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Le futur de la Codification du droit civil en Europe : harmonisation des anciens Codes ou création d'un nouveau Code ?

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Academic year: 2022

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Le futur de la Codification du droit civil en Europe : harmonisation des anciens Codes ou création d'un nouveau Code ?

KADNER GRAZIANO, Thomas

KADNER GRAZIANO, Thomas. Le futur de la Codification du droit civil en Europe :

harmonisation des anciens Codes ou création d'un nouveau Code ? In: Jean-Philippe Dunand / Bénédict Winiger. Le Code civil français dans le droit européen . Bruxelles : Bruylant, 2005.

p. 257-274

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44687

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LE FUTUR DE LA CODIFICATION DU DROIT CIVIL EN EUROPE : HARMONISATION DES ANCIENS CODES

OU CRÉATION D'UN NOUVEAU CODE?

PAR

THOMAS KADNER GRAZIANO

PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ DE GENÈVE

Nous fêtons en 2004 le bicentenaire du Code civil français. Dans cent ans, nos arrière petits-enfants en fêteront-ils le tricentenaire, ou toutes ces grandes codifications du XIXe et du début du

xxe

siècle seront-elles devenues obsolètes, tombées depuis long- temps aux oubliettes? Dans cent ans, les historiens du droit seront- ils les seuls à se souvenir du Code civil français, du BGB et des Codes suisses? Ces Codes auront-ils la même place qu'occupent aujourd'hui le droit romain et les premiers Codes du XVIIIe siècle, c'est-à-dire le Codex M aximilaneus Bavaricus Civilis et le Code prussien de 1794, le Preussisches Allgemeines Landrecht? Nos arriè- res petits-enfants garderont-ils souvenir d'Ole Lando, de Michael Bonell et de Giuseppe Gandolfi en tant que pères du droit contrac- tuel européen moderne, comme nous conservons aujourd'hui la mémoire de Domat, de Pothier, de von Zeiller, de Windscheid et de Eugen Huber?

Nous nous proposons de réfléchir sur le futur de ces Codes, sous l'angle de vue des <<Principes du droit européen du contrat>> (encore appelés <<Principes Lando>>) (1). La grande qualité de ces Principes, presque une décennie après leur première présentation, est aujourd'hui encore incontestée. Comme les <<Principes Unidroit>> (2)

( 1) Commissions pour le droit européen du contrat (Président : Ole Lando) : Principes du droit européen du contrat (version française préparée par: Georges Rouhette avec le concours d'Isa·

belle de Lamberterie, Denis Talion, Claude Witz), Paris 2003.

(2) UNIDROIT, Institut international pour l'unification du droit privé: Principes relatifs aux contrats du commerce international, Rome 1994. Version française de 1994 avec commentaire ainsi que texte de la version de 2004 sur le site http://www.unidroit.org/frenchfprinciplesfcon·

tractsfprinciplesl994/fulltext-f.pdf.

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ou l'avant-projet d'un <<Code européen des contrats>> de l'Académie des privatistes européens (3), les Principes Lando sont devenus une véritable source d'inspiration, et une référence pour toute compa- raison et toute législation en matière de droit contractuel.

Ces Principes et projets resteront-ils une source d'inspiration pour les législateurs nationaux et les jurisprudences nationales et inter- nationales, ou prendront-ils la place, dans quelques années, du droit contractuel des anciens Codes?

Si l'on traite la question de la modernisation et de l'harmonisa- tion des anciens Codes et l'hypothèse de leur remplacement par un nouveau Code européen, trois questions de fond se posent :

I) Faut-il un Code européen, en suivant, par exemple, le modèle des Principes Lando?

II) Les droits contractuels des anciens Codes devraient-ils être remplacés par un Code contractuel européen ou devrait-on envisager leur coexistence avec celle d'un Code européen, chaque Code ayant son propre champ d'application?

III) Quels seront les prochaines étapes à suivre en ce qui concerne la codification du droit civil européen?

l. -FAUT-IL UN CODE EUROPÉEN

DU DROIT CONTRACTUEL? - L'EFFET DE SURPRISE

En 2001, dans une Communication au Conseil et au Parle- ment, la Commission européenne a posé la question de la néces- sité d'une législation européenne plus complète en matière de droit européen des contrats, voire d'un Code contractuel euro- péen (4). La Commission a reçu plus de cent soixante réponses, dans lesquelles de nombreux aspects importants ont été rele- vés (5). Dans le cadre de cette contribution, il est préférable de se concentrer sur l'un de ces aspects : appelons-le l'effet de sur- pnse.

