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Géographie Économie Société: Article pp.277-281 of Vol.20 n°2 (2018)

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Géographie, Économie, Société 20 (2018) 277-281

Comptes Rendus

Luc Gwiazdzinski, 2016, La ville 24 heures sur 24, Paris, Rhuthmos, 254 pages.

Dans cet ouvrage, Gwinazdzinski se propose de défendre l’intérêt, pour les réfl exions et les débats se rapportant au fait urbain, de celle d’entre les catégories de l’entendement qui est peut-être la moins alimentée dans ce contexte : celle du temps. Il s’agit de penser la ville en tant qu’elle s’inscrit dans le fl ux du devenir, d’en affi rmer le caractère dynamique et changeant, ce qui rend les catégories spatiales insuffi santes pour l’appréhender avec exhaustivité. Le monde urbain est tout à la fois matrice et résultat des temporalités et des rythmes des différentes sphères de la vie sociale, la ville change avec son temps et impose ses rythmes en retour ; c’est pourquoi, l’enjeu est à la fois scientifi que et politique : il faut se donner les moyens de bien décrire, pour permettre au débat citoyen de poser les bonnes questions — comprendre ce qu’il en est pour mieux défi nir ce que l’on veut.

Le descriptif d’abord : la première partie est dédiée à un état des lieux des transformations dans les rythmes urbains, dans un contexte de mondialisation et de temps continu, ainsi que des résistances qu’elles suscitent ; ensuite, est convoqué un colloque des compétents : la parole est donnée à vingt-trois personnages fort diversifi és (en domaines d’expertise, mais aussi en qualités d’expertise), chacun y allant de sa considération sur le temps à partir de son activité professionnelle, format qui encourage les divers acteurs de la vie sociale à s’emparer de cette question, afi n de ne pas la laisser aux seules mains de processus aveugles ou technocratiques.

Moins qu’une analyse rigoureuse et systématique, qui ne conviendrait pas tout à fait au propos d’ensemble, l’auteur expose tout d’abord le tableau d’une société urbaine en transformation dans ses rythmes fondamentaux ; si ce genre de description prend parfois la pente glissante du sens commun et du constat homogénéisant, il a l’avantage d’être clair dans ses grandes lignes, de proposer distinctement des pistes de réfl exion et de déga- ger nettement la direction que prend la nouvelle société urbaine.

Le tableau est donc celui du basculement dans l’« ère des sociétés urbaines », carac- térisée par l’instantanéité de l’information, conjoint à l’accélération du temps et au rétré- cissement de l’espace.

On y rencontre, entre autres, le rôle du néolibéralisme, qui conduit à abolir le séquen- çage du temps entre travail et vie privée, ainsi que l’individualisation des structures sociales, qui permet la dispersion de chacun dans un emploi du temps sur-mesure ; se pose la question de la liberté, trop aisément invoquée pour dissimuler les nouvelles contraintes économiques que cette mise à disposition implique, avec son injonction productiviste, forçant la bonne volonté des individus jusqu’à épuisement. Apparaît également le thème

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de la disparition de la nuit au profit d’un temps urbain continu (question sur laquelle l’auteur revient en détail dans La nuit, dernière frontière de la ville, Rhuthmos, 2016), qui en même temps devient une revendication, celle du « droit à la ville en continu » ; ce phénomène économique et urbain se répercute sur les individus, comme l’illustre l’émer- gence de la figure des « infatigables » ; conjointement, le temps libre devient facteur de culpabilité, et le temps mort occasionne des protestations : il faut pouvoir rentabiliser son temps et le temps des autres, consommer instantanément, et s’agiter efficacement et fré- nétiquement dans les engrenages impersonnels de la production et de l’échange, comme le permettent les NTIC qui s’incrustent au plus près des corps, des nerfs, des sens et des consciences. Interconnectés, les individus n’en sont pas moins déphasés entre eux, isolés dans leur rythmique de vie personnalisée. Les institutions (école, culture, etc.), de leur côté, qui ont pour caractéristique de canaliser les flux, y compris temporels, se retrouvent en porte-à-faux dans un monde où chacun fonctionne à son rythme propre, et exerce alors sur elles une pression à la continuité, au service à la demande. Ces transformations aux aspects économiques, sociaux, techniques, individuels, s’incarnent dans les morpholo- gies spatio-temporelles des villes, qui déclinent le thème de la ville mondiale au temps continu : ville globale où l’on consomme à chaque heure du jour et de la nuit, ville linéaire pourvue de voies de circulation internationales qui génèrent leurs oasis de temps continu, ville-archipel avec ses îlots d’activités ininterrompues dans des eaux encore structurées par l’alternance circadienne, ville festive en continu, ville virtuelle… Tel est le portrait d’un nouveau type urbain, « mêlant rapidité, immédiateté, éclatement, et continuité ».

