Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Bulletin mensuel de
l'Académie des sciences et
lettres de Montpellier
BULLETIN
DE
L'ACADEMIE DES SCIENCES
ET LETTRES
DE MONTPELLIER
MONTPELLIER BIBLIOTHÈQUE DE L'ACADEMIE DES
SCIENCES ET LETTRES
1940
Les Discours de Réception
Réception de M.
DEMONTÈSDiscours de M. Emile DEMONTÈS
MADAME, MESSIEURS,
En m,'appelant
àsiéger parmi
vous, vousm'avez fait
unhonneur
dontje ressens tout
leprix
et mespremières paroles seront pour
vousdire
monremerciement.
Lesstatuts
del'Aca-
démie, le nom de
votre
Compagnie, qui comprend àla
fois lessciences et les
lettres, embrassent l'ensemble
des connaissances humaines. Nullediscipline n'échappe
àvotre
compétence, sin- gulièrementcelle
duDroit,
science dujuste
et del'injuste,
quiprétend dégager
unordre rationnel et
équitable,nécessaire
à lavie des hommes en société et à
l'harmonie
deleurs relations.
Ainsi
aviez-voiischoisi, autrefois, par cette raison, l'homme
éminent quifut
monprédécesseur
et avez-vous voulu,aujour d'hui, par
les mêmesraisons,
medésigner pour prendre part
àvos
travaux.
Soyezassurés
queje
suis sensible àvotre
choix etheureux
de
metrouver parmi vous.
quoique jeressente,
enmême
temps
quelquecrainte,
lorsque je considèrel'étendue,
hélastrop
mesurée, de mespropres
mérites.Ceux de
Jules
VALÉRYétaient
éclatants.Il était
né à Sète,sur
les
bords
decette
merlatine,
que sonfrère devait chanter
dansdes
vers
magnifiques; ilest mort cette
année,dans
sa maisonde Montpellier, proche de ce
Peyrou, d'où
la vue embrasse, dela Méditerranée
aux Cévennes,l'un
des plus beauxpanoramas
du monde; il repose
maintenant
dans ce cimetièremarin,
où laterre est
sipetite
qu'elleparaît
presque irréelle, perdueentre
les deux immensités de la mer et du ciel. Ce pays aux lignes si simples et grandes, il
l'aimait
tellement, il luiétait
tellement attachéqu'au
cours de sa longue vie, toutes les sollicitations dont il a étél'objet n'ont
pu le décider à lequitter. Il
estresté
fidèle
au
sol quil'avait
vunaître,
ànotre
villeet
à -son Université.Sa vie en a reçu une unité
rare. Il fut l'un
despremiers
étudiants de laFaculté
de Droit, qui venaitd'être
rétablie, en1880, après une éclipse passagère.
Il aimait
àrappeler
cestemps, qui pour nous
s'estompent
déjà dans le passé, àciter
ceux qui
furent
sesmaîtres
—et
que nombred'entre
vous ontconnus — : les Vigié, les
Girard,
les Gide, les Laborde,et tant d'autres
encore, sans oublier Valabrègue, à qui il devait suc-céder. Ses
dernières paroles
publiques, en 1933,furent pour
raconter, dans la Salle des
Fêtes
de notre Université,l'histoire
de la
résurrection
de laFaculté
à laquelle ilétait
si profondé- ment attaché. Ill'avait
bien et noblementservie!
Aussi, lors-qu'en
finissant, il parla' de sa prochaineretraite,
ilpouvait
légitimementlaisser
voir une émotion que sesauditeurs
compri-rent
etpartagèrent.
