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Misère et charité : une économie de l'assistance dans les diocèses d'Embrun et de Gap de 1600 à 1800

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Academic year: 2021

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diocèses d’Embrun et de Gap de 1600 à 1800

Frederic Pellas

To cite this version:

Frederic Pellas. Misère et charité : une économie de l’assistance dans les diocèses d’Embrun et de Gap de 1600 à 1800. Histoire. Université Grenoble Alpes [2020-..], 2020. Français. �NNT : 2020GRALH015�. �tel-03193835�

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THÈSE

Pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITE GRENOBLE ALPES

Spécialité : Histoire

Arrêté ministériel : 25 mai 2016

Présentée par

Frédéric PELLAS

Thèse dirigée par Alain BELMONT, professeur d'histoire moderne à l'université Grenoble-Alpes

préparée au sein du Laboratoire : LARHRA

dans l'École Doctorale : Sciences de L’Homme, du Politique et du Territoire

Misère et charité : une

économie de l’assistance dans

les diocèses de Gap et

d’Embrun – 1600-1798

Thèse soutenue publiquement le 18 décembre 2020 devant le jury composé de :

M. Bernard HOURS

Professeur à l’Université de Lyon 3, Président du jury

M. Alain BELMONT

Professeur à l’Université de Grenoble-Alpes, Directeur de thèse M. Gilles BERTRAND

Professeur à l’Université de Grenoble-Alpes, Examinateur Mme Déborah COHEN

Maître de conférences à l’Université de Rouen, Examinatrice Mme Madeleine FERRIERES

Professeur honoraire à l’Université d’Avignon, Examinatrice Mme Anne MONTENACH

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A la mémoire de Joséphine Croix, ma bisaïeule, originaire de Pignerol, que la pauvreté jeta sur les routes en compagnie de sa famille, alors qu’elle était âgée d’une dizaine d’années environ, au début des années 1860.

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Remerciements

Tout d’abord, je tiens à remercier M. Alain Belmont, professeur d’histoire moderne à l’Université de Grenoble-Alpes (UGA), pour avoir accepté de diriger ma thèse.

Je remercie le personnel de Gallica, le site internet de la Bibliothèque Nationale de France, pour la numérisation d’un grand nombre de sources et d’ouvrages, et notamment les correspondances des intendances de Lebret (1688-1726) pour la Provence et de Fontanieu (1724-1740) pour le Dauphiné.

Je remercie l’ensemble des personnels des archives nationales, du site de Paris et de celui de Pierrefitte-sur-Seine, l’ensemble des personnels des archives départementales des Alpes de Haute-Provence ; l’ensemble des personnels des archives départementales des Hautes-Alpes et plus particulièrement Mmes Briotet et Galvin, Mlles Favre et Laporte et M. Robert ; l’ensemble des personnels des archives départementales des Bouches du Rhône, site d’Aix-en-Provence ; Mme Christine Jourdan, archiviste municipale de la Roche-sur-le-Buis dépendant des Archives départementales de la Drôme ; l’ensemble des personnels des archives départementales de l’Isère et l’ensemble des personnels des archives départementales du Vaucluse. Je remercie M. le responsable du département des manuscrits anciens de la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence. Je remercie M. Luc-André Biharnais, archiviste du diocèse de Gap et d’Embrun et Mme Hélène Biharnais, directrice de la Bibliothèque diocésaine du diocèse de Gap et d’Embrun. Je remercie Mme de Palma, directrice de la Bibliothèque de l’IUT de Gap pour avoir assuré le service de prêts entre bibliothèques (PEB), ainsi qu’Emilie et Nadège, ses collaboratrices. Je remercie la mairie de Mison.

Je remercie M. Chiaramella, sous sa « casquette » de premier adjoint au maire de Remollon, pour m’avoir indiqué l’existence de la Maison des pauvres de Claude Giraud située dans sa commune, et sous celle de Président de la Société d’Etudes des Hautes-Alpes pour ses nombreux conseils. Je remercie M. Jean-Pierre Rouge, médecin retraité et archiviste bénévole de la commune de Ribiers pour m’avoir indiqué l’existence du bâtiment ayant fait fonction de maison religieuse. Je remercie également Mme de Brier, secrétaire de la Société d’Etudes des Hautes-Alpes et M. Pierre-Yves Playoust, ancien président de la Société d’Etudes des Hautes-Alpes. Je remercie tous mes amis qui m’ont accompagné de leurs suggestions, de leurs conseils et de leurs encouragements durant toutes ces années.

Je tiens enfin à remercier Mme Anne Montenach, professeur en histoire moderne à l’Université de Provence, pour m’avoir mis le pied à l’étrier dans l’histoire des hôpitaux et de la pauvreté d’Ancien Régime pendant mes années de master de 2009 à 2012.

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Abréviations

A. N. : Archives nationales

A. D. : Archives départementales A. M. : Archives municipales

B. N. F. : Bibliothèque Nationale de France B. M. : Bibliothèque municipale

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Résumé

Ce travail examine les processus de pauvreté, de charité et d’assistance dans les diocèses d’Embrun et de Gap de 1600 à 1798 selon trois axes. Le premier est centré sur les formes de pauvreté soit celles relatives au territoire, aux individus et à la collectivité. Les catégories de pauvres se répartissent entre ceux qui avaient un domicile, les mendiants et les ressortissants en provenance d’États Italiens en s’interrogeant notamment sur leurs formes de mobilité. Les aspects financiers en lien avec la pauvreté sont le paiement de la capitation, les professions et les travaux. Le deuxième axe est consacré à l’étude des structures de secours ; les évolutions de celles du milieu urbain furent les plus importantes car elles purent s’appuyer à la fois sur des tissus économiques et des réseaux socio-professionnels. A partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, les directives royales mirent en place des hôpitaux généraux qui tendirent à se distinguer des structures du milieu rural ; dans celui-ci, structures civiles et structures d’inspiration religieuse constituèrent deux catégories différentes et complémentaires. Le troisième axe a pris en compte des enjeux posés par les populations marginales, soit les protestants et les populations mobiles. L’enjeu confessionnel fut centré autour de la confessionnalisation de la charité jusqu’en 1685, puis de la confessionnalisation de l’assistance après cette date. Le territoire fut également une constante préoccupation des représentants du pouvoir royal envers les mendiants, les vagabonds, les pélerins et les bohémiens. Enfin, ce travail se clot par une réflexion sur les mutations et les permanences des formes de charité dans le département des Hautes-Alpes à partir de 1789, les formes institutionnelles s’étant substituées aux initiatives civiles ou ecclésiastiques d’Ancien Régime. La lutte contre la mendicité et le vagabondage fut remplacée par la loi de 1791 qui associait vagabondage et brigandage, toutefois la mise en place du passeport illustre la place prépondérante que le territoire continuait d’occuper en Haut-Dauphiné à la fin du XVIIIe siècle.

Mots-clés : Secours – Charité – Assistance – Coutume – Economie – Pauvreté – Mendicité – Vagabondage – Diocèse – Hôpital général – Hôtel-Dieu – Protestantisme – Enfermement – Haut-Dauphiné – Période moderne

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Abstract

This work examines the processes of poverty, charity and assistance in the dioceses of Embrun and Gap from 1600 to 1798 along three axes. The first focuses on the forms of poverty, i.e. those relating to the territory, individuals and the community. The categories of the poor are divided into those who had a home, beggars and nationals from Italian states, with particular attention being paid to their forms of mobility. The financial aspects related to poverty are the payment of capitation, professions and work. The second axis is devoted to the study of relief structures; the evolution of those in the urban environment was the most important because they were able to rely on both economic fabrics and socio-professional networks. From the second half of the 17th century onwards, royal directives

established general hospitals, which tended to differ from the structures in rural areas; in the latter, civil structures and religiously inspired structures constituted two different and complementary categories. The third axis took into account the challenges posed by marginal populations, i.e. Protestants and mobile populations. The denominational issue was centred around the confessionalization of charity until 1685, and then the confessionalization of assistance after that date. The territory was also a constant preoccupation of the representatives of the royal power towards beggars, vagrants, pilgrims and gypsies. Finally, this work ends with a reflection on the changes and permanence of forms of charity in the Hautes-Alpes department from 1789 onwards, as institutional forms replaced the civil or ecclesiastical initiatives of the Ancien Régime. The fight against begging and vagrancy was replaced by the law of 1791, which associated vagrancy and banditry, however the introduction of the passport illustrates the predominant place that the territory continued to occupy in Haut-Dauphiné at the end of the 18th century.

