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L'éternité en photographie. La Grèce exposée à la Conférence de paix de Paris, 1919

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L'éternité en photographie. La Grèce exposée à la Conférence de paix de Paris, 1919

SOHIER, Estelle

Abstract

Quelques jours après l'ouverture de la Conférence de paix de Paris, en janvier 1919, une exposition de plusieurs centaines de photographies de Fred Boissonnas ouvre dans le centre de la capitale. Montée dans l'urgence, elle accompagne le Premier ministre grec E. Venizélos et sa délégation venus à Paris plaider la cause de la Grèce, et demander une extension de son territoire dans la perspective du démantèlement de l'Empire ottoman. Cet article interroge l'intrication des enjeux artistiques, économiques et idéologiques de cette exposition, mais aussi les interactions entre un photographe, le monde politique et un groupe d'intellectuels associés pour influencer le règlement de la paix. Il s'agissait de donner une forme visuelle à un récit national concordant avec le principe d'autodétermination des peuples prôné par Woodrow Wilson, et de souder un groupe social autour d'un imaginaire politique et géographique établi au XIXe siècle, actualisé par la photographie, celui de la « Grande Grèce

».

SOHIER, Estelle. L'éternité en photographie. La Grèce exposée à la Conférence de paix de Paris, 1919. Transbordeur , 2018, vol. 2, p. 66-77

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:102664

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L' étern iIé e n P h otog raPh ie

La Grèce exposée à la Conférence de paix de Paris, 1919

Estelle Sohier

Ouelques jours après I'ouverture de la Conférence de paix de Paris, en janvier 1919, alors que la ville accueille un nombre inédit de représentants politiques et de porte-paroles de toutes les causes et de tous les continents venus négocier des traités et bâtir la paix, une vaste exposition de photo- _

graphies ouvre dans le centre de la capitale. Du 13 février au 17 mars 1919, La Grèce éternel/e présente plus de 500 tirages de Fred Boissonnas (1887-1946), accompagnés de moulages provenant du Louvre et de Grèce, de quelques sculptures et dessins originaux d'artistes grecs, de dra- peaux et de costumes, sous la vigilance d'evzones envoyés dAthènes (fig.1 à 3). Montée dans l'urgence, l'exposition suit le Premier ministre grec Elefthérios Venizélos et sa délégation, venus à Paris plaider la cause de la Grèce,

< petite nation, tardivement entrée dans le camp des Alliés, et demander une extension

-

importante

-

de son territoire, notamment dans la perspective du démantèlement de I'Empire, ottomanl. Avec les plus de 40000 personnes qu'elle accueille en un mois-chiffre des organisateurs-, avant d'être transférée à New York et de circuler aux États-Unis, I'exposition peut être appréhendée comme I'un des théâtres du règlement de la paix.

'

La photographie est devenue entre 1914 et 1918 un enjeu majeur pour les États belligérants, un instrument de propagande internationale servant la construction des discours visuels sur la guerre de part et d'autre des fronts2.

Étudier l'exposition de Boissonnas permet d'interroger ses usages dans les États démocratiques à I'issue de la Grande Guerre, avant que des gouvernements totalitaires n'aient un large recours au médium dans les années 1920 et 1930. Organisée par un réseau d'hommes politiques et d'intellectuels grecs, ainsi que d'auteurs français et suisses autour de I'ceuvre d'un artiste-photographe genevois, elle témoigne non seulement du < bricolage " visuel d'États disposant de moyens politiques et financiers modestes pour peser dans les négociations, mais aussi de la dimension transnationale de la fabrique de nouvelles visibilités pour réimaginer la carte du monde au sortir de la guerre. Au-delà de cette fabrique identitaire, l'étude des traces laissées par I'exposition permet d'appréhender la porosité des usages et de la valeur alors attribués à la photographie, média de masse récent, au statut incertain3.

.

Événements fugaces et rencontres ponctuelles entre oes artistes, des publics, des commanditaires et un lieu, tes expositions <donnent à voir I'art-c'est-à-dire les æuvres d'art, les pratiques artistiques, le milieu de I'art-eg train oe se faire, de se penser, de s'organisepr, I'art étant conçu non comme une entité universelle et immuable, mais comme une donnée instable, prise dans un mouvement incessant

o.e Pratiques, d'interprétations et de réinterprétationsa. Après avoir été I'un des prlncipaux représentants du pictorialisme EIr Europe à la fin du XIXe siècle, Fred Boissonnas continua

à revendiquer et à explorer, par différents moyens, la dimen- sion artistique de la photographies. En observant le contexte politique de l'événement, le dispositif scénographique éla- boré, les liens tissés entre les images exposées, imprimées et projetées, ainsi que les objets, les textes et les paroles déployées autour d'elles, cet article interrogera I'intrication des enjeux artistiques, économiques et idéologiques de cette exposition. ll examinera aussi les interactions entre un photographe, le monde politique et un groupe d'intellectuels associés pour influencer le règlement de la paix. ll s'agissait de donner une forme visuelle à un récit national concordant avec le principe d'autodétermination des peuples prôné par Woodrow Wilson et de souder un groupe social autour d'un imaginaire politique et géographique établi au XIX" siècle, actualisé par la photographie, celui de la "Grande Grèce>.

