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Academic year: 2022

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P ostures

journalistiques et littéraires

Textes réunis et présentés par Laurence

van

n

uijs

Mai 2011 n° 6

http://www.interferenceslitteraires.be ISSN : 2031 - 2790

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Geneviève Fabry (UCL) Anke Gilleir (KULeuven) Gian Paolo Giudiccetti (UCL) Agnès Guiderdoni (FNRS – UCL) Ortwin de GraeF (Kuleuven) Jan Herman (KULeuven) Marie HoldswortH (UCL) Guido latré (UCL) Nadia lie (KULeuven)

Michel lisse (FNRS – UCL)

Anneleen masscHelein (FWO – KULeuven) Christophe meurée (FNRS – UCL)

Reine meylaerts (KULeuven) Olivier odaert (UCL)

Stéphanie Vanasten (FNRS – UCL) Bart Vanden boscHe (KULeuven) Marc Van VaecK (KULeuven) Pieter Verstraeten (KULeuven)

Olivier ammour-mayeur (Monash University) Ingo berensmeyer (Universität Giessen)

Lars bernaerts (Universiteit Gent & Vrije Universiteit Brussel)

Faith bincKes (Worcester College, Oxford) Philiep bossier (Rijksuniversiteit Groningen) Franca bruera (Università di Torino)

Àlvaro ceballos Viro (Université de Liège) Christian cHelebourG (Université de Nancy II) Edoardo costadura (Université de Rennes II) Nicola creiGHton (Queen’s University Belfast) William M. decKer (Oklahoma State University) Michel delVille (Université de Liège)

César dominGuez (Universidad de Santiago de Compostella & King’s College)

Gillis dorleijn (Rijksuniversiteit Groningen)

Ute Heidmann (Université de Lausanne)

Klaus H. KieFer (Ludwig-Maxilimians-Universität München)

Michael KolHauer (Université de Savoie) Isabelle KrzywKowsKi (Université de Grenoble) Sofiane laGHouati (Musée Royal de Mariemont) François lecercle (Paris IV - Sorbonne) Ilse loGie (Universiteit Gent)

Marc mauFort (Université Libre de Bruxelles) Isabelle meuret (Université Libre de Bruxelles) Christina morin (Queen’s University Belfast) Miguel norbartubarri (Universiteit Antwerpen) Andréa oberHuber (Université de Montréal) Jan oosterHolt (Universität Oldenburg) Maïté snauwaert (Université d’Alberta)

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edaCtieraad

David martens (KULeuven & UCL) – Rédacteur en chef - Hoofdredacteur

Matthieu serGier (FNRS – UCL & Factultés Universitaires Saint-Louis) – Secrétaire de rédaction Laurence Van nuijs (FWO – KULeuven) – Redactiesecretaris

Elke d’HoKer (KULeuven)

Lieven d’Hulst (KULeuven – Kortrijk) Hubert roland (FNRS – UCL)

Myriam wattHee-delmotte (FNRS – UCL)

Interférences littéraires / Literaire interferenties KULeuven – Faculteit Letteren Blijde-Inkomststraat 21 – Bus 3331

B 3000 Leuven (Belgium)

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omité sCientifique

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etensChaPPelijk Comité

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Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 6, mai 2011

P

ostures journalistiques et littéraires1

Pendant longtemps, la presse écrite a soigneusement été écartée des préoc- cupations animant les études littéraires. Celles-ci relayaient par cette position de défiance le très persistant imaginaire anti-médiatique ayant accompagné l’appari- tion et le développement de la presse au début du XIXe siècle. Dès l’avènement de ce qu’il est devenu coutume d’appeler, dans une perspective de l’histoire de la communication littéraire2, l’« ère médiatique », les écrivains-journalistes ont eux- mêmes enfermé le journal dans une opposition à la littérature par les discours dépréciatifs et condamnatoires qu’ils ont tenus à son égard. Évoquant leur propre pratique journalistique comme une forme de prostitution impliquant toutes sortes de compromissions et les écartant fréquemment de leur « œuvre » proprement dite, les écrivains ont ainsi, au moment même de l’autonomisation du champ littéraire, largement contribué à occulter les collusions pourtant manifestes de la littérature et de la presse. Cette situation paradoxale est rappelée en 1993 par le chroniqueur littéraire Bernard Frank – dont l’œuvre se compose elle-même en grande partie d’écrits de presse – dans la préface de Mon Siècle. Chroniques 1952- 1960. Il y évoque les « sarcasmes » dont le journal a fait l’objet, depuis ses origines, de la part des écrivains :

[Les journaux] ont mauvaise presse, les pauvres. En ce moment, mais de tout temps. De la part du lecteur, de ceux qui les font et même des écrivains. De Balzac à Morand, à Camus, pour ne pas remonter au déluge du présent, c’est étonnant ce qu’ils ont pu susciter de sarcasmes. Morand, qui a été à sa façon, et dans ses nouvelles par exemple, un parfait journaliste, un impeccable jour- naliste [–] ce que dit Baudelaire dans sa dédicace des Fleurs du mal de Gautier [–], chevrota pendant trente ans aux jeunes écrivains : « Ah ! surtout pas de journalisme ! » On ne s’en tirait plus, on était foutu pour la littérature. Et Balzac, qui n’avait pourtant rien de Flaubert, et pour cause, qui a écrit une lit- térature de journaliste halluciné avec beaucoup de remplissage, multiplia les avertissements, les mises en garde. Camus, ce fut plus triste. Pour dénoncer les tares de notre époque, il disait de ses contemporains qu’il [sic] ne savaient faire que deux choses dans la vie, lire les journaux et forniquer. Si ç’avait été vrai ! Pour la fornication, le sida a mis le holà et la presse s’arrache ses derniers lecteurs comme si elle était frappée d’alopécie galopante. Camus et Balzac furent deux fiers ingrats. […] Morand pensait à l’argent et à l’à-peu- près du journalisme. Qu’on y perdait son âme et sa rigueur. […] Il craignait que les futurs écrivains – et comment l’en blâmer – n’aient pas sa chance et

1. Nous remercions David Martens pour ses conseils judicieux à tous les niveaux de la réalisation de ce dossier ainsi que Jan Baetens et Bart Keunen pour leur relecture de cette pré- sentation.