Cette tendance ne va pas sans connaître d’obstacles et de résistances, dont l’auteur énu- mère différentes formes : limites naturelles et physiologiques (fatigue, difficultés d’accès à la nuit pour les femmes, les enfants, les vieillards) ; limites culturelles, y compris religieuses, inertie symbolique des rythmes traditionnels qui ne se laissent pas dissoudre dans un temps homogène et continu (Marc Augé propose le concept de « non-lieu », pourquoi ne pas parler de « non-instants » ?) ; revendications politiques pour la lenteur et le temps libre, et contre le travail de nuit ou la flexibilité des horaires ; mesures réactionnaires comme les saisies de sonos dans les raves, les augmentations des condamnations pour tapage nocturne, les fermetures administratives de bars, un couvre-feu pour les moins de 13 ans (!) ; difficultés techniques de maintenir des services sans temps de pause pour l’entretien (transports). Le déphasage des rythmes occasionne des conflits, des tensions subjectives (« fatigue d’être soi ») et intersub- jectives, tensions pour les occupations différenciées d’un territoire lorsque l’heure qu’il est n’a plus de signification unanime : lutte contre les fêtards, contre les constructions d’aéroports, tensions dans les banlieues (ce dernier point est pertinent mais assez mal documenté ici).

Voici pour le tableau d’ensemble, dense mais riche de sens ; l’on prendra aisément la mesure de l’importance de la question du temps pour penser la ville (et plus généralement, le social), tellement il est au centre des transformations en cours, et tellement elles sont sujettes elles-mêmes à une indéniable accélération. Il y aurait quelques questions à poser : le constat n’est-il pas trop homogénéisant ? La lumière crue des zones commerciales ouvertes de nuit ne rend-elle pas aveugle à une persistance des rythmes circadiens dans les rou- tines quotidiennes des individus ? Et n’y a-t-il pas des stratégies de contournement dans les usages des dispositifs et des emplois du temps continus qui permettent d’échapper à l’injonction au zéro temps mort ? C’est à creuser, mais ces questions ne peuvent être posées qu’une fois la tendance générale dégagée, et c’est cela que réalise cette première partie.

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Entre complexité et impact du propos, c’est une question de dosage, en fonction d’une finalité : ici, sacrifier quelques nuances de complexité et forcer quelque peu les traits permet d’augmenter l’impact de ces considérations, et a l’avantage d’inciter au débat, et surtout de le rendre accessible — l’auteur nous montre où diriger notre attention.

Pour conclure, une dizaine de pages regroupant un ensemble de petites citations de quelques mots chacune ; le medium est en phase avec le message, puisqu’il s’agit d’un rapide zapping dans la sagesse populaire à propos du temps ; du commentaire du coiffeur à la Vérité éternelle inscrite sur un paquet de pâtes, le tout achevé par un sympathique carpe diem (le sympathique n’implique pas l’original), le lecteur choisira, à chaque citation, dans cet ensemble de trois réactions possibles : { « bien vu » ; « niais » ; « sans intérêt » }.

Ces quelques pages de trivialités (pas désagréables pour autant) laissent place, dans la seconde partie, à une succession d’interventions tirées d’une sorte de “République des savants” constituée ad hoc : universitaires, philosophes, musicien, architecte, biologiste, économiste, élue… — ils sont 23 à offrir quelques pages de leur temps, à propos du temps et de la ville en continu. Ces regards croisés sont fort hétérogènes et inégaux, et certains d’entre eux auraient pu être considérés comme hors-sujet si l’auteur avait été moins tolé- rant : le lien avec la thématique de l’ouvrage est parfois trop faible pour être autre chose qu’un prétexte pour bavarder sur une passion quelconque ; ou encore, s’abandonner à des rêveries plus ou moins littéraires — en clair, certains passages ne nous donneront à méditer sur la perception du temps qu’en provoquant notre impatience. Cela dit, une majorité d’in- terventions sont au moins utiles au débat, et d’autres encore s’illustrent par leur pertinence.

