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Constitutions nationales et Constitution européenne : Suisse

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Constitutions nationales et Constitution européenne : Suisse

HOTTELIER, Michel

HOTTELIER, Michel. Constitutions nationales et Constitution européenne : Suisse. Annuaire international de justice constitutionnelle, 2006, vol. 21-2005, p. 255-264

DOI : 10.3406/aijc.2006.1803

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:6046

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Suisse

M. Michel Hottelier

Citer ce document / Cite this document :

Hottelier Michel. Suisse. In: Annuaire international de justice constitutionnelle, 21-2005, 2006. Constitutions nationales et Constitution européenne – Autonomies locales et Constitutions. pp. 255-264;

doi : https://doi.org/10.3406/aijc.2006.1803

https://www.persee.fr/doc/aijc_0995-3817_2006_num_21_2005_1803

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TABLE RONDE CONSTITUTIONS NATIONALES ET CONSTITUTION EUROPÉENNE

SUISSE

par Michel HOTTELIER *

INTRODUCTION

l.La Suisse n'est pas membre de l'Union européenne. Une demande d'adhésion a certes été déposée par le Conseil fédéral au mois de mai 1992. Cette demande est toutefois gelée depuis lors, en raison du résultat négatif enregistré devant le peuple et les cantons lors du scrutin du 6 décembre 1992, au sujet de l'adhésion de la Suisse à l'Espace économique européen l.

2. Depuis cette date, c'est la voie dite « bilatérale » qui a été privilégiée pour tenter de rapprocher, si l'on peut dire, la Suisse de l'Union et normaliser leurs rapports. A l'heure actuelle, la Suisse est ainsi liée à la Communauté d'une part et aux quinze Etats qui la composaient alors, par sept accords sectoriels conclus le 21 juin 1999 et entrés en vigueur le 1er juin 2002, qui concernent des domaines fort différents 2 . Plus récemment, une seconde vague comprenant huit nouveaux accords sectoriels a suivi Au nombre de ces derniers, le peuple suisse a entériné, en date du 5 juin 2005, l'adhésion de la Confédération aux Accords de Schengen, relatif à la suppression des contrôles aux frontières intérieurs et de Dublin, au sujet de la politique d'asile 4. Et le 25 septembre 2005, a eu lieu un autre scrutin populaire au cours duquel l'extension de l'Accord sur la libre circulation des personnes aux dix nouveaux États qui ont rejoint l'Union en date du 1er mai 2004 a également été approuvée 5.

* Professeur à l'Université de Genève.

1 Feuille fédérale de la Confédération suisse (FF) 1993 I 147 ; l'arrêté de l'Assemblée fédérale prévoyant l'adhésion de la Suisse à l'EEE, du 9 octobre 1992, est publié à la FF 1992 VI 53 ; le message du Conseil fédéral présenté à l'appui de cet arrêté est paru à la FF 1992 IV 1. La Feuille fédérale peut être consultée sur le site Internet www.admin.ch.

2 Accord sur la libre circulation des personnes, les marchés publics, la coopération scientifique et technologique, le transport ferroviaire et routier, le transport aérien, l'agriculture et les obstacles techniques au commerce. Voir Recueil officiel du droit fédéral suisse (RO ) 2002 1527 ; FF 1999 5440.

3 FF 2004 5593.

4 FF 2005 4891 ; FF 2004 5693.

5 Les six autres accords bilatéraux sont appliqués d'office à ces Etats depuis le 1er mai 2004 ; FF 2004 5529.

Annuaire international de justice constitutionnelle, XXI-2005

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3. Pour l'heure, et sans doute avant longtemps, la Suisse n'est pas concernée par le Traité établissant une constitution pour l'Europe (TECE). Ce d'autant plus que, le 4 mars 2001, le peuple et les cantons ont massivement rejeté une initiative populaire tendant à la révision de la Constitution fédérale, déposée le 30 juillet 1996, qui avait précisément pour objet l'adhésion rapide de la Suisse à l'Union (initiative « Oui à l'Europe ») 6. À l'heure actuelle, certaines voix se font même entendre sur la scène politique pour que la demande d'adhésion de la Suisse soit purement et simplement retirée.

4. L'intérêt d'un examen des rapports entre le droit suisse et le TECE n'en est pas moins digne d'intérêt, ne serait-ce que pour présenter les enjeux constitutionnels et institutionnels portant sur l'ouverture du système suisse au droit international.

