Voir en particulier la comroverse qui s'esc développ~c dans les colonnes de I'American Journal oflntcrnational Law, encre partisans ct advcrsair<s des décisions Tadjic ct Bl.uk.ic: les notes dr C!Jrisrin~ M. Chin/tin et Mo11ror l..eigh in AJIL J99775ss et BOss r6umcnt parfaitement le dA>at.

8 Le législateur iralien de 1988 voulait que son œuvre reflétât de la manière la plus pur< les impératifs de l'an. 6 CEOH et donc n'admit qu'avec d'extrêmes réserves des dépositions faites hors débat contradictoire complet.

D'où, entre autres conséquences, une quasi-exclusion du témoignage indirect, cf. Rob<rt Roth, •le <nouveau procès pénal italien•: un système accusatoire à la recherche de son équilibre• RPS 1996148ss, en particulier

166-167.

9 Sur ce tournant, voir Vim1rio Grm (cd.), Processo penale e criminalirà organiuara, Bari, 1993. en paniculier son article introductif. pp. 3ss.

10 Oécreclégislatif du 8 juin 1992, suivi de la loi du 7 août 1992.

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moins menacés, mais également ceux dont la déposition pourrait, pour une autre rai- son, <<ne pas être authentique» 11 •

3. La Suisse n'est pas restée à l'écart du mouvement international de protection des témoins et/ou des victimes 12. L'entrée en vigueur le 1 cr janvier 1993 de la loi fédé- rale sur l'aide aux victimes (LAVI) 13 marque un changement d'époque. L'adoption de cette loi n'avait pourtant pas suscité de grandes passions; en revanche, ses effets, tels qu'ils peuvent être mesurés après quelques années de mise en œuvre, commencent à susciter des réactions qui ne sont pas toutes positives14. Des mouvemenrs d'humeur analogues s' exprimenr à l'étranger.

4. On rencontre un écho de ces turbulences dans la jurisprudence de la Cour eu- ropéenne des droits de l'homme. Deux arrêts dans des causes néerlandaises, rendus l'un en 19961; et l'autre en 1997'6, ont marqué des jalons décisifs dans la recherche d'un équilibre emre droits de l'accusé d'une part et des témoins/victimes d'autre part {dans les deux espèces, il s'agissait exclusivement de témoins). La première décision marque une avancée spectaculaire en direction d'une protection accrue des témoins; la seconde paraît assurer une forme de rééquilibrage, en dessinant les limites de cette avancée.

a. L'arrêt Doorson porte essentiellement sur les conditions du témoignage de deux toxicomanes gui chargèrent un autre trafiquant. Son enseignement principal est

Il Art. 500 ch. 5 CPPI infint: •ovvero risultano altre situazioni che hanno compromesso la genuinim dell'esame (del testimone)•. Les detcx articles clefs de la nouvelle règlementadon sont les n•• 190b" et 500 en particulier ch. 4 et 5 CP PI. En raison du caracrère très formaliste du sysr~me mis en place en 1988, il a fàllu déterminer avec précision à quelles condirions une déposition pouvait (tre faite er enregistrée hors des formes stricres du débat contradictoire. ·

1.2 Les jalons princip,aux de ce mouvement sont, dans le cadre du Conseil de l'Europe, la recommandation du Comité des Ministres du 28 septembre 1977 (R (77) 27} er la Convention du 24 novembre 1983 {RS 312.5}, ponant nominalement toutes les deux sm le dédommagement des victimes d'infractions pénales mais abor- dant déjà plus largement les questions liées à leur protection; le Conseil de l'Union européenne a, quant à lui, adopté le 23 novembre 1995, une •résolution relative à la protecrion des témoins dans le cadre de la lucre con- tre la criminalité organisée internarionale• 00 n• C 327/5), inspirée par les ré<:enres réformes italiennes ci- tées dans le paragraphe précédem. Enfin, l'Assemblée générale des Nations-Unies, après une première décla- ration relarive aux principes de justice de base pour les victimes d'infractions et d'abus de pouvoirs {29 no- vembre 1985; résolu rion 40/34) a adopté IUle seconde résolution au début de cene année (2 février 1998;

n• 52/86}, portant spécifiquement sur la violence envers les femmes et comportant tm chapitre V sur l'assis- tance (y compris judiciaire) au·x victimes.

13 RS312.5.

14 Cf. l'article extrêmement critique publié ['année passée par Htidi A/folttr-Eijmn, ·Die Stellung des Arztes im Strafverfahren unrer Berücksicluigung des Opferhilfegeserzes und der Bindung an das araliche Berufsge- heimnis• PJA 1997565ss.

15 Arrêt Doorson du 26 mars 1996, Rec. des arrêts er décisions 1996-Il446ss. I.:infléchissementde la jursipru- dence en direction d'une meilleure protection du témoin que marque cet arrêt répond à un souhair exprimé avec conviction par Af~xandre Papaux, dans un ar ride qui para tt aujourd'hui prémonitoire: •La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et du Tribunal fédéral en matière de témoignage anonyme•, RF) 1993 274ss, surtout 285-286.

16 Arrêt van Mechelen du 23 avrill997. Rec. 1997-III 691 ss.

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qu'il n'existe pas pour l'accusé de droit ~tbrolu à la confrontation avec un témoin à charge. Le maintien de l'anonymat des témoins envers la défense est dès lors admissi- ble. Le droit relatifà la confrontation a été sauvegardé en l'espèce par le fait que «1' avo- cat du requérant était présent, et on lui permit de poser toutes les questions qui lui pa- raissaient servir les intérêts de la défense, sauf celles qui auraient pu conduire au dévoi- lement de l'identité [des témoins à charge]» (arrêt ch. 73).

b. I.:arrêc van Mechelen ne se distingue pas de l'arrêt précédent par la démarche suivie par la Cour. Ici, toutefois, la pesée d'intérêts qui, dans son principe, esc identique à celle de l'affaire Doorson (cf. arrêt van Mechelen ch. 74) conduit au résultat opposé:

les arguments avancés par les juridicrions néerlandaises pour justifier le maintien de l'anonymat n'ont pas convaincu les juges de Strasbourg. On notera, pour y revenir plus bas, deux différences emre les deux affaires. D'une part, les témoins à charge sollicitant une protection étaient des policiers dans l'affaire van Mechelen et des personnes pri- vées (trafiquants de drogues) dans l'affaire Doorson; d'autre part, les déclarations des policiers anonymes étaient, dans la seconde procédure, le <<seul élément de preuve identifiant formellement les requérants comme les auteurs des infractions» (arrêt, ch. 63).