Key-words: Help – Charity – Assistance – Custom – Economy – Poverty – Begging – Vagrancy – Diocese – Hospital general – Hotel-Dieu – Protestantism – Confinement – Haut-Dauphiné – Period modern

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« Famille de mendiants demandant la charité à la porte d’une maison »1

1 Rembrandt, 1606-1669. Estampe, eau-forte au burin et à la point-sèche sur papier, sans date. Paris,

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« Salut !

Monsieur, on vous salue en toute humilité, Je vous prie de m’ayder en ma [nécessi]té. Fortune m’est contraire, changeante et variable. Derechef, s’il vous plaist, soyès moi secourable. Ce faisant, je prieray ce bon Dieu tout-puissant Qu’il vous face du ciel à jamais jouissant.

Votre humble serviteur. Michel de La Faye de Molins-en-Borbonnais »2.

Ce sixain3 remis par Michel de La Faye à l’hôtel-Dieu Sainte-Claire de Gap, le

3 mai 1628 et pour lequel il reçut de la part d’un administrateur de cet établissement une aumône de 10 sous est une des rares « voix » de pauvres que l’on puisse trouver dans notre corpus de sources : parce qu’il est homme d’une certaine condition, parce qu’il est un lettré qui sait manier la versification et la rhétorique poétique, Michel de La Faye a laissé une trace archivistique dans un univers dont les pauvres sont habituellement absents. Ils apparaissent au détour de comptes, de délibérations, de dons… un monde dans lequel domine l’aide que l’on apporte aux pauvres plus que le pauvre lui-même. Mais revenons à notre texte… Microcosme dans le macrocosme, ce document porte en germe des questions majeures pour notre étude : celle de l’identité des pauvres et des circonstances de l’appauvrissement, celle de l’aide accordée aux pauvres ainsi que celle de l’enjeu représenté par ces secours ; une dialectique s’instaure donc entre la misère et la charité d’abord, puis ensuite avec l’assistance ; tous ces aspects révèlent les tensions d’une société sur le plan politique mais également économique et religieux face à la maîtrise de ce problème que constitue la pauvreté ; questions particulièrement pertinentes dans le contexte géographique où Michel de La Faye se trouva au mois de mai 1628 : le Haut-Dauphiné. Mais qu’appelle-t-on un pauvre et que sait-on des pauvres, de la charité et de l’assistance en France à l’époque moderne et dans le Haut-Dauphiné en particulier ?

Toutefois, avant la présentation de l’historiographie, il est nécessaire de définir de quelles manières la terminologie de la pauvreté fut un reflet des rapports de la société avec les pauvres. Le terme le plus fréquemment employé dans les sources

2 A. D. Hautes-Alpes, Gap CC 219. Cf. annexe 6 pour le cliché du manuscrit correspondant.

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est celui de pauvre ; thème attesté dès le Moyen Age et directement issu du latin, sa définition présente le pauvre comme un homme qui vit de son travail4. Au XVIIe

siècle, Antoine Furetière définit le pauvre comme quelqu’un « qui n’a pas de bien, qui n’a pas les choses nécessaires pour sustenter sa vie, ou soutenir sa condition »5. La

formulation du terme « pauvre » montre que toutes les mesures et les concepts évoqués dans cette définition furent situés dans le champ social : le bureau des pauvres de Paris, la taxe pour les pauvres sur les bourgeois, les quêtes dans les paroisses et l’établissement des commissaires des pauvres, « tout cela regarde les Petites Maisons sous la direction de M. le Procureur général »6. La création de

l’Hôpital général, à l’été 1656, se justifia par un grand nombre de pauvres présents dans les rues de la capitale : « auparavant on etoit assassiné de pauvres qui demandoient l’aumosne »7. De fait, un ouvrage anonyme de 1622 campe un des

premiers tableaux de la pauvreté et de ses conséquences pour les habitants de cette ville :

« Il y a tant de pauvres maintenant, dit une fruitière des Halles, que nous en sommes mangez. Je ne sçay comment on ne fait pas un reiglement sur le desordre [...] S’ils peuvent faire quelque chose a quoy bon de voir tant de gueux dans les rues ? [...] une tavernière de l’Université [répondit] : Ce n’est pas tant aux gueux qu’il

faut prendre garde, dit-elle, qu’à une infinité de vagabonds et de courreurs de nuit, qui pillent, volent, destroussent »8

En 1707, Vauban, dans son Projet d’une dixme royale, montre le pauvre comme « celui qui, ne possédant que son travail, est susceptible de le devenir si, pour une quelconque raison, il ne peut plus travailler9. Ainsi, les mécanismes de

pauvreté s’avèrent indissociables des individus : « La pauvreté est donc un processus potentiel autant qu’un état, ce qui signifie que pour comprendre la pauvreté, il faut non seulement étudier les mécanismes d’appauvrissement mais aussi ce que les individus peuvent faire pour minimiser les risques, pour freiner la

4 L. Fontaine, « Pauvreté, dette et dépendance dans l’Europe moderne », Les Cahiers de Recherche

du Centre Historique, 4/2007 [En ligne], p. 2.

5 A. Furetière, Dictionnaire, 1690. 6 Ibid.

7 Ibid.

8 D. Jouaust (éd.), Les caquets de l’accouchée, Paris, Librairie des bibliophiles, 1888, pp. 51-52.

Souligné par nos soins.

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dégradation de leurs conditions dans les périodes de crise »10. En 1788, Condorcet

confirma la définition de Vauban11, confirmant ainsi la pérennité du problème de la

pauvreté tout au long de l’Ancien Régime.

La société d’Ancien Régime fut à la fois hiérarchisée et codifiée, chacun occupant une position définie par sa naissance, accessoirement par son niveau de fortune. Charles Loyseau définit ces ordres en ces termes : « […] en France, les trois Etats ont leur Ordre & rang l’un après l’autre, sçavoir est l’ordre Ecclesiastique le premier, celuy de Noblesse après, le Tiers Etat le dernier »12. Dans le Tiers Etat,

on doit donc distinguer plusieurs catégories de personnes comme, par exemple, les négociants qu’il est impossible d’assimiler à des personnes défavorisées. Les notions de peuple et de pauvres ne peuvent pas, non plus être superposées. Ensuite, ce constat s’enrichit de l’aspect taxinomique de l’historiographie : « ʺclasses inférieuresʺ, ʺmilieux populairesʺ, ʺpetites gensʺ, ʺhumblesʺ, ʺgens de peuʺ, ʺdominésʺ reflètent les options et angles d’approche successivement choisis par les historiens qui se sont donnés pour objet d’étude le peuple »13. Une citation de Stuart Woolf pourrait en

constituer un deuxième : « The very fluidity and relativity of the condition of being poor denies the fixity of all categorizations »14 ; celle-ci montre que notre travail s’est

efforcé de conjuguer deux axes : celui appartenant au domaine linguistique et celui ressortant du domaine social, car l’étude de la pauvreté c’est lier effectivement des réalités socio-professionnelles avec des constructions politiques. La meilleure illustration de cette société d’ordres est le tarif de la première capitation, établi en 169515 ; réparti en 22 classes, ce document place, par exemple, « les simples

manœuvres et les journaliers » dans la dernière classe16.

10 Ibid., p. 2. 11 Ibid., p. 2.

12 C. Loyseau, Traité des ordres et simples dignitez, 1610, chapitre premier, § 28, p. 4.

13 A. Béroujon, Peuple et pauvres des villes dans la France moderne, de la Renaissance à la

Révolution, Paris, Armand Colin, 2014, p. 20.