2. Voir Alain Vaillant, L’Histoire littéraire, Paris, Armand Colin, « U », 2010. Pour un en- semble de réflexions sur un point de vue info-communicationnel sur l’objet « littérature », voir Alain Payeur, « Littérature et Communication – Questions d’Alain Payeur à Jan Baetens, Yves Jeanneret et Thierry Lancien », dans MEI, n° 33, « Littérature et communication : la question des intertextes », s. dir. Alain Payeur, 2011, p. 11-35.

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il les mettait en garde contre les facilités de la vie. Le journaliste devait lui apparaître comme le « maquereau » de la littérature. À le pratiquer, on s’abî- mait le talent.3

L’antinomie traditionnelle entre « presse » et « littérature » qui traverse le discours de nombre d’acteurs de la vie littéraire – de même que la conception

« autonomiste » de la littérature qui la sous-tend – s’est prolongée au XXe siècle dans la structuration de la recherche. Une répartition des tâches a, pendant long- temps, semblé réserver l’étude de la presse aux historiens et aux chercheurs étu- diant les processus de communication médiatiques, tandis que les spécialistes de la littérature se consacraient, quant à eux, à l’examen du livre imprimé, et surtout du texte dont celui-ci apparaissait essentiellement comme l’écrin. Corollairement, les seconds ne s’aventuraient qu’occasionnellement dans l’étude des textes de presse, et, le plus souvent du moins, ne le faisaient qu’en fonction de questionnements prenant leur point de départ dans l’« œuvre » proprement dite et afin de l’éclairer à partir de corpus perçus comme marginaux dans la production des écrivains envi- sagés. Le privilège accordé traditionnellement à l’« auteur » et à l’« œuvre » a ainsi contribué soit à négliger les textes publiés dans des supports périodiques soit à les considérer comme de simples prépublications, sans les situer dans l’histoire des conditions concrètes de la communication littéraire de leur époque. Or, comme le souligne Alain Vaillant dans L’Histoire littéraire, procédant de la sorte, les cher- cheurs s’apparentent aux « premiers archéologues du XVIIIe siècle qui fouillaient les amas de ruines à la recherche de belles pièces (statues, mosaïques, bronzes, vases...) sans prendre conscience que le plus intéressant était le champ de fouilles lui-même, l’organisation spatiale suggérée par les restes de murs et l’accumulation de couches successives »4.

Depuis une dizaine d’années cependant, force est de constater que cette si- tuation a bien changé, et que le « champ de fouilles » lui-même se trouve désormais au cœur des préoccupations de la recherche. Comme le signalent très justement Guillaume Pinson et Maxime Prévost dans le dossier « Penser la littérature par la presse » qu’ils ont dirigé pour la revue Études françaises, les études de la presse sont emportées dans un vaste « mouvement de redéploiement »5 qui est à mettre en rapport avec une véritable « prise de conscience de l’immense valeur qui gît dans ce continent englouti – émergeant lentement mais sûrement grâce à la recherche récente – qu’est la presse et les phénomènes médiatiques de la modernité »6. Outre cette prise de conscience, nul doute aussi que l’abandon d’une certaine conception

« traditionnelle », « sacralisante » et « monographique » de la littérature en faveur d’une vision davantage sensible à la manière dont ce type de discours particulier prend forme et fonctionne dans un contexte historique donné, a joué un rôle de premier plan dans le développement de ce chantier de recherches. Ainsi que le souligne Paul Aron dans le dossier de la revue Textyles au sujet des « Écrivains-jour-

3. Bernard FranK, Mon Siècle, Paris, Julliard, 1993, pp. xViii-xix. 4. Alain Vaillant, op. cit., p. 177.

5. Guillaume Pinson & Maxime PréVost, « Présentation », dans Études littéraires, vol. 40, n°

3, « Penser la littérature par la presse », s. dir. Guillaume Pinson & Maxime PréVost, 2009, p. 7.

Mentionnons également, dans ce contexte, la fondation récente de l’Association internationale des chercheurs en Littératures Populaires et Cultures Médiatiques (LPCM), qui fédère des chercheurs s’intéressant, dans une perspective pluridisciplinaire et intermédiale, aux cultures médiatiques (voir le site de l’association : http://www.flsh.unilim.fr/lpcm/.

6. Ibidem

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Laurence Van nuijs

nalistes » en Belgique francophone, « sitôt en effet qu’on cesse de considérer les seules œuvres consacrées ou les seuls auteurs canonisés (et le discours critique qui les escorte) pour prendre en compte l’ensemble de la production littéraire d’une époque, on s’aperçoit que les frontières entre les sphères littéraire et médiatique s’estompent ou deviennent poreuses, et cèdent la place à un continuum de pratiques difficilement séparables »7.