(3) Académie des privatistes européens et Giuseppe GANDOLFI (éd.), Code européen des con- trats, Avant-projet, Livre premier, 2' éd., Milan 2004.

(4) Communication de la Commission Européenne au Conseil et au Parlement Européen, Con- cernant le Droit Européen des Contrats, 11.07.2001, COM (2001) 398 final.

(5) Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, Un droit européen des contrats plus cohérent - un plan d'action, 12.02.2003, COM (2003) 68 final.

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LE FUTUR DE LA CODIFICATION 259

Dans un cadre strictement national, les anciens Codes ont fait leurs preuves depuis longtemps. Confrontés à de nombreuses nou- velles questions, les Codes ont montré leur flexibilité, ils ont été adaptés par les législateurs nationaux, et dans l'Union européenne, par le législateur européen. Ce qui revient à dire que, pour l'usage interne, on s'est habitué aux anciens Codes et que l'on vit bien avec eux (6).

La situation est toute autre si l'on se penche sur les cas qui débordent du cadre national strict. Dans les relations transfronta- lières, la diversité des solutions des anciens Codes ou de leur inter- prétation par la jurisprudence est souvent source de grandes surpri- ses, voire d'insécurité juridique.

l. Trois cas pratiques

Il convient d'illustrer ces situations de surprise à l'aide de trois cas pratiques. Dans nombre de réponses à la Communication de la Commission, la phase de conclusion du contrat ayant été décrite comme particulièrement délicate, nos exemples s'intéresseront donc à cette phase :

Dans le cas n

°

1, une personne décide de quitter son poste. Une autre personne intéressée par ce poste lui promet une somme impor- tante, si elle la présente à son employeur comme candidate à sa suc- cession. Les deux parties savent que l'employeur n'est aucunement lié par cette proposition. Le candidat est présenté et employé.

Cependant, il refuse de payer la somme promise à son prédécesseur, donnant l'argument selon lequel l'employeur n'a pas été lié par la présentation, car il pouvait engager librement la personne de son choix.

Dans la grande majorité des droits européens, pour qu'un contrat soit conclu, il suffit, en principe, qu'il y ait accord des volontés (7).

Dans ce cas d'espèce, le contrat serait donc valable et la somme promise serait due.

(6) Cependant, v., par ex., Bénédicte FA UV ARQUE-CossoN, <•Faut-il un Code civil européen 1>>, Revue trimestrielle de droit civil (RTDciv.) 2002, p. 463 (464, n° 2) : <•Si le Code civil a prouvé ses capacités de résistance en perdurant malgré les changements incessants du droit, il a vieilli. Ses parties les plus anciennes ont été, soit négligées, soit revues par la jurisprudence qui les a tout à la fois faites et défaites. Par ailleurs, une succession de réformes législatives partielles a fragilisé le monument».

(7) Voir, par ex., art. 1 du Code des obligations suisse; §861 du Code civil autrichien.

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Ce premier cas s'est présenté en France. L'article 1108 du Code civil français requiert, en plus de la volonté concordante des parties, la justification d'une cause licite au contrat pour qu'il soit valide.

Dans un cas similaire, la Cour de Cassation a décidé qu'il n'existait pas de cause licite et donc pas de contrat (8).

Dans le cas n° 2, un contrat de vente a été conclu. Dans sa phase d'exécution; des difficultés surgissent, la livraison devient plus oné- reuse, plus difficile, etc. Suite à de nouvelles négociations, une par- tie accorde à l'autre un délai supplémentaire de livraison, accepte une augmentation du prix, ou une quelconque autre faveur. Les parties ne prévoient pas que la partie favorisée paie un prix pour cette modification du contrat.

Dans la grande majorité des droits contractuels continentaux, une telle modification du contrat serait valable. Pour un juriste anglais, en revanche, le contrat n'est pas un <<accord de volontés>>

mais un <<échange de promesses>>. Si la partie qui est avantagée par la modification du contrat ne promet pas de contre-prestation pour cette modification, il manque ce que les juristes anglais appellent la consideration, élément clé du droit contractuel anglais (9). L'accord modifiant le contrat reste alors sans valeur juridique.