Nul, en effet, ne pouvaitignorer
les nom- breuses générationsd'étudiants qu'il avait
formées depuis lestemps lointains où il
était
revenu comme agrégé, puis commeprofesseur
dansnotre
Faculté, enattendant d'en
être le doyen.Nul ne pouvait non plus ne pas
ressentir
que cet adieudéfinitif,
où résonnaient des
regrets
voilés,marquait
le détachement de1
'homme et de cequ'il
a aimé, detachementtoujours
douloureux et poignant.Rien ne lui
était indifférent
du passé ou duprésent
denotre
ville
et
de sa région.L'assiduité qu'il montrait aux
séances de votre Compagnie, ses nombreuses communicationssur l'histoire
de nos
institutions
ou lesfaits
curieux denotre
passé, témoi- gnent à la fois del'intérêt qu'il
leurportait
et del'étendue
deson érudition.
Je n'en
veuxqu'un
exemple. Sil'on
songe com-
bien nous savons peu de choses
sur
la jeunesse desgrands
hommes, on admire
d'autant
plus la conférence, dans laquelleil a sii évoquer le
séjour
dePétrarque
à Montpellier,s'efforçant
de
faire revivre l'aimable
figure de cet adolescent qui, vouépar MecreTnr'f' •?pj,<Jr?it' mais déjà
pousséPar
un démon secret,
préférait I
humanismeet la
poésie auxabstractions
destextes
deJustinien.
Onadmire aussi
que decette désertion,
ilait
putirer
une leçon utileet profonde
enmontrant
aux étudiants,
auxquels ils'adressait,
que leserreurs
dedirection
oude
départ
commises dansla jeunesse peuvent être réparées
etqu'en
seproposant
unbut
élevé,et
entravaillant
àl'atteindre,
on
connaît
le succès.Leçon
morale,
Messieurs, quipourrait être
cellequ'on tirerait
de sa vie. Son activité,
profondément attachée
à ses fonctionsuniversitaires, débordait
le cadre de son enseignement.Il était
membre, endehors
devotre
Académie, de nombreusesautres
sociétés
savantes,
membrecorrespondant
del'Institut,
'autitre
de
l'Académie des sciences morales
et politiques.Il était attaché
de
diverses
façons, aux œuvres spéciales,tant nationales
quelocales,
singulièrement
à celles quiconcernent
la jeunesse.Il aida
à lafondation
denotre
Citéuniversitaire
et, dans cette œuvrequ'il aimait,
il a eu la joie devoir
son fils le continuer.Enfin,
suivant
unetradition
que de nombreuxesprits regrettent
de
voir abandonner
de nosjours, et
quiassurait
lescontacts
nécessairesentre
lePalais
etl'Ecole
dedroit,
il fut,durant toute
sa vie,inscrit au barreau
denotre
Oourd'Appel,
et il fit mêmepartie, durant
de longues années, de son Conseil del'Ordre.
Aussi, le peuple
de Montpellier
nes'y
estpas
trompé. Si une fouleimposante a suivi
ses obsèques,c'est
que chacuna
comprisque
c'était
unpeu
dela
vie locale et régionale quidisparaissait
avec lui, et ce
jour-là,
cepays
auquel ilavait
témoignétant
d'attachement, qu'il avait tant
aimé, le luia
bienrendu!.
L'œuvre qu'il laisse
est considérable.Je
neparlerai
que del'œuvre juridique, parce qu'elle
est, de loin, la plusimportante,
parce quec'est
elle qui a eu le plusd'éclat,
et aussi parcequ'il
me semble que
c'est
elle que je suis le pluspréparé
àapprécier.
L'activité
scientifique de VALÉRY a étépresque tout entière
consacrée àl'étude
dudroit
commercial et à celle dudroit inter- national,
qui tous deux, occupèrenttour
àtour
sa pensée.Il
ne les
dissociait
guère,estimant
avecraison
que lecaractère essentiel
desrapports d'affaires est d'être internationaux.
I.e commercejuridique,
quin'est
pasautre
chose que l'économi-que —
pour
employer le mot àla
mode —tend
à négliger l°sfrontières
politiques. Son libre développement cherche as'af-
franchir
des loisnationales,
mais, comme celles-ci existent, souvent avec uncaractère impératif,
ellesentrent
nécessaire-ment en conflit et
c'est
à ce moment quese
posent les problèmesles plus
importants
et les plus difficiles dudroit international.
