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Une université de plein exercice au XVe siècle

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Academic year: 2022

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Chapitre 3

Une université de plein exercice au

XVe

siècle

Au sortir d’une longue phase de mutation portée par l’interventionnisme du pouvoir royal, l’université d’Angers est donc entrée dans sa vie d’institution corporative, à l’instar des autres studia du royaume. La fin du Moyen Âge fut une période de pleine prospérité pour ce centre d’études, ainsi qu’en témoignent la fondation de nouvelles facultés en 1432, la construction de bâtiments propres inaugurés en 1477, l’institution d’une bibliothèque, le nombre de ses étudiants et la vitalité des nations qui jouaient un rôle capital dans la vie de l’université. Le XVe siècle voit ainsi l’université d’Angers atteindre sa pleine maturité.

Le contexte ne s’y prêtait pourtant pas forcément – du moins en apparence. La guerre de Cent Ans avait transformé l’Anjou en une zone tampon entre les territoires contrôlés par les Anglais – Normandie et Maine, régions traditionnellement pourvoyeuses de nombreux étudiants, depuis lesquelles le duché fut continuellement harcelé jusqu’à la fin des années 1430 – et les régions restées fidèles au roi Charles VII (fig. 1). Il y avait également les résurgences de la peste, particulièrement brutales en 1449, 1462-1463, 1471-1472 – un officier du duc affirmant alors que les trois quarts de la population avaient déserté la ville – et dans les années 1480 où la hantise de la contagion fut permanente. Quant à la situation économique, elle réservait son lot de famines ou de disettes et de perturbations des échanges.

Au cours du XVe siècle, la création de trois nouvelles universités concurrentes dans la France de l’Ouest constitua une autre menace pour le rayonnement d’Angers. Poitiers en 1431, par le pape Eugène IV (1431-1447) à la demande du roi Charles VII pour contrebalancer l’influence de Paris alors aux mains des Anglo-Bourguignons. Caen en 1432-1437, par le même pontife, à la requête cette fois du roi d’Angleterre Henri VI qui dominait la Normandie, studium confirmé par Charles VII en 1452 au lendemain de la reconquête de cette province. Nantes enfin en 1460, après plusieurs tentatives avortées de fondation, connut un bref essor jusqu’à la guerre d’indépendance du duché de Bretagne qui dispersa la communauté universitaire en 1487 – et entretint l’insécurité dans l’Anjou voisin. Ces nouvelles créations ont potentiellement entravé l’essor de l’université d’Angers, mais dans des proportions qu’il est impossible de mesurer. Malgré tout, l’université d’Angers était alors florissante.

1. Reconnaissance et consolidation de l’institution 1. 1. Une université à maturité

Une preuve de la reconnaissance de l’université est sa participation aux assemblées ecclésiastiques réunies pour mettre fin au Grand Schisme d’Occident déclenché par la double élection pontificale de 1378. Au début du XVe siècle, la réunion d’un concile général s’imposa comme la seule voie susceptible de rétablir l’union de l’Église. Au concile de Pise (1409), l’université fut représentée par Guillaume Maugendre († 1432), régent en droit civil, et Nicolas de Mellay († 1413), un Angevin de naissance, chanoine de la cathédrale également régent en lois ; dans l’ordre des listes des pères du concile, le studium d’Angers vient immédiatement après ceux de Paris, Bologne et Toulouse1. Cette assemblée ayant débouché sur une aggravation du schisme avec l’élection d’un troisième pape, il fallut un nouveau concile, tenu à Constance (1414-1418) pour désigner un pontife d’union en la personne de

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Martin V en 1417. Cette fois, l’université avait trois représentants : le régent Hervé l’Abbé et deux licenciés, dont Pierre Bonhomme († 1446), natif d’Angers, doyen de la collégiale Saint- Pierre et conseiller des ducs d’Anjou.

La maturité de l’institution se manifeste aussi dans son organisation. Dès 1410, une quarantaine d’articles furent ajoutés aux statuts de 1398 [Fournier I, n° 434]. À la différence de ces derniers qui avaient été supervisés par des officiers royaux, la réforme de 1410 résulte d’une décision interne à la corporation et vient témoigner d’une « démocratisation » de son fonctionnement, en donnant toujours davantage satisfaction aux étudiants et aux nations.

Ainsi, pour l’élection du recteur, chacune des six nations devait désigner un membre et les six représentants assemblés avaient à choisir le recteur parmi les licenciés et non plus dans les rangs des régents. Le collège de l’université était tenu de se réunir trois fois par semaine pour décider des affaires courantes, les docteurs ne pouvant plus voter sur les décisions qui les concernaient. De plus, avant d’être admis à la régence, le docteur devait donner une leçon publique au cours de laquelle écoliers, bacheliers et licenciés pouvaient le contredire et compromettre son élection. Ces nouvelles orientations montrent la prise en main du gouvernement de l’université par les nations, situation appelée à s’estomper sous l’Ancien Régime. Comme tout corps constitué, l’université avait le droit d’assemblée, organe de la vie collégiale et démocratique – avant que les non-gradués ne soient exclus des assemblées en 14632. Le rôle du maître-école était définitivement confiné à la seule collation des grades, sans qu’il puisse refuser un étudiant jugé apte par les régents. Preuve de cette marginalisation, le dernier maître-école de la période ne parvint jamais à décrocher une chaire de régent à l’université et finit par se démettre de sa dignité au chapitre.

Tableau 3 : Les maîtres-écoles du chapitre cathédral d’Angers (XVe siècle)

Dates Nom

1412-† 1422 Thomas Girou

1423-1432 Pierre Robert

1432-† 1465 Jean Bouhalle 1466-† 1472 Michel Grolleau

1472-1508 Gui Pierres

[Source : Matz, Comte, 2003, p. 137]

1. 2. La création des nouvelles facultés

Cependant, l’université d’Angers se limitait encore officiellement au seul enseignement juridique [Fournier, 1892]. La consécration comme studium generale complet vint en 1432 avec la bulle pontificale d’Eugène IV par laquelle il créait les facultés des arts libéraux, de théologie et de médecine. À l’origine de cette mesure, le pape invoque l’insécurité du temps qui empêchait les étudiants de l’Ouest d’aller quérir leurs grades à Paris ainsi que la supplication de l’université, de Yolande d’Aragon et de son fils le duc d’Anjou Louis III (1417-† 1434) – sans préciser toutefois si leur intervention était une réponse à la fondation de l’université de Poitiers l’année précédente. En diplomate avisé, le pape cherchait sans doute à complaire aux princes angevins, de façon à disposer de leur soutien dans le bras de fer qui venait de s’ouvrir avec le concile bientôt schismatique de Bâle (1431-1449).