L’un des dénominateurs communs aux études actuelles du phénomène mé- diatique consiste en effet à souligner le caractère relatif du clivage entre jour- nalisme et littérature. Ou encore : l’avènement de la presse au XIXe siècle ne constitue pas un épiphénomène, qui accompagnerait le développement de la lit- térature sans interférence aucune avec celui-ci, mais provoque au contraire un bouleversement civilisationnel de grande ampleur, qui affecte la configuration de la chose littéraire de l’intérieur8. Ainsi, la perspective d’un « système médiatique global » que développe Alain Vaillant – et à laquelle il revient dans sa contribution pour ce numéro (cf. infra) – consiste à ne pas séparer artificiellement le livre et le journal (ou encore la littérature et la presse, l’édition traditionnelle et les médias), mais à réinscrire ceux-ci à l’intérieur d’une histoire globale de la communication littéraire : « il n’y a aucune raison de ne pas considérer la communication média- tique comme une forme particulièrement complexe et standardisée de la com- munication littéraire, adaptée au degré de rationalisation des sociétés modernes : une communication à dominante orale puis écrite a en fait laissé la place à une communication littéraire régulée par le flux médiatique et intégrant dans ses mul- tiples rouages la communication éditoriale »9. C’est dire aussi combien l’étude des enjeux des rapports entre presse et littérature revient, en dernière instance, à poser des questions fondamentales quant à l’identité supposée du discours litté- raire tel qu’il se constitue en un dialogue plus ou moins conflictuel avec l’un de ses autres les plus intimes pour la période moderne.

Plus concrètement, ces nouvelles perspectives sur la culture médiatique ont donné lieu, au cours des années précédentes, au développement d’un foisonnant domaine d’investigation, qui peut désormais se prévaloir d’une grande visibilité et d’une pleine légitimité. Son exploration s’est systématisée sous l’impulsion de re- cherches individuelles comme d’initiatives collectives, dont certaines ont fait date10, et qui se sont multipliées au cours de ces dernières années. Ainsi, et pour s’en tenir au seul domaine francophone, une dizaine de dossiers de revues11 et d’ouvrages collectifs12 ont paru rien qu’au cours de l’année dernière (2010-2011). Désormais, la

7. Paul aron, « Présentation », Textyles. Revue des lettres belges de langue française, n° 39, « Les écri- vains-journalistes », s. dir. Paul aron, 2010, p. 8.

8. Significativement, les titres de maintes études consacrées à la presse et la littérature signalent une antinomie entre deux réalités qu’il s’agit pourtant de penser conjointement : Presse et plumes, Les Écrivains-journalistes ou La Chronique journalistique des écrivains. Ces titres témoignent de la difficulté qui se pose à exprimer ces réalités de façon unifiée et homogène.

9. Alain Vaillant, op. cit., p. 267.

10. Voir 1836. L’An I de l’ère médiatique. Analyse littéraire et historique de La Presse de Girardin, s. dir.

Marie-Ève tHérenty & Alain Vaillant, Paris, Nouveau Monde éditions, « Culture-Médias », 2001.

11. Voir Études littéraires, vol. 40, n° 3, « Penser la littérature par la presse », op. cit. ; Textyles.

Revue des lettres belges de langue française, n° 39, « Les écrivains-journalistes », op. cit. ; Études françaises, vol. 46, n° 2, « Hergé reporter : Tintin en contexte », s. dir. Rainier Grutman & Maxime PréVost, 2010 ; Autour de Vallès, n° 40, « L’invention du reportage », s. dir. Guillaume Pinson & Marie-Ève tHérenty, 2010.

12. Voir La Chronique journalistique des écrivains (1880-2000), s. dir. Bruno curatolo & Alain scHaF-

Fner, Dijon, Presses Universitaires de Dijon, « Écritures », 2010 ; Presse, nation et mondialisation au XIXe

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prise en compte du versant journalistique du travail des écrivains par l’édition tradi- tionnelle semble devenir monnaie courante13, tandis que l’édition numérique de ces corpus, permettant d’explorer de manière plus efficace les effets de contexte comme les logiques temporelles qui traversent ces corpus, commence à se développer plei- nement14. De même, de nombreux colloques, séminaires et journées d’études sont actuellement et seront consacrés, dans les mois qui viennent, à l’épistémologie de ce vaste chantier comme aux questionnements plus spécifiques qui l’animent15. Dif- férents chemins sont empruntés dans l’exploration de ce domaine, selon les inter- rogations spécifiques des chercheurs individuels comme la manière plus ou moins collective dont s’organise la recherche – seul un véritable travail d’équipe, tel que mené de manière exemplaire par Alain Vaillant et Marie-Ève Thérenty, permettant d’articuler les grandes phases qui marquent l’évolution de la culture médiatique et d’intégrer des phénomènes médiatiques singuliers à l’intérieur d’une perspective comparatiste plus globale. Jusqu’à présent, les aspects les plus étudiés de cette trans- formation de la communication littéraire concernent les collaborations d’écrivains particuliers à la presse (de manière continue, en tant qu’« écrivains-journalistes »16, ou de manière plus ponctuelle, à l’occasion d’événements historiques majeurs17), la

siècle, s. dir. Marie-Ève-tHérenty & Alain Vaillant, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2010 ; L’Écho de la fabrique : naissance de le presse ouvrière à Lyon, 1831-1834, s. dir. Ludovic Frobert, Lyon, ENS, « Métamor- phoses du livre », 2010 ; George Sand journaliste, s. dir. Marie-Ève tHérenty, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, « Le dix-neuvième siècle en représentation », 2011 ; George Sand critique, s. dir. Olivier bara & Christine Planté, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne,

« Le dix-neuvième siècle en représentation », 2011 et La Civilisation du journal, s. dir. Dominique KaliFa, Marie-Ève tHérenty & Alain Vaillant, Paris, Nouveau monde éditions, 2011 (à paraître).