Pensez seulement, un
instant,
à la complexité queprésente
le moindre de ces problèmes. Dèsqu'une opération
viseplusieurs
pays, elle met en jeu.des
principeslégislatifs
qui sonttoujours
différents et qui souvent
s'opposent.
Chacun des créanciers et débiteurs se réfugiederrière sa
loi nationalepour
obtenir untraitement
plus favorable. Ajoutez à cela les complications nées de la divergence des législations applicables à lafortune
mobi- lière et immobilière. Complétez letout
entenant
compte dessituations
différentessuivant
les pays, desactionnaires
ou des obligataires. N'oubliez pas,de
nosjours,
le mécanisme complexe des limitations de change et detransferts
de devises, et vous concevrez facilement que sirien n'est
plusattachant
que dechercher,
dans
chaque cas, la solution que postulel'idée
dejustice,
rien n'est
aussi plus difficile. Nuln'était
mieuxpréparé pour
cela que VALÉRY, àraison
de saparfaite
connaissance des languesétrangères,
àraison
aussi de ses facultés innées declarté dans la
pensée et de lucidité dans le jugement.Il n'est
point questiond'analyser
ici chacun de ses ouvrages.Cependant
certains
de ses livres doiventêtre
rappelés.En
1895, il
publiait
deuxtraités, l'un
des «contrats par
correspon-dance »,
l'autre
des (( louages de meubles ».En
1903, voyait lejour
unTraité
de la location descoffres-forts
quifut
rééditéen 1926. Quelques années plus
tard, en
1912, ilfaisait paraître
un
Traité
deslettres
missives,donnant ainsi
au public uneœuvre
qu'avait
couronnée,en manuscrit,
l'Académie des scien- ces morales et politiques.Presque
immédiatementaprès,
en1913,
paraissait
son Manuel dedroit international
privé, ouvrage qui afait
époque et àpropos
duquelj'ai
souvent entenduexprimer
leregret
que des éditions successives ne soientpas
venues le compléter
et
lemettre
àjour.
Du moins, en 1927, uneétude
sur
laNationalité française
a-t-ellemontré l'intérêt qu'il portait
au problème le plusimportant,
ànotre
époque, dudroit international français.
Enfin, en 1936, VALÉRYpubliait
unTraité
des chèques endroit français.
Cette œuvreparaissait trois
ans après sa mise à laretraite;
elleatteste
quela
loiimplacable du nombre des années, imposée
par
les règlements,était injuste
à son égard, et que sonesprit avait
conservé, àl'âge
de soixante-treize ans,la
plénitudede
ses facultés.Par
unconcours malheureux
de
circonstances, cet ouvragea
vieilli, dès sa naissance. Un décret-loi imprévu-
comme ils le sont tous —paraissait au Journal
officiel au moment oùs'achevait l'im- pression du Traité. Il fallût qu'en toute
hâte,on
mit lelivre
àjour, par
desadditions
qui en ontdéparé et
'alourdil'ordon-
nance
primitive.
A ces
ouvrages
de fond,s'ajoutent
un nombretrès important
de notes
et d'articles, parus dans
les Revuesscientifiques,
dontil
était
lecollaborateur
assidu.La liste serait trop
longue àvous
rapporter.
Seules, une
puissance
detravail
peu commune et uneparfaite régularité
de viepermettent
delaisser
une œuvreaussi
impor-tante.
Comme beaucoup degrands jurisconsultes,
VALÉRYaimait
à
s'enfermer
dansson
cabinet detravail
et àrechercher la
solution dejustice
dans le calmed'une méditation solitaire. Et
peut-être,
Messieurs, est-ce là une des règlesprofondes,
une des nécessités denotre profession.