Finalement, le contexte général ne s’avérait pas si défavorable.

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Bulle d’Eugène IV instituant les facultés des arts, de médecine et de théologie d’Angers (3 octobre 1432)

Eugène, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, pour mémoire perpétuelle.

Placé au sommet de la hiérarchie par la grâce du Seigneur et sans mérite de notre part, nous suivons d’un œil averti, autant que depuis cette hauteur il nous est possible de le faire, à titre de pasteur de l’universel troupeau chrétien confié à nos soins, les progrès et les aspirations de tous les fidèles. Notre constant souci est de les pousser tous à l’étude, principalement à l’étude de la théologie et des autres branches du savoir susceptibles d’être utiles aux disciples du Christ. Ainsi faisant, la lumière de la vérité luira dans les ténèbres ; la voie sera ouverte à ceux qui désirent contempler réellement l’essence de la divinité, et les fumées de l’hérésie dissipées, on verra resplendir la pureté de la foi catholique en même temps que s’accroître le bien-être général.

Considérant donc la demande qui nous a été faite naguère par nos très chers fils et fille en Jésus-Christ le roi Louis et la reine Yolande, nos illustres et bien-aimés le recteur et l’université de l’étude d’Angers, il appert qu’Angers, soumise au pouvoir temporel desdits roi et reine, est une grande cité peuplée, l’une des plus considérables de France ; elle possède une cathédrale, des églises collégiales, quatre monastères d’hommes dans ou autour de ses murs. Une faculté de l’un et l’autre droit qui, établie depuis longtemps par l’autorité du Siège apostolique, avec divers privilèges, libertés, immunités et indulgences, continue d’y fleurir encore. On sait qu’Angers est à soixante-quatre lieues environ de Paris, où de temps immémorial des facultés de théologie, des arts et de médecine sont en plein exercice. En raison des guerres et discordes civiles, les habitants d’Angers et des environs ne peuvent sans graves dangers pour leurs biens et leurs personnes profiter commodément de ces facultés parisiennes. Quel avantage pour la propagation de la foi ! Quel secours il en résulterait progressivement pour le salut des âmes et des corps si Angers possédait ces facultés ! C’est pourquoi, à cause surtout de la théologie, plus spécialement destinée à édifier les fidèles, à démasquer et chasser la superstition et l’erreur, mais aussi à cause de la part que l’on peut attendre des autres facultés pour le salut éternel, nous en souhaitons l’établissement.

Nos vœux concordant avec la pétition du roi, de la reine, du recteur et de l’université, de notre autorité apostolique, nous statuons et ordonnons que dès maintenant et pour toujours surgissent et se perpétuent à Angers les facultés de théologie, médecine et des arts. Ceux qui en auront suivi régulièrement les cours prescrits et seront reconnus aptes et idoines y recevront les grades et les insignes de la maîtrise et le pouvoir de lire et d’enseigner selon ce qui se fait déjà dans la faculté de droit. Que tous et chacun des maîtres, licenciés, bacheliers et écoliers des trois nouvelles facultés jouissent et usent dans leur intégralité des mêmes privilèges, indulgences, immunités et libertés que pourront revendiquer, en vertu de concessions apostoliques ou séculières, les autres docteurs et étudiants de cette université. Car telle est, de notre autorité, la teneur de ces présentes. Que nul ne se permette de déclarer cette charte des statuts, ordonnance et concession octroyés par nous, ou d’oser en contrarier témérairement l’application. Que celui qui aurait cette audace sache qu’il encourrait l’indignation du Dieu Tout Puissant et des bienheureux Pierre et Paul, ses apôtres.

Donné à Saint-Pierre de Rome, l’an de l’Incarnation de Notre Seigneur 1432, le cinq des nones d’octobre, de notre pontificat la deuxième année.

Source : [Fournier I, n° 472 ; Uzureau, 1929] ; traduit du latin.

Les universitaires se tournèrent ensuite vers Charles VII pour obtenir la confirmation royale de cette création, la concession aux nouvelles facultés des mêmes privilèges que ceux dont bénéficiait la faculté des droits et l’extension de la jouissance de tous ces privilèges à l’échelle du royaume – donc l’abolition d’une clause restrictive de l’acte royal de 1364 qui la limitait à la seule province ecclésiastique de Tours. Le roi accéda à leurs faveurs en mai 1433 [Fournier I, n° 473]. L’ancienne école épiscopale d’Angers était donc devenue une université complète de plein exercice, avec reconnaissance de son statut privilégié à l’ensemble du royaume de France. Nous pouvons donc considérer que les années 1432-1433 marquent un

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moment capital dans le développement institutionnel de l’université d’Angers. Il faut en même temps le relativiser car la bulle pontificale n’instaurait pas un ordre totalement nouveau : un enseignement de ces disciplines est en effet attesté antérieurement, comme pour les arts libéraux, mais hors d’un cadre réglementaire. De même en théologie : d’après l’inventaire des archives de cette faculté dressé en 1677, un registre des grades octroyés a été tenu à partir de 1423 ; de plus, à partir de l’incorporation du couvent des Dominicains à l’université en 1405, cet établissement peut être considéré comme une antenne théologique du studium [Lévesque, 1961, p. 74-76]. Et en médecine : l’enseignement devait même jouir d’une certaine notoriété puisqu’en 1419, la ville de Bruges attribua une pension à un étudiant flamand afin de venir achever ses études à Angers [Petit, Saint-André, p. 53].