14 S. Woolf, The poor in western Europe in the eighteenth and nineteenth centuries, Cambridge,

University Press, 1986, p. 5.

15 F. Bluche, J.-F. Solnon, La véritable hiérarchie sociale de l’Ancienne France. Le tarif de la première

capitation (1695), Genève, Droz, 1983, 210 p.

16 Cette 22e classe comportait elle-même 12 sous-classes. Ainsi, les journaliers, tenus habituellement

pour être tout en bas de l’échelle sociale, étaient situés sur un échelon supérieur par rapport à d’autres personnes comme, par exemple, les servantes. Mais l’idée qu’il faut retenir est que toutes les personnes qui appartenaient à cette vingt-deuxième classe étaient capitées pour une livre ; les pauvres étudiés du point de vue de la capitation acquittèrent des sommes inférieures ou égales à ce seuil d’une livre. Cf. infra, chapitre 3, pp. 109-111, pp. 216-220 et pp. 226-228.

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Ainsi, on trouve des pauvres dans la majeure partie des milieux sociaux. Au premier chef, les pauvres honteux – catégorie spécifique à l’Ancien Régime – furent une illustration de cette société d’ordres. En effet, le préjugé lié à leur naissance leur interdisait d’exercer des travaux manuels et, ainsi, de se procurer les moyens nécessaires à leur subsistance. De fait, ces personnes – réduites à la mendicité – étaient issues de catégories sociales favorisées, à l’instar des soldats, des magistrats ou des gens de lettres17. Déchéance financière et déchéance sociale furent donc

inextricablement mêlées sous l’Ancien Régime ; cet état de fait instaura de profondes lignes de fracture dans la société de cette époque18.

Dans le contexte de la pauvreté, la mobilité – facteur systématiquement aggravant – se situe au centre de notre problématique. En effet, tout déplacement était associé à la condition d’incertitude19. Les pauvres passants, les journaliers, les

travailleurs de terre qui furent amenés à se déplacer pour louer leur force de travail en dehors de leur communauté – tout en étant déjà pauvres – durent également faire face à cette condition d’incertitude. Ce problème était d’autant plus aigu chez ces personnes mobiles – comme tous les migrants originaires de régions de montagne20

– que cette mobilité était une condition de leur survie. Ainsi, ces pauvres devenaient, pourrait-on dire, pauvres à plusieurs niveaux puisqu’ils cumulaient la dimension relative à l’éloignement de leur milieu social, la condition d’incertitude inhérente à tout voyageur et la précarité financière en lien avec leurs déplacements. Enfin la nécessité d’exercer un travail demeurait au premier plan, comme le soulignait Clicquot de Blervache: « Le travail est le seul patrimoine du peuple. Il faut qu’il travaille ou qu’il mendie »21.

17 J.-P. Gutton, La société et les pauvres. L’exemple de la généralité de Lyon 1534 – 1789. Les Belles

Lettres, Paris, 1970, pp. 23-24 ; à partir de A. D. Marne, 1 J 37, Académie de Châlons, Les moyens de

détruire la mendicité en rendant les mendiants utiles à l’État sans les rendre malheureux, 1777.

18 A l’image de celle que l’on relève, par exemple, pour les pauvres honteux, cf. infra, pp. 104-105.

19 S. Cerutti qualifie l’état d’éloignement du corps social de « déprivation ». S, Cerutti, « Les

ʺmisérablesʺ en droit italien au XVIIIe siècle » in : C. Moatti et W. Kayser (dir.), Gens de passage en

Méditerranée de l’Antiquité à l’époque moderne. Procédures de contrôle et d’identification, Paris,

Maisonneuve & Larose et Maison méditerranéenne des Sciences de l’Homme, 2007, p. 225. La condition d’incertitude parcourut en filigrane le quotidien des pauvres d’Ancien Régime, on la retrouve aussi bien dans la première partie de cette étude au sujet des principaux aspects du quotidien de ces personnes, p. 89, p. 142, pp. 247 et 255, que dans la deuxième partie en ce qui concerne la charité en milieu urbain et en milieu rural, pp. 423, 479, 500 et 506. Cette condition d’incertitude fut également un paramètre présent chez les protestants, chapitre 7, pp. 676, 698, 721, 724 et 736.

20 Sur cette question on peut, par exemple, consulter A.. Poitrineau, Remue d’hommes. Les migrations

montagnardes en France, XVIIe – XVIIIe siècles, Paris, Aubier-Montaigne, 1983.

21 Cliquot de Blervache, Essai sur les moyens d’améliorer en France la condition des laboureurs, p.

102, cité par F. Furet, « Pour une définition des classes inférieures à l’époque moderne », Annales,

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La pauvreté était enfin liée à un ensemble de constructions politiques, inspirées par la tradition chrétienne et représentatives de la vision religieuse de la pauvreté :

« [c’est], disent quelques-uns, la disette ou nécessité des choses requises pour vivre commodément, c’est-à-dire sans travailler. D’autres une privation des choses, droits et actions temporelles nécessaires pour l’usage de la vie humaine. D’où nous pouvons recueillir que celui-là seul est vraiment pauvre qui n’a autre moyen de vivre que son travail ou industrie soit esprit, soit de corps »22.

On relève la convergence de vues entre cette citation et celle de Clicquot de Blervache ; pour ces deux hommes d’Ancien Régime, sous deux angles différents, la

seule alternative du peuple, c’est le travail ou la mendicité. Ainsi, la pauvreté, sous

l’Ancien Régime, participe de la société dans la mesure où elle « est inscrite dans les plans de la Providence et nécessaire au fonctionnement de la machine sociale »23.

Mais le déséquilibre social entre riches et pauvres conditionne l’augmentation du nombre de vulnérables. De fait, cet équilibre entre riches et pauvres est « de moins en moins la structure des sociétés préindustrielles de l’Occident chrétien. Elles sont peuplées en nombre croissant de pauvres et de vulnérables. […] C’est dans le processus de vulnérabilisation qui ʺruinent les pauvresʺ qu’il faut chercher l’origine des perturbations affectant l’équilibre social »24. René Favier met ainsi en

perspective ce « processus de vulnérabilisation »25 avec une série de menaces que

le pauvre aurait été censé incarner :

« Au XVIIe siècle, le pauvre était devenu une menace : menace sociale, par le

risque qu’il faisait courir aux possédants et la crainte qu’il inspirait d’être un fauteur de troubles ou un agitateur ; menace sanitaire par les épidémies qu’il véhiculait lors de ses déplacements ; menace morale enfin par le non-respect de la vie chrétienne

22 J.-P. Camus, Traité de la pauvreté évangélique, Besançon, 1634, p. 5, cité par J.-P. Gutton, op. cit.,

p. 11. Jean-Pierre Camus fut évêque de Belley au cours de la première moitié du XVIIe siècle.

23 R. Castel, Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Gallimard, Paris,

1999, p. 174.

24 Ibid., p. 175. 25 Ibid., p. 175.

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et de la sainteté des sacrements, au moment où l’Église engageait sa grande offensive de reconquête »26.

Toutes ces représentations de la pauvreté permettent-elles de mettre en évidence des aspects relatifs à la marginalité ? Ces aspects sont-ils présents dans nos sources et sous quelles formes ? Ou bien cette société d’Ancien Régime a-t-elle réservé la marginalité aux populations mobiles : mendiants, Bohémiens, vagabonds ?