13. Voir les anthologies des grands écrivains-journalistes du XIXe siècle proposées aux éditions GF-Flammarion : Zola journaliste. Articles et chroniques, choix de textes, présentation, notes, chronologie, bibliographie et index par Adeline wrona, Paris, Flammarion, « GF », 2011 ; Baude- laire journaliste, choix de textes, présentation, notes, chronologie, bibliographie et index par Alain Vaillant, Paris, Flammarion, « GF », 2011 ; Gautier journaliste. Articles et chroniques, choix de textes, présentation, notes, chronologie bibliographie et index par Patrick Berthier, Paris, Flammarion,

« GF », 2011. Des anthologies sur Balzac (Marie-Ève tHérenty), Hugo (Marieke stein) et Barbey d’Aurevilly (Pierre Glaudes) sont annoncées pour parution prochaine.

14. Il faut à cet égard mentionner la très belle plateforme scientifique Médias 19 récemment fondée par Guillaume Pinson et administrée en collaboration avec Marie-Ève Thérenty, qui héberge sur son site des éditions annotées de textes journalistiques. [En ligne], URL : http://www.medias19.

org. 15. Parmi les colloques présentant des approches générales et à valeur de synthèse, mention- nons: le colloque « La recherche sur la presse. Nouveaux bilans nationaux et internationaux », organisé à l’Université de Montréal en mai 2011, et le colloque « Journalisme et littérature : problématiques de la longue durée et recherches en cours » qui a eu lieu à l’Université Libre de Bruxelles en mai 2011. Plusieurs séminaires et colloques qui investiguent des aspects plus particuliers sont également à mentionner: la manifestation « Femmes et journalisme » dans le cadre du Festival Colette en octobre 2011, [En ligne], URL : http://www.amisdecolette.fr ; le séminaire « Roman et reportage (XXe-XXIe siècles). Rencontres croisées » organisé à l’Université de Paris Oueste Nanterre-La Défense par Myriam Boucharenc en collaboration avec la revue Interférences littéraires / Literaire interferenties, [En ligne], URL : http://www.cslf.fr/ ; le colloque

« Presse, prostitution et bas-fonds dans l’espace médiatique francophone » à l’Université Laval.

[En ligne], URL : http://www.medias19.org/index.php?id=246 ; ou encore le colloque « La gauche des années 1930 : arts, journalisme et littérature » de la revue Aden (voir le site du Groupe Interdisciplinaire d’Étures Nizaniennes : http://www.paul-nizan.fr/.

16. Voir, par exemple, Marie-Françoise melmoux-montaubin, L’Écrivain-journaliste au XIXe siècle : un mutant des Lettres, Saint-Étienne, Cahiers intempestifs, « Lieux littéraires », 2003. On signalera aussi le collectif consacré au Mousquetaire d’Alexandre Dumas, véritable entreprise auctoriale : Entre presse et littérature. Le Mousquetaire, journal de M. Alexandre Dumas (1853-1857), s. dir. Pascal durand

& Sarah mombert, Liège, Bibliothèque de la Faculté de Philosophie et Lettres, Diffusion Droz, 2009. Pour le XXe siècle, voir, entre autres, Littératures contemporaines, n° 6, « L’Écrivain journaliste », s. dir. Jean touzot & Alain cresciucci, 1999.

17. Voir, par exemple, Aden, n° 5 et n° 9, « Intellectuels, écrivains et journalistes aux côtés de la République espagnole [1936-1939] », 2006 et 2010 ; et Les Écrivains journalistes et la guerre d’Algérie, s. dir. Philippe baudorre, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2003.

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Laurence Van nuijs

poétique du journal prise entre une « matrice littéraire » et une « matrice journalis- tique »18, les genres médiatiques et littéraires de la presse19, ou encore l’étude des représentations et des mythologies issues du/et associées au journal20.

Si le regard que la recherche porte aujourd’hui sur les sphères littéraire et mé- diatique aspire à en relativiser les différences au profit d’une mise en valeur de leurs analogies, voire de leur appartenance à un seul et même domaine, il permet aussi de prendre désormais pleinement en considération comment les écrivains eux-mêmes ont formulé et négocié leur participation à la presse. Que ce soit pour leurs contem- porains ou pour la postérité, de nombreux écrivains n’ont en effet cessé de sculpter leur image au regard de la culture médiatique. Ce sont précisément ces « postures » que ce sixième numéro de la revue Interférences littéraires / Literaire interferenties entend explorer, par le biais d’une série d’études concernant des écrivains-journalistes ap- partenant à des phases très différentes de l’évolution des rapports entre presse et littérature.

Deux contributions de ce numéro fournissent un arrière-fond théorique et historique pour cerner les « postures » particulières des écrivains-journalistes selon les espaces de publication où ils prennent la parole. La première est constituée par un entretien avec Jérôme meizoz au sujet de son dernier ouvrage, entièrement consacré à la notion de « posture »21, La Fabrique des singularités22. Il y revient sur la conception de la littérature qui sous-tend sa démarche, ainsi que sur les différentes spécificités de la notion. Jérôme Meizoz y rappelle notamment le caractère heuris- tique de celle-ci, qui est pour lui « moins une notion à interroger comme telle qu’un outil temporairement utile pour agréger un certain nombre de phénomènes que la théorie littéraire avait peu ou mal décrits jusqu’ici » (pp. 201-202). Comme il l’a mis en évidence dans plusieurs textes à caractère programmatique23, Jérôme Meizoz inscrit en effet ses travaux dans le prolongement de deux démarches métalittéraires spécifiques, à savoir la sociologie de la littérature et l’analyse du discours de tradition française, dont la prémisse commune est de ne pas considérer la littérature comme l’émanation immédiate d’une intériorité singulière, mais de l’étudier au contraire en fonction des médiations complexes dont celle-ci relève. S’appuyant sur les notions, empruntées à Dominique Maingueneau, d’« interdiscours » (défini comme l’« en-

18. Voir Marie-Ève tHérenty, La Littérature au quotidien. Poétiques journalistiques au XIXe siècle, Paris, Seuil, « Poétique », 2007.