LesTribunaux
eux-mêmes ontleur
Chambre du Conseil!Evoquons-le un
instant, dans cette
pièce encombrée delivres, au premier
étage de samaison
dela rue Fournarié,
où le visi-teur
quil'a
connu,s'attend
àtout
moment à levoir reparaître, tant
onen a
conservé pieusementl'aspect
etl'arrangement. Il
nous
livrera peut-être
le secret de sa méthode detravail
et de pensée. Cesecret,
cette méthode,sur
lesquels jevoudrais,
enterminant,
vousdire
quelques mots, sont bien cequ'un disparu peut laisser
de plus utile à ceux qui luisurvivent.
Les œuvres, même les plusfortes vieillissent et passent.
Les méthodes demeurent. Car, iln'y a point tant d'attitudes
de penséequ'on
le
pourrait
croire,devant
unesprit
qui médite et qui réfléchitsur
les problèmes dudroit
etsur
les lois humaines.A la vérité, il
n'y en
a mêmepas plusieurs,
si on laisse de côté,comme des
esprits primaires
et négligeables, lescréateurs
desystèmes qui
font
tablerase
des lois.Pour
unvrai juriste,
iln'y a
que deuxattitudes d'esprit
possible. Les uns, emportéspar
le génie del'abstraction, traitent
les lois commeautrefois
lesl'essence,philosophes scolastiques
la substance,
les modestraitaient
les choses:
ils entirent
et les
attributs,
etd'abstrac- tion
enabstraction,
ilsparviennent
à ce que Rabelaiseût
appelé la « quintessence » etqu'ils
nomment des notions. Lejeu
de ces notionspures
a,certes,
de quoicharmer l'esprit. Il
constitueune
sorte d'arithmétique,
ou mieux, de géométriejuridique.
Son
intérêt
et sonutilité
ne sont pasinférieurs
à ceux queprésentent
ces
sciences. Maistrès
vite, ildevient
un jeu, auquelon se laisse
prendre,
et on oublie alors que les notionspures
ne
changent pas, tandis
que laréalité
humaine est mouvante.Les
autres,
aucontraire,
comprenant que la vie dudroit
nese trouve
pasdans
ces espacesirréels
et glacés où semeuvent
les notions, mais dans les conflits concrets qui, chaque
jour,
opposent les vivants,
portent
leurattention sur
les difficultéspratiques,
cherchent à les résoudre au mieux dans chaque cas,s'efforcent
même de donnerd'avance la
solution du litigequ'ils
prévoient, en
interprétant
les textes. Cette conceptiond'une justice pratique
a sagrandeur
etsa
noblesse:C'est
cellequ'avaient
eueautrefois
lesjurisconsultes
romains, dont l'œu- vre,celleàqu'avait travers
les siècles,Jules
VALÉRY.a forcéIl n'aurait l'admiration
certes pas condamnédes hommes; c'est la
recherche abstraite, s'il
y avait trouvé
un moyenutile.
Mais il
considérait
avant
tout, que lorsque les lois doiventrégir la
vie des hommes, elles ne peuvent passortir tout
armées du cer- veaud'un législateur,
comme celui-ci le pense — hélas!
—trop
souvent de nos
jours.
On doit, dans leurapplication
(laquelle est, au fond, toute leur vie),tenir
compte del'histoire, car
nousne sommes
jamais
absolument libres de nousdétacher
denotre
passé. On doit
aussi
composer avec les pensées ou les senti- ments et comprendre les réflexes ou lestraditions des
individusque les lois régissent,
ou
ceuxdes
sociétésqu'elles
dominent.C'est
le rôled'un vrai jurisconsulte
de concilier ainsi les textes et lesfaits.