La polysémie fut une des caractéristiques de la définition du pauvre ; Jean-Pierre Gutton estime que : « […] le mot qui sert à désigner celui qui est tombé dans la pauvreté, c’est simplement le mot de mendiant »27 ; ce terme était identique dans

le Beauvaisis : « A Cuigy, comme ailleurs, bien qu’ils fussent sédentaires, on les qualifiait parfois de “mendiants” »28. Viennent ensuite ceux que les sources

considèrent sous l’angle économique : soit toutes les catégories de domestiques, que ceux-ci aient travaillé dans les hôpitaux, dans les exploitations agricoles chez des bourgeois, des prélats et des nobles. Enfin, en bas de la hiérarchie sociale, on trouve les journaliers. Les malades, qualifiés systématiquement de « pauvres », cumulaient infirmités physiques et/ou absence de travail ; la vieillesse, qui assimilait handicaps de la vie et pauvreté, était fréquente dans diverses classes d’âge : « Nous sommes frappés […] par le nombre de pauvres, jeunes par l’âge, mais vieillis prématurément […] »29 ; enfin, le nombre d’enfants d’une famille pouvaient

rapidement excéder les possibilités financières d’une famille :

« Les journaliers, les manœuvres, les compagnons de métier et tous ceux dont la profession ne fournit pas beaucoup plus que le vivre et le vêtement sont ceux qui produisent les mendiants. Etant garçons, ils travaillent et lorsque par leur travail ils se sont procurés un bon vêtement et de quoi faire les frais d’une noce, ils se marient. Ils nourrissent un premier enfant, ils ont beaucoup de peine à en nourrir deux et s’il en survient un troisième leur travail n’est plus suffisant à la dépense »30.

26 R. Favier, Les villes du Dauphiné aux XVIIe et XVIIIe siècles, p. 101.

27 J.-P. Gutton, op. cit., p. 10.

28 P. Goubert, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730, Paris, Flammarion, 1968. p. 159, cité par O.

Hufton, The poor of Eighteenth Century France, 1750-1789, Oxford, Clarendon Press, 1974, p. 1.

29 J.-P. Gutton, op. cit., p. 30.

30 A. D. Calvados, H supplément 1308, cité par O. Hufton, The poor of eighteenth century France 1750

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Les « rentiers »31 appartinrent tantôt à la catégorie des pauvres, si on les

considère dans le diocèse d’Embrun et dans certaines paroisses du diocèse de Gap, alors que dans certaines autres paroisses de ce même diocèse leurs revenus les assimilaient à des régisseurs32. Dans ce cas précis, la pauvreté était donc en lien

avec deux paramètres concomitants : l’un au niveau socio-professionnel, l’autre au niveau géographique.

Bronislaw Geremek enrichit cette définition du pauvre en introduisant la notion de marginalité ; comme le précise Giulia Castelnuovo dans son compte-rendu de thèse à partir des idées de cet historien, est pauvre « quiconque est éloigné du centre du système social auquel il appartient, qui occupe donc une position périphérique, et se trouve à proximité des frontières qui séparent le système de l’extérieur »33. L’utilisation des termes « éloigné », « position périphérique »,

« frontière » rapproche donc le pauvre du vagabond, lui-même éloigné de son territoire. Dans un de ses articles, Bronislaw Geremek définit le vagabond en des termes qui associent celui-ci à un pauvre :

« Dans les définitions et les analyses du concept de vagabond que l’on trouve sous la plume des juristes du XVIe et du XVIIe siècle la mobilité et l’errance sont

étroitement associées à un mode de vie asocial. Jean-Baptiste Scanarolo propose quatre critères pour définir le vagabond : 1° l’errance sans but ni aucune utilité ; 2° l’absence d’un métier et d’une fortune personnelle ; 3° l’errance dans les villes et les villages non seulement par oisiveté mais aussi afin de commettre des crimes ; 4° l’absence de domicile fixe […] et la mendicité sous le couvert de maladies feintes et fausses34.

31Pour le terme « rentier », cf. infra, vol. II, lexique, p. 1169. Au sujet des « rentiers », cf. par exemple

P. Goubert, « Paysans du 17e siècle en Beauvaisis : laboureurs et manouvriers », pp. 11 – 17, in :

ibid., Clio parmi les hommes, recueil d’articles, École des Hautes Études en Sciences Sociales &

Mouton, Paris & La Haye, 1976, p. 13.

32 Pour l’étude de ces caractéristiques d’un point de vue fiscal et financier, Cf. infra quelques aspects

relatifs à la capitation, chapitre 2, pp. 109 – 111, chapitre 3, pp. 216 – 220 et pp. 226 – 228.

33 G. Castelnuovo, Male femmene. Honneur perdu, péché expié, corps apprivoisés. Indisciplinées,

prostituées, « mal mariées » enfermées dans les maisons pour « femmes débauchées » françaises et italiennes entre XVIe et XVIIe siècle, s. l. n. d., p. 8. Je remercie M. Gilles Bertrand, professeur à

l’Université Grenoble-Alpes, pour m’avoir communiqué le compte-rendu de cette thèse.

34 Io, Baptistae Scanaroli Mutinensis Sidoniorum episcopi de visitatione carceratorum libri tres, Roma,

1675 (2e édit.), p. 226 sq, cité par B. Geremek, « Criminalité, vagabondage, paupérisme : la

marginalité à l’aube des temps modernes », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, t. XXI, juil. sept. 1974, p. 349.

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Pour Simona Cerutti, la principale caractéristique du pauvre d’Ancien Régime fut d’être privé de relations sociales : « Les “pauvres“ qui, par excellence, auront droit à l’assistance, ne sont pas, nécessairement, les individus les plus dépourvus de ressources matérielles, mais ceux qui, à partir d’une condition de privilégiés, ont subi une chute sociale. C’est cette condition de “déprivation“ qui mérite l’attention de la ville »35 ; là où cette historienne analyse la pauvreté en termes de manque, Bronislaw

Geremek privilégie la notion d’éloignement ; la proximité de ces deux concepts est une des questions qui sous-tend notre étude.

Deux formes de secours étaient possibles face aux pauvres : la position des individus et celle de l’État. La charité est un terme qui appartient d’abord à l’univers du religieux ; en latin ecclésiastique, « caritas » signifiait « amour du prochain »36.

Dès lors, c’est un sentiment dans lequel on relève une présence qui implique totalement la personne qui l’accomplit37 ; cet accomplissement, expression même de

la liberté de cette personne, est présenté ainsi par Adam Smith : « [ce] que […] la charité nous [pousse] à accomplir est encore plus libre [que la gratitude], et peut être arraché par la force bien moins encore, que dans le cas des devoirs de la gratitude. Nous disons qu’il y a des dettes de gratitude, non de charité […] »38. Enfin, la charité,

qui s’accomplit de manière totalement libre, « ne peut être arrachée par la force; son seul défaut n’expose à aucun châtiment, […] »39. Par ailleurs, la définition de

Furetière sur le pauvre souligne les actions des individus constitutives de la charité ; trois siècles plus tard, Georg Simmel prolonge ces constats: « la donation n’est pas un fait social mais un fait purement individuel »40.

L’assistance, qui relève d’une conception radicalement différente de la charité individuelle, fut un dispositif d’État mis en place à partir de la création de l’Hôpital général de Paris (1656), avant d’être étendu par la suite aux provinces (1662). Ce

35 Ibid., p. 225.

36 O. Bloch et W. v. Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, Presses

Universitaires de France, 1986, p. 122.

37 On reprend ici la définition d’Adam Smith mais, afin d’éviter des confusions entre les termes

« charité » et « bienfaisance », nous n’avons pas tenu compte du terme de « bienfaisance »,

processus historiquement daté qui correspond aux décennies 1750 et 1760 et qui s’apparente au mouvement des physiocrates.

38 A. Smith, Théorie des sentiments moraux, 2e partie : Du mérite et du démérite, ou des objets de la

récompense et du châtiment ; section II – de la justice et de la bienfaisance ; chapitre I : comparaison de ces deux vertus, Presses Universitaires de France, Paris, 1999, p. 129.

39Ibid., p. 130.

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dispositif, qui disparut avec la Révolution, regroupa notamment un ensemble de déclarations royales destinées à gérer et à réprimer la mendicité et le vagabondage ; les deux déclarations royales les plus importantes furent celle du 18 juillet 1724 relative à l’enfermement des mendiants et des vagabonds et celle du 2 août 1764 sur la création des dépôts de mendicité. L’assistance fut constituée de deux volets : un volet répressif – l’enfermement dans les hôpitaux – et un volet charitable, concrétisé à la fois par l’hébergement dans les hôpitaux et par la vingt-quatrième des pauvres.