Dans les lignes qui suivent, on fera donc comme si le TECE allait prochainement entrer en vigueur. Comme si la Suisse envisageait de le ratifier et comme si l'instrument était appelé à déployer des effets sur le plan du droit fédéral et de celui des cantons. C'est aussi pourquoi l'emploi du conditionnel sera fréquent dans les lignes qui suivent 7 .

I. LA RATIFICATION ET L'INSERTION DU TECE DANS L'ORDRE JURIDIQUE SUISSE

A - La procédure d'approbation et de ratification

5. Quelque fondamental qu'il s'avère, le TECE verrait sa ratification par la Suisse obéir aux règles traditionnellement applicables aux traités internationaux telles qu'elles sont prévues par la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst.) 8.

6. En Suisse, conformément à l'article 184 alinéa 2 Cst., c'est le Conseil fédéral qui détient le treaty making power. En d'autres termes, c'est le gouvernement fédéral qui négocie, signe et ratifie les instruments internationaux auxquels la Confédération décide de souscrire. Il existe, cela étant, diverses catégories de traités qui, en fonction de leur importance, voient la procédure qui conduit à leur ratification mobiliser un nombre variable d'acteurs institutionnels : le Conseil fédéral, le Parlement fédéral, le peuple, ou encore, mais c'est beaucoup plus rare, le constituant lui-même, c'est-à-dire le peuple et les cantons 9.

7. On peut se douter qu'en fonction de sa portée et de son importance, que traduisent à titre comparatif les procédures suivies en Espagne, en France, aux Pays- Bas et au Luxembourg, le TECE entrerait légitimement dans la catégorie des traités pour lesquels une procédure particulièrement démocratique serait applicable. En Suisse, cette procédure est prévue à l'article 140 alinéa 1, lettre b, Cst. À teneur de

6 L'initiative a été rejetée par 76,8 % des voix du peuple et par l'ensemble des cantons.

7 La question de la conformité du droit suisse au droit communautaire et, en particulier, celle des conséquences sur le terrain constitutionnel d'une adhésion de la Suisse à l'Europe communautaire a abondamment été traitée en doctrine, dès que la perspective d'une adhésion à l'Espace économique européen a pris corps, à la fin des années 1980. Voir - entre autres - Arnold KOLLER, « L'Europe, chances et défis pour la Suisse », La Semaine judiciaire (SJ) 1991, p. 359-373 ; Andreas AUER, « La démocratie directe face à l'intégration européenne », SJ 1991, p.374-397 ; Christian DOMINICÉ, « La neutralité de la Suisse au carrefour de l'Europe », SJ 1991, p. 398-433 ; Biaise KNAPP, « Quel fédéralisme pour quelle Europe?», SJ 1991, p. 436-455 ; Olivier J ACOT-GUILL ARMOD (éd.), L'avenir du libre-échange en Europe : vers un Espace économique européen ?, Zurich/Berne 1990.

8 Recueil systématique du droit fédéral suisse (RS ) 101.

9 éd., Berne 2006, n° 1274 ss. Sur les modalités qui entourent la procédure de conclusion des traités internationaux en Suisse, voir Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I, L'État, 2e

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SUISSE 23 7 cette disposition, l'adhésion à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales est soumise au vote du peuple et des cantons.

8. Le référendum conventionnel prévu à l'article 140 alinéa 1, lettre b, Cst.

présente plusieurs caractéristiques. Il est en premier lieu obligatoire , en ce qu'il échappe au bon vouloir des autorités : institué par la Constitution elle-même, ce type de référendum est organisé sans avoir besoin d'être déclenché par une autorité ou une fraction du corps électoral. Il a, en d'autres termes, lieu d'office. Le référendum conventionnel obligatoire implique en outre une double majorité : celle des voix du peuple d'une part et celle des cantons d'autre part, conformément à l'article 142 Cst.