19. Voir, par exemple, Semen, n°13, « Genres de la presse écrite et analyse de discours », s. dir.

Jean-Michel adam, Thierry Herman & Gilles luGrin, 2001. [En ligne], URL : http://semen.revues.

org/2597. Concernant le reportage, voir les travaux de Myriam Boucharenc (Littérature et reportage, s.

dir. Myriam boucHarenc et Joëlle delucHe, Limoges, Presses universitaires de Limoges, « Média- textes », 2001 ; Myriam boucHarenc, L’Écrivain-reporter au cœur des années trente, Villeneuve-d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, « Objet », 2004 ; Mélusine, n°25, « L’universel reportage », s.

dir. Myriam boucHarenc, 2005).

20. Voir Guillaume Pinson, Fiction du monde. De la presse mondaine à Marcel Proust, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, « Socius », 2008.

21. Au sujet d’un certain nombre de concepts proches de celui de « posture » voir Argumenta- tion et Analyse du discours, n° 3, « Ethos discursif et image d’auteur », s. dir. Michèle boKobza KaHan

et Ruth amossy, 2009. [En ligne], http://aad.revues.org/656. Pour une interrogation sur les appli- cations possibles du concept, voir COnTEXTES. Revue de sociologie de la littérature, n°8, « La posture.

Genèse, usages et limites d’un concept », s. dir. Denis saint-amand & David VrydaGHs, janvier 2011. [En ligne], URL : http://contextes.revues.org/index4712.html.

22. Jérôme meizoz, La Fabrique des singularités. Postures littéraires II, Genève Slatkine Érudition, 2011.

23. Voir, par exemple, Voir, par exemple, id., « Champ littéraire et analyse de discours : quelles articulations ? », dans Au-delà des œuvres. Les voies de l’analyse du discours littéraire, s. dir. Dominique mainGueneau &

Inger Østenstad, Paris, L’Harmattan, 2010, pp. 65-86.

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semble de discours sociaux qui traversent tout locuteur au moment d’actualiser sa prise de parole »24) et de « champ discursif » (« [champ] où un ensemble de forma- tions discursives (ou de positionnements) sont en relation de concurrence au sens large, et se délimitent réciproquement »25), la démarche de Meizoz vise à réinscrire la « littérature » et l’« auteur » au sein des espaces sociologiques et discursifs qui les rendent possibles et en déterminent les conditions d’énonciation, de production et de circulation. La notion de « posture », quant à elle, vise à penser la stratégie de constitution de la « singularité » d’un auteur, d’un style ou d’une création. Définie à la suite d’Alain Viala comme « une manière singulière d’occuper une ‘position’ dans le champ littéraire »26, la « posture » constitue une réalité co-élaborée, désignant à la fois la manière dont l’auteur se construit une certaine identité (tant par le biais de l’image de soi dans le discours – dimension rhétorique – que par le biais de ses conduites publiques – dimension actionnelle) et la manière dont celle-ci se voit relayée à son tour par les médias et le public, sans qu’il n’y ait pour autant nécessai- rement concordance entre les deux formes de représentation, ni d’ailleurs entre les deux dimensions – rhétorique et actionnelle – de la posture autoreprésentée. Ces différentes dimensions de la posture sont alors à penser comme parties prenantes d’un processus interactif, duquel se dégage en quelque sorte l’« image collective » de l’auteur. La singularité de celle-ci est alors à penser de manière relationnelle, c’est-à- dire en prenant en compte l’ensemble des « relations qu’elle tisse avec la trajectoire (origine, formation, etc.) et la position de l’auteur ; avec les groupes littéraires, ré- seaux d’écrivains contemporains ou passés ; avec les genres littéraires qu’elle investit (selon une hiérarchie générique en vigueur) ; enfin, avec les publics (instances d’assi- gnation de la valeur : critiques, etc.) »27.

Les interrogations qui traversent les différentes études de ce numéro pro- longent la réflexion « posturale » engagée dans les travaux de Jérôme Meizoz, et font apparaître la presse comme un véritable laboratoire de postures auctoriales.

De quelle manière l’investissement de genres, et en particulier ceux de la presse (la chronique, le reportage, l’interview), participe-t-il de l’élaboration d’une posture auctoriale ? Par quels ethè les prises de parole des écrivains dans la presse se carac- térisent-ils ? Par rapport à quelles autres postures, présentes dans le champ, une présentation de soi dans la presse, que ce soit en « écrivain » ou en « journaliste », prend-elle différentiellement sens ? Quels sont les modèles posturaux qu’un écri- vain-journaliste emprunte en vue de se singulariser dans le champ ? Qu’en est-il d’éventuelles discordances entre l’autoprésentation d’un écrivain-journaliste et les images que les critiques véhiculent de lui ? Quelles évolutions d’une posture jour- nalistique et ou littéraire peut-on explorer au sein d’une trajectoire particulière ? Ou encore, comment le passage d’un support périodique à un support livresque permet-il un ajustement de la posture ?