L’historiographie de la pauvreté – riche et variée – comporte certains « blancs ». On distingue trois grandes phases dans le regard que les historiens portèrent sur la pauvreté : une phase qui concerne les historiens du XIXe siècle et

ceux du début XXe siècle qui est dans la logique de l’histoire sociale mais qui révèle

parfois une approche subjective, en termes de religion ; dans cette période, plusieurs études, à caractère juridique, sont à signaler ; puis, après une longue éclipse historiographique, la pauvreté fut à nouveau étudiée au début des années 1970 ; mais l’École des Annales influença de nombreux chercheurs et les perspectives de l’histoire sociale furent enrichies entre le début et la seconde moitié du XXe siècle. Le

pauvre ne fut plus présenté comme un objet, mais comme un sujet, acteur de son propre parcours. A partir des années 1990, il y eut un nouvel essor des études économiques et des approches juridiques.

Une des premières études sur la misère et la charité est celle de Gaston Valran, Misère et charité en Provence au XVIIIe siècle. Essai d’histoire sociale, en 1899. Dans cet ouvrage l’historien se propose « d’appliquer la méthode de l’économie sociale à l’étude historique sur un groupe de faits extraits d’un tableau de la vie provinciale au XVIIIe siècle »41. Après avoir étudié les causes de la pauvreté, il

analyse essentiellement les hôpitaux généraux dont il détaille le fonctionnement, les finances, les intervenants et les difficultés ; en fin d’ouvrage, cet historien présente rapidement quelques fondations privées ainsi que le rôle des collectivités. Lors de sa parution, Léon Cahen, releva trois limites de cette étude : tout d’abord, Gaston Valran déséquilibre son livre en donnant une importance accrue aux hôpitaux ; selon cet historien, la terminologie concernant les institutions charitables est aussi approximative ; enfin, il lui est reproché de ne pas avoir suffisamment dépouillé

41 G. Valran, Misère et charité en Provence au XVIIIe siècle. Essai d’histoire sociale, Paris, A.

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certaines sources, notamment le recueil de lois d’Isambert42. Néanmoins, pour Léon

Cahen, Gaston Valran a le mérite d’ouvrir la voie sur un sujet peu travaillé43.

L’étude de Léon Lallemand, Histoire de la charité, fut une somme rédigée entre 1902 et 191244 ; le premier volume du tome IV est consacré aux

« congrégations hospitalières » et le deuxième à toutes les autres formes de secours. Léon Lallemand nous propose néanmoins une étude très « engagée » de l’histoire de la charité : son ouvrage est riche de détails historiques mais sa conclusion est organisée uniquement autour de la religion : « Nous aurons ainsi un tableau d’ensemble montrant ce que l’humanité souffrante doit aux enseignements divins du Christ »45. Cela invite à relativiser l’objectivité de ce travail.

Dans la perspective juridique, on relève l’existence de la thèse de Christian Paultre qui interroge les archives sur l’efficacité des mesures répressives46 ; celle de

Camille Bloch47 fut saluée, lors de sa parution, comme un ouvrage posant la question

du passage de la charité et de l’assistance d’Ancien Régime à celle de la période révolutionnaire. Cet historien défendit l’idée que les lois de la Révolution en matière d’assistance furent préparées par l’évolution de la perception de la charité, de fait la fin de l’Ancien Régime ne voyait plus celle-ci comme un devoir religieux mais comme un « service public », cette mutation avalisant les évolutions législatives de la période révolutionnaire. L’auteur, qui a travaillé essentiellement sur Paris et les provinces situées à proximité de la capitale, reconnut toutefois que son analyse était fortement conditionnée par le critère géographique, ce qui pouvait impliquer une analyse différente pour d’autres circonscriptions administratives du royaume.

Un long silence historiographique suivit cette période : on relève seulement quelques études ponctuelles émanant le plus souvent de sociétés savantes. Au début des années 1970, Jean-Pierre Gutton impulsa une nouvelle direction à l’étude des pauvres et de la pauvreté en s’interrogeant sur les liens entre les pauvres et le

42 Ibid.,

43 L. Cahen, G. Valran. Misère et charité en Provence au XVIIIe siècle. Essai d’histoire sociale, Paris,

1899, Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 1, n° 5, 1899, pp. 527-532.

44 L. Lallemand, Histoire de la charité, t. IV. Les temps modernes du XVIe au XIXe siècle, première

partie, Picard, Paris. 1910 ; L. Lallemand, Histoire de la charité, t. IV. Les temps modernes du XVIe au

XIXe siècle, seconde partie Europe (suite), Picard, Paris. 1912.

45 Ibid., t. IV, 2e partie, § des institutions charitables européennes, p. 523.

46 C. Paultre, De la répression de la mendicité et du vagabondage en France sous l’Ancien Régime,

Paris, Larose & Tenin, 1906. 632 p., rééd. s. l., Lightning Source UK Ltd, s. d.

47 C. Bloch, L’assistance et l’État en France à la veille de la Révolution, généralités de Paris, Rouen,

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reste de la société. On a retenu ici sa thèse : La société et les pauvres en 197048 et

un ouvrage ultérieur L’Etat et la mendicité en 197349. Ces travaux permirent

d’éclairer deux aspects différents et complémentaires de la pauvreté. La société et

les pauvres s’appuie sur l’exemple de la généralité de Lyon pour, d’une part,

présenter une typologie des pauvres entre 1534 et 1789 et, d’autre part, analyser l’attitude de la société face à la pauvreté par rapport aux structures charitables, mais aussi à travers la marginalisation, l’enfermement et la répression. A l’aide d’exemples extraits des archives lyonnaises et des campagnes environnantes, l’auteur étudie des textes législatifs, des mémoires et des réalisations pour faire apparaître une double évolution : le pauvre « de Jésus-Christ » devient un réprouvé dans la société, un danger social ; des institutions de secours, à caractère charitable, s’organisent.

Dans le deuxième ouvrage, consacré à la répression et à la gestion du paupérisme, cet historien s’intéresse plus particulièrement au rôle de l’État. La période d’étude est plus restreinte puisqu’elle fut limitée à la première moitié du XVIIIe siècle pour l’Auvergne, le Beaujolais, le Forez et le Lyonnais. Partant de la

déclaration du 18 juillet 1724, Jean-Pierre Gutton analyse les moyens financiers mis à la disposition des hôpitaux, les procédures d’enfermement des pauvres et les problèmes matériels soulevés par cette mesure, soit les capacités des institutions en place à répondre à l’injonction législative. Cet ouvrage représente donc un éclairage complémentaire de sa thèse, puisqu’il s’agit d’analyser l’action de l’Etat après avoir étudié le regard de la société ; cette perspective permit de mettre en adéquation la représentation qu’un pays se fait de ses pauvres avec la législation mise en place par l’Ancien Régime.

Olwen Hufton publia une thèse, au milieu des années 1970, qui s’inscrivit dans la lignée de l’histoire sociale50, organisée autour des pauvres, de leur histoire et

de celle de leurs familles. Ce travail, qui porte sur les quarante dernières années de l’Ancien Régime et sur l’ensemble du territoire français, étudie comment « survivaient » les populations pauvres. Il ne s’agit pas d’une étude sur la charité et l’assistance en tant que telles mais sur la manière dont celles-ci influèrent sur la vie des pauvres. En revanche, ce livre n’ouvre aucune perspective entre Ancien Régime

48 J.-P. Gutton, op. cit.

49 J.-P. Gutton, L’État et la mendicité dans la première moitié du XVIIIe siècle. Auvergne, Beaujolais,

Forez, Lyonnais. Centre d’Etudes Foréziennes, s.l., 1973. Ouvrage publié avec le concours du

C.N.R.S.