Il est aussi constitutif, en tant que son résultat lie juridiquement les autorités. Quelles que soient leurs convictions, celles-ci doivent par conséquent se soumettre au résultat issu des urnes, par opposition à un éventuel référendum de type consultatif — du reste inconnu du droit suisse -, qui ne présenterait qu'un caractère indicatif. Le référendum conventionnel obligatoire est encore suspensif, dès lors que l'arrêté de l'Assemblée fédérale autorisant le Conseil fédéral à entamer la procédure de ratification ne saurait entrer en vigueur tant qu'il n'a pas recueilli l'aval d'une majorité des voix du peuple et des cantons. Enfin, ce type de référendum est exclusif : dès lors qu'un traité international relève de l'un des actes visés par l'article 140 alinéa 1, lettre b, Cst., c'est cette procédure, et elle seule, qui doit être suivie pour valider l'approbation parlementaire de l'instrument en question. La réglementation du référendum qui figure dans la Constitution fédérale présente en d'autres termes

un caractère impératif 10.

9-Le référendum conventionnel est également prévu pour d'autres types de traités internationaux, qui affichent une importance moindre et dont l'adoption obéit, par voie de conséquence, à une procédure sensiblement plus souple. Ces traités-là sont énumérés à l'article 14 1 lettre d Cst. Il s'agit des traités qui sont d'une durée indéterminée et ne sont pas dénonçables, des traités qui prévoient l'adhésion de la Suisse à une organisation internationale et de ceux qui contiennent des dispositions importantes fixant des règles de droit ou dont la mise en œuvre exige

l'adoption de lois fédérales 11 .

10. Pour les traités soumis à l'article 141 lettre d Cst., le référendum ne présente qu'un caractère facultatif : pour avoir lieu, il doit avoir été demandé soit par 50 000 citoyens, soit par huit cantons, dans un délai de cent jours suivant leur approbation par l'Assemblée fédérale. Et lorsqu'il a lieu, son résultat ne suppose l'obtention que d'une majorité des voix du peuple. Les voix des cantons ne sont nullement prises en considération pour valider le scrutin.

11. Le jeu du référendum conventionnel affiché aux articles 140 alinéa 1, lettre b, et 141 lettre d Cst. révèle trois types d'organisations internationales dont le statut juridique se distingue sur le terrain constitutionnel. L'adhésion à des organisations internationales classiques (FMI, OMC par exemple) est soumise à un arrêté de l'Assemblée fédérale et, si une demande de référendum aboutit, au suffrage du peuple seul. Pour les organisations de sécurité collective qui peuvent, le cas échéant, adopter des mesures collectives contre tout Etat qui commet un acte d'agression à l'égard de l'un de leurs membres (ONU ou OTAN), la phase de l'approbation parlementaire est obligatoirement suivie d'un référendum, qui implique la double 10 Jean-François AUBERT/Pascal MAHON, Petit Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération

suisse du 18 avril 1 999, Zurich 2003, p. 1 104.

11 Le scrutin populaire du 5 juin 2005, qui a porté sur l'adhésion de la Suisse aux Accords de Schengen et de Dublin, de même que celui du 25 septembre 2005 concernant l'extension des Accords bilatéraux aux dix nouveaux États membres de l'Union européenne entrent dans cette dernière catégorie (FF 2004 6685 et 6709).

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majorité des voix du peuple et des cantons. Il en va de même en ce qui concerne l'adhésion de la Suisse à une communauté supranationale, par quoi l'on entend des organisations internationales dont les membres ne sont pas liées par des instructions provenant de leur Etat d'origine, qui prennent leurs décisions à la majorité — et non à l'unanimité - et dont les décisions sont directement applicables sur le territoire des États membres 12 . C'est évidemment, et même exclusivement, à l'Union européenne que se réfère l'article 140 alinéa 1, lettre b, Cst.

12. Pour cette catégorie de traité, le droit suisse combine et cumule ainsi la procédure parlementaire, au cours de laquelle les deux chambres qui composent l'Assemblée fédérale (Conseil national, chambre du peuple, 200 députés ; Conseil des États, chambre des cantons, 46 députés) sont toutes deux appelées, en vertu du système bicaméral parfait qui caractérise le parlement fédéral, à approuver le traité en cause, et la consultation référendaire proprement dite, au cours de laquelle peuple et cantons sont ensuite appelés à s'exprimer.

B - Le contrôle de constitutionnalité du TECE

13 - Contrairement à la procédure prévue par l'article 54 de la Constitution française, il n'existe pas, en droit positif suisse, de contrôle institutionnel exercé par un organe indépendant visant à évaluer la conformité des engagements internationaux par rapport à la Constitution fédérale antérieurement à leur approbation par le parlement. L'article 191 Cst. dispose, en effet, que le Tribunal fédéral, de même que toutes les instances administratives et judiciaires du pays, sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international. L'interprétation traditionnellement conférée à cette disposition empêche, en d'autres termes, l'administration et les juges de refuser d'appliquer une norme internationale déployant ses effets en Suisse au motif qu'elle contrevient à la Constitution.