Nous ouvrons le dossier proprement dit par un retour théorique et histo- rique sur la question de la « littérature médiatique » par Alain Vaillant. Celui-ci prend comme point de départ le risque qui consisterait à penser de manière trop simpliste

24 id., Postures littéraires, Genève, Slatkine Érudition, p. 34.

25 Patrick cHaraudeau & Dominique mainGueneau, Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002, p. 97.

26 Jérôme meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine Érudi- tion, 2007, p. 13.

27 Ibid., p. 30.

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Laurence Van nuijs

les rapports entre « presse et littérature », en voyant dans le premier élément de la conjonction un simple contenant du second, « comme si le média n’était qu’un support parmi d’autres, sur lesquels viendrait se greffer du littéraire » (p. 22). Dans le pro- longement de la réflexion qu’il élabore dans L’Histoire littéraire, partant d’une défini- tion médiologique et sociologique de la « littérature » en tant que « mode ouvert de communication dans l’espace public », Alain Vaillant propose alors de considérer la presse comme une forme spécifique et historiquement déterminée de la communi- cation littéraire à l’ère de la culture de masse. La question se pose alors de savoir ce qui, dans le journal, « échappe à cette littérarité fonctionnelle » (p. 25). Cette ques- tion débouche nécessairement sur une réponse nuancée, dans laquelle le caractère plus ou moins littéraire des écrits de presse se définit en fonction de leur rapport à la temporalité, l’article d’information étant destiné à une lecture immédiate et ponctuelle, tandis que le texte littéraire se caractérise alors par sa capacité à durer – son statut plus ou moins littéraire pouvant par conséquent changer en fonction du contexte dans lequel il est reçu. Dans la deuxième partie, plus historique, de sa contribution, Alain Vaillant commente ensuite les changements majeurs provoqués par l’avènement de la communication médiatique. Celle-ci met à mal deux prin- cipes de la littérature traditionnelle : l’auctorialité (à laquelle elle oppose un régime d’écriture pluriel voire anonyme) et le modèle rhétorique (auquel s’oppose un récit polyphonique du réel, l’« universel reportage » décrié par Stéphane Mallarmé). Alain Vaillant aborde ensuite successivement la manière dont ce changement a été vécu par les contemporains, l’évolution des rapports de force entre le livre et le jour- nal, l’autonomisation du champ comme réaction aux nouveaux modes d’expression culturelle, ainsi que la complémentarité entre culture médiatisée et culture média- tique, pour terminer cette vue d’ensemble par les changements que laisse attendre la révolution du numérique. L’article d’Alain Vaillant fournit ainsi un arrière-fond théorique et historique à la lumière duquel l’étude des postures, à l’intérieur du domaine d’investigation « presse et littérature », peut s’élaborer.

Les trois études qui suivent concernent des écrivains-journalistes qui ont par- ticipé de manières très différentes à cette « culture médiatique » ayant profondément bouleversé le travail de l’homme de lettres au XIXe siècle. Dans son article sur

« Les écrits de presse de Victor Hugo », Marieke stein s’intéresse à un ensemble de textes peu étudiés parmi les écrits « journalistiques » de Hugo : non pas les textes journalistiques proprement dits, tels qu’il a pu les publier au cours d’une première phase de sa trajectoire dans Le Conservateur et dans La Muse française, mais des textes

« non journalistiques », insérés dans la presse sous la forme de poèmes politiques, de lettres ouvertes et de discours de tribune, principalement pendant la période de l’exil. Ces textes sont marqués par une posture particulière qui signale la nouvelle conception des rapports entre « presse » et « œuvre » qu’Hugo adopte à partir de 1830 et qu’il formule dans la préface de Littérature et philosophie mêlées. Cette concep- tion repose sur l’idée que, tandis que le journaliste a pour tâche de recueillir les faits, l’écrivain doit s’affranchir de l’actualité pour atteindre une vérité plus élevée. Ma- rieke Stein étudie ensuite comment cette vision d’un « journalisme philosophique » se concrétise à travers l’expérience de L’Événement et la participation d’Hugo à de nombreux périodiques au cours de son exil. Les textes qu’il y publie n’entrent ni dans les genres journalistiques qui tendent alors à se fixer (le reportage, la chro- nique, le fait divers), ni dans « les schémas ordinaires de l’industrie journalistique ».

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Ils relèvent au contraire d’un mode d’écriture de presse qui se veut résolument

« non circonstanciel » et vont de pair avec la construction par Hugo d’une posture, par laquelle il ne se présente non pas en journaliste, mais s’approprie un certain nombre de rôles – ceux, plus précisément, de l’orateur, du lutteur, du proscrit et du juge – compatibles avec l’indépendance et la distance par rapport aux faits qu’il revendique en écrivain.

La tension entre présentation de soi en journaliste et en écrivain se décline de manière toute différente dans l’étude d’Aude jeannerod sur Joris-Karl Huysmans, critique d’art qui, tout en donnant de nombreuses chroniques d’art à différents pé- riodiques, afficha en de nombreux endroits son mépris pour le journalisme. L’article se focalise sur la tension, inhérente au genre de la critique d’art, entre son ancrage dans l’époque d’une part et son aspiration à la « littérature » et à la « création » de l’autre, et sur la manière dont cette tension est rejouée lors du passage du support périodique au support livresque. Huysmans, en effet, veut éviter de faire de la cri- tique d’art « un métier », au sens où il ne produirait aucune « œuvre ». Comme le montre Aude Jeannerod, la critique d’art huysmansienne se caractérise, telle qu’elle paraît dans son support périodique initial, par un ethos que l’on retrouve aussi dans d’autres genres de la presse, comme la chronique ou le reportage. Huysmans se présente de prime abord comme un observateur subjectif de son époque (et rend compte, en l’occurrence, de l’actualité artistique), mais soucieux de se présenter davantage en « écrivain », il va faire en sorte d’affranchir ces textes de leur contexte initial en les faisant passer au support livresque et de conjurer par là la menace de péremption qui pèse sur eux. Analysant à la fois la pratique du recueil, la transposi- tion poétique et l’intégration dans le récit chez Huysmans, Aude Jeannerod donne un aperçu particulièrement riche des nombreuses stratégies textuelles qui contri- buent à faire accéder la critique d’art à la « création ». Ces stratégies – qui vont du détachement de l’actualité par le biais de la sélection dans un recueil comme Certains à l’abandon de toute référence au peintre et à l’œuvre d’art dans des textes de pure fiction comme Les Sœurs Vatard ou En Rade – renforcent l’inscription de ces écrits à l’intérieur d’une poétique proprement artistique, celle, plus exactement, d’un cri- tique d’art qui, dans le sillage baudelairien, se veut aussi artiste.