Dans une situation propre à l'Angleterre, les contractants (ou leurs avocats) s'attendent au critère de la consideration, particula- rité du droit contractuel anglais inconnue dans les droits contrac- tuels continentaux.

Dans une situation propre à la France, les contractants (ou leurs avocats) connaissent (ou sont censés connaître) leur droit national, c'est-à-dire l'existence d'une cause licite justifiant le contrat: parti- cularité du droit français qui se retrouve, mais avec des interpréta- tions parfois très différentes dans d'autres membres de la <<famille de droit français>>.

Dans les relations transfrontalières, en revanche, une partie étrangère ne s'attendra pas à ces conditions. Pour elle, la cause tout comme la consideration, en tant que conditions du contrat, peuvent être sources de grandes surprises. La partie qui ne s'attend pas à

(8) Cour de Cassation 20 février 1973 (Gaillet c. Dame Nivesse), Recueil Dalloz Sirey (D.S.) 1974, 37.

(9) Voir, par ex. M. P. FURMSTON, Cheshire, Fifoot and Furmston 's Law of Gontract, 14th ed., LondonfEdinburgh 2001, Chapter 4, p. 79 et s.

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LE FUTUR DE LA CODIFICATION 261 une telle condition ne peut pas prendre les précautions nécessaires pour éviter les inconvénients que les spécificités du droit étranger risquent de lui causer (p.ex. promettre une quelconque contre-pres- tation, même si elle reste symbolique, pour valider la modification du contrat dans le cas n°2).

Le même phénomène peut être observé dans le troisième exemple : dans la majorité des pays européens, l'offrant est lié par son offre dans un délai laissant à l'autre le temps nécessaire à la réflexion ou à l'évaluation de l'offre (10).

Toutefois, dans certains pays, l'offrant peut librement révoquer son offre jusqu'à ce que l'acceptation soit renvoyée (il s'agit ici de la fameuse mailbox-rule du droit anglais (11), que l'on trouve aussi dans le Code civil néerlandais (12)).

Il est évident que la question de savoir si on peut compter sur la validité de l'offre est fondamentale dans la phase pré-contractuelle.

La révocation de l'offre selon un droit étranger, applicable au con- trat, peut être so'urce de considérables inconvénients, pour une par- tie venant d'un pays dans lequel l'offrant est lié par son offre.

La cause, la consideration ainsi que la mailbox-rule du droit anglais sont de célèbres exemples de spécificités des droits nationaux; spécificités qui sont fortement ancrées dans ces droits et qui ont survécu à plusieurs tentatives de réforme sur le plan natio- nal. Elles ne représentent pourtant que le sommet de l'iceberg. On pourrait y ajouter d'innombrables particularités et spécificités des droits nationaux qui risqueraient de surprendre les acteurs sur la scène internationale.

Parmi les autres divergences, on peut citer le refus de la jurispru- dence française d'adapter ou d'annuler les contrats en cas de chan- gement de circonstances ( 13). Cette jurisprudence rend indispensa- ble la prise de précautions pour de tels cas dans les contrats mêmes.

D'autres divergences concernent, par exemple, les différentes condi-

(10) Voir, par ex., art. 3 et 5 du Code des obligations suisse, §§ 145 à 147 du Code civil alle- mand, §862 du Code civil autrichien, art. 185 et 186 du Code civil grec, art. 230 du Code civil por- tugais.

(ll)Voir, par ex., Guenter TREITEL, The Law of Contract, ll'hed., London 2003, p. 24ets.

( 12) Art. 6 :219 al. 1 et 2 du Nouveau Code civil néerlandais.

(13) Voir, par. ex., Cour de Cass. civ. 6 mars 1876 (De Galliffet c. Commune de Pélisanne ou

«Canal de Craponne»), in Henri Capitant, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, tome 2, ll' éd., 2000, no 163 ou François TERRÉ/Philippe SIMLERjHenri LEQUETTE, Droit civil, Les obli- gations, 8' éd., Paris 2002, n° 462 et n°' 465 et s.

(7)

tions de forme ou encore les différents délais de prescription en cas de non conformité de la prestation.

Les commentaires comparatifs des différents articles des Princi- pes Lando ainsi que les réponses que la Commission européenne a reçues suite à sa Communication (14) offrent de nombreux exemples de telles divergences.