14. Les éventuels obstacles susceptibles d'opposer un traité international à la Constitution fédérale et, plus largement, au droit interne, sont en principe identifiés et éliminés au cours de la procédure d'approbation parlementaire. Cette particularité permet d'expliquer le temps, souvent considérable, dépensé par les autorités fédérales avant de s'engager sur le terrain international. C'est, en contrepartie, un gage de sérieux et d'efficacité quant au respect ultérieur des instruments en cause au sein de l'ordre juridique suisse. On peut citer à cet égard l'exemple de la Convention européenne des droits de l'homme. À l'époque où une éventuelle ratification de la CEDH a été envisagée par la Suisse, plusieurs dispositions contenues notamment dans la Constitution fédérale étaient, en effet, manifestement incompatibles avec certaines garanties contenues dans cet instrument. C'est pourquoi plusieurs années ont été nécessaires avant de finaliser l'engagement de la Suisse sur le terrain européen, en procédant, en particulier, aux adaptations idoines de la Constitution fédérale13. En cas d'incompatibilité persistante, la formulation d'une réserve au traité peut aussi être de nature à régler le problème.

15. La situation se présente sous un jour plus délicat lorsqu'un conflit entre une norme constitutionnelle et un instrument international se fait jour ultérieurement. Tel peut être le cas si la Constitution fédérale fait, après la ratification du traité, l'objet d'une révision partielle, dont le contenu se révèle

12 FF 1974 II 1157.

13 Introduction, par exemple, du suffrage féminin sur le plan fédéral, abrogation des articles dits

« confessionnels » qui, à l'époque, stigmatisaient et pénalisaient encore la religion catholique. Sur l'ensemble, voir Michel HOTTELIER/Hanspeter MOCK/Michel PUÉCHAVY, La Suisse devant la Cour européenne des droits de l'homme , Bruxelles 2005, p. 23 et les références citées.

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SUISSE 259 incompatible avec celui-ci. En pareille hypothèse, la pratique de l'interprétation du droit interne de manière conforme au droit international peut être de nature à aplanir d'éventuelles incompatibilités. En cas de conflit irréductible entre le droit interne et le droit international, le procédé peut cependant s'avérer insuffisant. Le problème s'accentue si l'instrument international est lui-même passible d'une procédure juridictionnelle de contrôle de rang supra étatique, à l'image de la CEDH par exemple. En pareille hypothèse, c'est à notre sens le droit international qui doit l'emporter, compte tenu d'une part de la primauté que ce droit déploie sur le droit interne et, d'autre part, de l'impossibilité pour un Etat de se prévaloir des caractéristiques propres à son ordre juridique pour faire échec à la mise en œuvre d'un engagement international auquel il a librement décidé d'adhérer.

16. Sur un plan plus large, le contrôle de la conformité du droit suisse au droit international, également appelé contrôle de la conventionnalité, peut être pratiqué par l'ensemble des instances internes, administratives et judiciaires. Le système suisse repose, comme en matière de juridiction constitutionnelle, sur le modèle du contrôle diffus. Ce type de contrôle n'est cependant pas inconditionnel, dès lors que seules les normes internationales présentant un caractère directement applicable {self executing, ) sont susceptibles d'être invoquées par le justiciable. Tel est généralement le cas dans le domaine des droits de l'homme, en particulier ceux de la première génération, et dans d'autres domaines également, comme l'entraide judiciaire, le droit fiscal ou encore le droit social.

17. Le contrôle de la conventionnalité se présente différemment selon que l'acte attaqué relève du droit cantonal ou du droit fédéral. S'il relève du droit cantonal, l'acte dont il s'agit de jauger la compatibilité avec le droit supérieur peut faire l'objet aussi bien d'un contrôle abstrait que d'un contrôle concret de la part du Tribunal fédéral. Le contrôle abstrait peut intervenir, sur recours émanant d'un particulier démontrant qu'un acte normatif de rang cantonal est susceptible de l'affecter virtuellement, et ce dans un délai de trente jours à compter de son adoption. Si le recours est admis, c'est l'acte normatif lui-même qui est en principe annulé. Le contrôle concret intervient quant à lui à la faveur de n'importe quelle décision mettant en oeuvre l'acte en cause. S'il est couronné de succès, le recours conduit à l'annulation de la décision attaquée et, le cas échéant, au constat que l'acte normatif sur lequel celle-ci repose contrevient au droit supérieur. S'agissant des actes fédéraux, en revanche, seules les décisions sont attaquables. Il n'existe pas, en droit suisse, de contrôle juridictionnel abstrait de la législation fédérale.