Convaincrê, par I'entrelacement de l'image, de la parole et du texte

En décembre 1918, au moment même où la France invite les pays de tous les continents à venir négocier à Paris les traités de paix aux côtés des Alliés, le gouvernement grec charge ex abrupto Fred Boissonnas de réaliser une exposition d'envergure. [ouverture de La Grèce éternelle est pro- grammée pour le 1"'février 1919, soit quelques jours après I'ouverture de la Conférence de paixo. Cette demande expé- ditive s'explique par I'ampleur de la collection de vues que Boissonnas a alors déjà réunie sur la Grèce (fig.1), Le photo- graphe avait connu un tournant dans sa carrière, en 1903, lors d'un premier séjour dans le pays en compagnie de l'historien de I'art et écrivain Daniel Baud-Bovy. Fasciné par ses paysages et sa lumière, il devient résolument philhellène et consacre à la Grèce les trois dernières décennies de sa carrière en collaborant avec différentes personnalités, comme l'hellénisteVictor Bérard ou I'archéologue Maxime Collignon, créant une æuvre pléthorique, déclinée sur dif- férents supports. Les relations entre le Genevois et Athènes ont été soulignées pour la première fois par la chercheuse lrène Boudouri, qui a pointé les accointances politiques et les intérêts économiques de celui qui est aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands photographes de I'histoire de Grèce7. Entré en contact dès 1905 avec le roi Georges l"'qui lui accorda bientôt un soutien à l'édition, Boissonnas réalisa une campagne photographique pour le Premier ministreVenizélos durant l'été 1913, au lendemain des guerres balkaniques. Après une interruption durant la Grande Guerre, la coopération entre le photographe et I'homme d'État connaîtra son apogée en 1918-1920.

Venizélos commandite I'exposition alors qu'il rédige les demandes territoriales de la Grèce dans un mémoire qui reprend les principes défendus par le président Wilson, en particulier ceux concernant le droit des peuples à 1. Fred Boissonnas, *PicVénisélos. Le plus haut sommet de I'Olympe", [1913], héliogravure'

60

x

45 cm, Genève, Bibliothèque de Genève (Ci-BGE, FBB' PTG01 28)'

Dossier

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Transbordeur

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EXPOSITION DE PHOTOGRAPHIES

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Fréd.

BOISSONNAS

prolongée à la demande générale Jusqu'au 17 lllars I9l9

OALERIE

LA

BOËTIE

64 bis, Rue de La Boëtie

CARTE D'INVITATTON PERMANENTE pour I'Exporltlon ct le8 Conlérencet (l/oi| nil dos)

2. Carton d'invitation, Paris,'1919. Genève, Bibliothèque de Genève (C|-BGE, FBB, dossier ( 1919, Paris salle de la Boëtie ").

3. Fred Boissonnas, vue de l'exposition La Grèce éternelle, Paris, 1919, tirage argentique noir et blanc, 18,1

x

23,8 cm, Genève, Bibliothèque de Genève (C|-BGE, FBB, dossier u 1919 Paris salle de la Boëtie").

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Transbordeur Dossier Estelle Sohier

La Grèce Éternelle

I'autodétermination; il y revendique, chiffres et statistiques à I'appui, un agrandissement territorial substantiel du pays en s'appuyant sur le critère de la < conscience nationale, des Hellènes8. La Conférence de paix inaugurée le 1g janvier 1919 réunit les représentants de vingt-neuf États, auiquels s'ajoutent des centaines de journalistes, de juristes, d,hommes d'affaires, autour d'un immense programme comprenant notamment le tracé de nouvelles frontières, la création de nouveaux circuits économiques et commerciaux et la fonda_

tion de la Société des Nations. L,exposition de Boissonnas, entièrement financée par le gouvernement grece, est inau_

gurée avec deux semaines de retard, le jeudi 1B février, le wagon spécial transportant les photographies encadrées depuis Genève ayant connu des difficultés d'acheminement.

Un lieu a été trouvé in extremis,à quelques rues du palais de l'Élysée: la salle de la Boëtie,

.ru"it"

pour la première fois depuis la guerre, est assez vaste pour accueillir sur ses murs les 518 photographies de différentes tailleslo, ainsi que les objets, les moulages et les gardes en fustanelle qui I'accompagnentll et qui font écho aux sujets des photo_

graphies (fig. 2 et 3) : leur mise en relation dans I'espace d'exposition suggère la matérialité des objets représentés et le lien des images au vivant.

Les images migrent aussi sur d'autres supports, les ouvrages de Fred Boissonnas et Daniel Baud_Bovy étant ouverts sur des présentoirs, en particulier En Grèce par monts et par vaux (1910)12. Le succès de ce livre d,art, primé par lAcadémie,française, a contribué à donner à Fred Boissonnas et Daniel Baud-Bovy le rôle de (passeurs culturels, entre la Grèce et I'Europe savante. Les deux Genevois avaient élaboré en 1918 une première opération de propagande internationale pour le gouvernement grec sous la forme de publications. lls suivaient en cela un modèle de diplomatie par le livre, objet symbolique alors essentiel dans les échanges culturels internationaux, privilégié depuis le XlX"siècle pour valoriser I'image extérieure Oes États et influencer des opinions publiquesi3. lls s'inscrivent, en outre, dans la lignée de la vaste production éditoriale engendrée par les mouvements philhellènes en faveur de I'indépendance de la Grèce, un siècle auparavantia.

.

En 1918, le photographe propose àVenizélos de reprendre et de développer le piogramme établi à la fin de la guerre des Balkans. ll envisage àlors la parution de livres de luxe en français, la traductiàn de En Gièce par monts

e.t par vaux en anglais, mais aussi la déclinaison d,une série de,catalogues illustrés, intitulée * L'image de la Grèce >, publiée en français, anglais et allemand,-llexposition de paris est au centre de ce projet éditorial qui trouve un écho dans

::9:?""t".11de

ta pièce principate, pensée en anatogie avec le modèle d'une bibliothèque. Chacune des sections renvoie en effet à un livre publié ou en devenirl5 (fio. 4).

uentreprise de Boissonnas avait élargi dans les

"nÀe"", ISOO ses activités à l'édition et l,exposition sert de relais entre

..,ç^tr^uoll: et ces ouvrages qui représentent I'aboutissement

il'."",i,.,"f ,.iJ::,îï:ffi ::;"#i"îï5ffi ',?i;::."'"

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la. mise en scène des images, des-objets

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vcs reXt€S, la parole est aussi convoquée au cæur de

I'exposition. Neuf conférences sont présentées au milieu des æuvres, devant B0O participants chacune _toujours selon le rapport officiellô, La parole des intellectuels invités accompagne les photographies avec une autorité complémentaire à celle des livres (fig. b). Les interventions renvoient aussi directement ou indirectement à des sections de I'exposition, créant du mouvement et de la vie autour des images qui migrent sur un support immatériel et éphé_

mère, les projections à la lanterne animant les conférences.