5. Le temps est donc venu de faire le poim, d'autant plus que le Conseil fédéral e11visage d'engager une revision de la LA. VI. Notre Centre de recherche a été mandaté par l'Office fédéral de la justice aux fins de mener l'évaluation biennale prévue par l'art. Il ch. 2 de l'Ordonnance sur l'aide aux victimes. Cerre étude a été remise à l'auto- rité fédérale au débur de 199817; elle a porté sur quaue canrons, Tessin, Bâle-Ville, Lu- cerne er Neuchâtel, en cherchant à analyser à la fois la manière donc la loi er en particu- lier ses dispositions «procédurales» (surrour les arr. 5 et 7 qui visent très directement à la protection de la position de la victime dans la procédure, policière 18 et judiciaire) écair appt iq uée et comment les acteurs- magistrats er avocats spécialisés- se représen- taient les effets de la loi et les modifications qu'il convient de lui apporter. Nous ferons par la suite référence à quelques enseignements de cette recherche.

6. Présenter en termes généraux le dispositif de protection des victimes et des té- moins- objecrif principal du présent exposé-recèle une difficulté majeure: ce disposi- tif s' esr cons ti rué par apports successifs de législations et de contribmions doctrinales et jurisprudentielles concernant alternativement ou cumuJativement plusieurs catégories de personnes, qui se confondent parfois (cf. note 2 ci-dessus) ou doivent parfois être distinguées (cf. ch. V ci-dessous): les catégories principales sont le témoin, la victime et

17 Robm Roth er al., La procection de la viccimc d;tns la procédure pénale, Univ. de Genève. Faculr~ de droit- Cenere d'émde. de technique ec d'évaluation législatives, 1997. Notre Centre avait déjà conduit en 1995 une recherche consacrée au •point de vue des victimes sur l'applicacion de la LA VI• ..

18 Pour des raisons méthodologiques, no cre écude n'a porté en réalité que sur la phase judiciaire proprement dice.

La recherche de 1995 avait par ailleurs révélé que les victimes exprimaient davantage de mécontentement à l'égard de la manière dont ils étaient traie~ durant cene phase que lors de leurs concaccs avec la police.

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l'agent infiltré. I.:on s'efforcera dans chaque développement de mentionner quelle ca- tégorie est à l'origine de celui-ci.

II. Situation législative

l. Les exigences, formulées par la doctrine 19, quant à l'existence d'une base légale pour les mesures de prorcction des témoins trouvent leur origine dans les controverses qu'a fair naître l'activité des agents infiltrés. Quel contenu cette base légale devrait-elle comporter? Tout d'abord une composante de droit matériel, qui indique à quelles con- ditions est soumis l'engagement de ce type d'agent (l'art. 23 al. 2 LFStup peut ici servir sinon de modèle, du moins de référence). Une composante procédurale ensuite, qui elle-même comprend deux volets principaux: conditions formelles d'habilitation à agir d'une parr er conditions d'audition de l'agent (lorsque, bien entendu, elles diffèrent des conditions ordinaires d'audition), d'autre parr. Ces différences dimensions ne doivent pas être confondues; ainsi on ne peut reconnaître à l'arr. 23 ch. 2 LFSn1p, norme de pur droit matériel, la qualité de règle d'habilitation procédurale20Le Tribunal fédéral s'est toujours monrré réservé à l'égard de la nécessité d'une base légale: celle-ci est reconnue seulement, comme le confirme une importante décision récente, en cas d'atteinte ou de risque d'atteinte à des droits garantis par la CEDH ou la Constiturion21

Les

mêmes causes devant produire les mêmes effers, il est logique de soumeme à J'exigence d'une base légale- exigence absolue comme le préconise une partie de la doctrine ou relative selon la jurisprudence actuelle du TF- coures les auditions qui li- mirent le droit à la confrontation avec un témoin à charge, que cette limitation ait ou non comme instrument le maintien de l'anonymat du témoin22Il est bon d'ajouter que la lAVl ne saurait en elle-même fournir une base légale procédurale suffisante ou directement applicable23 et que le législateur cantonal est donc appelé à légiférer.

S'agissant de la densité normative, l'article 22 du Statut du Tribunal de La Haye pour l'ex-Yougoslavie peut ici servir de modèle, puisqu'il prévoit expressément, à titre de moyens principaux d'assurer la protection de la victime et du témoin, la vidéo-confé-

19 Voir~n parriculi~r &mard Corboz. ol:agent infiltré» RJ'S /99332~327; Ern11 Gniigi. •Der V-Mann-Eiosan nach dem Uneil Lüdi des EGMR· recht 1994110.

20 Cf. ATF 124lV 34 consid. 3a p. 39 et références; voir aussi Günttr Htint. •Der Scbundes ger.<hrd~ren Zeu- gco im schweizcrisc;hen Suafvorfahren•, RPS 199269 et r~f<'rencts; voir ~nfin l'avis rr~ sévère de la Commis- sion eur. d. h. sur la port~c et la précision de l'an. 23 ch. 2l.FSwp, exprimée dans l'affaire Lüdi, in Arrêts d~ la Cour S~rie A n°238 p.34.

21 ATF 1241V 39; la rimidiré de cer arrêt esr critiquée (sur d'autres points il est vrai) par Hans Bm11ngarfllfT in pliidoyer 1998. n•t, 64.