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et Révolution ; l’adéquation temps court/espace large s’oppose à celle adoptée par Jean-Pierre Gutton, temps long/espace réduit. En 1978, la thèse de Patrice Cugnetti intitulée L’hôpital de Grenoble des origines à la fin du Second Empire (XIe siècle

1870) apporta un éclairage sur les systèmes charitable et assistantiel dans le cadre

d’un hôpital dauphinois en milieu urbain. Cette étude concerne l’évolution de cet établissement en s’intéressant aux particularités géographiques de son territoire, aux liens avec les notables et au fonctionnement de cet hôpital, notamment du point de vue financier mettant ainsi en valeur les crises de cette gestion hospitalière.

Concernant le même secteur géographique, la thèse de Kathryn Norberg,

Riches et pauvres à Grenoble de 1600 à 181451, fut consacrée à l’évolution du

regard que les riches portèrent sur les pauvres, en tant qu’individus et en tant que classe sociale. Un des tournants de cette évolution fut la manière dont l’ordonnance royale du 18 juillet 1724 modifia ce regard : dans le cadre de cette réglementation, l’identification des pauvres évolua en direction d’une humanisation et d’une prise en compte d’individualités. Enfin, en 1986, l’ouvrage de Stuart Woolf, The Poor in the

Western Europ in the eighteenth and nineteenth centuries proposa une vaste

synthèse de la pauvreté avant et après la Révolution. A partir du début de la décennie 1990 on relève des publications dans des domaines connexes à la pauvreté, à l’image, par exemple, de l’ouvrage de Thomas Adams sur les dépôts de mendicité, Bureaucrats and beggars: French policy in the Age of Enlightenment.

Les études publiées entre la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle

privilégient des aspects juridiques puis économiques. Jean Imbert étudia l’approche juridique dans son ouvrage Le droit hospitalier de l’Ancien Régime52, paru en 1993. Il s’agit d’une évolution des structures hospitalières du point de vue institutionnel, dans le royaume de France ; l’Hôpital est présenté comme établissement d’assistance aussi bien qu’établissement accueillant et hébergeant toutes sortes de pauvres. Ses limites chronologiques vont des débuts du mouvement hospitalier, soit le XVIe siècle,

à la Révolution. La complexité de la réglementation a particulièrement été mise en valeur, ce qui permit au pouvoir royal de s’affirmer progressivement dans la gestion des secours ; celle-ci s’exerça sur des établissements très différents issus d’initiatives privées aussi bien que de nature politique. Il s’agissait alors de répondre

51 K. Norberg, Rich and poor in Grenoble 1600 - 1814, Berkeley and Los Angeles, California

University Press, 1985, 366 p.

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à des besoins sanitaires et sociaux en ce qui concernait un grand nombre de populations mobiles : pauvres, malades, soldats blessés, mendiants et vagabonds. La diversité des régimes administratifs est soulignée, exceptée dans le domaine financier où la réglementation se fit de plus en plus en stricte au fil des années. Jean Imbert met en relation cet état de l’hôpital avec l’état général du royaume et la paupérisation du peuple à la fin de l’Ancien Régime. Ainsi, le pouvoir royal a tenté d’instaurer un ordre social qui lui était favorable à travers une politique d’assistance initiée par ses soins. Mais les moyens financiers nécessaires pour la conduite de cette politique se révélèrent trop ambitieux, aussi bien au niveau financier que pour le suivi administratif de ces structures.

La gestion hospitalière est au centre des recherches de Marie-Claude Dinet-Leconte, intègrées à la thématique de la gestion hospitalière avec des articles sur la dimension « entrepreneuriale » des hôpitaux53 et une thèse sur les sœurs

hospitalières54 ; ces femmes – expression institutionnelle de la charité par excellence

– représentèrent le lien entre religion et santé au sein d’un système, tantôt charitable et tantôt assistantiel, du XVIe siècle au XVIIIe siècle.

Dans son livre L’économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe

pré-industrielle55, Laurence. Fontaine étudie le rôle du crédit et de la confiance dans l’Europe pré-industrielle et ses liens avec la pauvreté sous l’Ancien Régime. Un des buts de cet ouvrage est d’établir des passerelles entre le crédit de l’Ancien Régime et divers débats de la société contemporaine. Cette historienne s’intéresse plus particulièrement au phénomène du surendettement, processus qui concerna particulièrement les pauvres d’Ancien Régime. Cette étude fait apparaître comment deux cultures économiques, celle des aristocrates et celle des marchands, cohabitèrent avant de s’interpénétrer. Ce système de généralisation du crédit sous l’Ancien Régime permet d’aboutir, selon cette historienne, à une personnalisation des biens économiques dans lesquels la confiance joua un rôle majeur. Laurence Fontaine propose donc une approche transdisciplinaire dans laquelle l’économie et la

53 Sur cette dimension « entrepreneuriale » on peut, par exemple, citer les articles suivants : M.-C.

Dinet-Lecomte, « L’alimentation dans les hôpitaux de Blois aux XVIIe et XVIIIe siècles », pp. 127-146,

110e Congrès national des sociétés savantes, Montpellier, 1985, Histoire moderne, t. I, fasc. 1 ; M.-C.

Dinet-Lecomte, « Les hôpitaux sous l’Ancien Régime : des entreprises difficiles à gérer ? », Histoire,

économie et société. 1999, 18e année, n° 3, pp. 527-545.

54 M.-C. Dinet-Lecomte, Les Sœurs hospitalières en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, la charité en

action, H. Champion éditeur, Paris, 2005, 595 p.

55 L. Fontaine, L’économie morale. Pauvreté, crédit et confiance dans l’Europe préindustrielle.

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sociologie sont des axes de première importance, jouant sur les dimensions micro-économiques et macro-micro-économiques. Les ouvrages de Jean Imbert, de Marie-Claude Dinet-Lecomte et de Laurence Fontaine sont emblématiques des principales tendances de l’historiographie sur la pauvreté d’Ancien Régime entre la fin du XXe

siècle et le début du XXIe siècle.

Le contexte historique du Dauphiné est connu principalement à partir des études de René Favier. Dans sa thèse sur les villes de cette province56, cet historien

montre le fonctionnement de la vie provinciale et le rôle des villes. Il souligne le faible dynamisme du milieu urbain et sa « fragmentation »57, ainsi que la difficulté pour ces

cités à étendre leur influence au-delà de leurs limites, Grenoble exceptée. Dans son étude, cet historien aborde brièvement la place et le rôle des hôpitaux qui se trouvaient, selon lui, dans un état catastrophique depuis les guerres de religion. Divers articles consacrés notamment à la vingt-quatrième des pauvres et à l’enfermement58 complètent cette réflexion sur la pauvreté. L’article consacré à la

vingt-quatrième des pauvres retrace l’histoire de cette taxe unique en son genre dans la France d’Ancien Régime, notamment ses difficultés d’application et de recouvrement jusqu’à sa disparition en 1789. Un deuxième article montre que l’enfermement n’eut pratiquement aucun effet en Haut-Dauphiné en raison de la faiblesse des finances hospitalières, du grand nombre de pauvres et de passants, les premiers réclamant des aumônes et l’hospitalité étant couramment dûe aux seconds, selon les dernières volontés des fondateurs de structures charitables.

Le milieu rural est traité essentiellement à travers la thèse de Bernard Bonnin,

La terre et les paysans en Dauphiné au XVIIe siècle (1580-1730). Cette vaste étude ne s’intéresse pas particulièrement à la pauvreté mais permet d’avoir un panorama général du monde rural dans le Dauphiné de l’époque moderne. Cet historien met l’accent sur la diversité des milieux géographiques, ce qui met en valeur une pluralité de mondes différents ayant affronté des problèmes variés. Cet historien nous ouvre également la porte d’un milieu social qui vécut dans une certaine aisance, évoquant

56 R. Favier, op. cit. 57 Ibid., p. 433.

58 Respectivement R. Favier, « L’Église et l’assistance en Dauphiné sous l’Ancien Régime : la

vingt-quatrième des pauvres », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, juillet – septembre 1984 ; R.

Favier, « Enfermement et assistance au village en Dauphiné au XVIIIe siècle », pp. 23 – 33, in : A.