18. Dans l'hypothèse d'une ratification du TECE par la Suisse, un contrôle de la conformité de cet instrument au droit constitutionnel du pays ne serait pas envisageable par voie juridictionnelle. C'est plutôt, en sens inverse, un contrôle de la compatibilité du droit interne à la Constitution européenne qui pourrait, tout au plus, entrer en considération.

19. Les éventuels obstacles juridiques posés par le droit suisse en vue d'une ratification du TECE ne doivent toutefois pas être exclusivement envisagés dans une perspective contentieuse, mais également, en amont de la procédure de ratification proprement dite, dans le cadre du processus d'adaptation du droit — fédéral et cantonal — au droit supérieur. Cette phase se déroule dans un contexte essentiellement politique et passe par la modification de l'ensemble des actes de rang aussi bien fédéral que cantonal aux fins d'harmonisation avec le droit européen. Elle est traditionnelle, car elle intervient chaque fois que l'adhésion de la Suisse à un instrument international d'envergure appelle une mise à niveau du droit national.

20. Cette phase est déjà incontournable à l'heure actuelle pour ce qui concerne l'examen de la compatibilité au droit européen des lois adoptées par

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l'Assemblée fédérale l4. Elle n'en serait pas moins incertaine s'agissant de l'élaboration de normes constitutionnelles et de leur conformité au droit de l'Union : l'instrument du référendum, qu'il soit obligatoire lorsqu'il s'agit de modifier la Constitution fédérale ou bien facultatif lorsqu'il porte sur des lois fédérales, permet en dernier lieu au peuple de sceller le sort de modifications souvent patiemment élaborées et négociées par l'Assemblée fédérale. Dans le système constitutionnel suisse, l'intégration du droit international va ainsi de pair avec un contrôle politique et démocratique étendu.

C. La révision préalable

21. Une révision préalable de la Constitution suisse ou, plus largement, une adaptation du droit interne au droit constitutionnel européen serait au vu de ce qui précède tout à fait envisageable.

22. Il apparaît opportun de préciser, d'une part, que la Constitution fédérale ne connaît pas de limites à sa procédure de révision. Pareille procédure pourrait par conséquent aisément être engagée dans l'hypothèse d'une éventuelle mise à niveau du contenu de la Loi fondamentale aux exigences du droit supérieur. D'autre part, c'est cette voie qui est généralement suivie lorsque la Suisse désire s'engager sur le terrain international, alors que le droit constitutionnel interne ne s'avère pas pleinement compatible avec ce dernier, comme indiqué ci-dessus.

II - L'APPLICATION INTERNE DE LA CONSTITUTION EUROPÉENNE A - Le statut du TECE dans l'ordre juridique suisse

23. La prise d'effet du TECE en Suisse n'interviendrait bien entendu qu'à partir de la ratification de cet instrument par le Conseil fédéral, à l'issue de la procédure d'approbation parlementaire et de la phase référendaire suivant celle-ci,

conformément à l'article 140 alinéa 1, lettre b, Cst.

24. Le droit constitutionnel suisse repose sur une vision moniste des rapports entre le droit interne et le droit international. Ainsi, les traités internationaux, quels que soit leur contenu ou leur importance, déploient leurs effets sur le plan national dès le moment où ils lient la Suisse sur la scène internationale. La ratification du TECE ne ferait pas exception à la règle : la Constitution européenne engagerait la Suisse sur le plan aussi bien national qu'européen dès son entrée en vigueur pour la Confédération, sans que le vote d'un acte spécifique, distinct de la procédure d'approbation, le transformant ou l'intégrant au droit interne, soit requis 15.

25. On s'est durant longtemps interrogé en Suisse sur la place et le rang qu'occupent les traités internationaux au sein de l'ordre juridique interne. Que ces instruments s'avèrent en tout état supérieurs au droit des cantons n'a certes jamais fait de doute : les traités ratifiés par la Suisse font en effet partie du droit fédéral et, à ce titre, l'emportent sur le droit cantonal, conformément à la règle de la primauté du droit fédéral qu'énonce l'article 49 alinéa 1 Cst.

