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Un nom qui fait rêver. Le Lotus Bleu est encore dans les mémoires, mais il y

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Shanghai, mégapole maritime

Emmanuel Desclèves

Vice-amiral, de l’Académie de marine.

U

n nom qui fait rêver. Le Lotus Bleuest encore dans les mémoires, mais il y a aussi cette extraordinaire métropole de tous les superlatifs qui a ravi ces dernières années la vedette à Singapour, Dubaï ou Hong Kong.

Dans l’histoire de la Chine, Shanghai n’est presque rien : petite bourgade de pêcheurs et de commerçants en tissus sur la rive gauche du fleuve Huangpu – qui se jette plus au nord dans le Yangzi à son embouchure sur la mer de Chine – avec son enceinte circulaire et ses portes d’accès aujourd’hui refaites à neuf, mais qui restent bien modestes au regard des traditionnelles villes fortifiées chinoises.

Il faut visiter Nankin, environ 350 km à l’intérieur sur la rive sud du Yangzi, pour comprendre ce qu’était la Chine bien avant la naissance du Shanghai d’aujourd’hui. Construits entre 1360 et 1380, les remparts d’enceinte de cette capitale des premiers empereurs Ming (avant Pékin) faisaient 32 km de tour. Il en reste une bonne vingtaine. Rien à voir cependant avec Carcassonne ou Avignon : il s’agit là en effet de murs d’environ 8 à 12 m de hauteur au sommet desquels se déroule une véritable chaussée pavée de 10 à 20 mètres de large que l’on pouvait emprunter à plusieurs chevaux de front. Des portes monumentales, parfois doubles ou triples, viennent marquer les principaux passages, notamment aux quatre points cardinaux. Le terme « monumental » se réfère ici à des constructions qui peuvent atteindre la taille de l’Arc de Triomphe, comme à Pékin ou à Xi’an. Cette capitale impériale s’étendait donc au XIVesiècle sur une surface équivalente à celle du Paris intramuros du XXIesiècle.

Revenons à cette minuscule ville de Shanghai, à l’échelle de la Chine tout de même, construite sur les bords d’un fleuve qui fait quatre fois la largeur de la Seine.

La concession française

Le 20 mai 1847, Charles de Montigny embarque avec sa famille à bord du Duguay-Trouin pour établir un Consulat à Shanghai et négocier avec les Chinois l’établissement d’une concession territoriale de droit français. Trois ans auparavant, il avait accompagné l’émissaire du roi Louis-Philippe pour la signature du traité par lequel les puissances occidentales avaient exigé l’ouverture de cinq ports chinois – dont Shanghai – au commerce étranger. Conséquence directe des guerres de

APPROCHES RÉGIONALES

Revue Défense Nationale n° 810 - mai 2018

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LES GUERRES DE L’OPIUM EN CHINE

« (...) Les lois interdisant la consommation de l’opium sont maintenant si sévères en Chine que si vous continuez à le fabriquer, vous découvrirez que personne ne l’achètera et qu’aucune fortune ne se fera par l’opium. (...) Tout l’opium qui est découvert en Chine est jeté dans l’huile bouillante et détruit. Tout bateau étranger qui, à l’avenir, viendra avec de l’opium à son bord, sera mis à feu, et tous les autres biens qu’il transportera seront inévitablement brûlés en même temps. Alors, non seulement vous ne parviendrez pas à tirer quelque profit de nous, mais vous vous ruinerez dans l’affaire. Ayant voulu nuire à autrui, vous serez la première à en souffrir. Notre Cour Céleste n’aurait pas gagné l’allégeance d’innombrables pays si elle n’exerçait un pouvoir surhumain. Ne dites pas que vous n’avez pas été avertie à temps. À la réception de cette lettre, Votre Majesté sera assez bonne pour me faire savoir immédiatement les mesures qui auront été prises (...). »

Lettre du commissaire impérial extraordinaire Lin Zexu à la reine Victoria, 1839.

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91 Les premières limites de la concession française sont établies en 1849, entre

la ville chinoise au sud et la concession britannique au nord : une soixantaine d’hectares de marécages inhabités. En 1862, il existe trois concessions à Shanghai : la concession anglaise – la plus ancienne – ainsi que les concessions américaine et française. Les autres nations occidentales finissent par se regrouper pour former une concession internationale. En 1895, à la suite de la guerre sino-japonaise, les Japonais viennent s’ajouter aux Occidentaux et installent les premières usines. En 1880, la concession française regroupe 33 660 habitants, dont 33 330 Chinois et seulement quelque 330 « étrangers ». Vingt ans après, la population a triplé. En 1906, la première ligne de tramway est ouverte.