Si la question de la reprise en recueil se pose également chez Jean Lorrain, c’est toutefois par le biais d’une autre interrogation, plus spécifiquement générique, que Mélodie simard-Houde explore la question de la posture chez cet écrivain sou- cieux, à l’instar de Huysmans, de renégocier son image de journaliste. Partant du peu d’intérêt que la critique lorrainienne accorde à la spécificité générique des textes dont se composent les recueils Madame Baringhel, Le Crime des riches et L’École de vieilles femmes, l’auteur propose d’examiner ceux-ci comme des « fictions de la chro- nique », c’est-à-dire en tenant compte de ce que ces textes doivent conjointement à deux genres que le discours social de l’époque tend à voir dans une relation de concurrence : la « chronique » (genre modelé à la fois par la « matrice médiatique » et la « matrice littéraire ») et la « nouvelle » ou le « conte » (genre plus proprement

« littéraire »). Cette hybridation générique passe tantôt par la prise en charge des conversations mondaines par des personnages et l’effacement du « je » du chroni- queur (Madame Baringhel), tantôt par la reproduction du langage de la chronique en vue d’un effet parodique (« Disparues », dans Le Crime des riches). Mélodie Simard- Houde examine ensuite les enjeux posturaux que revêtent ces textes en analysant

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Laurence Van nuijs

comment l’image de soi du chroniqueur se réfracte à travers les personnages de

« conteurs » et de « narrateurs » lorrainiens. À la différence des chroniques du « Pall- Mall » de Lorrain, dans lesquelles le chroniqueur prend la parole en son nom, les

« fictions de la chronique » permettraient une mise à distance de l’image médiatique de Lorrain, une image qui aurait nui à sa carrière littéraire. Cette mise à distance passe par le dédoublement de la voix narrative : tandis que le rôle de chroniqueur mondain – celui que Lorrain joue effectivement en d’autres endroits –, à l’affût des dernières nouvelles et désireux d’illusionner l’auditoire, y est entièrement délégué aux personnages des conteurs, le narrateur premier y apparaît dans son rôle de médiateur, comme un scripteur fiable qui retranscrit la parole des autres.

L’article suivant, de Jean-Luc martinet sur Paul Nizan, aborde d’une ma- nière toute différente la question de la posture auctoriale telle qu’elle se manifeste dans des écrits de presse. Il n’est pas question d’images de soi « en écrivain » ou « en journaliste » refaçonnées dans ou à partir d’écrits de presse, ni des conceptions que l’écrivain a des rapports entre journalisme, littérature et œuvre. Les écrits de presse sont abordés ici dans la mesure où ils participent, au même titre que d’autres écrits de Nizan, à la construction d’une posture singulière, celle d’un « écrivain révolution- naire ». Plus précisément, Jean-Luc Martinet étudie la « voix énonciative » ainsi que le « ton » que partagent les différents écrits que Nizan publie à cette époque. L’au- teur met notamment en évidence l’autorité commune dont se réclament l’auteur des comptes rendus philosophiques et économiques publiés dans La Revue marxiste d’une part, et l’instance narrative d’Antoine Bloyé de l’autre – une autorité fondée à la fois sur l’attachement au groupe communiste, la compétence marxiste, le statut de transfuge et l’appartenance à une filiation familiale prolétarienne. Cette autorité permet à l’auteur des comptes rendus de La Revue marxiste de condamner l’illusion (philosophique, économique et politique) bourgeoise, comme elle permet au narra- teur d’Antoine Bloyé d’éclairer les raisons scientifiques et idéologiques de l’évolution du protagoniste du récit. Les écrits journalistiques et le roman manifestent aussi un

« ton » commun, marqué par l’emportement et le recours à la maxime. Dans la der- nière partie de sa contribution, Jean-Luc Martinet s’intéresse aux articles de critique littéraire de Nizan, antérieurs à la parution d’Antoine Bloyé. Ceux-ci instituent une définition bien précise, foncièrement idéologique, de l’énonciation littéraire : celle d’une littérature de propagande « révolutionnaire », visant à engendrer l’adhésion du lecteur à la vision du monde marxiste. En évaluant la production de son époque à l’aune de cette définition de la littérature, Nizan redéfinit l’échiquier littéraire en vue de s’y imposer, par la publication d’Antoine Bloyé, en écrivain révolutionnaire. Cette figure d’écrivain révolutionnaire prend tout son sens à la lumière de la position d’intellectuel bourgeois discipliné qu’occupe Nizan au sein du PCF.