L’implantation des nouvelles facultés ne se fit pourtant pas sans heurt car elle ranima un vieux contentieux. Dès 1434 débuta devant le Parlement – retranché provisoirement à Poitiers – un procès opposant le maître-école Jean Bouhalle, docteur in utroque jure et régent, procureur de l’université au concile de Bâle, à Jean Boucher († 1437), doyen de la collégiale Saint-Jean-Baptiste3. L’enjeu était le droit de collation – droit honorifique, mais aussi lucratif – des grades dans les nouvelles facultés. Boucher invoquait une deuxième bulle d’Eugène IV, aujourd’hui perdue, par laquelle le pape aurait laissé au maître-école la collation dans les facultés de théologie et de médecine en réservant au doyen de Saint-Jean-Baptiste les grades en arts libéraux ; il fit valoir que quatre nations le soutenaient et qu’il fallait agir avec célérité car « l’université d’Angiers est moult troublée à bailler les degrez ès sciences et facultés. » Le Parlement donna pourtant raison à Bouhalle en septembre 1435, avant qu’une nouvelle bulle aille dans le même sens, mais en restant muette sur la faculté des arts. Il n’y a pas de doute que le maître-école réussit à s’imposer : en 1494, lors de la réforme générale des statuts de l’université, le doyen de la collégiale se plaignit à nouveau de ne pouvoir exercer ce qu’il considérait comme son droit, confisqué par le dignitaire de la cathédrale auquel devaient être présentés les nouveaux gradués en arts.

1. 3. Les Grandes Écoles

L’organisation des nouvelles facultés fut également lente car elles ne se dotèrent que tardivement de statuts : 1464 pour la théologie, 1484 pour la médecine [Lamy] (fig. 2), et 1494 pour la faculté des arts [Port, 1878]. Tous ces statuts fourmillent de règlements – élection et pouvoirs du doyen à la tête de chaque faculté, enseignement et conditions des examens, serments exigibles lors de l’octroi des grades… – dans le détail desquels il n’est pas possible d’entrer ici. Le fait est que ces facultés fonctionnèrent à partir des années 1430 sans davantage de locaux institutionnels que la faculté des droits. Des solutions furent donc trouvées. Pour la théologie, les deux régents initialement institués dans la faculté donnèrent leurs cours dans le réfectoire de la cathédrale. Pour la médecine, il est possible que – comme à Paris et Toulouse – son enseignement dépendît de celui des arts ; les cours auraient donc pu être dispensés non pas avec les écoles de droit rue des Écuyers, mais dans la grande salle des Arts rue Basse Saint-Martin (fig. 3).

Statuts de la faculté de médecine de l’université d’Angers (15 mars 1484)

[III] S’ensuivent les statuts de ceux qui veulent passer l’examen du baccalauréat.

Primo, quiconque veut être admis au grade de bachelier fournira aux maîtres de la faculté les preuves qu’il est bien maître ès arts de l’université d’Angers ou d’une autre université renommée et reconnue.

Item, nul n’est admis audit grade du baccalauréat s’il n’a étudié dans ladite faculté de médecine durant six années après le grade de maître ès arts […].

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Item, avant d’être admis à un examen, l’écolier sera tenu de répondre publiquement à une question de médecine et il sera alors convoqué à l’examen comme cela paraîtra approprié.

Item, ledit écolier sera examiné, dans les écoles publiques, sur la théorie et la pratique, pendant deux jours ou davantage et, au dernier jour de son examen, il fera la lecture d’un aphorisme en posant des remarques et des conclusions contre lesquelles les examinateurs pourront argumenter et, s’il est reconnu compétent, il sera admis au serment, ou, s’il est reconnu incompétent et rejeté comme indigne du grade, il offrira cependant aux assistants, à l’issue de l’examen, du vin et des épices, dans la maison des docteurs ou autre lieu, en toute décence et honnêteté.

Item, celui qui aura été ainsi examiné versera, avant de prêter serment, six écus ou l’équivalent en monnaie courante à la bourse de la faculté et trois écus ou l’équivalent à son maître.

Item, à chaque docteur il donnera un pain de sucre très fin du poids d’une livre ou une livre d’épices confites, au choix des docteurs […].

[IV] S’ensuivent les serments exigibles lors de l’octroi du grade de bachelier […].

Item, il jurera de n’exercer ni pratiquer la médecine en prescrivant toutes formes de médications, en la ville d’Angers et ses faubourgs, sinon en la compagnie d’un docteur ou avec l’accord de la faculté, jusqu’à ce qu’il lui soit donné d’atteindre le grade de licence.

Item, il jurera que s’il a eu connaissance qu’une ou plusieurs personnes veulent attenter à l’honneur et à l’intérêt de la faculté, il le révélera immédiatement au doyen et aux docteurs, surtout s’il a appris que tel ou tel pratique la médecine de façon illicite.

Item, il jurera de ne pas user de charmes, sortilèges, amulettes, divinations ou autres superstitions pour soigner des maladies, par lui-même ou avec un intermédiaire, directement ou indirectement, et en particulier contre la foi […].

Source : ADML, « Manuscrit du doyen » ; [Cauneau, Philippe, 1999].

De même que l’éparpillement des lieux d’enseignement dans la ville, l’absence de bâtiments propres est caractéristique des universités médiévales jusque fort tard. Dans un premier temps, il y fut remédié par le choix de l’église collégiale Saint-Pierre comme lieu de réunion du collège de l’université – dans la chapelle Saint-Luc, entretenue aux frais du studium – comme le précisent les statuts de 1373 et le rappellent ceux de 1398 ; pour la délivrance du grade de docteur, une « chaire des docteurs » en pierre y était aménagée4. En revanche, c’est le palais épiscopal qui accueillait les gradués pour la bénédiction de licence.

Mais l’aboutissement matériel de l’institutionnalisation de l’université fut la création du bâtiment des Grandes Écoles. Le noyau initial se composait des deux maisons attachées à la chapellenie Saint-Yves fondée par le chanoine et régent in utroque Gui de Cleder († 1398) situées sur le fief de la collégiale Saint-Pierre5. En 1472, le chapelain René Pivert, licencié en droit canon, vendit ces maisons « dans lesquelles ont de coutume de lire et régenter les docteurs régents et aussi les écoliers d’entendre les leçons ordinaires et extraordinaires desdits docteurs et faire autres actes solennels desdites facultés de droit canon et civil […], et aussi les chaires et bancs étant dans lesdites écoles6. » Leur transformation fut financée par les six nations, avant l’inauguration solennelle le 9 octobre 1477. D’après le dessin qui en est conservé (fig. 4), la façade était ornée des écussons des six nations. Les différentes salles étaient partagées entre l’enseignement du droit canon, du droit civil et de la médecine.