22 RSJ 1996 339; Thomas Mmmr. •Das Opferhilfcgesen und die kamonalen Strafproz.essordnungen•, RPS 1993 385.

23 Maurtr, ibidem; if. ATF /241V 140.

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renee et le maintien de l'anonymat, tour en précisant toutefois que cette énumération n'est pas limitative24

2. S'agissant des procédures cantonales suisses, le tableau est- qui s'en étonnera?

-contrasté et incomplet. La majorité des cantons connaissent un vide législatif. Parmi ceux qui ont légiféré, on peut distinguer deux approches. La première part de l'activité des agents infiltrés (Valais, Berne); la règlemenration bernoise est la plus complète, puisqu'elle porte non seulement sur l'intervention de ces agents, mais également sur

!eLUs conditions d'audition25; elle permet également d'observer comment se produit un effet de contamination, puisque les mesures de protection de l'agent infiltré peu- vent être étendues à d'autres témoins «lorsque ceux-ci rendent vraisemblable que le fait de dire la vérité mettrait sérieusement en péril leur intégrité physique ou leur vie ou cel- les d'une personne qui leur est proche»26

La seconde approche porte directement ct spécifiquement sur les mesures de protection des témoins et sur les moyens de substitution à la confrontation directe par audio- ou le cas échéant vidéo-conférence. I.:impératif de protection des victimes a ici manifestement joué un rôle de déclencheur comme en témoigne le par. 14 de la procé- dure zurichoise dans sa version en vigueur depuis 199627; le nouveau Code fribour- geois du 14 novembre 1996, se veut plus général et prévoit le maintien de l'anonymat et L'audio-conférence, à titre exceptionnel et «not~mment pour assurer la sécurité du témoin»28

A côté de ces normes générales, certaines dispositions plus concrètes sont inréres- san tes, tell' art. 92 al. 3 du Code de procédure pénale tessinois, qui prévoit expressé- ment qu'un enregistrement audio-visuel d'une confrontation faire durant l'instruction soie diffusé lors des débacs.

Ce tableau lacunaire esr appelé à se compléter graduellement ces prochaines an- nées. La première étape législative sera probablement la réglementation de l'activité des

24 La portre de l'habilitation à déroger aux principes du débar contradictoire est controversée, puisque les parti·

sans d'une limitation stricte de ces dérogations considèrent que seule la publicité des' débats peut êcre res·

treinte ou temporairement supprimée. alors que, dans l'esprit des décisions Tadjic er Blaskic, cette ponée est manifestement beaucoup plus large et vi$(' lOUS les droits garantis par l'an. 6 ch. 3 lit. d CEOH; cf. uigh (n. 7), 81.

25 An. 214-215, respectivemcru 124 CPP de 1997. Cette disposition prend appui sur une pratique qui date de 1991. La procédure, érablid l'occasion de l'audition d'un agent inmrré devam les Assises du disuict de Bern·

MitteUand (cf. le jugement de cene Cour du 27 mars 1991, p. 27, qui d«rir précisément les conditions d'au·

dition), est suivie deptùs lors devant d'autres juridictions (communication du Minist<re public de Bern-Mit- rclland du 5 mai 1998 à l'auteur). L'autre réglementation pionnière, celle du canton du Valais, est plus la pi·

daire, surtout à l'égard de la prorecrion procédurale (l'an.I03k ch.4 CP Pl' VS dispose que «tous les acres d'instruction sont menés de manière à préserver les imér~ts personnels• (de l'agemJ).

26 Arr. 124 ch.3.

27 Les mesures de protection sontlimitéesauxvictimesau sens de l'arr. 2 LAVI (par. 14 al. 2et 3) tt par extension aux personnes qui doivent être entendues en présence de la victime dans l'intérêt prépondérant de la pour·

suite (al.4).

28 An. 82 ch.4 CPP FR.

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,..

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agents infùtrés29; cette réglementation sera peut-être par la suite intégrée dans un code de procédure pénale fédéral, comme le propose le rapport mis en discussion ce prin- temps30. Parachevant la démarche d'extensions successives décrire plus haut, il faudra enfin prévoir la base légale pour les «mesures de protection», en particulier optiques ct acoustiques des autres témoins31

III. Principes

1. En soi, il ne devrait exister aucune limitation à la protection de la victime ou du témoin. I.:intérêr de ces deux catégories de personnes à ce que leur participation à l'ad- ministration de la justice n'encraine aucune conséquence désagréable est parfaitement légitime et digne de protection. Si limitation il y a, c'est bien entendu en fonction d'un autre intérêt digne de protection, celui de l'accusé d' «interroger ou faire inrerroger les témoins à charge ... » (an. 6 ch. 3 lit. d CEDH er 14 ch. 3 lie. e PIDCP). Le contenu de cene garantie esc bien connu, er stable pour l'essentiel depuis l'arrêt Unterpertingerde la Cour européenne des droits de l'homme du 24 novembre 198632:

- le cadre général est celui de l'égalité des armes (dans une perspective interne à la Convention) er du modèle accusatoire (dans une perspective générale de procé- dure pénale);

-l'accusé a droit à une confrontation au moins avec la personne dont les déclara- tions alimentent ou fondent l'accusation

-ce droit n'est pas uniquement formel; la Cour européenne des droirs de l'homme utilise ici une formule identique ou analogue à celle qu'elle emploie dans d'autres contextes-relevé du défaut, concrôle de la détenrion avant jugement, renverse- ment de la présomption de culpabilité: il faut que la confrontation donne à l'ac- cusé une possibilité 11adéquate et su./fisante»33 - ou, pour le dire d'une manière plus substantielle à notre avis: des «ressources effictives»}lt - de mettre en doute la véracité ou la validité des allégations de la victime ou du témoin à charge. I.:ac- cusé a dès lors le droit de poser des questions à celui qui le charge; donc, la con-

29 Projet de loi sur l'investigation S«rète du 1" juillet 1998. FF 19983689ss.

30 Cf. •De 29 à l'unit~•, DFJP, décembre 1997, 67 et 69.

31 !bidmt, 69-70

32 Série A n• Il O. Le Tribunal fédéral a suivi la Cour, en allant parfois même plus loin (ou plus vite) qu'elle: cf.

l'anal}'$<' pcnineme de Francq V..r.W, •Deposi7Joni u:stimoniali e principi del conuadittorio•, Rep. 199476 (1 propos en particulier de I'ATF 1 161a 289).