VALÉRY excellait à cetteopération
del'esprit
et il
fut
unmaître
dans cette science,difficile entre
toutes, quiestcelle
de laJustice
humaine.C'est
cette méthode quiinspire
ses livres, qui lui dicte les solutions de détail
qu'on
ypeut
cher-cher
etqu'on est
presqueassuré d'y trouver,
quifait
que sesouvrages
pourront pendant
longtemps encore,être
consultés avecfruit.
Peut-être
estimerez-vous, Messieurs, que cette méthoden'était,
àtout prendre,
point mauvaise, si vouspensez arux
mécomptes et aux troubles que nous a
fait connaître l'esprit
de système, lequelpendant
quelquestrop
longuesaimées, a inspiré
notre
législateur.En tout
cas, nous aurons probablement besoinque la
tradition ne s'en
perde pas.Réponse de
M.Gaston
MORINMONSIEUR,
L'Académie,
en medésignant pour
vousrépondre, m'a fait
un honneur
queje n'ai pas hésité
àaccepter, parce qu'il
medonne
l'occasion
et derendre
un hommage émuau confrère
éminent que vous remplacez ici
et
de vousexprimer
publique- ment, en lesjustifiant,
cettehaute
estimeet
cettesympathie
que vous
entourent à la Faculté
deDroit
et quetrès rapidement
vous allez
gagner dans notre
Compagnie.Vous avez mis
en relief, desaisissante manière, la person- nalité
du doyen VALÉRY.Par
lerappel
desmanifestations
sidiverses
de sonactivité,
vous avezexpliqué
la placeconsidérable qu'il
occupaitdans notre
ville etdans notre Université.
Et
vousavez fait un
éloge éloquent etmérité
de son œuvre scientifique,très
éloignée decelle
dudoctrinaire épris
de logiquepure
etdédaigneux
desréalités.
Vous avez loué le
jurisconsulte.
Je
veuxlouer aussi
leprofesseur qu'était
M. VALÉRY.Les
meilleurs
de ses 'anciens élèvess'accordent
àreconnaître
que ses cours
étaient remarquables par
la richesse desinfor- mations,
la belle ordonnance duplan
etla clarté souveraine
del'exposition.
Ajoutons
quepour notre regretté
confrère,la mission
duMaître vraiment
digne de ce nomn'était pas
seulementd'ins- truire
lesjeunes, mais
de les comprendreet
de lessoutenir,
etque sa sollicitude qui
fut grande
àl'égard
de tous lesétudiants
sans
distinction,
semontra particulièrement
généreuse à laprésidence
de ce Comité depatronage
desEtudiants étrangers,
fondé en 1890,
par
MM.Charles
GIDE et CROISET et quiassure, très
loin au dehors, lerayonnement
del'Université
de Mont-pellier.
Le doyen VALÉRY nous laisse,
ainsi
que vousl'avez montré,
l'exemple d'une
vietoute
delabeur et
de dignité.Il
nous a également donné,durant
les semaines quiont
pré-cédé sa
mort
une belle leçon de couragedevant la
souffrance:
alors que le mal implacable qui
devait l'emporter avait
déjàfait
sesravages,
que la marche luiétait
infiniment douloureuse, ils'imposait
encorede venir,
comme àl'ordinaire,
.'aux séancesdu Conseil de la
Faculté et
aux réunions de l'Académie.L'on
comprenait quesa
volonté tenaceétait
dedemeurer jusqu'au
bout fidèle à seshabitudes
de vie laborieuse.Et l'on admirait
l'afermeté d'âme
dont ilétait
capable vis-à-vis de lui-même.J'ai
eula tristesse
de nepas assister aux
obsèques deM. VALÉRY,
ayant
été appelé àParis,
le lendemain de sa mort,pour remplir
une obligation professionnelle à laquelle je ne pouvais me dérober.J'envoyai
mes condoléances à M.Paul
VALÉRY.Et
voicila lettre qu'en réponse
ilm'adressa:
« Je
suis bien sensible àla part
que vous prenez ànotre deuil.