2. L’enseignement universitaire 2. 1. Contenus et méthodes

Quelle qu’en ait été la date, la mutation institutionnelle des écoles en universités n’a pas eu d’incidence sur les modes de transmission des savoirs : l’enseignement reposait sur l’oralité et sur l’usage exclusif de la langue latine – ce dernier caractère ayant un effet

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considérable sur la mobilité géographique des gens d’étude. Dans chaque discipline, des auteurs ou des œuvres avaient valeur d’« autorités » (auctoritates) et la pratique pédagogique unanimement adoptée consistait en leur lecture agrémentée de commentaires ou gloses. Ces textes étaient identiques dans l’ensemble des centres universitaires de l’Occident médiéval – autre facteur propice à la mobilité des gens de savoir. Pour les arts libéraux, les autorités étaient Cicéron en rhétorique ou Aristote en logique ; en théologie, la Bible naturellement, les Pères de l’Église et surtout le livre des Sentences de Pierre Lombard († 1160) ; en droit, le corpus de droit canon (Décret de Gratien, Décrétales, Sexte et Clémentines) constitué entre les environs de 1140 et 1317, et le corpus de droit civil ou romain (Code, Digeste, Institutes, Novelles ou Authentiques) compilé à Byzance au VIe siècle et redécouvert en Italie au XIe

siècle ; en médecine, les œuvres d’Hippocrate et de Galien ainsi que le Canon d’Avicenne († 1037), médecin et philosophe d’origine perse. Dans les facultés supérieures, ces textes firent l’objet de gloses érigées elles-mêmes au rang d’autorités, qualifiées de gloses ordinaires, qui accompagnaient les autorités de base dans les manuscrits universitaires (fig. 5).

Tout l’enseignement universitaire reposait sur la combinaison de deux sortes d’exercices : la lecture ou leçon (lectura, lectio) et la dispute (disputatio), pratiquées librement au XIIe siècle, mais dont le déroulement fut fixé – et figé – à partir du siècle suivant.

La lecture était l’exercice traditionnel qui visait à inculquer la connaissance d’ensemble des textes constituant la base d’une discipline. Après une introduction générale au texte, le régent devait le lire intégralement, en s’appuyant sur les gloses autorisées, mais il pouvait aussi exposer sa doctrine personnelle. Devant la longueur des livres à étudier, les maîtres en vinrent dès le XIIIe siècle à distinguer deux types de leçon, évolution encore renforcée par la suite avec la tendance au raccourcissement des cursus : la « lecture ordinaire », qu’ils se réservèrent, portait sur les livres ou les passages les plus importants, et les « lectures extraordinaires », laissées aux bacheliers, qui étaient un exercice plus sommaire permettant de débroussailler des textes en vue des leçons du maître ou d’étudier des auteurs ou des œuvres regardés comme secondaires. La dispute est typique de la pédagogie universitaire, même si elle est antérieure à la naissance des studia. Elle rassemblait tous les bacheliers – les simples écoliers non encore gradués pouvaient y assister, mais en silence – sous la direction d’un maître qui soulevait un thème appelé quaestio sur lequel un ou plusieurs de ses étudiants devaient argumenter et répondre aux objections de l’assistance, suite à quoi le régent concluait en donnant sa determinatio. La dispute supposait une bonne maîtrise des procédés techniques de la dialectique aristotélicienne, une parfaite connaissance des autorités de la discipline et une grande vivacité d’esprit. Elle constituait de surcroît un excellent apprentissage pratique pour des juristes appelés à devenir des plaideurs en cours de justice ou pour des théologiens destinés pour la plupart à la prédication. À l’inverse, elle pouvait provoquer ou raviver des querelles personnelles ou tourner à la virtuosité formelle pour flatter l’ego. D’après les sources, la dispute déclina lentement à partir du XIVe siècle pour devenir un simple exercice d’entraînement aux examens.

En effet, l’une des grandes spécificités des universités par rapport aux écoles d’antan est d’avoir encadré l’enseignement dans un moule rigoureux – mais pas toujours respecté, semble-t-il – de cursus établis, de programmes imposés et d’examens nécessaires à l’obtention des grades qui venaient donner une visibilité sociale aux études universitaires. Le plus ancien et le plus sérieux était la licence (licentia docendi) qui reconnaissait l’aptitude à enseigner après avoir jugé de la capacité de l’impétrant à soutenir avec succès une ou plusieurs disputes sur des sujets imposés ou éventuellement tirés au sort. Elle pouvait être suivie du doctorat qui était seulement un acte corporatif correspondant à l’entrée d’un licencié dans le collège des docteurs susceptibles d’obtenir une chaire. Le dernier des grades à avoir été formalisé fut le baccalauréat, examen simple servant dans la classe d’un régent à distinguer les débutants,

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simples auditeurs, des étudiants avancés aptes à assister leur maître, notamment dans les lectures extraordinaires.

2. 2. Livres et bibliothèque universitaire

L’enseignement universitaire présentait donc l’ambiguïté de reposer sur l’oralité, mais à partir de livres qui comprenaient les autorités, leurs commentaires autorisés ainsi que les développements personnels du maître, pratique qui conditionnait jusqu’à la mise en page des manuscrits (fig. 6). Compte tenu de la place centrale de l’écrit dans les méthodes d’enseignement, les universités ont obtenu des privilèges leur permettant de contrôler la production et le marché du livre ; à Angers comme ailleurs, scribes et libraires avaient le statut de suppôts de l’université et étaient placés de ce fait sous sa juridiction. L’université vérifiait la correction des textes mis en circulation (exemplar) et destinés à être reproduits, avec un système de cahiers indépendants appelés peciae permettant à plusieurs scribes de travailler simultanément à la copie d’un même texte. Les villes universitaires comme Angers ont donc connu une production en série des œuvres nécessaires à l’enseignement et la naissance de l’imprimerie au milieu du XVe siècle n’a fait qu’accroître le commerce et la circulation du livre. D’après l’inventaire après décès de ses biens (fig. 7), Hardouin Bréhier († 1506), chanoine de la cathédrale, docteur en droit civil et licencié en droit canon, par ailleurs doyen de la faculté des arts, possédait soixante-deux volumes dont exactement la moitié en « impression de Venize » (les plus nombreux) ou « d’impression d’Alemaigne » [Matz, 2002].