En 1920, il y a environ 1 million d’habitants à Shanghai dont 27 000 étran- gers. Jusqu’en 1940, la ville connaît un développement spectaculaire. Le domaine français gagne du terrain, les ruisseaux sont comblés et de grandes avenues sont construites. Après la Grande Guerre, la concession française est à son apogée.

Magasins de mode, boutiques de luxe, épiceries fines, salons de thé proclament sa fortune. L’essor démographique se poursuit : en 1934, la concession compte plus d’habitants que la ville de Lyon. Elle s’organise d’ailleurs comme une vraie ville avec ses églises, ses écoles, ses hôpitaux, ses banques, sa prison, son cimetière et…

ses maisons closes. Elle est le témoin des péripéties sanglantes de l’histoire chinoise sans pour autant être directement affectée : conflits entre nationalistes et commu- nistes chinois, bombardements japonais puis occupation de la ville chinoise par l’armée nippone en 1937. D’un côté les belligérants évitaient tout conflit sur les territoires des concessions, de l’autre les autorités françaises veillaient au respect de sa neutralité.

Cette sérénité relative attira des populations migrantes comme les Russes fuyant le régime léniniste ou les Juifs d’Europe sous la Seconde Guerre mondiale, période trouble qui ne fit qu’effleurer la concession française. Suivirent ensuite de graves incidents avec les Japonais, entre Français eux-mêmes et les prémices du démantèlement colonial. L’entrée des troupes de Mao en 1949 mit un terme défi- nitif à la concession.

Développement industriel et commercial

En 1921, le parti communiste chinois est créé au sein même de la conces- sion française. En 1927 se situe le dramatique épisode révolutionnaire magnifi- quement relaté par Malraux, auquel participe activement Zhou Enlai (1). Dans la concession, on conserve aujourd’hui comme monuments historiques les villas très

« françaises » de Sun Yat-Sen et de Zhou Enlai, encore couvertes de tuiles de Saint- Henri de fabrication marseillaise. En 1930, la ville est la place financière de réfé- rence en Asie. Le port est déjà le cinquième au monde en 1938.

(1) La condition humaine; Gallimard, Paris, 1933.

APPROCHES RÉGIONALES

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et sociaux : à la fin décembre 1966, la municipalité fut renversée. Les plus impor- tantes grèves de l’histoire de la ville paralysèrent la vie économique. Les rebelles et les gardes rouges désiraient mettre en place un système semblable à la Commune de Paris. Le bilan de la Révolution culturelle fut désastreux : 150 000 logements furent confisqués rien qu’à Shanghai. Entre 1968 et 1976, 1 million de Shanghaiens furent ruralisés de force.

Autrefois tête de pont des puissances coloniales dans une Chine agonisante, la « Perle de l’Orient » est devenue en une décennie le premier centre industriel du pays, en même temps que l’une des plus grandes métropoles du monde.

En 2005, il y avait deux lignes de métro. Dès 2011, il y en avait douze ultras modernes qui se partageaient 420 km de voies ; le prix moyen du ticket est de 0,3 € (le plus cher de toute la Chine). Le quartier des affaires de Pudong, sur la rive Est du Huangpu, multiplie les tours les plus audacieuses. La ville compte autant de taxis que dans toute la France. L’exposition universelle de 2010 a été l’occasion d’un incroyable effort de rénovation et d’amélioration urbaine. De vieux chantiers navals ont été rasés et transformés en jardins le long de la rivière. Les chaussées et les trottoirs des rues de toute la ville ont été refaits. D’innombrables parcs, squares, espaces verts ont été restaurés ou ont vu le jour. On a planté des mil- lions d’arbres et d’arbustes et avec le goût des jardins qui caractérise les Chinois, le résultat est là. Des lignes TGV relient désormais la ville avec ses voisines et même Pékin. En moins d’une heure et demie, de centre-ville à centre-ville, vous êtes à Nankin.

Au cœur de la cité, sur l’immense parc de People’s Square, le musée de l’urbanisme vaut le détour. On y présente notamment des maquettes très détaillées de Shanghai en 2010, 2020, 2030, 2040. Des quartiers neufs de 100 000 habitants y sont répartis en périphérie : on en construisait encore récemment plusieurs par an. Les planificateurs chinois voient loin et leurs projections se réalisent, au moins jusqu’à aujourd’hui, où la ville elle-même compte environ 25 millions d’habitants.

Lorsqu’on se rend dans une ville voisine, on a désormais du mal à bien identifier la limite de l’agglomération. Certes, on entrevoit à un certain moment un peu plus de champs de riz ou de maraîchers et on traverse aussi cette sorte de ceinture de pépinières qui entoure plus ou moins la cité de son ruban vert origi- nal ; mais en réalité on ne quitte plus vraiment le tissu urbain qui se densifie à vue d’œil d’année en année. Partout des constructions nouvelles surmontées de forêts de grues : blocs d’immeubles d’habitations, autoroutes suspendues, ponts, canaux, usines.