33 Arrêts Kostovski du 19 décembre 1989 (Série A n• 166), ch.41; Asch du 26 avril 1991 (Série A n• 203), ch. 27; actualisation de la notion dans l'arr€r Doorson (n. 15), ch. 72-76 en particulier.

34 Formule devenue classique de l'arrêt Colozza du 12 f~vrier 1985: Série A n• 89 ch. 30 (à propos du rdevé du défaut); cf. aussi arrêt R.M.D. c. Suisse du 26 seprembre 1997 (Rec. 1997-IV 2003), ch. 47 et 52 (approche

•réaliste• ou selon le crithe de •l'efficacité• des possibilités de recours en matière de d~temion avant juge·

ment)

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391 Robert Roth · Protection procédurale de la victime et du témoin: enjeux et perspectives

frontation a un double contenu (sur lequel on reviendra): la mise m présence d'une parc et l'échange d'argttmmts d'autre part.

A ce noyau dur du droit à la confrontation tiré de l'art. 6 al. 3lic. d, il faut immé- diatement ajourer les droits connexes: en particulier, le droit à l'assistance par un défen- seur en ce moment clef35 et la garantie de conditions correctes de préparation de l' audi- tion de témoins36.

2. Le droit à la confrontation n'est

pas

ttbsolu37 • Des limitations sont possibles aux fins de sauvegarde de deux sortes d'intérêts, complémentaires:

- l'intérêt individuel des témoins/victimes à êrre préservés de désagrémentS qui peuvent aller jusqu'à des représailles.

- l'intérêt public à cc que surgisse la vérité matérielle. Caffirmation peut paraître surprenante, dans la mesure où l'un des piliers de l'«esprit accusatoire» veut pré- cisément que la vérité naisse de la contradiction encre des thèses opposées38, ce qui peut d'ailleurs aller dans l'intérêt de la victime cout autant que dans celui de l'ac- cusé; l'absence de contradiction ne porte pas nécessairement toujours préjudice à la même parrie39. Comme tout principe, celui de la corrélation encre contradic- tion et découverte de la vérité ne saurait être formulé de manière absolue. Cc se- rait faire preuve de dogmatisme, que de ne pas voir que la contradiction empêche parfois la découverte de la vérité. Pour cirer un auteur français, «protéger le té- moin ... c'est aussi veiller à garantir la qualité de la contribution de l'intéressé à l'œuvre de justice: faire en sone que le témoignage soit recueilli dans des condi- tions telles que sa fiabilité ne puisse être suspectée; préserver, en somme, la qua- lité du procès»40.

A côté de cet intérêt primordial à favoriser la recherche de la vérité matérielle, d'autres intérêts publics peuvent également compléter l'intérêt privé du témoin; ainsi, celui à pouvoir réutiliser l'agent infiltré, qu'un dévoilement de son identité «brûlerait»

définitivement41

35 Droil qui n'est pas absolu, c( TF in RSDIE /997.529. ·

36 ZR 1988 n• 59. Dimension très pr6ente dans la pratique duT ribunal de la Haye, cf. art. 69 c du règlement du Tribunal et décision Blaskic (n. 5) ch. 24 et 35.

37 cr. ci-dessus 1.1. in fim.

38 Pour un développemem complet de cette thèse dans une perspective historique et comparatiste, voir Luigi Paolo Comoglio/Vladimiro Zagubtl.rk)l •Moddlo accusatorio e deonrologia dei comporramenri proœssuali ndla prospeniva compar•risrica•, Riv. ir. dir. proc. pen. 1994 435-492. Le •modèle contradictoire• s'impose aujourd'hui en-dehors du cadre strictement accusatOire, cf. Mireille DelmtU·Marty, •lmroduction• in Procé- dures pénales d'Europe, Paris, 1995,38.

39 C'est un des poinrs qui resson clairement de notre enquête cirée nore 17. Voir, pour un développemenr juris- prudentiel, RJB 1996 473.

40 Marul Lemondt, •La protection des témoins devant les tribunaux français•, Rev.sc.crim. 1996816 41 Cf. arrêts de la Coureur. d.h. Lüdi du 15 juin 1992 (Série A n• 238), ch.45 et van Mechelen (n. 16), ch. 57;

voir aussi Gnagi(n.19), 109; RSJ /986284.

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3. Essayons de dépasser ces généralités cr efforçons-nous de voir ce que recou- vrent exactement les inrérêts er principes mis en œuvre par l'art. 6 al. 3 lit. d CEDH ct les dispositions complémentaires.

A. Le droit à la confrontation cour d'abord. Une comparaison des termes em- ployés dans les al. 4 et 5 de l'art. 5 LA VI, qui établit la protection procédurale de la victime, mo nere l'étendue de la paLette des nuances: le texte français utilise l'expression

«mettre en présence;; à l'al. 4 et le substantif «confrontation;~ à l'al. 5; le texte italien uti- lise uniformément «mettere in presenza», alors que c'est le terme «Begegmmg» qui a été choisi en allemand. Il n'est point nécessaire d'êue un fin philologue pour constater que le contenu n'esc pas identique; la protection contre la «mise en présence» renvoie très directement à l'objectif de lune contre la «victimisation secondaire», qui est om- niprésent dans le Message du Conseil fédéral~2; le terme «confrontation», renvoie, quant à lui, à l'art. 6 al. 3 lit. d CEDH, donc on veut ici limiter la portée; dans ma perception, la «Begegmmg» se situe encre les deux expressions latines: moins processu- elle que l'une (la confrontation) et quand même plus profilée que la fade «mise en présence>>.

On peut avoir de la confrontation elle-même deux conceptions. La première est une approche «darwinienne»43 ou sportive44 de la confrontation. Bien qu'elle soit en phase avec l'amour immodéré de la compétition que cultive l'époque, cette conception esc forcement critiquée, même aux Etats-Unis, pays dans lequel elle paraît avoir été porcée à son paroxysme. Face à cette approche de lutte pour la survie (procédurale), beaucoup privilégient une conception plus rhétorique, qui justifie que l'on parle de contradiction plutôt que de confrontation. Comme le disait un juge dans le cadre de notre enquête4s, l'objectif de la rencontre est la «confrontation de thèses et non de fa- ciès».