Tous les étudiants n’avaient pas les moyens financiers de se constituer une bibliothèque personnelle contenant les livres nécessaires pour suivre avec profit les leçons magistrales. Ce n’est pourtant que tardivement, au XVe siècle, qu’apparurent les premières bibliothèques universitaires. Auparavant, seules les bibliothèques des établissements ecclésiastiques – qui remplissaient de ce fait une fonction semi-publique – avaient été en mesure d’offrir aux étudiants et aux enseignants les ressources documentaires qui leur étaient utiles, à l’image de la bibliothèque du chapitre cathédral d’Angers [Matz, 2005a]. Dans certains cas, quelques collèges disposaient aussi de bibliothèques ; cependant, leur consultation était en principe réservée aux boursiers qui y étaient hébergés. Le XVe siècle est marqué par la naissance des bibliothèques universitaires en tant que bâtiments spécifiquement consacrés à la conservation et à la consultation des manuscrits et bientôt des imprimés, comme on le voit à Orléans ou Avignon (hors du royaume) vers 1420 ou plus tard à Caen.

Celle d’Angers a dû naître dans les mêmes années. En effet, à sa mort en 1424, le premier recteur élu en 1398, Alain de La Rue, légua par testament tous ses livres juridiques à son ancienne faculté, constituant de la sorte le noyau initial de cette bibliothèque. Si l’on ne dispose malheureusement pas d’inventaire de ses livres, le hasard de la conservation des sources nous vaut la grande chance d’en avoir les statuts, document exceptionnel daté de 1431 [Port, 1867]. Ce texte permet de pénétrer dans la vie de la bibliothèque car les différents articles définissent les modalités de désignation et de rétribution du bibliothécaire, ses obligations concernant la production de manuscrits, les jours et heures d’ouverture, la gestion de deux types d’ouvrages – les uns enchaînés donc exclus du prêt les autres empruntables –, les conditions du prêt ou les sanctions contre les contrevenants aux règlements. Deux « gardes de la librairie » sont connus pour le XVe siècle : Simon Pommier, originaire de Coutances, en 1432, et Jean Lemercier en 1462 [Fournier I, n° 471 et 482].

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Statuts de la bibliothèque de l’université d’Angers (1431)

S’ensuivent les statuts de la bibliothèque commune de l’université d’Angers et de son bibliothécaire, faits l’année 1431.

[§ 1] D’abord, il est décidé et ordonné que la personne désignée à la garde et au fonctionnement de cette bibliothèque sera élue par le recteur et l’université d’Angers, une fois donnée une caution personnelle suffisante de son statut de bourgeois et une fois prêté le serment souscrit à la congrégation universitaire de conserver dans cette bibliothèque fidèlement les livres, volumes, cahiers et autres, et d’en rendre compte autant que de besoin. [Il] sera logé dans un certain endroit à l’étage inférieur ou supérieur de la bibliothèque qui lui sera assigné par le recteur et le collège de cette université, (…) située dans la rue appelée en français de la Chaussée Saint-Pierre, et jusqu’à ce qu’une autre demeure lui soit construite. Cet office sera révocable selon le bon plaisir de l’université […].

[§ 5] Item, le bibliothécaire général ou le custode sera tenu d’autoriser l’entrée au recteur, aux docteurs, aux licenciés, bacheliers, étudiants et aux suppôts de l’université, mais à personne d’autre qui lui serait inconnu et qui lui aurait demandé l’accès à la bibliothèque, sans l’autorisation du collège ou sans la présence de quelque noble suppôt de ladite université […]. Il devra aussi inspecter cette bibliothèque le soir et fermer toutes les portes et fenêtres comme il faut, ainsi que les volumes ouverts, sauf cependant en été où les fenêtres, fermées pour chasser la chaleur et retenir l’air, pourront rester ouvertes plus souvent.

[§ 6] Item, afin que, sous prétexte d’étude, on ne commette dans cette bibliothèque ni crime ni mauvaise action, ni qu’à cette occasion il soit porté préjudice à l’université ou à ceux qui y étudient, il est formellement interdit au bibliothécaire général ou au custode d’ouvrir ou de faire ouvrir la bibliothèque à quiconque de la tombée de la nuit jusqu’à l’aube et durant le cours ordinaire de ceux qui enseignent le matin, ainsi que durant les cours extraordinaires des docteurs […].

[§ 7] Item, les jours sans cours, les jours fériés et les périodes de vacances, le bibliothécaire sera présent du lever du soleil à son coucher pour ouvrir les portes à tous les membres de l’université […].

[§ 9] Item, le bibliothécaire général ou le custode ne doit autoriser personne à sortir de cette bibliothèque ou à emporter avec soi tout volume ou ouvrage enchaîné, quel qu’il soit, ou tout fragment de livre, sans une autorisation écrite du collège des docteurs et du recteur, quels que soient les arguments allégués. Si quelqu’un, à l’insu du bibliothécaire, ose agir en sens contraire, violemment ou en cachette, il se trouvera ipso facto parjure à l’égard de l’université et il en sera exclu ignominieusement, avec une tache d’infamie perpétuelle […].

[§ 15] Item, le bibliothécaire général ou le custode est tenu d’écrire ou de faire écrire à ses frais par un ou plusieurs copistes les leçons qui lui auront été apportées et imposées par le recteur ou le collège des docteurs […].

[§ 17] Item, les livres non enchaînés et les cahiers, estimés et marqués, seront distribués aux licenciés et aux bacheliers et, si besoin, aux docteurs régents, mais pas à ceux qui ne font pas de cours […]. Par sécurité et pour que chacun se sente davantage obligé de restituer les ouvrages, le bibliothécaire pourra exiger et recevoir de ceux qui empruntent les livres non enchaînés et les cahiers, en main propre et sous forme de gage, le double de la valeur estimée du livre, par tranche de cinq deniers […].

[§ 18] Item, si par hasard quelqu’un retient un ou plusieurs livres ou cahiers au-delà de trente jours, contre la volonté du bibliothécaire ou de quelque suppôt indigent de l’université voulant les récupérer, le bibliothécaire, une fois passés les trente jours, sera tenu de copier ou faire copier aussitôt, sur l’argent de l’hypothèque, un livre ou cahier semblable. S’il restait un reliquat de cette hypothèque, nous voulons qu’il reste au bibliothécaire pour compenser ce manque […].

Source : [Fournier I, n° 469] ; traduit du latin par GILLI P., Former, enseigner, éduquer dans l’Occident médiéval (1100-1450), Paris, 1999, p. 96-99.