Le cycle est organisé par I'association genevoise Jean-Gabriel Eynard, du nom du banquier philhellène établi à Genève au début du XlX" siècle, et qui joua un rôle important dans l'histoire de I'indépendance de la Grèce1z.

Les représentants de la Grèce à la Conférence de paix assistent aux séances et organisent des réceptions dans la salle de la Boëtie, en marge des négociations. L,exposition est une expérience publique, un lieu de rassemblement permettant de resserrer les liens entre les représentants du gouvernement grec, les philhellènes rassemblés à paris et un plus large public. La Grèce éternelle sert de théâtre à cette diplomatie, les photographies ne faisant pas seule_

ment office de décor, mais aussi de pièces à conviction.

La uGrande idée" offerte à une Europe en reconstruction

L'exposition de '191g peut être appréhendée comme l,une des étapes de l'élaboration de l,imaginaire de la Grèce sur la scène internationale, dans la lignée des mouvements philhellènes du XlX" siècle. Les revendications défendues par Venizélos à Paris reposent sur le mythe de la * Grande idée >, un concept polysémique forgé par des intellectuels grecs

-

et bavaroisls

-

référant à une volonté d'expansion territoriale visant à réunir les Grecs dans un même État

nation, à la réorganisation de l,État et à sa "régénération culturelle "1e. Différents auteurs ont montré combien les Grecs avaient importé dans leur processus de construction nationale une image du pays élaborée à l'étranger, reposant sur Ltne fascination pour lAntiquité, faisant dAthènes le lieu de naissance de I'histoire et le berceau de la civilisation européenne20. Le philhellénisme avait été une * passion politique et intellectuelle> vite malmenée par la confronta_

tion avec la réalité du pays, laissant place à un < contre_

imaginaire collectif " désappointé et critique2l. Si les premières années du XX" siècle avaient vu la résurgence d'une fasci_

nation des Européens pour une Grèce abstraite et idéalisée, comme ce fut le cas de Sigmund Freud, celle-ci était désormais clairement distinguée de la Grèce contemporaine, redevenue un simple décor, "et ses habitants des silhouettes folkloriques22,. Par son action politique et une diplomatie habile et volontaire, Venizélos tente

-

avec succès

-

de

remobiliser l'imaginaire littéraire des dirigeants européens en faveur de la cause de son pays2s en utilisant I'image pour convaincre ses interlocuteurs, conjointement à d'autres supports (cartes, tableaux de statistiques, ceuvres d'artistes grecs): il aurait ouvert sa plaidoirie devant le Conseil suprême des alliés, le 3 février 1g1g, en présentant un album de photographies2a. Associées à la parole et au texte, celles-ci

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Léternité en photographie

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4. Plan de l'exposition La Grèce éternelle, extrait de Fred Boissonnas, Visions de Grèce, Genève, Sadag, 1919

permettent d'enrichir l'imaginaire philhellène, de le relier à la cause de la Grèce moderne et de fabriquer un nouveau récit collectif transnational et efficace sur le plan diplo- matique, Le titre de l'exposition, La Grèce éternelle, est programmatique: si la création de l'État grec contemporain avait été qualifiée de . renaissan6s r, voire de < résurrection >

au début du XlX" siècle25, I'entrelacement de photogra- phies contemporaines, de sculptures antiques et d'objets ethnographiques trouble le rapport au temps et permet de revendiquer cette fois, près d'un siècle après l'indépendance du pays, une idée d'éternité.

Fred Boissonnas a acquis une connaissance approfon- die des expositions nationales et universelles qui participent, au-delà de leur caractère commercial, à la " fabrique "

des imaginaires nationaux26. La Grèce éternelle propose aussi une mise en scène ordonnée de la nation à des fins politiques et commerciales. Le parcours mis en place dans la galerie de la Boëtie est une invitation au voyage dans I'espace géographique et mythique de la Grande Grèce, les sections faisant aussi écho aux régions revendiquées par Venizélos: l'Épire du Nord, la Thrace, la Macédoine et une partie de lAsie Mineure, présentées autour de lAttique, du Péloponnèse, de la Thessalie et de la Crète déjà réunies.

Aucune carte géographique générale n'est utilisée pour appuyer ces demandes territoriales, hormis de façon ponctu- elle et fugitive durant les conférences27. Les cartes auraient sans doute rendu visibles ces revendications de manière trop péremptoire et peu diplomatique, alors que des carto- graphes officiaient au même moment à Paris pour le tracé des nouvelles frontières internationales. La disposition des photographies selon une logique géographique suggérait la cohérence et I'unité d'un territoire en cours de construction sans recourir à un tracé clos et arrêté, Cette stratégie visuelle effaçait néanmoins tout autant qu'une carte les clivages territoriaux, linguistiques et religieux de I'ensemble territorial revend iq ué.

Ouarante-huit photog raphies de lAcropole ouvrent l'exposition

-

dont vingt-six consacrées au seul Parthénon, présenté littéralement sous tous les angles, et toutes les faces (fig. 6). L État grec a entretenu la visibilité du monument dès le XlX" siècle, jusqu'à l'ériger en symbole comparable à un drapeau national28. La présentation de cette série de photographies était une façon de placer ce symbole au cæur de I'Europe, un geste d'autant plus important que les Grecs étaient souvent critiqués pour leur indifférence envers les ruines antiques et considérés comme les gardiens illégitimes d'un héritage international2e. En outre, la mise en lumière des vestiges archéologiques avait fait l'objet d'une âpre concurrence entre les Français, les Allemands et les Anglais, intensifiée durant la guerre, notamment en Macédoine et en Thrace, Porteuses d'une idéologie de la renaissance ou symbole de la barbarie de I'ennemi

à travers leur destruction, les images des ruines antiques ont été manipulées au gré des circonstances par les belli- gerants3o,

Organisée par le ressortissant d'un État neutre, la._Suisse, I'exposition permet à Venizélos de capter ces différentes appropriations en synthétisant les images oe vestiges disséminés dans toutes les régions de culture

grecque-à l'exception de lAsie Mineure contrôlée par I'Empire ottoman. La qualité formelle et technique des images de Boissonnas était une dimension essentielle à leur interprétation et à leur rôle idéologique, Elle soulignait que le gouvernement hellène valorisait cet héritage de pierres par un double geste d'appropriation et de restitution au reste du monde, destiné à séduire les admirateurs de la Grèce antique, comme Clemenceau, formé aux Lettres classiques, à l'instar de tous les dirigeants européens31.