L’article suivant, de Sara mamPrin, donne une vue d’ensemble des différentes présentations de soi en rapport avec la presse de Hans Magnus Enzensberger, intel- lectuel et homme de presse allemand majeur du second XXe siècle. Tout au long de sa trajectoire, celui-ci s’est montré un observateur critique des médias de masse en notamment de la presse écrite, tout en cherchant lui-même à contribuer à l’élabo- ration d’une forme de « journalisme littéraire », que ce soit par sa propre collabora- tion à divers périodiques allemands et étrangers ou par la fondation de revues. Sara Mamprin prend en considération dans son analyse à la fois le versant contextuel de la posture d’Enzensberger, en examinant les programmes des revues qu’il fonde

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et les interviews qu’il donne à ces occasions, comme son versant rhétorique, qui se manifeste dans les nombreux passages méta-journalistiques dont l’œuvre d’En- zensberger est traversée. Parallèlement, sont mis en évidence les modèles littéraires contemporains et historiques qu’Enzensberger mobilise en vue d’élaborer sa posture, parmi lesquels, selon les différentes phases qui scandent son évolution intellectuelle, Jean-Paul Sartre, Heinrich Heine, Denis Diderot, Ludwig Börne et Søren Kierke- gaard. Plus précisément, Sara Mamprin examine d’abord la conception du journa- lisme d’Enzensberger à partir de ses premiers écrits sur la presse dans les années cinquante, dans lesquels il prolonge le diagnostic pessimiste d’Adorno et Horkheimer sur l’industrie culturelle, mais fait en même temps preuve d’une confiance en les pos- sibilités d’expression intellectuelle des médias de masse, et notamment de la presse écrite. Sont étudiés ensuite les deux projets de revue à travers lesquels Enzensberger tentera, chaque fois de manière différente, de donner concrètement forme à cette croyance en la possibilité d’un authentique journalisme « littéraire », c’est-à-dire cri- tique et émancipateur : Kursbuch dans les années 1960 et TransAtlantik dans les années 1980. D’une revue à l’autre, la posture d’Enzensberger évolue : se présentant dans les années 1960 comme celui qui exprime la conscience collective et écarte dès lors toute forme de subjectivité de ses prises de parole, Enzensberger adopte, dans les années 1960, la posture du reporter qui, dans le sillage du New Journalism américain, reven- dique pleinement l’adoption d’un point de vue subjectif.

Enfin, nous clôturons ce dossier par l’article de Galia yanosHeVsKy portant sur l’écrivain israélien arabe Sayed Kashua, journaliste des affaires arabes dans le journal quotidien Kol Ha’ir à Jérusalem depuis 1992, auteur de trois romans parus entre 2002 et 2010 (dont les deux premiers ont été traduits en français : Les Arabes dansent aussi et Il y eut un matin), et chroniqueur hebdomadaire pour le journal israélien Haaretz. À plus d’un titre, l’écriture romanesque comme les chroniques de Kashua s’inspirent de sa vie quotidienne en tant qu’Israélien arabe, dont ils mettent en scène, sous des formes plus ou moins fictionnalisées, différentes personnes et situations. Or, dans un champ littéraire traversé par des conflits identitaires et politiques majeurs, les écrits de Kashua suscitent, en raison des thèmes qu’ils abordent, de l’identité culturelle complexe de leur auteur mais aussi du fait qu’ils paraissent en hébreu, des réactions diverses des publics et critiques arabes comme israéliens. Ces réactions véhiculent des images fortement politisées de l’auteur, présenté par les uns comme le représentant d’une « littérature mineure », comme les autres comme le « toutou » de Israéliens et un

« traître » des Arabes. Galia Yanoshevsky examine la manière dont Kashua rejoue, à travers ses écrits romanesques, ses chroniques de Haaretz et ses conduites publiques, les images de lui que les médias et critiques répandent. Galia Yanoshevsky examine plus précisément les différentes composantes de la « posture » qui s’élabore de la sorte, et dans laquelle interviennent une large part d’autodérision (éléments posturaux renvoyant à des figures connues de l’imaginaire juif tels Woody Allen ou Philip Roth), comme différentes mises en scène de soi, notamment en « imposteur » (les protago- nistes des romans étant des Arabes soucieux de passer pour des Juifs et de réussir dans la société juive), en « célébrité » (le rôle d’écrivain célèbre étant revendiqué par Kashua dans ses conduites publiques et mis en scène dans ses chroniques) ou encore

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en « alcoolique » (élément associé à une imagerie littéraire occidentale mais aussi allié au rejet de l’image de l’écrivain en représentant d’une minorité).

Au fil des différentes contributions de ce numéro d’Interférences littéraires / Literaire interferenties se dégagent des postures auctoriales variées, construites par des écrivains-journalistes soucieux à plusieurs titres de définir leur position par rapport à la culture médiatique, que ce soit par l’investissement d’un genre, l’adoption d’un ton particulier, le recours à des modèles posturaux antérieurs ou encore la diffrac- tion de leur image de soi dans des personnages de fiction. Abordés à partir d’inter- rogations spécifiques et appartenant à des époques et contextes nationaux diffé- rents, les écrivains-journalistes commentés ne sont certes pas toujours réinscrits de manière systématique à l’intérieur des différentes phases qui scandent l’évolution des rapports entre presse et littérature. Celle-ci se lit néanmoins en creux des pos- tures mises en évidence, qui vont du journaliste pourfendant la presse et aspirant à la littérature, à l’écrivain soucieux de manifester dans la presse l’hétérogénéité de sa parole par rapport au flux du discours journalistique ambiant, en passant par des écrivains se présentant sous un jour similaire indépendamment du support de publication.

Laurence Van nuijs Fonds de la Recherche Scientifique - Flandre (FWO)

Katholieke Universiteit Leuven

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