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93 Quand on descend le Huangpu du Bund jusqu’au Yangzi – environ une

heure et demie de bateau – on est frappé par l’importance des chantiers navals et du trafic maritime, bien que les navires y soient en l’occurrence de tailles assez modestes. Tout le long du fleuve, se succèdent des chantiers divers de construction et de réparation. Certains emploient plus de 10 000 personnes. On y voit notam- ment des bâtiments de guerre, sous-marins, frégates, LPD(Landing Platform Dock), de belle facture. C’est également le lieu de construction et de préparation des élé- ments métalliques utilisés dans le BTP. C’est dire si cet espace est le lieu privilégié de transformation de centaines de milliers de tonnes d’acier nécessaires à alimen- ter les chantiers navals, l’industrie lourde et les énormes besoins du BTP.

Mais il faut aller jusqu’au Yangzi pour mesurer réellement la puissance de l’industrie maritime chinoise. Là, de part et d’autre de cet énorme fleuve à son embouchure, s’alignent les forêts de portiques géants des terminaux à conteneurs ainsi que les immenses installations de chantiers navals qui débitent désormais vra- quiers, tankers et porte-conteneurs à la chaîne.

Ambiance

Shanghai, c’est évidemment et surtout sans doute cette métropole maritime parfaitement reliée à son hinterland jusque dans la Chine profonde. Mégapole industrielle, commerciale et financière, qui voit des taux de croissance à deux chiffres depuis plus de quinze ans. Cité puissante mais pas toujours bien aimée de la Chine « traditionnelle » à qui elle peut faire peur politiquement par son carac- tère avant-gardiste et parfois frondeur. Place forte toujours ouverte sur le grand large, qui peut aussi porter ombrage aux mégapoles commerçantes et financières du Sud, Hong Kong ou Guangzhou (Canton).

Mais Shanghai, c’est aussi l’atmosphère unique de la concession. Autant la ville moderne ressemble par bien des aspects à tant d’autres cités contemporaines conçues sur le même modèle, autant la concession, qui constitue le centre géogra- phique de la cité, ne ressemble réellement à aucune autre. De mon point de vue, c’est là que se ressent la principale originalité de cette ville. De façon d’ailleurs assez significative, les Chinois l’ont largement adoptée et ce vaste espace (elle a couvert jusqu’à mille hectares !) est toujours très prisé. Clin d’œil au passé, un ensemble résidentiel moderne nommé « Résidence Joffre » (en français dans le texte) borde l’actuelle avenue Huaihai Lu (ex-avenue Joffre) qui traverse toute l’ancienne concession française. Acheter ou louer une maison dans la concession est devenu presque inaccessible. Il faut avoir l’occasion de flâner dans les ruelles bordées de platanes, le long des boutiques de mode, des cafés branchés, des petits restaurants, des innombrables petits commerces de la rue.

Il faut découvrir un soir par temps de brouillard la lanterne rouge vacillante qui marque l’entrée de la maison de thé mal éclairée qui inspira Hergé dans Le Lotus Bleu. Elle est encore là, sur Fuxing Lu, même si elle a été rénovée. Il faut pénétrer

APPROCHES RÉGIONALES

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(octobre) ; prendre son petit-déjeuner comme tout le monde sur le trottoir avant d’arriver au bureau, avec des crêpes un peu piquantes, ou des beignets ou encore quelque soupe aux nouilles assaisonnée de légumes ; écouter en passant une partita de Bach jouée par le vieux marchand de pianos au coin de la rue du conservatoire ; traîner dans le marché couvert aux senteurs exotiques où s’étale une riche biodi- versité inconnue chez nous ; aller passer la soirée au Sasha’s, au Cotton’s ou au Colabo, lieux branchés installés dans d’anciennes villas avec jardins, où il fait bon boire une bière et manger un morceau avec des amis ; passer quelques agréables moments dans l’atmosphère feutrée et combien reposante des maisons de massage.

Les artistes, les musiciens, les intellectuels, trouveront aussi à l’ombre des platanes des rues tranquilles de la concession des quantités d’endroits de nature à satisfaire leurs passions. Des universités renommées, des centres de recherche médicale de pointe, de nombreuses sociétés de haute technologie y sont aujourd’hui implantées.

Que serait Shanghai sans la concession ?

Nul ne le sait, au fond, car elle est à l’origine et au cœur de cette ville ultra- moderne qui ne la renie pas.w

1- Vieille ville chinoise en bordure du Huangpu.

5- Concession française.

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