Contrairement aux arguments " mishelléniques D refusant de continuer à voir dans la Grèce contemporaine I'héritière de la culture antique, l'accumulation des photo- graphies de Boissonnas opère une synthèse historique et géographique prônée par les nouveaux philhellènes qui revendiquent en elle des ( leçons d'ordre éternel "

dont les Européens ont alors u un impérieux besoin "32.

Les conférenciers développent I'idée selon laquelle la beauté, la poésie et la raison

-

des valeurs portées par la Grèce antique

-

peuvent aider les nations à surmonter le trauma- tisme de la Grande Guerre et à inventer un nouvel art de vivre ensemble. En rappelant les <services qu'a rendus la Grèce à I'humanité de tous les siècles et les droits qu'elle s'est acquis pour toujours à son admiration, à sa reconnaissance et à sa justice33", ils réitèrent des arguments utilisés par les partisans de I'indépendance du pays depuis le début du XlX" siècle. Associés aux images de Boissonnas dont la beauté formelle est unanimement louée, ces discours prennent une teneur particulière en '1919, au milieu d'une Europe exsangue et d'un monde en quête de nouvelles voies politiques, sociales et économiques. La fusion du passé, du présent et du mythe grecs en photographie actualise les idéaux philhellènes et entretient une idée d'atemporalité. L'" éternité " défendue par I'exposition est I'antithèse du culte de la vitesse prôné avant-guerre par les futuristes qui avaient organisé en 1913, dans la même galerie, la Première exposition de sculpture futuriste [de l'artistel Boccioni, inaugurée par une conférence du poète

Fi I i ppo Tommaso Marinetti3a,

Si le recours à la photographie par la diplomatie grecque s'inscrit sans conteste dans la lignée des propa- gandes d'État développées durant la Grande Guerre, La Grèce éternelle en prend le contre-pied en excluant toute trace de violence3s, Ce mode opératoire correspond à la politique privilégiée parVenizélos, enThrace par exemple:

confiant dans le processus de la Conférence, il refuse toute mesure militaire contre les Bulgares pour ne pas nuire à I'image de son pays et accéder à ses revendications par la seule voie diplomatique, L'exposition privilégie une approche "artistique" des ruines, des paysages, des monuments, de la population et des villes; les images sont soigneusement élaborées sur le plan de la composition, du choix des sujets et du tirage. Seuls quelques dessins originaux de l'artiste Nikolaos Lytras rappelaient à l'entrée de la salle < les atrocités commises par les Bulgares sur les Grecs > en Macédoine et en Thrace36, de façon plus euphémique gue ne l'aurait fait la photographie, La Grande Grèce est une promesse de paix et de beauté offerte à I'avènement d'un nouvel ordre géopolitique international.

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5, u Programme des conférensss " (çarton d'invitation), Paris, 1919. Genève, Bibliothèque de Genève (CI-BGE' FBB, dossier u 1919. Paris salle de la Boëtie")'

6. Fred Boissonnas, *Au Parthénon ), Athènes, 8 juillet [1908], 29,1

x

41 '9 cm' Genève, Bibliothèque de Genève (ci-BGE, album de famille Boissonnas, n" Y631 10' planche 37).

Dossier Estelle Sohier

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Transbordeur

ct divs.s

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Dans le cadre des négociations, les émotions des diplomates sont manipulées, à l'exemple du gouvernement français qui cherche à sensibiliser les autres membres du Conseil suprême des alliés à sa cause, contre lAllemagne, en organisant des visites des champs de bataille dévastés du nord de la France37. Le gouvernement grec tente de même par cette exposition à quelques pas du centre des négociations de mobiliser les émotions des représentants des grandes puissances, en théâtralisant son pays, avec la promesse de donner une consistance politique et géogra- phique réelle à cet ailleurs idéalisé si le tracé des frontières revendiqué était accepté. Si Paris a été décrite comme la capitale internationale du spectacle avant-guerre38, on peut avancer qu'en 1919, le spectacle est mis au service de la politique internationale. L'un des conférenciers, l'écrivain Louis Bertrand, défend d'ailleurs I'idée de faire désormais du spectacle du monde un ressort de I'action politique, en dénonçant l'ancienne passivité des consommateurs d'images de la Belle époque3e. Dans le contexte historique et poli- tique exceptionnel de I'après-guerre, tous les possibles sont ouverts, et la mise en scène de la Grèce est aussi pensée comme un agent de sa transformation, ce d'autant plus que la dimension indicielle de la photographie prouve que cet État rêvé n'est plus un mirage. Si ses vestiges ont été photographiés dès l'invention du médium, Boissonnas en propose une vision dynamique en animant les matériaux par des jeux d'eau et de lumière (fig. 7). Outre l'esthéti- sation des ruines, il multiplie les angles de vue pour les inscrire par des cadrages larges ou en contre-champ dans le paysage environnant,

Autour des ruines: les hommes, le paysage et la mer

fexposition ne s'arrête pas aux ruines et accorde en parallèle une large place à d'autres motifs et, partant, à d'autres références idéolog iques, u n élargissement de perspective à I'image du regard photographique que Boissonnas portait sur la Grèce, regard fondateur dans I'histoire du paysao.

