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Bien des choses chez les caisses

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Academic year: 2022

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Il s’en passe des choses, ces temps, dans le monde des assureurs. Pas une semaine sans une révélation. Mais qui s’en inquiète encore ? La tendance est à la résignation. Il n’y aurait rien à dire sur le transfert de centaines de mil­

lions de réserves accumulées par les assurés des cantons romands aux alémaniques. Pas plus d’ailleurs qu’il ne faudrait réagir aux enri­

chissements liés à une fusion entre deux cais­

ses, s’intéresser aux salaires des dirigeants, aux manières de placer l’argent des réserves, etc.

La seule chose à faire, l’urgence absolue du moment, c’est, selon une fascinante unanimité politique, de généraliser le managed care.

N’y a­t­il donc rien à entreprendre en regard de cette maladie au sommet du système de santé ? Faut­il fermer les yeux sur ces scan­

dales qui émergent : dire tant pis, progressons vers le futur radieux du managed care sous la houlette des caisses telles qu’elles existent ? Elles semblent si propres, ces caisses, leurs bâtiments sont si beaux, leurs managers si semblables aux autres managers, leurs mœurs finalement si communes, que cela rassure tout le monde, hors cette petite coterie de râleurs nostalgiques que sont les médecins (râleurs, certes, mais surtout lucides).

Bref, s’ils veulent éviter de finir complètement à côté de leur métier, agents de soins, aide­tech­

niciens réparateurs de la norme, accompa­

gnateurs de personnes dysfonctionnantes ou auxiliaires de proximité de la souffrance citoyen­

ne, tout cela au service de grandes caisses­

maladie gentilles communicatrices et pleines de générosité envers nos parlementaires de milice, les médecins doivent prendre le lead de la rébellion. Et rapidement.

Ils ont décidé de lancer – c’est pour bientôt – une initiative demandant la séparation des as­

surances de base et complémentaires. Excel­

lent. Mais la partie est loin d’être gagnée, tant est grande l’asymétrie des forces de communi­

cation avec les assureurs. Car ceux­ci savent que l’influence se joue sur l’image. Que la réa­

lité importe peu, même lors qu’elle prend la for­

me de scandales : dans le monde actuel, c’est parole contre parole, ima ge contre image.

Alors, ils communiquent. Et pas un peu : non, énormément. A la mesure des gigantes­

ques fonds dont ils disposent sans limite ni con trôle. Ces fonds leur procurent une capa­

cité inouïe d’influence. Aucun parti, aucune as­

sociation, aucun syndicat de notre petite démo­

cratie helvétique ne dispose de moyens pareils pour faire valoir son point de vue. Et le hic, c’est que ces moyens ne découlent pas d’une activité économique propre mais sont directe­

ment issus des primes destinées à l’une des

réalisations les plus nobles de notre société, le système de solidarité face à la maladie.

Il paraît que la population suisse connaît mal ses assureurs maladie. C’est du moins ce que disait la semaine dernière Claude Ruey, président de santésuisse, qui annonçait le prochain lance­

ment d’une campagne d’information. Son but : lui faire savoir, à cette population, ce qu’elle doit penser de ses assurances maladie. Car «mal connaître», ça veut dire qu’elle n’y voit pas que du bien. Pour éliminer cette réticence, santésuis se a décidé de mettre le paquet. Le nom de l’opéra­

tion – «toujours­avec­vous.ch» – indique à quel point la campagne va faire dans la nuance ex­

plicative. C’est comme «santésuisse» : ça res­

semble à un canular, mais c’est de la com sérieu se, du positif vendeur testé par de gran­

des agen ces. Et cette merveilleuse et riante campagne, qui en plus de dorer leur image soutiendra financièrement, par des insertions payantes, les «bons» médias (ceux qui évitent de déranger les caisses), combien coû tera­t­

elle ? Environ 1,2 cen time par primes, expli­

quait Claude Ruey, président de santésuisse.