Vous avez connu mon
frère pendant
de longuesannées, et
savezmieux que moi
combien
ilétait attaché à sa
Faculté,aux
études,aux
étudiants et à
ses collègues;
et vous avez apprécié son amitié.» Quant à moi, je
l'ai eu pour
père depuisl'âge
de 16 ansque
j'avais
quand lenôtre
est mort, et je nepuis
vousdire
cequ'il
a étépour
moi, sans même melaisser
soupçonnertout l'intérêt qu'il prenait
à unesprit d'une
excessive indépendance,qui ne se fixait à aucune discipline
extérieure,
et nepoursuivait
aucune
carrière
déterminée, ni aucune étude utilisable.Je
nesais où il
pouvait puiser
cette confianceen
moi que je netrou-
vais pas dutout
en moi-même.)) Voilà ce que je
ressens très
péniblementaujourd
'hui. » Tel est letouchant
témoignage degratitude
donné à sonfrère par Paul
VALÉRY.Vous êtes, Monsieur, le
très
dignehéritier
de celuiauquel
nous vous avons appelé à succéder.
On le
verra
bien quandj'aurai retracé votre
vie et mis en lumière lavaleur
de vostravaux.
Par
vos ascendances commepar
votre lieu de naissance, vousappartenez
ànotre
Languedoc. Votre famillepaternelle était
fixée, dès
avant
le XVIe siècle, dans leVivarais.
Du côté
maternel,
vous vousrattachez
à Aigues-Vives,c'est
à-dire
aux
environs de Nîmes dontvotre
oncle EmileJamais
devint,
très
jeune, député, et ledemeura durant
deux législatu- res.Emile
Jamais pour
lequella
politiquen'était pas
unecarrière
mais un service public,
avait
une intelligence et untalent
quilui
assuraient un grand avenir. Il fut sous-secrétaire d'Etat
aux Colonies. Mais son
destin devait être trop tôt
brisé.Il
mou-rut
àl'âge
de 37 ans,laissant
un nom honoré de tous.Vous naissez le 7 novembre 1895, à Alès. M.
votre
père,alors professeur au
lycée decette
ville, est peu detemps après
nomméau lycée
d'Alger. Et c'est
àAlger
ques'écoulent votre
enfancec4
votre
adolescence.Après
debrillantes
études classiques, vous devenez un étu-diant remarquable
de laFaculté
deDroit, lauréat
de ses concours et de ceux dela Faculté
desLettres quand la guerre
éclate.
Mobilisé le 15
février
1915 etappelé au
8etirailleurs
indi- gènes àBizerte,
vous y tombez malade.Refusant
laréforme
qui vous
est
proposée, vous continuezà servir.
Autotal,
vousaurez fait quatre
ans et sept mois deguerre.
Après l'armistice,
vouspoursuivez
vos études à laFaculté
deDroit d'Alger
et vous devenez licencié.M.
votre
pèreayant
été nommé, en 1921,au
Collège deFrance,
dans la
chaire
degéographie
économique,c'est
à laFaculté
deDroit de Paris
que vous obtenez,en
1922,le
diplôme dedocteur
en
droit
ès sciencesjuridiques
et, en 1923, celui de docteur ès sciences politiques et économiques, auretour
de Rome où, béné-ficiaire de
l'une
des cinq bourses de voyage et deséjour
àl'étranger dont disposait alors l'Université de Paris,
vous avezeu
l'heureuse fortune,
dedemeurer
cinq mois, de novembre1922 à
mars
1923,séjour
singulièrement profitable àun esprit
curieux et
fortement
cultivé comme le vôtre.En
1924,l'une
des plushautes
récompenses dela Faculté
deDroit
deParis,
leprix
Rossi, vousest accordé pour un
impor-tant
mémoire.Puis,
c'est
l'atrès
rude préparationau
concoursd'agrégation
et
la
joiedu
succès, en 1928.Mais,
pour
vos débuts,l'on
vous envoie, vous leméridional habitué au
bleu plein du cield'Algérie
etd'Italie, l'on
vousenvoie
dans
la brumeuseet
humide Normandie, àla Faculté
deDroit
de Caen oùvotre réussite
estd'ailleurs
complète.Assez vite, vous avez la nostalgie de
la
lumièreet
'anussi devotre dhère demeure familiale d'Aigues-Vives.