Héritier du courant pictorialiste idéalisant la vie rurale, il photographie les populations de différentes régions au travail, dans les champs, sur les chemins ou en mer, dans des scènes éthérées ou atemporelles (fig, 8). Costumes et gestes témoignent du caractère ( grec D de leur culture, justifiant le rattachement des régions photographiées à la Grèce. La section consacrée à l'Épire présente des images de villageois réalisées à I'issue des guerres balkaniques, dans des mises en scène collectives organisées pour l'ob- jectif de Boissonnas par les autorités locales et les militaires (fig.9). lluautre Grèce,, héritière des périodes byzantine et ottomane, est représentée dans les photographies du patrimoine orthodoxe, comme les églises de Thessalonique ou les monastères des Météores. ll est difficile de savoir si des photographies de mosquées figurant dans différents ouvrages de Boissonnas ont été incluses dans le parcours afin d'intégrer les communautés musulmanes dans ce tableau national. En revanche, des films montrant des représentants musulmans de Macédoine aux côtés de Venizélos furent projetés durant I'une des conférences, pour symboliser

la sagesse et le pacifisme de I'administration des provinces nouvellement conquises et la paix entre les différentes communautés ressortissantes de la Grande Grècea1 '

En outre, la présence d'une section consacrée au voyage réalisé avant la guerre par le photographe avec l'helléniste Victor Bérard sur les traces d'Ulysse permettait de donner une autre dimension historique et mythique à la Grèce contemporaine: celle de la littérature homérique, mais aussi le souvenir des Phéniciens, prédécesseurs des Grecs anciens, dont les instructions nautiques auraient inspiré Homère, selon la théorie de Bérard, et dont les voyages étaient prétendument lisibles dans la géographie atemporelle de la Méditerranée (fig. 10)a2. Au-delà de leur dimension poétique, les innombrables vues de mer présen- tées dans cette section portaient la promesse d'une circulation maritime ouverte et protégée par la Grèce élargie, alliée de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis, circulation garantissant la liberté et la sécurité des échanges maritimes dans la région, I'un des enjeux majeurs de la Conférence de paix.

Alpiniste, Boissonnas avait été avec Daniel Baud-Bovy le premier à faire l'ascension du mont Olympe en 1913, une montagne à laquelle une section entière est consacrée dans l'exposition, ainsi qu'une conférence, " Le plus haut sommet de l'Olympe,'. Très animé, le récit d'ascension de Baud-Bovy intègre des éléments géographiques, poétiques et de nombreuses références mythologiquesa3 en mettant en évidence la cohérence entre les descriptions des textes anciens de la montagne des dieux et les caractéristiques du relief homonyme situé à la limite de la Thessalie et de la Macédoine, photographié par Boissonnas (voir fig. 1).

L'association d'images, d'un récit de voyage et de textes anciens permet d'inventer un nouveau lieu de mémoire sur la carte du territoire grec en cours de tracé et de sémiotiser le paysage conquis. La toponymie n'est pas oubliée dans ce processus d'appropriation symbolique, puisque Boissonnas propose àVenizélos à la fin de I'exposition de baptiser le plus haut sommet du massif à son nom, un moyen d'élever l'homme politique au rang de héros mythologique.

En recourant conjointement à la photographie, au récit et à la toponymie, ils érigent I'Olympe en symbole, en u haut- lieu D, site naturel anthropologisé auquel l'ensemble du groupe peut adhérer, un point qui condense les valeurs et les qualités attribuées à la nation, comme d'autres nations I'ont fait dès le XVlll" siècle dans le processus de définition des identités collectivesaa, Cette " création identitaire,

repose sur un transfert de technique et d'imaginaire depuis la Suisse. En effet, la force de la photographie pour influencer des imaginaires géographiques et des pratiques a été explicitée par Fred Boissonnas et Daniel Baud-Bovy pour inciter le gouvernement grec à exploiter la collection de photographies du Genevois, comme le montre cet extrait de lettre de Baud-Bovy transmis par Boissonnas au ministère des Affaires étrangères, à Athènes, quelques mois plus tôt:

ll s'agit d'entreprendre en faveur de la Grèce, de ses industries, de ses produits naturels, de sa marine' etc. une intense et méthodique campagne de

7. Fred Boissonnas, < Le Parthénon après I'orage,, Athènes, [1907], héliogravure extraite de Fred Boissonnas et Daniel Baud-Bovy, En Grèce par monts et par vaux, Genève/Athènes, F Boissonnas/C. Eleftheroudakis, 1 g 1 O,

pl. XXXVII (document no 35 ou n" 36 de I'exposition).

8, Fred Boissonnas, " Le Taygète et la vallée de l,Eurotas >, s. d., héliogravure extraite de Fred Boissonnas et Daniel Baud-Bovy, En Grèce par monts et par vaux, Genève/

Athènes, F. Boissonnas/C. Eleftheroudakis, 1g10, pl. XIX (document n" 111 de I'exposition),

DE I,VI NÀ X

l;_tt".O Boissonnas, * Delvinaki

,,

Épire, 1g13,

flp19hu."tttuite de Fred Boissonnas et Daniet Baud-Bovy,

;^tfl",

tv rc' Pl. berceau des Grecs, Genève, éd. Boissonnas,42 (document n" 302 ou no 303 de I'exposition).

72

Transbordeur Dossier Estelle Sohier 73 L éternité en photographie

(6)

propagande par I'image, La majorité des hommes sont des St Thomas. lls veulent voir pour croire, Combien de gens m'ont ri au nez lorsque je leur ai parlé des forêts de la Grèce, La Grèce pour eux, n'est qu'une immense Attique. Montre-leur des vues des forêts d'Arcadie, du Pinde ou de I'Olympe, et les voici convaincus sur-le-champ. D'où un puissant moyenr depuis longtemps éprouvé, de solliciter I'intérêt de l'étranger, du voyageur, du capitalisteas,

Les deux hommes n'incitent pas seulement le gouvernement grec à exploiter ces archives photographiques privées comme un catalogue photographique au service d'un récit national, ils proposent aussi les objets et les méthodes pour exploiter les images de manière adéquatea6, La diffusion des photographies et leur interprétation par le texte et la parole permettent tout à la fois de faire voir, de faire savoir et de faire croire. Historien de I'art, écrivain, ancien conservateur de musée, Daniel Baud'Bovy (1870-1958) abandonne en 1919 le poste de directeur de l'École des beaux-arts de Genève pour se consacrer à sa collaboration éditoriale avec Fred Boissonnas. lssu d'une famille d'artistes proche des milieux fouriéristes, il avait aussi hérité des idéaux du peintre genevois Barthélemy Menn sur la fonction sociale de I'art. Comme président de la Commission fédé- rale des beaux-arts en Suisse (un poste qu'il occupe entre 1916 et 1938), il est, en outre, au fait des moyens permet- tant de valoriser un art national et conscient de I'influence d'une politique d'exposition dans I'expansion commerciale d'un pays, en particulier pour la promotion du tourismeaT.