Outre que cette déclaration ne veut rien dire –

«par prime» : donc à multiplier par douze pour une année ? – nul ne pourra jamais en vérifier la véracité. Ce que les assurances dépensent pour leur marketing, promotion, relations pu­

bliques et politiques est secret.

Les caisses souhaitent par ailleurs faire sa­

voir urbi et orbi qu’elles n’ont pas de but lucratif.

Petite question : est­ce si sûr ? Est­ce si sim­

ple ? Et les actionnaires ? Et les directeurs, ad­

ministrateurs ? Et, surtout, le jeu du placement des réserves, les transferts d’argent avec la partie privée ? Pas un mot là­dessus.

Un petit bilan – non exhaustif – des différents systèmes enchevêtrés de communication, uti­

lisés par les caisses­maladie et tous financés avec l’argent de l’assurance maladie sociale ? Voici :

– publications, journaux, prospectus directe­

ment envoyés à chaque assuré ;

– promotion d’avantages, réductions et entrées gratuites à divers services, rendus par des so­

ciétés qui, en retour, transmettent les messa­

ges des caisses ;

– services de communication liés à chaque caisse, employant des dizaines de personnes, en plus de l’activité menée ensemble dans le cadre de santésuisse ;

– envois continuels de communiqués de pres se aux journalistes. Organisation de grands col­

loques, production de brochures et de jour­

naux de propagande destinés aux décideurs ; – insertions publicitaires de toutes sortes, à la

télévision et dans les autres médias ; – enquêtes régulières et évidemment orien­

tées vers les intérêts des caisses ;

– soutien financier (idéologiquement intéres­

sé) de sites de comparaison de primes, tels comparis.ch ;

– organisation de campagnes d’information­

promotion ;

– investissement des réserves dans des grou­

pes de médias. C’est le point le plus obscur de cette stratégie globale de communication. Le Groupe Mutuel, par exemple, a investi des ré­

serves dans Edipresse. Nul ne sait combien, pas plus que quiconque ne peut dire où com­

mence et où s’arrête le jeu d’influence média­

tique des caisses via le placement des ré­

serves. Ont­elles par exemple des participa­

tions dans les journaux gratuits ?

– Soutien humain, logistique, émotionnel des parlementaires : avec des lobbyistes présents à Berne pour les grands assureurs et pour santésuisse, qui ne cessent d’inviter les parle­

mentaires dans des palaces, de leur expliquer ce qu’ils doivent voter, de leur acheter, très cher, des «conseils», ou, mieux, de les nommer dans les conseils d’administration.

Et tout cela a fini par imposer une véritable doxa.

Plus personne ne met en question le train de vie des assureurs, leur arrogance vis­à­vis des pa­

tients et des médecins. On commence à ac­

cepter – qui crie encore au scandale ? – que les hausses annoncées (11% pour l’année prochai­

ne) n’aient rien à voir avec la réalité constatée de manière objective. Les assureurs menacent, avec leur transfert de réserves vers la Suisse alémanique, d’un des plus gros coups de force confédéral jamais pratiqué. Mais même cette pratique, pourtant si clairement injuste, apparaît incapable de susciter une réaction : les médias et les politiciens semblent impuissants face à ces partenaires manipulateurs et autocentrés.

Par­dessus tout, on évite de se poser des questions sur l’essentiel : quel est le but du sys­

tème de santé ? Qui est encore en mesure non seulement de contrôler les contrôleurs (les cais­

ses) mais aussi de leur imposer une finalité ? Certaines caisses viennent de désobéir à l’OFSP qui leur a demandé d’attendre avant de publier leurs prévisions de hausses de primes pour 2011.

La plupart se rient ouvertement des Con seils d’Etat qui les interpellent. Elles se sentent tou tes puissantes. Or, oui, qu’elles roulent ainsi les mé­

caniques devant les institutions dont elles dépen­

dent, c’est inquiétant, très inquiétant, non seule­

ment pour l’avenir de la médecine, mais aussi pour celui de notre démocratie.

Bertrand Kiefer

Bloc-notes

1688 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 8 septembre 2010

Bien des choses chez les caisses

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