L’on retiendra l’intervention du chronobiologiste Bernard Millet, qui permet de dialoguer avec l’aspect social de l’organisation physiologique humaine : nous aurons quelques élé- ments de réponse à la question « l’homme est-il fait pour vivre de nuit comme de jour ? ».

Jean-Luc Nahel, anthropologue, nous donne à voir d’autres rapports au temps possibles que celui en vigueur nos sociétés — rafraîchissante relativisation. Un agent de développe- ment local, Xavier Schramm, nous fait entendre à quel point l’accélération du temps et du renouvellement des acteurs sur un territoire, rend impossible toute conciliation des intérêts, et tout développement solide de projets locaux, processus qui exigent de disposer de temps longs. Dans le même registre, celui d’une critique de l’accélération, intervient le psychiatre Georges Yoram Ferdermann, qui milite pour que les médecins résistent au productivisme et à l’urgence, et assurent un accueil suivi des plus précaires. Le chercheur Marco Mareggi présente l’expérimentation de plans territoriaux qui a lieu dans trois villes italiennes, qui organise leur ouverture en continu et la différenciation temporelle de leurs espaces. Encore dans le registre des politiques urbaines, Marie-Pierre Martinet, élue parisienne, présente le Bureau des Temps, initiative qui tient compte des rythmes urbains pour penser les pro- blèmes écologiques, sociaux et économiques ; elle propose en outre quelques considérations politiques quant à la nécessité de concilier ville ouverte et lien social. Cette structure argu- mentative qui consiste à opposer accélération et lien social connaît plusieurs occurrences parmi ces interventions, mais elle laisse sceptique : quelles sont ces valeurs absolues et jamais questionnées du lien social ou du vivre ensemble ?

Surprenant, nous trouvons également des informaticiens sur le terrain performatif : ils nous promettent une amélioration de l’expérience de la ville grâce à la « connectabilité » numérique avec les équipements urbains : « quel enfer ! », voudrions-nous leur répondre, puisqu’il s’agit de l’ouverture d’un débat.

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Enfin, et pour répondre aux derniers visionnaires ci-dessus, nous décernons la palme aux deux premières interventions, dans le registre de la philosophie critique, à propos desquels les quelques mots suivants, à défaut de prétendre les résumer, éveilleront peut- être la curiosité du lecteur. Plinio Walder Prado Jr compose sur le thème du rapport essen- tiel de la pensée et du temps : si le soi se saisit dans le temps, alors il se fuit lui-même, puisque l’instant est insaisissable ; prendre le temps de penser le temps constitue donc une dimension du questionnement subjectif le plus profond ; et alors, l’idéologie « tech- noscientiste » qui consiste à abolir le temps inutilisé, implique l’oubli d’une part de soi- même, de la part problématique et « autre » en soi. Bernard Stiegler, quant à lui, disserte sur les technologies numériques qui organisent une déstructuration des temporalités fai- sant sens collectivement, en un vulgaire continuum consumériste — y compris au niveau urbain. Il développe une idée du social comme fondé sur l’existence de temps d’excep- tions, d’événements cycliques qui font sens collectivement et permettent la régénération du groupe (l’on pense au sacré chez Durkheim). La ville globale fait partie des dispositifs qui sapent cette différenciation, en alignant chaque instant sur un rapport au marché : travail ou consommation. À tout instant absorbé par un circuit normatif et consumériste, l’individu tend à s’abolir, ainsi que le social : car si c’est le social qui fabrique l’individu par les temps de solitude et d’indifférence qu’il lui accorde, une existence tout uniformi- sée et synchronisée autour de sollicitations signalétiques, marchandes, numériques, ne serait plus que celle d’individus « décervelés » dans une grande fourmilière, condamnés à réagir mécaniquement au lieu de réfléchir. Ces critiques se situent dans le mouvement philosophique qui prend pour objet les sociétés de contrôle, il n’y faut pas rechercher d’exactitude empirique, elles sont utiles pour conceptualiser les dangers des tendances qui apparaissent anodines lorsqu’elles ne sont pas exagérées : elles relèvent de l’art de l’anticipation, ainsi que du recul sceptique sur ce qui est souvent accueilli par les foules comme un progrès.

On trouvera d’autres interventions et exercices de style que chacun jugera plus ou moins pertinents ; cette table ronde reste utile dans son ensemble, par-delà ses inégali- tés qualitatives, elle permet de préparer au débat qui doit réunir tous ces acteurs et bien d’autres encore.