Son approche complexe de I'art, notamment quant à son rôle social, politique et économique, ainsi que sa culture visuelle étendue, lui permettent de soutenir les innovations en matière de propagande politique et économique, mais aussi de valoriser les photographies de Boissonnas à travers ses textes, Fils du peintre Auguste Baud-Bovy, chantre des montagnes suisses, il eut sans doute une influence décisive sur I'importance accordée par Boissonnas au paysage.

Délacer les frontières de l'État et celles du médium

Le dispositif de l'exposition encourage les visiteurs à regarder, à lire et à consommer les photographies accumulées dans la pièce par différents moyens. Durant les conférences, les images de Boissonnas, démultipliées par le biais de leur projection à la lanterne, sont intégrées à différents récits' Dans . La Grèce du soleil et des paysages

',

Louis Bertrand

les introduit dans la narration en marquant des pauses pour les contempler- presque religieusement. Les récits de Victor Bérard et de Daniel Baud-Bovy, proches collabo- rateurs de Boissonnas, sont étroitement construits autour des images de ce dernier, et le conférencier André Andréadès ponctue lui aussi son€rgumentaire géopolitique de " belles photographies " de I'Epirea8.

Fred Boissonnas utilise de façon exacerbée la perméabilité des usages du médium. Les photographies accrochées sont discriminées par I'usage de différents formats, une façon de prendre le contre-pied de leur

Estelle Sohier

standardisation, tout comme I'utilisation de toute une gamme de modes de tirage: papiers mats albuminés, papiers simili-platines, papiers au charbon avec ou sans coloration (bleu, vert et sang) et tirages à I'huile, une variété mettant en lumière son art de la reprotJuction. L'ensemble est rythmé par I'usage de cadres de bois naturel et de cadres blancs, un accrochage dense et classique qui valorise les photo- graphies, tandis que l'alternance des couleurs met à distance la transparence du médium, en soulignant la qualité et les spécificités de chaque forme de tirageae. Ce dispositif établit un parallèle avec les expositions de tableaux en montrant la diversité des choix formels permettant de traiter un sujet, en photographie, et le caractère unique de chaque tirage, Les images valorisent le patrimoine historique, paysager, culturel du pays, et leur mise en scène dans l'exposition en propose une synthèse mobile, qui devient elle aussi patrimoine.

Fred Boissonnas avait une large expérience des expositions de photographie, dont il avait testé toutes les formes élaborées au XIX" siècle: expositions universelles, expositions nationales, expositions de sciences et d'industrie, mais aussi salons pictorialistes. ll avait participé à toutes les manifestations qui tentaient d'imposer la valeur esthé- tique de la photographie jusque dans I'agencement des expositions aux côtés des amateurs50, dans les années 1890 et 1900, dans tous les pays d'Europe (Amsterdam, Bruxelles, Londres, Francfort, Chicago, Paris, Vienne, Hambourg, etc.51), S'il avait déjà réussi à investir le musée

Rath-le Musée des beaux-arts de Genève-en 1g18, I'expo- sition de 1919 lui permet d'inaugurer une nouvelle forme de présentation des photographies, alors que le mouvement pictorialiste décline: une exposition non collective, mais personnelle, où ses images sont associées à des æuvres (dessi ns, scu I ptu res) relevant i ncontestablement des beaux- arts. La démonstration de ce statut est renforcée par les prises de parole et les écrits des conférenciers qui qualifient à plusieurs reprises Boissonnas d'" artiste

"52. Celui-ci donne ainsi un nouveau souffle au pictorialisme tardif, en lui conférant, en outre, une portée politique,

La migration des photographies sur différents supports, tout en permettant de marteler le message politique en faveur de la Grèce, encourage des modes de consommation différenciés des images. Le patronage du gouvernement grec et le lancement de souscriptions pour des livres d'art

à tirages limités font entrer dans un circuit élitiste des images par ailleurs accessibles sur d,autres supports dans une gamme de prix très large. Leur reproductibilité permet de disséminer, depuis Paris, une culture visuelle mobile, d'une portée géographique illimitée53, faisant de Boissonnas un passeur culturel entre la Grèce, I'Europe et lAmérique du Nord,

Après-Paris, I'exposition suit en effet le présigent Wilson aux États-Unis: elle est présentée à New york avant de circuler dans différentes universités du pays, Si Venizélos connaît un succès diplomatique à paris, où ses revendications

:TT."

I'attribution de Smyrne à la Grèce sont acceptéesba, tes faits vont réduire à néant les aspirations de la *Grande tqeeu:après

l'échec électoral du premier ministre, un

75 L éternité en photographie

changement de gouvernement et la défaite cinglante de I'armée grecque contre les troupes turques, en 1921, l'événement désigné sous le nom de <Grande catastrophe>

met fin aux volontés d'expansion territoriale du pays en Asie Mineure. La Grèce éternelle est dissoute aux États-Unis où les photographies sont acquises par différentes universités, Dans une histoire de la Grèce contemporaine scandée par les tentatives de connecter un espace national en cours de constitution à la mémoire d'un illustre passé, I'exposition de Boissonnas aura été I'une des ressources utilisées par Athènes pour redessiner son territoire sur la carte du monde,

1 O. Fred Boisso n nas, " Palaiokastrizza, réci't et San Angelo", Corfou, 1912, négatif sur plaque de verre, 18

x

13 cm, Genève, Bibliothèque de Genève (Ci-BGE, FBB, fvb-n13x18-0790).