Blanchard, H. Michel et É. Pélaquier (éd.), Pauvres et pauvreté dans la France méridionale à l’époque

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« ces ruraux qui, jusqu’au fond des montagnes, possèdent désormais des bijoux d’or, des tissus venus d’ailleurs, des meubles et des vêtements en quantité telle que leurs ancêtres n’en avaient jamais rêvé »59. Ces propos incitent donc à une mise en

perspective de notre travail sur la pauvreté: il s’agit bien de pauvres dans une zone qui, elle, n’était pas particulièrement défavorisée.

En revanche, il n’existe pas d’étude générale sur le Haut-Dauphiné et la Haute-Provence en matière de pauvreté et d’assistance, permettant d’étudier de quelles manières un secteur géographique voisin de la limite d’État60 put gérer ses

structures et ses finances au bénéfice de pauvres. Mais de quel secteur parle-t-on exactement ?

L’entité territoriale qui a été choisie pour ce travail est le diocèse, plus précisément les diocèses de Gap et d’Embrun. Ce choix du diocèse est justifié par l’emprise de la religion qui ne connut aucune éclipse au cours de l’Ancien Régime et par l’importance de la lutte contre le protestantisme. De plus, en tant que circonscription religieuse, le diocèse permet d’appréhender un territoire dénué d’enclaves liées à l’existence de juridictions ou de circonscriptions administratives distinctes, dont les sièges pouvaient être situés hors de l’aire étudiée. La carte hors-texte 1 présente l’ensemble de ce territoire du point de vue du relief61 ; celui-ci

s’organise en quatre grandes vallées à partir du bassin gapençais, soit d’Ouest en Est, celle du Petit-Buëch, puis celle du Champsaur, ensuite celle de la Durance et enfin celle de l’Ubaye. Seule, la vallée du Buëch62, à l’Ouest, et celles d’outre-mont,

au Nord-Est sont distinctes de cet ensemble géographique. Plusieurs vallées d’importance secondaire enclavées au sein de massifs montagneux peuvent ensuite être distinguées : il s’agit notamment de la vallée du Guil dans le massif du Queyras, de celles de la Vallouise et de Freissinières dans le massif situé au centre de la carte côté Briançonnais et Embrunais, ensuite celle de Champoléon, dans le

59 B. Bonnin, La terre et les paysans en Dauphiné au XVIIe siècle (1580-1730), Université Lyon

II-Louis-Lumière, 1979, p. 941.

60 En fonction des données de la recherche historique, l’expression « limite d’État » est réservée à

l’Ancien Régime, celle de « frontière » étant employée seulement à partir de la Révolution. D.

Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire, XVIe – XIXe siècle, Gallimard, Paris, 1998, p.

66.

61 Cf. infra, vol. II, carte hors-texte 1, Relief du territoire étudié et principales zones géographiques, p.

1068, à partir d’une vue aérienne des années 1950.

62 Du point de vue géographique, cette étude a distingué le Bauchaine, en tant que massif, de la vallée

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Champsaur, à l’Ouest de ce massif et enfin celles du Valgaudemar et du Beaumont, à l’extrémité Nord. On mentionne en outre le massif du Dévoluy à l’Ouest du bassin gapençais. Cet ensemble de vallées et de massifs furent rattachés à l’Intendance de Dauphiné sous l’Ancien Régime. Les Baronnies, les pays de Sasse-Vançon et de Seyne – soit une bordure de massifs collinéens dans le Sud du territoire étudié – dépendirent de l’Intendance de Provence à la même époque. Selon cette approche, le bassin gapençais apparaît ainsi comme une porte de la haute montagne.

La carte hors-texte 2 présente les principaux secteurs géographiques de ces deux diocèses ainsi que les villes, les bourgs et les villages les plus fréquemment cités ; ceux du diocèse de Gap, du Nord au Sud, furent au nombre de huit, soit le Beaumont, le Valgaudemar, le Champsaur, le Dévoluy, la vallée du Buëch, les Baronnies et le « pays » de Sasse-Vançon. En outre, au Sud du village de Clamensane, la présence de la Baume de Sisteron, constitue une barrière naturelle qui sépare l’ensemble des bourgs de Volonne et de Malijai de territoires situés plus au Nord. En revanche, l’archidiocèse d’Embrun fut toujours constitué par quatre secteurs géographiques. Durant la période antérieure au traité d’Utrecht, ces secteurs furent, du Nord-Est au Sud-Ouest, trois des quatre vallées d’outre-monts63,

puis le Briançonnais, ensuite l’Embrunais et enfin le « pays » de Seyne, selon un axe principalement représenté par la vallée de la Durance, le col du Mont-Genèvre et un affluent de la Doire sur le versant Nord de ce col. Le traité d’Utrecht remodela de manière assez sensible cet archidiocèse de caractère essentiellement montagneux. Le pouvoir politique substitua alors la vallée de l’Ubaye à celles d’outre-monts, conférant désormais à ce territoire un caractère davantage provençal que précédemment64. Le système orographique de chacun de ces deux diocèses fut

prépondérant sur l’économie et les voies de communication. En effet, celui du diocèse de Gap s’organisa essentiellement dans le sens Nord/Sud autour des vallées de la Durance et du Buëch ; le Drac constituant une exception avec son orientation Sud/Nord. Dans la partie Ouest de ce territoire, l’Eygues, la Méouge, l’Oule et l’Ouvèze n’eurent qu’un rôle très secondaire. En revanche, celui de l’archidiocèse d’Embrun fut essentiellement organisé autour de la vallée de la

63 Noter la position excentrée de la vallée de Château-Dauphin par rapport à celles de Bardonnèche,

Oulx et Pragela.

64 On estime qu’en superficie le « pays » de Seyne et la vallée de l’Ubaye représentèrent environ 25%

de l’archidiocèse d’Embrun après 1713. Avant cette date, l’emprise de ce « pays » est estimée autour de 5% de cette même circonscription religieuse.

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Durance avant le traité d’Utrecht. Après cette date, la vallée de l’Ubaye constitua un apport important à celle de la Durance. Contrairement aux vallées secondaires du diocèse de Gap, celles de l’archidiocèse d’Embrun – soit celles de la Guisane et de la Clarée dans le Briançonnais, celle du Guil dans le Queyras et celle de la Gyronde en Vallouise – se greffèrent sur celle de la Durance, augmentant ainsi d’autant l’attraction de cet axe principal.

Dans la carte 0 – 1, intitulée « Emprise des diocèse de Gap et archidiocèse d’Embrun sur le Dauphiné »65, la configuration spatiale permet de contextualiser

deux paramètres : le caractère essentiellement montagneux du territoire étudié et l’éloignement des milieux urbains de cette province, autrement dit les villes de Vienne et de Valence dans les secteurs éponymes et celle de Grenoble à la jonction des secteurs Vizille/Basse-Isère/Grésivaudan. On précise qu’à ces territoires doit être rajoutée la partie provençale de ces deux diocèses, à savoir d’Ouest en Est le « pays » de Montbrun au Sud des Baronnies, celui de Sasse-Vançon au Sud du Gapençais, celui de Volonne et de Malijai à l’extrémité Sud de ce territoire sur la rive gauche de la Durance, enfin au Sud de l’archidiocèse d’Embrun, dans des territoires contigus d’Ouest en Est, on trouve le « pays » de Seyne et la vallée de l’Ubaye, jouxtant l’Embrunais et le Queyras ; ces territoires dépendaient de l’Intendance de Provence sous l’Ancien Régime. Ainsi, l’ensemble géographique des diocèses d’Embrun et de Gap joignait pratiquement la zone de la limite d’État, à l’Est, à la vallée du Rhône à l’Ouest. Ces paramètres, ainsi que les difficultés d’accès dûs à la présence de plusieurs massifs montagneux, contribuèrent largement à la marginalisation de ce territoire tout au long de l’Ancien Régime.