Pour conclure, l’auteur endosse le rôle d’arbitre et propose de dépasser l’opposition caricaturale entre dénonciation d’une aliénation dans le temps continu de la cité globale et acclamation niaise d’un gain de liberté sur les rythmes traditionnels. Sortir de cette alternative binaire permettrait d’appréhender les problèmes concrets des évolutions en cours : éclatement, bouleversement des continuités sociales et territoriales. Lucides sur ce constat, il nous appartient alors de » réfléchir à un aménagement et à un développe- ment global de la ville, qui intègrent la dimension temporelle et ne transforme pas la ville en une caricature de cité livrée aux seules activités économiques ». Et y réfléchir serait stérile sans une réappropriation citoyenne du temps : il faut à la fois répandre ce nouveau paradigme, et donner aux débats citoyens qui le prendraient en main une souveraineté réelle sur l’aménagement du territoire ; c’est pourquoi l’auteur encourage les initiatives similaires au Bureau des Temps de Paris — il en va de l’égalité et de la cohésion sociale.

Intégrer la question du temps dans le débat citoyen, — nous pensons l’idée promet- teuse. Mais nous avons quelque réticence à suivre l’auteur sur la forme qu’il propose de donner à ce débat : « démarche globale qui ne sépare plus la ville, l’entreprise et la

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population, l’approche temporelle permet d’envisager une nouvelle gouvernance asso- ciant population, syndicats, entreprises et associations ». Nous voyons au moins trois difficultés à cette perspective : d’abord, il est permis de douter du caractère démocra- tique d’un débat qui inclurait les entreprises, puisque les intérêts de celles-ci sont sans aucun doute contradictoires et irréconciliables avec ceux de la société civile ; il vaudrait peut-être mieux les exclure de tels processus décisionnels. Ensuite, nous estimons que la solution à tous les problèmes ne réside pas dans le caractère démocratique d’un débat et d’une décision : ici, la finalité est de refuser une gestion technocratique et autoritaire du temps ; mais il s’agit encore de le contrôler ; et alors, quand bien même ce contrôle serait démocratique, la sphère de ce qui est contrôlé et soumis à des normes dans la vie des individus s’étendrait tout de même au temps lui-même. Le caractère démocratique de la gestion du temps n’évacue pas l’aliénation certaine que constitue cette action politique envisagée sur le temps des villes et des hommes, excluant ainsi des existences leur part de hasard, de chaos, d’incertitude, la liberté même qui consiste à ne pas se poser la question de l’instant — un temps mort accordé de droit n’est plus vraiment un temps mort (de la même façon que les congés payés restent un moment de travail social). Ce problème ren- voie à la question foucaldienne du biopouvoir : celle du pouvoir politique qui s’intéresse à gérer la vie entière des individus ; le mot de gouvernance employé par l’auteur ne peut que nous évoquer ce paradigme. Enfin, question plus difficile mais indispensable à poser : pourquoi vouloir éviter le conflit ? L’auteur pose en principe de l’action publique qu’il envisage, que les tensions et les conflits soient anticipés et désamorcés ; mais la valeur de cette valeur n’est jamais interrogée. Ne veut-on donc plus aucune temporalité de conflit ? Le conflit n’est-il pourtant pas un ingrédient primordial de la vie sociale, sous peine de tomber dans l’écueil de la société grégaire que conceptualise Bernard Stiegler ?

Ainsi, nous sommes bien entendu les amis d’une perspective qui consiste à « réaffirmer la démocratie dans la sphère du temps » et à défendre l’égalité temporelle. L’inclusion du temps dans les débats démocratiques et les politiques urbaines est un geste épisté- mologique fructueux, dans le contexte d’un fait urbain devenu polychronique ; et nous adhérons totalement au souci de soustraire la ville à la tyrannie de la sphère économique, en s’armant de réflexions sur le temps. Toutefois, ce sont des débats épineux, et le simple principe démocratique, qui par définition ne dit rien de la qualité des décisions qu’il cautionnera, ne saurait y répondre sans un temps de réflexion suffisant ; si l’auteur et ses intervenants proposent des réponses plus ou moins fructueuses à ce problème, nous pensons qu’il faut s’en remettre au principe souvent évoqué dans l’ouvrage : lento — pas de précipitation.

Arthur Bouteiller Master Philosophie - Paris 1

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