74

Transbordeur Dossier

(7)

1

Voir notamment Michael Llewellyn Smith, uVenizelos' Diplomacy, 1919-1923. From Balkan Alliance to Greek-Turkish Settlement >, rn Paschalis M. Kitromilides (dir.), Eleftherios Venizelos. The Trials of Statesmanship, Édimbourg, Edinburgh UniversitY Press, 200ô. Sur le contexte général de la Conférence de Paix de Paris, voir Margaret MacMillan, Les Artisans de la paix. Comment Lloyd George, Clemenceau et Wilson ont redessiné la carte du monde, Paris, J,-C, Lattès, 2006.

2

Voir les travaux d'Hélène Guillot, notamment fes So/dafs de la mémoire' La section photographique de I'armée,

1 91 5-1 91 9, Paris, Presses universitaire de Paris Nanterre, 2017.

3

Le fonds Borel-Boissonnas conservé au Centre d'iconographie de la Bibliothèque de Genève comprend un rapport sur I'exposition (Fred Boissonnas, Rapport sur I'exposition de photographies de La Grèce immor- telle à Paris, Genève, 1919) et son catalogue annoté (Fred Boissonnas, Visions de Gêce, Genève, Sadag, 1919).

Des articles de journaux, des extraits de la correspondance de Boissonnas et un recueil de conférences sont éga- lement disponibles (Fred Boissonnas, La Grèce immortelle. Sept conférences faites à Parls, Genève, éditions d'art Boissonnas, 1919).

4

Jérôme Glicenstein' " lntroduc- tion,, ln Bernadette Dufrêne et Jérôme

G licenstein, Histoi re(s) d'exposition(s), Paris, Hermann,2016, p. 21.

5

Sur la carrière de Fred Boissonnas, voir Nicolas Bouvier, Bolssonnas. Une dynastie de photog raphes 1 864-1 983, Payot,

Lausanne, 1983 (rééd. sans ill., Genève, Héros-Limite, 2010) ; Estelle Sohier et Nicolas Crispini (dir,), Usages du monde et de la photograPhie.

Fred Boissonnas, Genève, Georg, 2013,

6

F. Boissonnas, Rapport sur l'exposition..., op. cit.

76

Transbordeur Dossier

7

lrène Boudouri, "En Grèce et Levoyage en Grèce. Deux revues touristiques de I'entre-deux-guerres

)

ln Sophie Basch et Alexandre Farnoux (dir,), Le Voyage en Grèce (1934-1939)' Du périodique de tourisme à la revue

artistique,Athènes, École française dAthènes,2006, pp. 55-67; uThe Asia Minor of Henri-Paul Boissonnas', in Henri-Paul Boissonnas. Asia Minor, 7921, Athènes, Benaki Museum, 2002,

8

Elefthérios Venizélos, La Grèce devant /e Congrès de la Paix,Paris, Chaix, 1919. Mémorandum Publié en français et en anglais daté du 30 déc.19'18,

9

Pour une somme semble-t-il relativement élevée, comme le laisse entendre ce commentaire du ministre des Affaires étrangères, Nicolas Politis, rapporté par le photograPhe à la clôture de I'exposition: (certes cela nous coûte cher,., mais je ne regrette pas cette dépense et malgré tous les tracas que cela nous a causés

je n'hésiterai pas à recommencer.D Lettre de Fred Boissonnas à Daniel Baud-Bovy, Paris, 11 mars 1919.

Fonds Borel-Boissonnas, centre d'iconographie de la BGE.

10

En majorité au format

50

x

60 cm, mais aussi 30

x

40 cm,

80

x

100 cm,18

x

24 cm et

24

x

30 cm. F, Boissonnas,Catalogue de l'exposition..., op. cit.

11

F. Boissonnas, RaPPort sur I'exposition..., op. cit.

12

Daniel Baud-Bovy et Fred

Boissonnas, En Grèce par monts et par vaux, Genève/Athènes, F, Boissonnas/

C. Eleftheroudakis, 1910.

13

Claude Hauser ef a/. (dir.), La Diplomatie par le livre. Réseaux ef

ci rculation internationale de l' i mprimé de 1880 à nosTburs, Paris, Nouveau Monde éditions, 2011, p. 9.

Estelle Sohier

14

Sophie Basch, Le Mirage grec.

La Grèce moderne devant l'oPinion française depuis la création de l'É'cole d'Athènes jusqu'à la guerre civile

g recque (1 846'1 946), Paris,/Athènes, Hatier/Kaufmann, 1995, P, 23.

15

Les sections sur lAttique, Phocide et la Thessalie renvoient à En Grèce par monts et Par vaux;

celle sur le mont OlymPe à une mono- graphie en préparation ; Macédoine- Salonique correspondent à I'album

Salonique et L Épire, à I'album éponyme, publiés tous deux en 1913; les deux dernières sections annoncent la parution de deux livres d'art dont les souscriptions sont lancées:

Des Cyclades en Crèfe au gré du vent

(1 91 9) et l'Odyssée avec I'helléniste Victor Bérard.

16

F, Boissonnas, La Grèce immor- telle..., op. cit.

17

LAssociationgréco-suisse Jean-Gabriel Eynard est dirigée par un journaliste, Édouard Chapuisat.

Fred Boissonnas et Daniel Baud-Bovy comptent parmi ses premiers membres. Voir uVisions de Grèce ", Journal de Genève,19 févr, 1919, P' 2

18

Marie-Lise Mitsou, " Le Philhellé- nisme bavarois et la , Grande ldée ) ),

Revue ge rm an i q ue i nte rn ati o n al e, no 1-2,2005, pp.35-44.

19

Voir notamment Eleana Yalouri, The Acropolis. Global Fame, Local C/aim, Oxford/New York, Berg, 2001 ,

p, 36.

20

lbidem

21

Sophie Basch qualifie ce rejet de n mishellénisme, dans Le Mirage grec..., op. cit.

22

lbid.,p.272.