De nombreuses spécificités des droits nationaux ne s'expliquent pas toujours par la logique, mais par des raisons à caractère histo- rique. Si ces raisons constituent une richesse d'expérience dans le cadre national, elles sont sur le plan international un facteur de sur- prises, voire d'insécurité juridique, et par conséquent représentent un inconvénient pour le commerce transfrontalier ( 15).

2. Apport des «Principes du droit européen du contrat>>

Dans les Principes Lando, les particularités des droits nationaux qui n'ont pas de justification logique ni équitable, mais essentiellement d'ordre historique, s'effacent. Les Principes Lando (tout comme les Principes Unidroit) sont adaptés à la situation internationale. Leurs règles sont claires et simples et permettent d'éviter les surprises.

Ainsi, pour revenir à nos exemples, l'article2 :101 al. (1) des <<Principes Lando>> prévoit qu' <<[u]n contrat est conclu dès lors que (a) les parties entendaient être liées juridiquement, (b) et sont parvenues à un accord suffisant, sans qu'aucune autre condition ne soit requise>>.

La dernière partie de la phrase fait référence à la cause et à la con- sideration tout en les supprimant dans le champ d'application des Principes ( 16).

L'article 2 : 202 des Principes Lan do reprend, dans son premier alinéa, la solution anglaise de la révocabilité de l'offre (la fameuse mailbox-rule), mais de façon très modérée en introduisant, dans son troisième alinéa, des exceptions inspirées des droits contractuels continentaux (17).

(14) Voir supra, note 5.

(15) Comp. Claude WITZ, <<Plaidoyer pour un code européen des obligations>!, Recueil Dalloz 2000, Chroniques, Doctrine, p. 79 (81); Jürgen BASEDOW, <<Un droit commun des contrats pour le marché européen>>, Revue internationale de droit comparé (RIDC) 1998, p. 7 (24): <<en l'état actuel du droit, la conclusion des contrats transfrontaliers équivaut souvent, pour les parties et leurs conseillers juridiques, à un vol sans visibilité>>.

(16) Voir Princip/es of European Contract Law (supra, note 1), art. 2 :101, Notes 3 a) et b).

(17) (Supra, note 1), art. 2:102, notes 1 et s.

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LE FUTUR DE LA CODIFICATION 263 3. Alternatives ?

Ni les directives européennes ni le droit international privé ne peu- vent remédier, de manière efficace, aux problèmes de la surprise.

Les directives ont été critiquées, à juste titre, pour être sectorielles et pointillistes (18). Il arrive que la transposition des directives, variant selon les droits nationaux, contribue parfois au manque de transparence du système européen et crée de nouvelles surprises pour les acteurs sur la scène internationale (19). Cette observation a été largement confirmée par les réponses faites à la communica- tion de la Commission européenne.

Le Droit international privé européen, notamment la <<Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles>> ainsi que le futur Règlement de <<Rome h, ne peu- vent pas non plus remédier au problème de la surprise, ou encore de l'inconnu, et donc de l'insécurité juridique.

Le Droit international privé uniforme rend prévisible la loi appli- cable au contrat et aide par-là même à éviter certaines surprises.

Mais le DIP désigne malgré tout un droit national qui n'est pas adapté aux besoins de la situation transfrontalière. Il ne peut pallier les surprises quant au contenu du droit étranger applicable au con- trat, et ne peut donc pas éviter, en l'occurrence, l'effet de surprise que nous avons évoqué (20).

Il va de soi que le choix du droit d'un pays tiers- un autre com- promis auquel les parties pourraient songer - ne résout pas non plus le problème de la surprise. En effet, au lieu de ne surprendre que l'un des acteurs, on court le risque d'infliger aux deux contractants les spécificités de la loi d'un pays tiers, spécificités qu'aucun des deux ne connaît (21).

(18) Voir, par ex., Jürgen BASEDOW, <<Codification of Private Law in the European Union:

the making of a Hybrid>>, European Review of Private Law (ERPL) 2001, p. 35 (37 et s).

(19) WITZ, D., 2000, Chron., p. 79 (p. 80 l'col.) constate des <<effets néfastes produits par les directives>> et une <<désharmonisatiom du droit contractuel européen par l'approche sectorielle

d'harmonisation; pour les limites de l'approche sectorielle v. aussi BASEDOW, RIDC 1998, p. 7 (24).