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3. Les régents

3. 1. Les contours d’un milieu

Jusqu’au milieu du XIVe siècle, le monde des régents d’Angers reste assez mal connu, tant dans les modalités de son recrutement que dans ses effectifs. On ignore la durée d’activité de la douzaine de professeurs identifiés dans la seconde moitié du XIIIe siècle. En 1312, les écoles de droit étaient tenues par au moins sept régents, chiffre que l’on retrouve dans les années 1330. Tombé à deux du fait de la peste de 1349, remonté à quatre dès octobre 1350, leur nombre est établi à huit ou neuf par les statuts de 1373 [Fournier I, n° 396, § 1] qui en mentionnent trois ou quatre pour les lois, deux à trois pour la lecture des Décrétales et deux pour le Décret – ce qui paraît beaucoup pour le droit canon au regard de la répartition des étudiants entre les deux droits savants. Ces statuts fixent le calendrier de leur enseignement qui commence le premier jour ouvrable après la Saint-Denis (9 octobre) et se termine à la fête de Marie Madeleine (22 juillet), avec deux interruptions à Noël et à Pâques (§ 3). Dans leurs cours, les régents devaient être revêtus d’une chape – long vêtement de cérémonie, sans manches, clos de toutes parts, adopté par les ecclésiastiques (§ 31). Comme dans toute corporation, la concurrence déloyale était prohibée : il est fait défense à un régent d’attirer les étudiants d’un confrère ou de médire de lui (§ 16 et 18).

La principale caractéristique de ce milieu est la prépondérance écrasante – sinon exclusive avant le XVe siècle – des ecclésiastiques. Ces gens de savoir se recrutent pour certains dans les rangs des réguliers [Matz, 2005b]. Jean Milet, abbé de Saint-Florent de Saumur (1309-1324) régente le droit canon et son successeur Guillaume de Chanac (1354- 1368) enseigne les lois avant de devenir évêque de Chartres puis de Mende et enfin cardinal.

L’abbaye Saint-Aubin d’Angers donne deux abbés régents en droit canon : Pierre Bonnel (1345-1349), mort de la peste, et Jean de La Bernichère (1349-1375). On trouve également un abbé de Saint-Serge, Pierre de Chalus au début du XIVe siècle et un autre de l’abbaye Toussaint d’Angers avec Guillaume Rolin (1381-1399), mais les réguliers disparaissent au siècle suivant, preuve du repli intellectuel des milieux monastiques à la fin du Moyen Âge.

La plupart des régents sont des clercs séculiers, particulièrement nombreux à être attachés au chapitre de la cathédrale d’Angers. À des titres divers, plusieurs d’entre eux méritent d’être retenus. Jean de Cherbée, noble, seigneur d’Ardenne, doyen du chapitre (1380-† 1412) et titulaire de nombreux autres bénéfices dans les diocèses de Nantes, Tours et Angers, pour sa longévité puisque sa régence court d’au moins 1373 à la veille de sa mort.

Pierre de Corcé, également doyen du chapitre (1368-† 1378), un des réformateurs du studium en 1373, pour la richesse de sa bibliothèque connue par son testament7. Gilles Bellemère, noble du diocèse du Maine né vers 1342, collectionneur de bénéfices ecclésiastiques qui finit évêque d’Avignon (1392-† 1407), chanoine d’Angers jusqu’en 1383 où il régenta le droit canon avant de le faire à l’université de sa ville épiscopale, pour la profondeur de sa science et sa riche production personnelle qui comprend des commentaires sur tous les livres du corpus juris canonici, un traité de théologie sur les sacrements et deux traités sur le Grand Schisme8. Quant à Alain des Vignes († 1432), originaire des environs de Rennes, régent depuis 1400 et chanoine en 1405, il vient s’illustrer dans un tout autre registre : en 1409, une vingtaine de ses étudiants le mirent en accusation, l’un disant qu’« il lui avoit paru fort ignorant des principes du droit », un autre que « ledit Alain étant recteur, avoit donné des cédules scellées du sceau de la rectorie, pour faire des bacheliers qui n’avoient pas étudié le temps prescrit par les statuts », l’obligeant ainsi à abandonner sa chaire [Fournier I, n° 448].

Un trait commun semble partagé par une grande majorité de ces régents, en particulier les séculiers : l’enseignement n’était pour eux qu’une activité temporaire, interrompue par leurs activités dans la société, notamment au service de l’État moderne alors en construction,

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auprès des rois de France ou des ducs d’Anjou ou de Bretagne. Abondamment pourvus de bénéfices aux revenus desquels ils ajoutaient les émoluments de leurs charges civiles, ils disposaient d’une assise financière solide. Le couronnement de la carrière de beaucoup – aux

XIIIe et XIVe siècles tout du moins – se trouve dans la promotion à l’épiscopat qui finissait de conforter leur position sociale. Relativement imbus de leur savoir et d’une situation sociale enviable à défaut de l’être toujours au plan financier, les régents appartenaient sans conteste aux élites de la fin du Moyen Âge (fig. 8).

3. 2. Mode de recrutement et exercice du métier

Il faut attendre l’extrême fin du XIVe siècle pour enfin savoir comment un régent était désigné, car les statuts restent muets sur la procédure – en 1373, il est seulement stipulé que chaque nation devait s’assembler pour la désignation à une chaire (§ 32). En janvier 1392 eut lieu un procès devant le Parlement de Paris, opposant Michel Lévesque, demandeur, à Simon Le Breton. L’objet du litige concernait l’obtention d’une chaire de droit civil dans la nation de Normandie, laissée vacante par la nomination de Guillaume Le Tort à l’archevêché de Bari dans le royaume angevin de Naples9. Lévesque prétendait avoir la possession de la chaire en litige car sur 33 ou 34 électeurs dans l’assemblée de cette nation, 18 l’avaient choisi, principalement de simples écoliers ; Le Breton entendait se maintenir car ses 15 ou 16 électeurs étaient quant à eux tous bacheliers ou licenciés. En vertu du principe électif de la major et sanior pars, le procureur de la nation s’apprêtait à entériner l’élection de ce dernier, mais les partisans de Lévesque l’imposèrent. Le maître-école refusa toutefois de le recevoir et installa – avec l’accord des autres régents – Le Breton dans sa chaire, d’où la plainte de Lévesque. Ce procès fait donc comprendre une désignation en deux temps : gradués et écoliers d’une nation procédaient à l’élection et le dignitaire de la cathédrale à son installation. La procédure semble inchangée au XVe siècle, comme le montre la désignation de Guillaume de Saint-Just († 1459), encore un chanoine, portée par la nation d’Aquitaine.