23

M. Llewellyn Smith, "Venizelos' Diplomacy,..,,, art. cité.

24

M. MacMillan, Les Arfisans de Ia paix...,op. cit., p. 460.

25

E, Yalouri, The Acropolis..., op. clf., p. 89,

26

Son travail avait acquis une reconnaissance publique lors de I'Exposition nationale suisse de 1896 et de I'Exposition universelle de Paris en 1900 où il reçut une médaille d'or.

27

Le professeur à I'université dAthènes André Andréadès projêtte par exemple la carte des demandes de Venizélos, A. Andréadès, u La Grèce devant le Congrès", in F, Boissonnas, LaGrèce immortelle...,op. cit., p. 193.

28

E. Yalouri, The Acropolis.

op. cit.

29

/brd,, p. 89.

30

A. Fenet, < Ruines et archéologie.

Le front, un terrain culturel?r, in Vu du front. Représenter la Grande Guerre, cat. exp., Paris, Bibliothèque de documentation internationale contem- poraine/musée de lArmée, Somogy éditions dArt, 2014

31

M. MacMillan, Les Arfisans de la paix. . . , op. cit., p. 462.

32

É. Chapuisat, "Visions de Grèce..,,,, art. cité.

33

Théophile Homolle, " Le génie grec dans I'artr, rn F, Boissonnas (dir.), La Grèce immortelle..., op. cit., p. 1.

34

Umberto Boccioni, ln exposition de sculpture futuriste du peintre et sculpteur futuriste Boccioni du 20 juin au 16 juittet, Paris, Galerie La Boëtie,'1918,

39

la veille de la guerre, le monde extérieur, pour nous autres Français, n'était guère qu'un spectacle cinématographique à I'usage de bourgeois retirés des affaires, Eh bien non ! La France n'est pas retirée des affaires, Elle vient de le prouver par sa victoire." Louis Bertrand,

" La Grèce du soleil et des paysages

", ln E Boissonnas, La Grèce immortelle..., op. cit., p. 258.

40

Voir notamment Hercules Papaioannou, "The Picture of Greece>, rn E. Sohier et N. Crispini, Fred Borssonnas.. ., op. cit., pp. 147-1 60.

Seulement vingt pour-cent de ses images prises en Grèce auraient pour sujet les vestiges antiques (/bid., p, 150),

41

A. Andréadès, ,. La Grèce devant le Congrès ", art. cité, p. 21 8,

42

Voir Sophie Basch (dir.), Portraits de Victor Bérard,Athènes, École française dAthènes, 2015, et Estelle Sohier, u L'OdYssée comme document géographique, Entre fiction et projet scientifique, I'enquête de Fred Boissonnas et de Victor Bérard sur les traces d'Ulysse (19121 ", Annales

de géographie, no 709-710, 2016, pp, 333-359,

43

D. Baud-Bovy, uLe plus haut sommet de l'Olympeu, ln F. Boissonnas, La Grèce immortelle, . . , op. cit. ,

pp,41-87.

44

François Walter, Les Figures paysagères de la nation. Territoire et paysage en Europe (XVF-XX sêc/ej, Paris, éditions de l'EHESS,2OO4.

Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales. Europe, XVlll"-

XX

siècle, Paris, Seuil, 2001. Sur la notion de haut-lieu, lire en particulier Bernard Debarbieux, u Du haut lieu en général et du mont Blanc en particu lier ), Espace géog raph iq ue,

t,22,no 1, 1993, pp,5-13.

45

Lettre à tapuscrite adressée par Daniel Baud-Bovy à Fred Boissonnas et transmise au gouvernement grec le 29 oct. 1918. Une lettre de Boissonnas adressée au consul de Grèce à Genève le 28 oct. 1918 décrit, de même, les

avantages de la création d'un "office de propagande par l'image r. Archives du ministère des Affaires étrangères de Grèce, Athènes, dossier 1922-98, pochette 4-2-2.

46

Lire en particulier Costanza Caraffa etTiziana Serena (dir,), Phofo Archives and the ldea of Nation,

Berlin/Munich, De Gruyter, 201 5.

47

Claire-Lise Debluë, Exposer pour exporter. Culture visuelle et expansion commerciale en Suisse

(1 908-1 939), Neuchâtel, Alphil-Presses universitaires suisses, 201 5,

48

A, Andréadès, (( La Grèce devant le Congrès..,>, art. cité, pp, 195-196.

49

Olivier Lugon, * lntroduction

',

in ld., Exposition et médias. Photo-

g raphie, ci néma, télévision, Lausanne, LÂge d'Homme,2012, p. 11.

50

Ulrich Pohlmann, ( ( Harmon'e entre art et industrie r. Sur l'histoire des premières expositions photo- graphiques de 1839 à 1911 ", in ld., Exposition et médias..., op. cit., pp, 29-62.

51

Pour la liste de ses participations et des récompenses obtenues, voir E. Sohier et N. Crispini, Fred Bolssonnas.. ., op. cit., pp. 206-211.

52

F. Boissonnas, La Grèce immortelle..., op. cit., pp.2,92 et 187.

53

Vanessa R. Schwartz,

" Le XlX" siècle au prisme des Visual Sfudies, Entretien de Ouentin Deluermoz et Emmanuel Fureix avec Manuel Charpy, Christian Joschke, Ségolène Le Men, Neil McWilliam, Vanessa R. SChwartz rr, Revue d'histoire du XIX slèc/e, no 49,2014, pp, 139{75,

54

M. Llewellyn Smith, <Venizelos' Diplomacy.,,,,, art. cité, p, 161.

35

M, Llewellyn Smith, "Venizelos' Diplomacy...,,, art. cité, p. 163,

36

F. Boissonnas , Rapport de l'exposition...,op. cif., p. 11.

37

M, MacMillan, Les Arfisans de la paix..., op. cit.

38

VanessaR.schwartz,spectacular Rea/ities, Early Mass-Cutture in Fin-

]::Sêc/e Paris, Berkel ey, U n iversity of California press, 1gg'g,

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Léternité

en photographie

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