14 L'article 14 1 alinéa 2, lettre a, de la loi sur l'Assemblée fédérale, du 13 décembre 2002 (RS 171.10), fait obligation au Conseil fédéral, lorsqu'il soumet un projet d'acte à l'Assemblée fédérale, de faire en particulier le point sur la compatibilité de ce projet d'acte avec le droit supérieur et sur

« ses relations avec le droit européen » .

15 Sur la structure moniste du droit constitutionnel suisse, voir Arrêt du Tribunal fédéral (ATF) 127 II 177, 181 K. ; 120 Ib 360, 366 V. ; Revue suisse de droit international et européen 1998, p. 635 ; FF 1997 I 136.

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SUISSE 261 26. La question du rang des traités internationaux au sein de l'ordre juridique fédéral lui-même est en revanche plus délicate. De nos jours, la tendance s'inscrit dans le sens d'une primauté du droit international sur le droit fédéral. Ce principe découle, selon la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, « de la nature même de la règle internationale, hiérarchiquement supérieure à toute règle interne » 16 . Il en résulte que le juge ne saurait appliquer une loi fédérale qui, par hypothèse, contreviendrait à un droit fondamental consacré par une convention internationale 17 . L'article 5 alinéa 4 Cst. dispose par ailleurs sans ambiguïté que « la Confédération et les cantons respectent le droit international ». Le TECE repose lui aussi sur la primauté du droit de l'Union sur celui des Etats parties, comme l'indique sans ambiguïté son article 1-6.

27. On trouve encore parfois des vestiges d'une conception contraire à la primauté du droit international, strictement nationaliste et, autant le dire, tristement réductrice et protectionniste, selon laquelle les traités internationaux liant la Suisse ne primeraient pas le droit interne lorsque, lors de l'approbation de l'acte en cause, les Chambres fédérales auraient par exemple sciemment décidé d'adopter une législation s'écartant du droit international. Quelques arrêts épars du Tribunal fédéral énonçant cette vision étriquée des rapports entre le droit interne et le droit international ont été rendus par le passé 18. Ces précédents, qu'il faut espérer isolés et privés de lendemain, doivent être rejetés, dès lors qu'ils contredisent clairement le principe de la primauté du droit international tel qu'il découle en particulier de l'article 5 alinéa 4 Cst. 19. Il s'ensuit qu'en cas de conflit entre le TECE et le droit suisse, c'est bien le premier qui devrait l'emporter sur le second.

28. Les éléments qui précèdent portent sur la problématique de la conformité des lois fédérales au droit international. La question des rapports entre la Constitution fédérale elle-même et un traité est plus complexe et a moins souvent fait l'objet d'analyses. Lorsque le traité international remis en cause par une révision constitutionnelle qui va dans le sens contraire à ses prescriptions n'est pas très important, la pratique, plutôt maigre et ancienne il est vrai, a eu tendance à refuser qu'il puisse représenter une limite matérielle hétéronome à la révision de la Constitution. En pareille hypothèse, la Suisse pourrait envisager de dénoncer l'instrument international en cause ou, dans l'hypothèse contraire, voir sa responsabilité internationale engagée.

29. Lorsqu'en revanche, le traité international mis en cause par une révision constitutionnelle est un engagement important, par exemple un traité portant sur les droits de l'homme, la doctrine a tendance à considérer que la Suisse ne saurait s'en affranchir, fut-ce au prix d'une révision de la Constitution 20. Il en va ainsi pour les normes relevant de règles impératives du droit international (ius cogens). Confirmant une pratique développée à la fin du XXe siècle, la Constitution fédérale pose d'ailleurs le principe selon lequel une révision de la Constitution contraire au ius cogens doit être déclarée nulle et ne saurait, partant, être soumise au vote du peuple et des cantons (articles 193 alinéa 4 et 194 alinéa 2 Cst.). Nous sommes d'avis que la même approche devrait être suivie dans le cas d'un conflit irréductible entre une norme de la Constitution suisse et le TECE.