Concevoir la confrontation comme un échange d'arguments permet d'envisager un renforcement de la protection de la victime ou du témoin et une application géné- reuse des moyem de substitution. Cela conduit également à reconnaître une très large place au définsmr professionnel. C'est là à notre avis un des enseignements marquants de la jurisprudence récente de la Cour européenne46, qui s'inscrit d'ajJieurs dans un mouvement général tendant à un déplacement, dans la définition du statut de l'avo- cat, du rôle d' assistant vers celui de représentanr47.

42 FF 19.90 Il ~ntre aurra pp. 912,920.

43 Cf. Elvio FII1JOIIt, •Ciudice-arbitro, giudice-noraio o semplicem~nte giudice?•, Quest. giustizia 1989596 44 }tan Prttdt/, Droit pénal comparé, Paris, 1995. 419 cirant }11Stiu B~nnttfl, The criminal prasttution: spor-

ting ~nt orquesr for rrue•, 1964, Wash.U.L.Q., 279.

45 (N.I7), 42.

46 Cf. arr<r Doorson (n. 15), ch. 74 en particulier

47 La landmarlt dtcitioll de la Cour europ~enne des droits de l'homme nous parait érre ici l'arrêt Lala du 22 sep- tembre 1994 (Série A 297-A), dans laquelle la juridiction strasbourgeoise considère comme contraire aux

(11)

393 Robert Roth· Protection procédurale de la victime et du tém9in: enjeux et perspectives

B. I.:autre grand principe accusatoire en jeu ici est celui de l'immédiateté.

Ba. Il convient d'abord de distinguer les deux dimensions du principe d'immé- diateté48. Dans sa dimension formelle, le principe exige que, sauf exception, seuls des éléments de preuve présentés et discutés lors des débats devant la juridiction de juge- mem puissent être pris en compte. I.:immédiateté matérielle impose de donner la préfé- rence aux moyens de preuve «proches des faits» {tatnahe).

Bb. I.:immédiateté formelle est très présente dans la jurisprudence relative aux sujets qui nous occupent. La jurisprudence zurichoise en particulier est très attemive à ce que le juge mais aussi l'accusé puisse se forger une «impression visuelle>> du témoin à charge19. De là les réticences nettes affichées par la même jurisprudence à l'égard des moyens de substitution à la confrontation directe, et en particulier à l'audio-conférence dans le cadre de laquelle, par définition, l'impression visuelle disparaît. Même la vidéo- conférence diminue les possibilités, tant pour l'accusé que pour le juge, de se forger cette impression qui est un élément consticutif imporranr de la crédibilité du témoi- gnage. Exigences de J'immédiateté formelle er conditions d'appréciation de la crédibi- lité se rejoignenc ainsi.

La crédibilité peut être testée à l'aide de deux attributs du témoin: son histoire et son attitude. Suivant la catégorie de témoin, l'accent sera mis sur l'une ou l'aurre don- née: le passé er le profil de la personne seront déterminants pour s'assurer de la crédibi- lité de l'expert-à qui doit être reconnu le statut de témoin aux fins de l'application de l'art. 6 ch. 3 CEDH$0- et du repenti$1; c'est à J'inverse l'anicude face à des questions déstabilisatrices qui seront souvent décisives pour l'agent infiltré, mais aussi- d'où le caractère extrêmement délicat de certains pesées d'inrérêrs- de la victime accusatrice.

Or, ces différences catégories de témoins peuvent prétendre être protégées d'une ingérence dans leur sphère privée sous ces deux aspects. I.:audition à distance leur per- mer d'échapper aux regards scrutateurs; cacher l'identité du témoin garantit que son passé échappera aux investigations. La quesrion du m~inrien de l'anonymat est une des plus délicates qui se posent dans le contexte étudié ici.

Il faut commencer par rappeler qu'en soi le «témoin anonyme>> est une contra- diction dans les termes: le témoin, défini comme la personne qui peur fournir au juge des informations pertinentes pour établir un état de fàit, ne devrait jamais être ano-

droits er intérêts de la défense la règle, posée par la Cour de cassation néerlandaise, selon laquelle les intérêts de l"accusé défuillam ne peuvent pas, en son absence, être défendus par son avocar. Dans ce sens,JT J 997lll126 (CTC VD). Sceptique à cet égard: Niklttm Schmid. Srrafprozessrechr, .3< éd., Zurich, 1997, 480.

48 Cf. avant cout, Robm Hauser/Erhard Schweri, Schweizcrischcs Srrafprozessreclu, Bâle, 1997, 198; Andmts Donatsch, •Die Anonymirar des Tatuugenund der Zeugen vom Hôrensagen•, RPS 1987406; Htint(n. 20), 56ss.

49 Cf. ZR 1982 n" 122; 1997 n" 31. Voir dansle mêmoscns Verdtt (n. 32), 77; RJB 1996 471-472.

50 Cf. avis de la Commission eur. d. h. du 12 mars 1984 publié après l"arrêt de la Cour dans la même affaire, Sé·

rie A n• 92 ch.85-88, pp. 20-21.

51 ATFJJ8la461.

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394

Robert Roth· Protection procédurale de la victime et du témoin: enjeux et perspectives

nyme 52• Un témoin a une identité au sens fon du terme, que l'anonymat cache. Il n'en res re pas moins que la pratique er la jurisprudence de ces dernières années ont admis- dans une mesure limitée certes- sinon dans les termes, du moins dans les faits, cette ca- tégorie hybride. Un des grands enseignements de l'arrêt Lüdi53 -l'arrêt de principe sur le témoignage d'agents infiltrés dans lequel la Suisse a été condamnée pour respect in- suffisant des garanties de l'arr. 6 ch. 3lir. d CEDH- rient paradoxalement à ce que la Cour européenne des droits de l'homme a admis le maintien de l'anonymat er, par là- même, conforté une pratique remise en cause en Suisse comme dans les pays voisins5~.

I.:arrêr Doorson confirme le principe cc l'étend à d'aunes catégories de témoins: l'iden- tité des trafiquants désignés dans la procédure néerlandaise sous le nom de

Y.