En
1933,sur
votre demandeet
avecl'agrément
dela Faculté
deDroit
de Montpellier qui connaissaitvotre réputation,
vous êtestrans-
féré
dansla chaire
dedroit
commercial quevenait
delaisser
vacante M. VALÉRY mis à
la retraite.
Vous enseignez ici avec une
très persuasive autorité
nonseulement le
droit
commercial mais lalégislation industrielle.
En
outre, vous avez la charge, tous les deux ans,d'un
enseigne-ment
de doctorat
où votreeffort
doctrinal, àla fois critique
etconstructif, s'exerce dans
les plusimportants
domainesdu droit
civil.Enfin, vous lavez
organisé
et vousdirigez
avec le plusgrand
zèle un centre de
préparation
au concours de lamagistrature
dont le
corps enseignant
est composé deprofesseurs et
demagistrats
et où chaque annéel'on enregistre
de beauxet
bril-lants
succès.La liste est longue de vos
travaux:
Vos deux thèses de doc-torat
doivent y figurertout d'abord, la première intitulée:
«
L'action
ad exhibendum endroit
moderne.Essai sur
ledroit
à la preuve
» ;
et la deuxième dont vous avez recueilli les élé- mentsdurant votre
séjour à Rome «La
questionagraire
dansl'Italie
contemporaine ».Vient ensuite,
dans l'ordre
chronologique, le beau livre qui vous a valu lePrix
Rossi et qui apour titre
(( Dela
lésion dansles
contrats entre majeurs
», livre de jeunessesi l'on s'en tient
à
l'âge
del'auteur,mais
qui révèle une complètematurité d'esprit et
une pleinemaîtrise.
Sous ce
terme
de lésion, un peu hermétiquepour
lesprofanes,
ilfaut entendre
le préjudice subipar
lapartie
qui,dans
uncontrat, a moins reçu
qu'elle n'a fourni.
En
1920,notre
éminentconfrère
M. GUIBAL et son collègueM. DUPIN
avaient
déposésur
lebureau
de la Chambre des dépu- tés une propositiondie
loiayant pour
objetd'introduire
dansnotre
Gode civil, comme cause de nullité danstous
les contrats.,« la lésion
résultant
de ladisproportion
énorme desobligations
déterminéepar l'exploitation
dela
gêne, de la légèreté ou de l'inexpérience du lésé ».Vous
faites
de cette siintéressante
propositionde
loi, inspi-rée de la doctrine canonique
sur l'injustice usuraire, l'examen approfondi qu'elle
mérite. Mais,sans
demeurerd'ailleurs
indif-férent
devantcertaines grandes
inégalités économiquesdont
vous admettez
qu'elles appellent certaines corrections
de jus- tice, vous refusezvotre
adhésion, an nom de lasécurité
desrelations juridiques,
à untexte
général décidant quetout contrat peut être
modifiépar
le juge àraison
de la lésion.Et
vous met- tez au service devotre
thèse quej'aimerais discuter
uneargu- mentation
vigoureuse et quifait
impression.Depuis
votre agrégation,
vous avez publié, en collaboration avecplusieurs
collègues, « untraité
desTitres nominatifs
et des certificats de propriété»
entrois
volumes, et avec le concours deM. le
professeur
JAUFFRET, dela Faculté
d'Aix-en-Provenoe, un ouvragetout
àfait précieux pour
les diverses catégories dejuristes,
hommes de doctrine etpraticiens:
« Le code de commerce et les lois commercialesterrestres et maritimes
annotés ». Un
premier
fascicule de plus de 400 pages aparu
en 1936; un deuxième est en
préparation.