Les régents en droit du XVe siècle sont assez bien connus, grâce à des travaux anciens [Lens, 1876 et 1880 ; Fournier, 1892]. L’élément ecclésiastique continue à dominer très largement. Une bonne trentaine de chanoines de la cathédrale ont ainsi régenté le droit, tout en continuant à mêler une gamme variée d’activités au cours de leur vie. Jean de La Réauté (v. 1411-† 1481), d’abord maître d’école à Château-Gontier puis avocat à Angers, fut régent à Angers entre 1452 et 1458 au moins, avant d’intégrer le Parlement de Paris et de devenir conseiller de Louis XI. La collégiale Saint-Pierre, attachée institutionnellement à l’université, pourvoyait également des régents comme Pierre Huguet (1445-1466), Jean de La Moussaye au moins en 1448, Pierre Dasnes (1479-1492) ou Louis Lecornu, natif du Maine, entre 1464 et sa mort en 1493. Mais à la différence de leurs devanciers, les universitaires du XVe siècle sont plus rares à finir évêques, à l’exception de Thibaud Le Moine à Chartres († 1441) ou de Jean Bernard – régent dans les années 1430, chancelier du roi René – à Tours († 1466).

Malheureusement, les régents des autres facultés sont nettement moins bien connus.

En théologie, le premier régent attesté est Matthieu Ménage († 1446), Manceau d’origine formé à Paris, autorisé par le chapitre cathédral – dont il devint membre en 1441 – à donner ses cours dans le réfectoire en 1432. Deux autres régents, également chanoines de la cathédrale sont identifiés : Pierre Belin, de 1448 à sa mort en 1461, et Jacques Chalery (1465-

† 1497). Pour la médecine, seuls émergent les témoins lors de la rédaction des statuts de 1484 : Nicolas Droulin, toujours régent en 1499, curé de Champtocé, médecin de la ville en 1487 ; Jean Michel († 1501), également médecin de la ville (1486), formé à Paris, tout comme Nicolas Viard, ancien « physicien » du roi René. L’éclairage n’est pas meilleur sur la faculté des arts dans laquelle apparaît heureusement la figure de Jean Dabard, ecclésiastique angevin né au début du XVe siècle, doyen de la faculté en 1454, bachelier en théologie une dizaine

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d’années plus tard, dont on conserve aujourd’hui pas moins de treize manuscrits – deux sur les Sentences du Lombard et quatre sur la Somme de Thomas d’Aquin (fig. 9), car il pourrait bien avoir intégré la faculté de théologie avant la fin de sa vie.

4. L’université dans la ville

4. 1. L’université dans la vie quotidienne

À la fin du Moyen Âge, l’université était bien installée dans la ville. Par la localisation des différents bâtiments liés à son fonctionnement, pas un quartier d’Angers n’échappait à sa présence. Par la dissémination de leurs lieux d’hébergement dans les établissements ecclésiastiques ou dans des immeubles privés, les étudiants étaient omniprésents dans la ville et la vie quotidienne. L’université jouait un rôle majeur dans l’animation de la vie culturelle de la cité, par sa fonction d’enseignement évidemment [Coville], mais aussi par toutes les célébrations religieuses qui rythmaient le calendrier universitaire et auxquelles le studium dans son ensemble ou seulement les membres de telle faculté ou de telle nation étaient tenus de comparaître et de participer. Au plan culturel, la présence et l’engagement financier de l’université concernaient également des manifestations exceptionnelles de la vie citadine comme la représentation théâtrale du Mystère de la Passion qui fut joué pendant six jours consécutifs, à la fin du mois d’août 1486, tant le texte était long. Son auteur n’était autre que Jean Michel, natif d’Angers, qui avait conquis ses grades à la faculté de médecine de l’université de Paris dans les années 1470 avant de devenir régent dans celle d’Angers.

En raison de son statut privilégié et de son rayonnement, l’université était associée aux événements marquants de la vie civile de la cité. Ainsi, dans les années 1450 fut menée sur ordre du duc d’Anjou René (1434-1480) une réforme des coutumes de la province ; confiée au juge ordinaire Jean Breslay, formé en droit aux écoles d’Angers, l’entreprise associa les juristes du studium et la réformation fut publiquement proclamée en janvier 1463 (fig. 10). À l’occasion, l’université était également sollicitée lors des entrées solennelles des rois de France dans la ville, un rituel de mise en scène de la souveraineté fort prisé à la fin du Moyen Âge : en 1487, pour l’entrée de Charles VIII, le roi « voulut voir messeigneurs de cette université d’Angers, lesquels luy firent une harangue belle et honnête à merveille dont il fut très content » relate Guillaume Oudin dans son Journal. Le corps universitaire participait de même aux obsèques des grands de ce monde. En 1481 eurent lieu les funérailles du « bon roi René », une fois son corps rapporté de son comté de Provence où il était mort l’année précédente : le 9 octobre, pour la sépulture de son corps à la cathédrale, la cloche de l’église Saint-Laud – de laquelle partit le cortège – annonça l’ébranlement du cortège funèbre « et avecques icelle la cloche de l’université, affin que un chacun [de ses membres] se rendit ès lieux députés » ; le lendemain, pour la sépulture de son cœur dans l’église des Franciscains, la boîte d’argent dans laquelle il reposait fut portée solennellement de la cathédrale au couvent par quatre docteurs de l’université10. Après l’institution de la Mairie en 1475, l’université revendiqua la préséance sur le corps de ville dans le cortège funéraire des maires défunts, mais elle ne l’obtint – et encore occasionnellement seulement – qu’au XVIe siècle.