15 ct Y. 16 esr demeurée secrète, même à l'égard de l'avocat du requérant. La Cour constate certes que ((le maintien de cet anonymat confronta la défense à des difficultés qui ne devraienr normalement pas s'élever dans le cadre d'un procès pénal» 55; mais l'ensemble des conditions d'exercice des droirs de la défense assurées par les juridictions néer- landaises a permis à la Cour européenne de les absoudre.

Ainsi, les garanties de l'art. 6 ch. 3lic. d ne revêtent pas de caractère absolu, même à l'égard de ce qui peut apparaître comme une condition sine qua non du droit pour la défense (er du devoir pour le juge) d'évaluer la crédibilité de tour témoignage impor- tant 56.

Be. Les impératifs de l'immédiateté matérielle nous amènent à aborder l'autre moyen de substitution à la déclaration du témoin ouverte à la contradiction complère, le témoignage indirect: une personne vient exposer au juge ce que la personne protégée ou dispensée de témoigner lui a confié et ne peut pas ou ne veut pas déclarer directe- ment: un officier de police se substitue ainsi à l'agent infiltré; une personne de confi- dence, à la victime.

52 StiJmid (n. 47), n• 653; Niklam Obrrholur. Grund1.ilge des Srrafproussrecht>, Berne, 1994, 278; DonatsriJ (n.48), 414.; cf. ATF 1161a 85 consid. 3 b pp. 88-89.

53 Ciré n.41.

54 Cf. le consrar l'liS>uté du TF in plad. 1995, n" 3, 63. La jurisprud~nc~ des instances européenne$ invitd élar- gir le débat er à ne pas s'en renir à une querelle de mms. La qualiu' de •témoin• n'csr nullement Mrcrminante aux fins d'établir s'il y a eu ou non violation de l'art.6 ch. 3 (cr ch. 1) CEDH. A la lit. d de la premièredisposi rion citée, le terme de témoin doit êrre inte~ré de manière •auronome• et comprend donc des personnes qui, de par leur statue ou le rôle qu'elles 0111 été amenés à renir dans la procédut·c. ne peuvent nullement pré- rendre à la qualité d~ •lémoin• au sens strier, cf. avis de la Comm. eur. d. h. (n. 50); arrêrs Unrerpeninger (n. 32), ch. 31-33. pp. 14-15er Windisch du 27 seprembre 1990, Série A n• 186 ch. 23 pp. 9-10 (dans ce dernier cas, personnes non idemifiécs ct n'ayant jamais comparu en pêrsonne 1t la barre!).

55 Arrtr ch. 72.

56 Les nouvelles dispositions du CPP fribourgeoi~ (art. 82 ch. 4) illumenr bien une démat·che 11ui se généralisera sans douce, er cela à deux égards. 1) Dans un souci de protection des rémoins, la charge de l'évaluation de la crédibilité peur êttt confiée de manière occlusive au juge er à sa seule conscience, puisque d'une part l'identifi- cation peur se fui re hors la présence des panics et d'autre part des élémems d'identification peuvent êrrc sonis du dossier. 2) Les limitations des droirs de la défense quant la l'examen de crédibiliré d'une parr er quant à la confronrarion d'aurre part peuvent êrre traitées sépar~m~nr. Pour d'aurres élém~nrs de procédure C.1ntonale er un résumé de l'auirude large du Tribunal fédéral dans ce domaine, cf. Htirtf (n. 20), 57-58.

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395 Robert Roth ·Protection procédurale de la victime et du témoin: enjeux et perspectives

La jurisprudence suisse est, de manière générale, peu réticence à l'égard du té- moignage indirect, admis en principe57. Son interdiction serait incompatible avec la li- bercé d' apprlciation de la preuveS$; les réticences sone plus grandes dans la jurispru- dence d'autres pays européens, davantage influencés par la tradition anglo-américai- nc)? . .Lexemplc italien est particulièrement révélateur: limitations extrêmes, allant même au-delà de celles de la jurisprudence anglaise ou américaine dans le code de 1988; large restauration du témoignage indirect par les décisions de la Cour constitu- tionnelle de 199260; parmi les motifs de cette évolution figurent en première place les impératifs de protection des témoins, en particulier dans les grands procès anti- mafias61.

Le témoignage indirect es tune mesure de substitution à la confrontation directe plus lourde que ne l'est la confrontation à distance. :Cappréciation de sa validité sc si eue ainsi à la charnière de deux impératifs. Il s'agit d'une part certes de ne pas dépouiller de son contenu la liberté de la preuve; mais il serait par ailleurs incohérent de ne pas re- prendre ici les réticences exprimées à l'égard des mesures de substitution à la confronta- tion et de l'utilisario~ des déclarations faires dans un comexte ne respecrant pas les im- pératifs ordinaires du débat conrradicroire. Cela explique sans doure les hésitations de la jurisprudence et les évolutions en sens contraire déjà mises en lumière par Heine il y a quelques années61. Ces hésitations se transformenr parfois en véritable débac. Il faut ici rendre hommage aux juges de la Cour de cassation zurichoise pour avoir, suivant une pratique courance dans d'autres entités juridiques mais malheureusement considérée avec trop de circonspeccion chez nous, fait, dans une publication d'arrêt de

1986

63, état de leurs divergences d'appréciation sur ces questions essentielles.

C. Enfin, le troisième grand principe à l'œuvre ici, qui n'entretient quant à lui pas de lien privilégié avec le système accusatoire, est celui de la proportionnalité. On oublie trop souvent le rôle qu'il peut et doit jouer en procédure pénale. Ici, ce rôle est considérable. Il suffit d'évoquer ici ses deux principales composanres.

57 Dans le m€mr sens Donnurh (n.48). 409-410.

58 Cf. art. 249 PPF et les dispositions cantonales correspondantes (par exemple, p~r. 284 Sr PO ZH, cf. RSJ 1986 284). Pour nous, elle contreviendrait plutôt à la première liberté de la preuve, celle d·ntlministrrr. La démarche rradirionnclle est bien illustrée p;u·le~ développemems de l'ttrr Stud"; Die anonyme Gewahrperson im Straf·

prozess, Zurich, 1975, 119-120 er 125 ss, qui esrcompl~rement fermé aux inAurnces anglo-amtricaines en la matière.