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Carte 0 – 166

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Bernard Bonnin caractérise de la manière suivante le problème de la délimitation de cette province :

« C’est au sud et au sud-est qu’il était le moins aisé de séparer sur le terrain le Dauphiné de ses voisins: Provence, comtat Venaissin, et, jusqu’en 1714, principauté d’Orange. Certes, entre Queyras et vallée de l’Ubaye, les lignes de crête servaient de limites assez franches. Mais, ensuite, du confluent de l’Ubaye, jusqu’au nord de Sisteron, la Durance ne remplissait ce rôle qu’imparfaitement, puisque plusieurs villages de sa rive droite étaient restés provençaux. Et, de Sisteron […] au Rhône, la limite, courant à travers les Baronnies et la plaine de Pierrelatte, devait très rarement à la nature, mais, sans aucune justification géographique, faisait des détours inattendus, multipliait les indentations profondes, laissait de part et d’autre des enclaves nombreuses, plus ou moins vastes, plus ou moins éloignées de leurs province de rattachement, et coupait même par le milieu deux communautés, Rochegude et Aubres […] »67.

Le choix des limites géographiques se justifie également par la nécessité de comparer des structures charitables ayant appartenu à deux diocèses distincts ; le diocèse de Gap – un des plus étendus du royaume de France – a contribué à alimenter la diversité de notre étude :

« Tel qu’il existait avant la Révolution, le diocèse de Gap était l’un des plus vastes du Sud-Est de la France. Il s’étendait de la Bonne (près de la Mure) et du massif du Pelvoux au Nord du Mont-Ventoux et à la Bléone (à quelques kilomètres de Digne) au Sud. A une exception près (la vallée de l’Oule), ces limites ne paraissent pas avoir changé depuis le XIIIe siècle (date du plus ancien pouillé68

conservé). A partir du XVIe siècle, la Durance servit de frontière, pour l’essentiel,

entre le Dauphiné et la Provence à l’intérieur du diocèse. En 1789, 160 paroisses étaient situées dans le Dauphiné, 51 en Provence et 2 dans le Comtat Venaissin (Brantes et Savoillan). Certaines parties du diocèse s’étendaient dans cinq

67Ibid., vol. I, p. 71.

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départements actuels : Isère, Hautes-Alpes, Alpes de Haute-Provence, Drôme, Vaucluse »69.

La géographie de cette région comporte donc une grande variété : des vallées, des plaines, des plateaux, des collines et un secteur montagneux particulièrement important avec la présence de la limite d’État. Les liaisons, difficiles jusqu’au début du troisième quart du XVIIIe siècle, font ressortir un territoire

essentiellement rural dans lequel la proportion du milieu urbain est estimée à une moyenne de 7 %. De manière classique, les voies d’accès furent calquées sur les cours d’eau : principalement les vallées de la Durance, du Drac et de l’Ubaye, secondairement les vallées de la Méouge et du Buëch, laissant de vastes isolats à l’image, par exemple, des Baronnies, du Dévoluy et du Queyras. La vallée de la Durance, par préférence à celle de l’Ubaye, fut la grande voie de communication avec le royaume de Piémont-Sardaigne. De ce contexte géographique, on dégage trois paramètres : un relief accidenté, un territoire aux limites politiques mouvantes et l’éloignement d’une majorité de communautés par rapport aux centres de décision et aux zones d’activités économiques. De fait, on distingue seulement trois centres urbains70 ; dans son étude sur les villes du Dauphiné, René Favier confirme

l’absence d’un véritable réseau urbain :

« Loin de s’organiser en un véritable réseau urbain, la province se fragmentait en plusieurs ensembles juxtaposés, eux-mêmes plus ou moins bien hiérarchisés. [A l’exception de Grenoble, Vienne et Romans], la fragmentation l’emportait partout. Les espaces urbains s’organisaient de manière fort peu hiérarchisée autour de cités d’importance démographique souvent comparable, et donc aucune ne parvenait à imposer une prééminence qui soit à la fois économique, administrative, religieuse et culturelle. Briançon, Embrun, Gap dans le Haut-Dauphiné […] constituaient autant de

69 P.-Y. Playoust, C. Briotet, B. Mottin, M.-J. Leynaud et alii, Patrimoines de l’ancien diocèse de Gap

(Xe-XVIIIe siècles), documents d’archives et objets d’art. Catalogue de l’exposition réalisée par les

archives départementales et la Conservation des Antiquités et Objets d’Art des Hautes-Alpes à l’occasion du Centenaire de la cathédrale de Gap. s. l., 1995, Ministère de la Culture, Conseil Général

des Hautes-Alpes, p. 1. Dans ce comptage, il faut rajouter les paroisses du Beaumont, dont la limite septentrionale était constituée par la communauté de Saint-Pierre-de-Méarotz. On peut confronter ce chiffre avec ceux des tableaux hors-texte 2 à 2-4 dont le total se monte à 138, sans les paroisses de l’actuel département des Hautes-Alpes qui ne sont pas comptabilisées dans ces cinq tableaux.

70 Soit ceux de Briançon, Embrun et Gap. A partir de 1713, le nombre d’habitants de la ville de

Barcelonnette constitua le quatrième centre urbain de notre zone d’études, mais le faible nombre des archives hospitalières en interdit pratiquement l’étude.

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petites capitales indépendantes dont les relations n’étaient jamais marquées par des liens de complémentarité ou de dépendance […] »71.

Pourtant, à leur échelle, ces villes témoignèrent d’un certain dynamisme économique :

« Pierre Davity […] notait également l’importance des activités marchandes des villes du Haut-Dauphiné. Embrun, Guillestre, Briançon se caractérisaient par l’importance de leurs foires où venaient les marchands du Piémont, de Milan, de Florence et de Lyon […] Gap [était au centre] d’un trafic de froment et d’huile de noix. A propos de cette dernière ville, Jouvin de Rochefort soulignait pour sa part ″plusieurs riches marchands se servent de l’occasion du fameux passage ou est Gap

pour aller de France en Italie72, en y trafiquant de quelques étoffes qui se font dans le

pays et d’autres qu’ils envoyent. C’est pourquoy il ne faut pas s’étonner si Gap qui n’est qu’une ville des montagnes, c’est-à-dire pauvre et de peu d’apparence est aujourd’hui une des bonnes et des riches de la province, à quoy ne contribue pas peu la fertilité des campagnes voisines″ »73.

Dans son « Ebauche d’une typologie sociale des villes dauphinoises », René Favier conclut que « [la] terre restait ainsi dans les villes dauphinoises, le principe premier de l’organisation de la société, à la fois parce qu’elle faisait vivre directement une majorité de citadins, et qu’elle constituait souvent le principal revenu des élites locales »74. On peut donc parler d’une véritable diversité économique pour le

territoire étudié, dans lequel une élite citadine côtoyait un milieu rural beaucoup plus défavorisé. A la variété de la géographie physique et à la diversité socio-économique s’ajoutait l’hétérodoxie religieuse ; celle-ci correspondait au nombre de vallées et de secteurs dans lesquels était pratiqué le protestantisme. La configuration de la vallée de haute montagne fut effectivement importante pour l’exercice de cette confession : celles de Freissinières et de Vallouise dans le Briançonnais ; parmi les quatre vallées

71 R. Favier, Les villes du Dauphiné aux XVIIe et XVIIIe siècles, Grenoble, Presses Universitaires,

1993, p. 433.

72 Cf. infra, chapitre 8, § Un vagabondage récurrent de Piémontais entre Provence et Dauphiné, p.

864.

73 R. Favier, op. cit., p. 26. 74 Ibid., p. 300.

Figure

Tableau 1 – 1. Production céréalière, exprimée en volumes, par rapport aux populations des villes de Briançon, Embrun et Gap en 1730 196
Tableau 1 – 2. Proportion de femmes pauvres, domiciliées et étrangères, manquant de pain,  logées dans les quartiers intra-muros de Briançon, par rapport à la population masculine
Tableau 1 – 3. Proportions de femmes pauvres ayant habité la ville de Gap et les hameaux situés dans le terroir de celle-ci, au cours des années 1738 et 1739
Tableau 1 – 4. Lieux de décès de pauvres 253  en fonction du sexe et de la localisation par rapport  à la paroisse d’origine, établis à partir d’actes de décès survenus entre 1669 et 1774
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