Tous vos ouvrages révèlent de
hautes
qualités de composition.Vous donnez à
l'esprit
de voslecteurs la satisfaction
de se mouvoir dansde
largesallées, aux
idées bien alignées, où pénè-tre partout
la lumière.Et
puis, etc'est l'un
descaractères
essentiels devotre
ma-nière:
entraitant
les questions les plus techniques, vous vousélevez
toujours jusqu'aux
idées générales qui doivent les dominer.Il
y a même, dansvotre production
scientifique, une philoso- phiedu droit
implicite que je ne crois pasdéformer
enl'expri-
mant
ainsi:
Vous estimez,et
jesuis
en plein accord avec vous, quel'évolution des sociétés
humaines comporte unepart
decontingence
et
de modification possiblepar
la volonté de l'hom-me, et
qu'il
est, au-dessus dudroit
positif, undroit que certains
appellent droit naturel, d'autres droit
idéal,d'autres encore droit
objectif, et qui doitservir
de directiveet d'orientation
endroit positif.
Dès lors, selon vous, les
jurisconsultes
de la doctrinen'ont
pas
pour
rôle unique de décrire le mouvementlégislatif
et lemouvement
jurisprudentiel
considérés comme nécessaires au sens philosophique du terme. Ils doivent encore, etc'est
leurmission la plus élevée,
porter
des jugements devaleur sur
ledroit positif, pour
enpoursuivre, s'il
y a lieu, la révision.Je sais, d'après
les confidences dont vousm'avez
honoré,au
cours de ces longsentretiens
que nous avons ensemble et aux- quelsj'attache tant
de prix, je sais que votre ambition est dejustifier
une telle position intellectuelle etd'en
développer lesconséquences 'dans un
traité
scientifiqueet
philosophique dedroit
dont vos cours dedoctorat sont
lapréparation.
Permettez
àvotre
ancien qui connaîtl'étendue
de vos connais- sanceset
les ressources de votretalent,
de vousencourager
dans la voie que vous voulez suivre et desouhaiter l'élabora-
tiond'un
teltraité
qui,j'en
aila
certitude, en même temps que vous, Monsieur,honorera grandement
la sciencejuridique.
Réception de
M. BLANCHARDDiscours de M. BLANCHARD
'MADAME, MESSIEURS,
Je
meprésente
devant vous grevéd'un lourd passif.
Depuisbien plus de deux
ans
déjà, vousm'avez fait
legrand honneur
et
la
joiemajeure
dem'appeler parmi
vous, etdepuis
bien plusde deux ans, il ne
m'a
pas encore été donné dem'acquitter du
devoir de vous
dire
magratitude. Retard
dontje sens toute la
grièveté et
pour
quoiil
me convient dèsl'abord
de vouspré- senter mon
excuse. Mais si la conjoncture a voulu quel'entas-
sement des
travaux et la fuite
desjours
medétournassent
jus-qu'ici
dece
.soin dontj'entendais parfaitement pourtant,
croyez-le,
tout
le sérieux et toutel'urgence,
elleveut maintenant,
cette conjoncture, que ce soit en des
jours
'singulièrement char-gés de soucis, en ces
primes
mois des débutsd'une guerre
qui s'annonce, entre toutes, longue et inexpiable quel'occasion
se rencontre enfinpour
moi de vous exprimer mon merci.La gra-
vité inouïe des tempsrequiert
quelque discrétion. Vouspermet- trez
donc que cesoit
entoute
discrétion et entoute
brièveté,quoiqu'en toute
force, que je vousprie d'agréer
montribut
dereconnaissance.
Pour
setraduire
enla simplicité
dépouillée decette concision que veulent impérieusement ces
heures
à nousimposées, cette reconnaissance
n'en
estpas
moins profonde,elle