4. 2. Le monde universitaire dans la vie politique locale

En effet, l’université était devenue un acteur de poids dans la vie politique locale depuis la création de l’institution municipale. Au cours du règne de Louis XI (1461-1483), les empiètements du pouvoir royal dans le duché devinrent de plus en plus nombreux. Le roi, neveu du duc, lorgnait sur les domaines français de René d’Anjou. Or ce dernier perdit

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successivement son fils Jean de Calabre en 1470 et son petit-fils Nicolas en 1473, ce qui le privait désormais d’héritier mâle en ligne directe. Or l’Anjou était tenu en apanage et, en pareille situation, le droit prévoyait le retour des terres apanagées au domaine royal. Par son testament de 1474, René en décida autrement : il promettait l’Anjou à son autre neveu Charles du Maine. À l’été 1474, Louis XI fit donc saisir le duché et en février 1475, afin de saper l’autorité de son oncle, il instaura la mairie d’Angers et nomma à vie le premier maire. Dans les années suivantes, une réelle tension politique est décelable dans le récit des événements laissé par Guillaume Oudin. Aussitôt la mairie instituée, « aucunes gens en parlèrent un peu à volonté en murmurant dudit maire […], lesquels murmurants furent forbannis de ladite ville par longtemps, dont l’un avoit nom Messire Louis Lecornu, docteur régent. » En 1476, à Lyon, le roi et René conclurent un accord au terme duquel le duché fut restitué à son titulaire jusqu’à sa mort à condition de livrer le château d’Angers à un capitaine du roi et de maintenir les institutions municipales.

L’une des dispositions de la charte de création de ces institutions municipales consistait à retirer au sénéchal d’Anjou et au prévôt d’Angers l’office de conservateur des privilèges royaux de l’université pour le confier à la mairie. Cette nouveauté explique l’implication des membres du studium dans la fronde hostile au roi qui déboucha sur une assemblée tenue au couvent des carmes le 9 septembre 1478, dans laquelle s’exprima le mécontentement des élites urbaines. Le roi la réprima par l’imposition de lourdes amendes – pour un total de plus de 10 000 écus. Il faut peut-être replacer dans ce contexte de trouble l’ordonnance royale promulguée le 12 mars 1479 contre les assemblées nocturnes : Louis XI y dénonce « plusieurs gens de félon courage, rempliz de maling et dyabolique esprit » et que

« plusieurs gens de divers estats, et mesmement aucuns qui se disent escoliers, qui font plusieurs asemblées de jour et de nuyt, portent espées, bracquemarts et armes invasives, prohibées et défendues, se assemblent de nuyt en lieux inconnus et tous armez s’en vont par les rues, jetant pierres, et frappent et battent ceux qu’ils trouvent parmi les rues11. » Guérilla urbaine pour raison politique ou vulgaire délinquance, les sources ne permettent pas de trancher.

Quoi qu’il en soit, après la mort de Louis XI, les revendications furent nombreuses, notamment de la part de l’université, pour limiter les pouvoirs de la mairie. Les universitaires réclamaient la restitution de l’office de conservateur des privilèges à ses anciens détenteurs, prétextant que « lesdits de la mairie ont grandement molesté et travaillé, molestant et travaillant de jour en jour lesdits suppliants, tellement que la plupart d’eux ont été par cy- devant contraints de vider et abandonner ladite ville et université. » Charles VIII répondit dès novembre 1483 en imposant le « silence perpétuel au maire et aux autres officiers de ladite mairie touchant la cour, juridiction et connaissance desdits privilèges desdits suppliants » [Fournier I, n° 487]. L’université eut gain de cause : le sénéchal et le prévôt furent réintégrés dans leur office.

Illustrations :

- Fig. 1 : Le royaume de France dans les années 1420-1430 (cartographie Sigrid Giffon, UMR ESO-CARTA, Angers).

- Fig. 2 : Statuts de la faculté de médecine, 1484 (ADML, « Manuscrit du doyen », fol. 1). © Archives départementales de Maine-et-Loire.

- Fig. 3 : Les lieux d’enseignement à Angers à la fin du Moyen Âge (réalisation François Comte, Service archéologique de la ville d’Angers, cartographie Sigrid Giffon, UMR ESO- CARTA, Angers).

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- Fig. 4 : Le bâtiment des Grandes Écoles inauguré en 1477 (BMA, ms. 995 (871), p. 425). © Ville d’Angers.

- Fig. 5 : Décrétales de Grégoire IX (1234) avec la glose ordinaire (BMA, ms. 376 (363), fol.

22v-23, XIVe siècle). © Ville d’Angers.

- Fig. 6 : Code de Justinien (XIVe siècle), avec la glose ordinaire encadrante et la glose d’un maître au bas des feuillets (BMA, ms. 339 (330), fol. 33v-34). © Ville d’Angers.

- Fig. 7 : Inventaire après décès des livres d’Hardouin Bréhier, chanoine d’Angers, 1506 (BMA, ms. 706 (635), fol. 15v-16). © Ville d’Angers.

- Fig. 8 : Repertorium de Pierre de Brach, représentation de l’auteur, XVe siècle (BMA, ms.

331 (322), fol. 1). © Ville d’Angers.

- Fig. 9 : Somme de Thomas d’Aquin (XIVe siècle) que Jean Dabard légua à l’abbaye Saint- Serge d’Angers (BMA, ms. 216 (207), fol. 16). © Ville d’Angers.

- Fig. 10 : Réforme des coutumes d’Anjou (BMA, ms. 342 (333), fol. 77). © Ville d’Angers.

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1 - MILLET H., Le concile de Pise. Qui travaillait à l’union de l’Église d’Occident en 1409 ?, Turnhout, 2010, p. 95.

2 - BMA, ms. 1238 (1013), fol. 50.

3 - AN, CARAN, X1a 9200, fol. 293-310 ; LUSIGNAN S., « Vérité garde le roy », op. cit., p. 95-98 ; [Dugal, 2000, p.

130-140].

4 - ADML, G 1160, fol. 89.

5 - ADML, G 1203, fol. 1.

6 - ADML, G 1180, fol. 2.

7 - ADML, G 341 (5 décembre 1378).

8 - GILLES H., « Gilles Bellemère », Histoire littéraire de la France, t. XL, Paris, 1967, p. 1-71.

9 - AN, CARAN, X1a 1476, fol. 32v-34v ; [Dugal, 2000, p. 63-68] ; [Petot, 1950].

10 - LECOYDE LA MARCHE A., Le roi René. Sa vie, son administration, ses travaux artistiques et littéraires, t. 2, Paris, 1875, p. 387-394.

11 - ISAMBERT A.-H., Recueil général des anciennes lois françaises, depuis l’an 1420 jusqu’à la Révolution de 1789, t.

10, Paris, 1826, p. 805-808.

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