(20) Voir, par ex., FA UV ARQUE-CossoN, RTDciv. 2002, p. 463 (473, n° 25); LANDO, ERPL, 2000, p. 59 (62).

(21) Voir l'exemple donné par LANDO, ERPL, 2000, p. 59 (62).- Plus optimiste en ce qui con- cerne le rôle du DIP comme moyen de résoudre les problèmes Yves LEQUETTE, ;Quelques remar- ques à propos du projet du code civil européen de M. VON BAR>>, Recueil Dalloz (D.) 2002, Chro- niques, p. 2202 (2204).

(9)

L'harmonisation des anciens Codes pourrait-elle créer la sécurité juridique nécessaire et remédier au problème néfaste de la surprise?

Les doctrines relatives à la cause, à la consideration et à la mailbox- rule, ainsi qu'à d'autres particularités des droits nationaux ont déjà résisté à plusieurs tentatives de réforme sur le plan national (22).

Les expériences récentes en la matière, notamment la réforme du droit des obligations dans le BGB allemand (23), n'offrent pas non plus de perspectives réjouissantes. Bien que la réforme allemande ait été initiée par une directive européenne et bien que les travaux pré- paratoires aient été largement inspirés par la Convention de Vienne, les Principes Unidroit, les Principes Lando et par les droits étrangers, le nouveau droit des obligations allemand est- selon Ole Lando-tou- jours trop compliqué pour pouvoir être compris par un étranger sans qu'il ne se lance dans une étude approfondie du droit allemand. En l'occurrence, le BGB n'est pas devenu plus clair ni plus accessible, ni le droit des obligations du BGB <<euro-compatible>> (24).

4. Résumé

Pour en revenir à la question de savoir s'il faut harmoniser les anciens Codes ou créer un nouveau Code européen du droit contrac- tuel, il semble que les exemples cités plaident en faveur d'un tel Code européen. Ni le choix entre les différents droits nationaux (et donc le DIP), ni une harmonisation des anciens Codes ne trouvera véritablement de solution aux problèmes de la surprise et de l'insé- curité juridique.

Si ce nouveau Code prenait comme modèle les Principes Lando, les surprises qui ont leur origine dans les particularités des droits nationaux et qui sont autant de facteurs d'insécurité, de risques et de frais, seraient évités. Les Principes seuls sont adaptés aux besoins des acteurs transnationaux. Avec la croissance du commerce

(22) Voir, par ex., les tentatives du Law Revision Committee anglais de remédier à certains problèmes liés à la doctrine of consideration et à la révocabilité de l'offre, 6th Interim Report (Sta- tu te of Frauds and the Doctrine of Consideration) Cmd. 5449, 1937, para. 38, p. 22, cité d'après J.O. SMITH/J.A.C. THOMAS, A Gasebook on Gontract, 7th ed., London 1982, p. 65.

(23) Gesetz zur Modernisierung des Schuldrechts, Bundesgesetzblatt, 2001, I, 3138.

(24) Ole LANDO, <•Das neue Schuldrecht des Bürgerlichen Gesetzbuches und die Grundregeln des europaischen Vertragsrechts>>, Rabels Zeitschrift für ausliindisches und internationales Privat- recht (RabelsZ) 67 (2003), p. 231 et s. parle d'un «lrrgarten des neuen Rechts>> (p. 234), d'un

<•Labyrinth, in dem sich nur der Eingeweihte zu Hause fühlt» (p. 238), le nouveau droit serait

«für Laien und Auslander unverstandlich>> (p. 244), il s'agirait d'un <<lrrgarten von Regelm (p. 244).

(10)

LE FUTUR DE LA CODIFICATION 265 transfrontalier, le besoin d'un droit contractuel adapté au com- merce transnational se fait et se fera sentir de plus en plus (25).

Il. - ALTERNATIVE OU COEXISTENCE?

Un tel Code européen constituerait-il une alternative aux anciens Codes nationaux en les remplaçant (par exemple les Principes Lando deviendraient le nouveau droit contractuel européen)-ou les anciens Codes et un nouveau Code européen pourraient-ils coexister, avec un champ d'application du Code européen limités aux situa- tions transfrontalières?

1. Les arguments en faveur du remplacement des droits contractuels nationaux par un Code contractuel européen (26)

Plusieurs arguments plaident pour le remplacement des anciens Codes par un nouveau Code européen.