16 ATF 131V 66, 70 M. ; 122 II 485, 487 S.

17 ATF 131 V 66, 70 M. ; SJ 2005 I 393, 3 94 A. ; 125 II 417, 425 A. ; 119 V 171, 178 X.

18 ATF 129 II 249, 264 A.X. ; 99 Ib 39, 44 Schubert.

19 Auer/Malinverni/HOTTEUER (note 9), n° 1301.

20 AUER/MALINVERNI/HOTTELIER (note 9), n° 1303.

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B - Le TECE et la protection des droits fondamentaux

30. En rendant obligatoire la Charte des droits fondamentaux de l'Union, le TECE est riche d'un catalogue de droits individuels très complet et détaillé, qui opère une synthèse remarquable entre les développements qu'a connus la théorie générale des droits fondamentaux au sein des États parties et les instruments internationaux de protection des droits de l'homme en vigueur au plan européen. Les garanties énoncées par ces différentes sources étant largement concordantes, notamment en ce qui concerne l'objet de la protection qu'elles confèrent, la question de leur articulation et de leur coordination se pose.

31. Depuis fort longtemps, le droit suisse est coutumier de ce que l'on appelle le phénomène du concours ou de la coexistence de droits fondamentaux issus de sources différentes. Sur un plan historique, la question s'est d'abord posée sous l'angle de l'articulation entre les garanties constitutionnelles d'origine cantonale et fédérale. Dès la fin du XIXe siècle déjà, cette problématique a été résolue au moyen d'une règle de conflit implicite, appelée principe de faveur (Gunstigkeitsprinzip ) ou principe de la subsidiarité, selon laquelle seule la garantie offrant la protection la plus étendue à son bénéficiaire doit être appliquée. Le principe de faveur a connu une deuxième jeunesse dans le dernier quart du XXe siècle, lorsque la Suisse a ratifié la CEDH, puis le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

32. Aujourd'hui, conformément à une pratique bien rodée, qui voit coexister en Suisse plusieurs niveaux de protection des droits individuels et qui traduit également la grande diversité des standards de protection qui règne en la matière, c'est toujours le principe de faveur qui est appelé à régler les cas dans lesquels des garanties issues d'horizons distincts sont simultanément invoquées par le justiciable.

Rien n'empêcherait de penser qu'il devrait en aller différemment au sujet des droits fondamentaux proclamés par le TECE.

33. Pour l'heure, au terme de quelque trente ans d'application de la CEDH dans l'ordre juridique suisse, la tendance qui résulte de la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de concours entre droits fondamentaux et CEDH va plutôt dans le sens d'une application soutenue des premiers, tout en faisant très souvent référence, à titre complémentaire, à la Convention et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Aussi, plus que d'une hiérarchisation, c'est plutôt d'une harmonisation et d'une coordination entre les droits fondamentaux et les droits de l'homme qu'il convient de parler. Là également, rien n'empêche de penser que le souffle humaniste qui imprègne les droits individuels contenus dans le TECE puisse exercer une influence sur le droit interne.

34. Au vu de ce qui précède, il est difficile d'affirmer d'emblée quel droit devrait primer dans l'hypothèse où, pour trouver simultanément application, des garanties contenues à la fois dans la Constitution fédérale, dans la CEDH ou dans le TECE viendraient à entrer en concours. Il n'est d'ailleurs pas certain que les cas de concours de ce genre soient légion, dès lors que les droits individuels énoncés par le TECE ne se situent pas aux antipodes des valeurs de la CEDH et des traditions constitutionnelles propres aux Etats parties, ainsi que le souligne l'article 1-9 paragraphe 3 TECE.

35. La résolution d'un cas de coexistence entre ces différentes sources normatives passerait, en tout état, par l'identification préalable et la qualification juridique du cas de concours, puis par une analyse serrée des normes en cause, compte tenu de leur portée respective (champ d'application personnel et matériel, notamment), des conditions susceptibles de limiter leur exercice, ainsi bien entendu que de l'ensemble des particularités propres au cas d'espèce.

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III. TECE ET PROCESSUS CONSTITUANT

36. La nature juridique du TECE pose d'intéressants problèmes de qualification, qui permettent de s'interroger sur la classification et les critères généralement retenus pour structurer et ordonner les actes normatifs. On peut en l'occurrence se demander si le TECE est plutôt une constitution, un traité ou un acte sui generis.

37. Sur un plan formel, que le TECE soit un traité ne fait guère de doute.

Aussi bien sous l'angle de son intitulé, de sa procédure d'adoption ou encore de son contenu, cet instrument rassemble en effet tous les éléments classiques propres aux traités internationaux.