59 On constate toutefois que les pomts dr vue traditionnellement oppos6 dr la cu hure procéduralr anglo-amé- ricainr d'une part er continentale d'autre part rendent~ se rapprocher: cf. Pmd~l(n. 44), 398-406;john Spm- rtr. •La preuve• in Miràllt Dtlmrts-Mnrry (éd.), Procédures pénales d'Europe, l'a ris, 1995. 531-534.

60 En particulier n" 24/1992, Giur. cost. 1992 114, déchtmnt inconstiturionncll'art. 195 dt. 4 CPI'I qui pros- crivait absolument le rémoignage indirect des agents de la police judiciaire.

61 Cf. ci-dessus ch. 1.2.

62 Hân<(n. 20), 70-71. La jurisprudence zurichois<: est particuli~rcment riche cr porte en elle ces tendances par- fois contradictoires; les derni~res d~isions marquent une extrême réserve i l'égard du rémoignage indirect, cf.

ZR I997n" 31, p.88.

63 RSJ 1986 n• 45.

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396

Robert Roth· Protection procédurale de la victime et du témoin: enjeux et perspectives

- Subsidiaritl-la jurisprudence, suisse cr internationale, souligne le fait que les me- sures de substitution (y compris le témoignage indirect) ne peuvent être générali- sées, et que des raisons particulières ou des circonstances «exceptionnelles» doivent pouvoir être invoquées: ces circonstances sont soit quaLitatives (impossibilité ab- solue de présence du témoin)6\ soit quantitatives (intensité du risque de repré- sailles pesant sur la victime)65. Le rapport de la commission d'experrs en vue de l'unification de la procédure pénale adopte une approche graduelle: l'«idenciré des témoins potentiellement en danger ... ne sera pas révélée en début de procé- dure»; par la suite, seuls des inconvénients majeurs justifieront des mesures de protection pouvam aller jusqu'à la non-révélation de l'idcnrité66.

- Il fa ur également que la mesure envisagée soir la plus adéquate. I.:examcn de cette question suppose que le juge air déterminé préalablement en quoi consiste l'ap- port essentiel du témoignage: s'il s'agit d'éclaircir les faits, la vidéo-conférence sera admissible, mais pas le témoignage indirect s'il est nécessaire d'entrer dans des détails exuêmement précis que seule l'expérience vécue permet de resriwer.

Si des rapports interpersonnels (entre l'auteur présumé ct le témoin ou la vic- time) sont en jeu, l'audition à distance risque d'être inadéquate er de ce fair inu- rile67. Il convient dès lors soit d'ordonner une confrontation complète soit d'y re- noncer entièrement, ce qui obligera à envisager avec circonspection les déclara- tions du témoin ou de la victime68 (cf. ci-après ch. VI).

IV. Les apports spécifiques de la LAVI

Afin de réaliser un de ses objectifs, qui était d'améliorer la situation procéduralc de la victime, la LAYl a choisi deux moyens complémentaires, qui se traduisent dans ses deux dispositions-clef relatives à notre matière, les art. 5 et 7. I.:arr. 5 vise directe- ment au rééquilibrage des rapports entre accusé et victime et se présente dès lors claire- ment comme un tempérament à l'arr. Gal. 3 lit. d CEDH; c'est donc dans ce conrexrc que nous en avons analysé le contenu. J.:art. 7 saisit quant à lui la victime en ranc qu'ac- teur de la procédure pénale dans son ensemble; son contenu essenriel est de donner, à son al. 2, à la victime un véritable droit nouveau69, celui de. refuser de déposer. Ce droir

64 ATFn.p. in RSDIE 1994563-:-564; BJM 1984286.

65 Cf. ATF 118 h1460: ZR 1988 153; décision du Tribunal de La Haye Bla$kic (n. 5). ch. 41 et 44 ss. POUl' 1111e appréciation gtn~r.llc dè> risques encourus par les policiers: ATF 1241 89.

66 (N.30), 70 67 RSJ 1996 339.

68 Bonne illu"ration de cene démarche dans 13 d~cision de l'auditeur en chef de l'armée citée n. 1, p. 157: les té·

moins •dont les Mpositions som décisives pour l'issue du procès ne J>C'Uvent être protégés complètement•.

69 Sur les rnppom entre ce motif et les auu'Cs motifs de dis.,.,nse de témoigner, cf. ATF 120 IV 217 consid.4 c p. 225: la LA VI étend bi.:n évidemment la palette des dispenses et ne la réduit pas.

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Robert Roth· Protection procédurale de la victime et du témoin: enjeux et perspectives

s'appuie sur une notion connue, mais aux contours uaditionnellement incertains, la sphère intime70Notre recherche sur l'application de la LAVI 71 montre que l'art. 7 al. 2 suscite des s~miments mitigés, voire franchement négarifs chez les praticiens, qui ex-

pliquent sans doute une application relativement modeste.

Les reproches formulés à l'endroit de ce[(e disposition reprennem des arguments déjà discutés plus haur: pour l'essenriel, elle permet une entrave excessive à la décou- verte de la vérité72 er rend trop difficile l'examen de la crédibilité de la victime; de ce fait, elle menace de se retourner contre ses intérêts er de conduire à des acquittements injustifiés. Cette crainte d'effets pervers s'est exprimée de manière très forte dans notre enquêce auprès des magistrats aussi bien que des avocats proches des victimes.

:Cart. 7 LAVI (l'al. 1 cette fois) développe également une institution encore em- bryonnaire en Suisse: l'assistance au témoin (Zeugenbeistand). Le «témoin assisté>> est une figure bien connue de la procédure pénale française73 par exemple, que nos juges d'instruction découvrent souvenr au travers des demandes d'entraide, lorsque des té- moins étrangers demandent à bénéficier de mesures qui leur sont familières74. Même cette possibilité de soutien, qui para'it relativement innocente, a été critiquée dans le cadre de la réaction aux excès allégués de la LAVI: alors que l'accusé ne bénéficie bien entendu, en cout cas dans le cadre de sa participation au procès, que de l'assistance de son défenseur, la pratique semble admettre que la victime qui est partie civile puisse faire appel, en plus de celle d'un avocat, à la présence d'une autre personne de soutien (psychologue par exemple)'S.