38. Comme son titre le mentionne expressément, le TECE se présente en premier lieu comme un traité. Acte de droit international, il a par ailleurs, ainsi que le souligne son préambule, été élaboré et ouvert à la signature des Etats membres de l'Union européenne. Les procédures d'approbation engagées au sein des Etats en vue de sa ratification se présentent elles aussi sans conteste comme des phases d'approbation caractéristiques de la procédure d'adoption des traités internationaux.

39-En droit suisse, comme mentionné précédemment, deux types de traités voient leur procédure d'adoption obéir aux règles applicables en matière de révision de la Constitution. Il s'agit des traités prévoyant l'adhésion de la Suisse à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales (article 140 alinéa 1, lettre b, Cst.). C'est cette procédure spécifique qui permet de soumettre l'acte d'approbation d'instruments de ce genre au référendum obligatoire, nécessitant de surcroît la double majorité des voix du peuple et des cantons. En dépit de leur procédure d'adoption, typiquement constitutionnelle, les actes visés par l'article 140 alinéa 1, lettre b, Cst. se présentent comme et demeurent des traités internationaux.

40. Au vu de ce qui précède, c'est plutôt sous l'angle de son contenu que le TECE intéresse la notion de Constitution. On sait que, conformément à la conception classique, la Constitution se définit comme l'ensemble des dispositions et des règles qui forment l'ossature d'un Etat. L'élément matériel rejoint, pour la circonstance, l'élément formel : en d'autres termes, c'est parce que les principes de base de l'Etat sont fondamentaux que leur assise juridique appelle une législation du plus haut degré qui, en raison de la supériorité que lui procure sa procédure d'élaboration, l'emporte sur l'ensemble des autres actes normatifs et qui, corrélativement, ne saurait subir de modifications par le biais d'une procédure ordinaire, telle que la procédure d'adoption des lois.

41. Considéré sous l'angle matériel, on peut difficilement dénier au TECE le statut d'instrument constitutionnel. Son contenu rassemble indéniablement les éléments qui sont traditionnellement retenus pour caractériser les lois constitutionnelles fondatrices d'une collectivité organisée : on y trouve une liste, au reste remarquablement rédigée, de droits individuels ; des règles institutionnelles relatives à ses organes ; des dispositions qui réglementent les politiques suivies par l'Union, de même que son fonctionnement ; des institutions financières, politiques et judiciaires. Il s'agit, sans conteste, d'un acte achevé possédant une nature constitutionnelle.

42. Le TECE révèle deux particularités souvent négligées du phénomène constitutionnel. D'une part, la notion de constitution n'est plus l'apanage des Etats.

Au plan supra-étatique se sont développées des organisations et des institutions qui, elles aussi, ont besoin d'un texte fondateur, qui leur donne corps, définit leurs

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instances, leurs compétences et fixe les limites à l'exercice de leurs compétences.

D'autre part, à la notion classique de constitution au sens formel et matériel vient s'ajouter un troisième élément, fréquemment méconnu tant il est évident : celui de constitution instrumentale , par quoi il faut entendre un ensemble cohérent de règles qui sont réunies dans un document unique.

43. Ainsi conçue, la notion de constitution ne se limite plus au seul niveau étatique. Le concept déborde le cadre strictement national, pour s'étendre désormais à la communauté internationale et régir le statut d'organisations dont l'acte fondateur, à la fois complet et complexe, ne se limite pas à leur donner corps, mais énonce de manière détaillée le cadre de leur action, leurs compétences, leurs relations avec les États membres, de même que les limites opposables à leur action.

44. En cas de conflit entre le TECE et des normes constitutionnelles d'origine interne, deux situations devraient être distinguées, selon que les dispositions en cause présentent un caractère directement applicable (self executing) ou non. Dans le premier cas, les normes européennes s'imposeraient d'office et pourraient être invoquées directement devant les instances nationales, sans autre acte interne d'exécution. Tel est en particulier le cas des droits fondamentaux, dès lors que la protection des intérêts individuels qui les caractérise fonde du même coup un intérêt juridique qui suffit à permettre leur invocation devant les instances nationales, voire internationales, par leurs titulaires. Dans le second cas, c'est par le biais soit d'une interprétation du droit interne compatible avec le droit supérieur, soit par le biais d'une modification ad hoc des normes nationales, que l'harmonie entre les deux niveaux normatifs devrait être assurée.

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