V. Statut du participant au procès et protection

Jusqu'ici, nous avons mené le débat sans distinguer entre les divers statuts en cause: il y a le témoin et la victime, deux catégories qui, souvent, s'appliquent à la

70 Le Message à l'appui de la LAVJ propose une «définition• de la sphère intime, qui mer en relief le caractère in·

déterminé de la notion: •La notion de sphhe intime recouvre un secteur de sphère privée qui est étroitement lié à la personnalité particulihement vulnérable et qui revêt une grande importance sur le plan affectif pour la per.<onne concernée» (FF 1990 Il 933). !;utilisation en quelques lignes de deux adverbes ct d'un adjectifs

•ivalutttifi• indique quelle est l'étendue de la liberté d'appréciation laissée au juge.

71 Rapport (n. 17), 43-45.

72 Cf. à cet égard le réquisitoire d'Ajfolttr·Eijstm (n. 14), en particulier 570-572.

73 Cf. umo11dt (n.40 ), 819. Le nouveau Code de proet'dure pénale, dans sa version d'aoîtt 1993, étend le champ d'application de cette institution (cf. arr.I04-105 CPP). Pour J'Allemagne, Achim M. Luedeke, Der Zeugenbcistand, Francfort/a. M, 1995.

74 Art. 12 cb. 5 TEJUS.

75 Cf. Ajjolur-EijJtm (n. 14), 570. Il convient de noter que Bemttrd Corboz, «Les droiŒ procéduraux découlant de la LAYl•, SJ 69 (1996) n. 94 défend une interprétation restrictive de la loi, qui limiterait à une personne (avocat ou autre assistant) les ressources de la victime. li va de soi que la personne de soutien peut être un avo·

car, cf. Peur Go mm/ Peur Stein/Dominik ZehntJw; Kommentar zum Opferhilfegeset'l, art. 7 N. 4. Ces mêmes auteurs mettcon le doigt sur un autre risque de déséquilibre (ibidtm, N. 6): dans les cantons qui n'autorisent

(16)

398

Robert Roth · Protection procédurale de la victime et du témoin: enjeux el perspectives

même personne; parmi les témoins, l'agenc infiltré, le coaccusé, l'accusé dans une pro- cédure connexe er le repenti forment des sous-catégories particulières; la victime esc parfois aussi plaignant (délits sur plaincc) ou dénonciateur (délies d'office)76, mais pas nécessairement.

Cette absence de distinction 77 sc justifie non seulement au regard des situations concrètcs7R mais également au regard de la définition auronome du témoin dans la ju- risprudence européenne79Cela dit, il convient d'examiner quelques situations parti- culières, dans lesquelles le statut du participant au procès peut exercer une influence sur les conditions de son audition.

A. La première de ces situations esc celle dans laquelle la victime a décidé d'être un véritable acteur ou sujet (Prozesssubjekt'W)de la procédure, puis du procès, en enga- geant une «action civile». La diversité des situations cantonales rend difficile l'énoncé de généralités sur ce poinr (Hauser/Schweri parlent à ce propos de 11verwirrende Viel- foit"81). taction civile exercée devant les juridictions pénales a avant toue un objectif

patrimonial; mais elle entraîne également des droits de participation. Peu importe ici· que l'on puisse ou non parler de «partie» au procès, notion que la doctrine dominante considère-à tort selon nous- comme inopérante dans le cadre du procès pénaJ82La

«victime-acteur» mérire-c-elle d'être protégée comme celle qui vcur rester en-dehors du procès?

Rien ne justifie a priori une discrimination, que l'on ne rencontre égaJement ni dans la jurisprudence, ni dans la pratique. La victime que le législateur de la LAVI a en- rendu protéger n'est pas une victime passive, er il n'existe pas de contradiction entre droit à la protection et revendication de ses droits, ce que confirme la cohabitation des art. 5 et 7 «protecteurs» et des arr. 8 cr 9 qui donnent à la victime des moyens plus affir- més d'agir.

pas la présence de l'avocar lors de la phase de l'enquêre préliminaire (interrogatoire par la police),la victime peut bénéficier d'tm soutien qui est refus~~ la personne soupçonnée.

76 la l~gitimiré de la protection du dénonciateur aéré affirmée par la jurisprudence tant hdvérique (ATF 1 J8la 457) qu'européenne (Commission eur. des droits de l'homme dans JAAC 58 n• 91). Echo législarif dans les Crr d'Argovie (par. 119 ch. 2) er d'Appenzell Rhodes-Extérieures (an. 139 ch. 2) qui prévoient exp~ment

le mainrien de l'anonymat du dénonciateur.

77 One démarche uniforme ne signifie bien enrcndu pas que les staruts particuliers n'exercent pas une influence sur la pesée des imérèts. Pour prendre un exemple à la fois frappant er évident, l'argument selon lequel il con- vient de présever l'agent infiltré d'un témoignage public et contradictoire afin de pouvoir le réuriliser (cf. ci- des<us ad n. 41) ne va ur, s'il esr retenu, que pour cene carégorie de témoin.

78 Cf. ci-dessus n. 2 à propos de l'impossibilité de distinguer ces deux catégories dans les situarions certes exuê·

mes de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda.

79 Cf. n. 54 ci-dessus.

80 Terminologie recommandée par Schmid (n. 47) n" 453.

81 (N.48}, 130.

82 Cf. Schmid (n.47), n• 451. Comrn: Glrnrd Piquatz, Précis de procédure ptnale, 2' éd. lausanne, 1994, n"' 1544er 1631, avec réf~rencd l'an. 23 CPP GE. S'il est vrai que, chns le contexte étudié ici, il n'y a pas lieu de distinguer selon que la victime est •partie• ou non, nous voyons mal comment ne pas opérer cene dis- tincrion s'agissant en parriculier de l' arûs 1111 douin:

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