En premier lieu, l'argument de la simplicité et celui de l'efficacité s'imposent. La coexistence de plusieurs systèmes est considérée d'emblée comme un <<facteur de complications>> (27). Enseigner, étu- dier et appliquer un seul système serait plus simple et plus efficace

(25) Ole LANDO, <<Üptional or Mandatory Europeanisation of Con tract Law>>, European Review of Private Law (ERPL) 2000, p. 59 (69): <•the more trade and communication continue to grow, the more urgent the unification of the law of contract will become>>. - Contra: Pierre LEGRAND,

<•Sens et non-sens d'un Code civil européen», Revue international de droit comparé (RIDC) I996, p. 779 (808): «il est illusoire de penser qu'un code civil assure la sécurité juridique>>; Philippe MALAURIE, Le code civil européen des obligations et des contrats - Une question toujours ouverte.

Colloque de Leuven (Belgique), Juris-Classeur Périodique (JCP) La Semaine Juridique, 2002, Doctrine, p. 281 (281, n° 15).

(26) En faveur d'un tel remplacement par ex. LANDO, ERPL, 2000, p. 59 (69); WITZ, D., 2000, Chron., p. 79 (82); BASEDOW, ERPL 2001, p. 35 ets; IDEM, RIDC 1998, p. 7 ets; Christian VON BAR, «Le groupe d'études sur un Code civil européen», Revue internationale de droit comparé (RIDC) 2001, p. 127 (132 et s); Fritz STURM, <•Der Entwurf eines Europaischen Vertragsgesetzbuches>>, Juristen-Zeitung (JZ) 2001, p. 1097 et s; Brigitta LURGER, GTundfragen der Vereinheitlichung des Vertragsrechts in der Europiiischen Union, WienjNew York, 2002, p. 158 et s.

- Contra par ex. LEQUETTE, D. 2002, Chron., p. 2202 et s; LEGRAND, RIDC, 1996, p. 779 (780ets); Gérard CoRNU, <•Un code civil n'est pas un instrument communautaire•>, Recueil Dalloz (D.) 2002, Chroniques, p. 351 et s.; Philippe MALINVAUD, <<Réponse- hors délai-à la Commission européenne: à propos d'un code européen des contrats>>, Recueil Dalloz (D.) 2002, Chroniques, p. 2542 (2549 et s., 2551).

(27) WITZ, D., 2000, Chron., p. 79 (82); Ulrich DROBNIG, <•Europaisches Zivilgesetzbuch- Gründe und Grundgedankem, in: Dieter MARTINY/Normann WITZLEB (édit.), Auf dem Weg zu einem Europiiischen Zivilgesetzbuch, Berlin/Heidelberg/New York 1999, p. 109 (123); Hans-Jürgen SONNENBERGER, «Der Ruf unserer Zeit nach einer europaischen Ordnung des Zivilrechts», Juris- ten-Zeitung (JZ) 1998, p. 982 (986); LURGER (op. cit., note26) p. 159.

(11)

qu'enseigner, étudier et appliquer l) le système des anciens Codes pour les relations internes, 2) le Code européen pour les contrats euro- péens transfrontaliers, 3) un troisième système de droit contractuel pour les relations extra européennes (système constitué par la Con- vention de Vienne), 4) et un quatrième système, cette fois de droit international privé (et constitué par la Convention de Rome I), pour les cas qui restent en dehors des trois premiers systèmes.

La possibilité de se retirer du Code européen (ou encore <<apt out>>) pour choisir un droit national à sa place, diminuerait, dès le départ, l'importance de ce nouveau Code (28). Les expériences qui ont été faites avec la Convention de Vienne dans certains pays, comme l'Allemagne ou la Suisse, demeurent en la matière peu encouragean- tes et montrent que les parties se retirent (ou <<opt out>>) systémati- quement du droit uniforme pour choisir un droit national (29).

Limiter le champ d'application d'un Code contractuel européen aux contrats transfrontaliers aurait, d'ailleurs, le curieux effet de réserver le système de droit privé le plus moderne d'Europe aux seuls faits internationaux (30).

Un autre argument établit que seul le remplacement des anciens Codes par un Code européen serait conciliable avec l'objectif d'un grand marché intérieur. Ce marché appellerait les mêmes règles quel · que soit le lieu d'établissement des acteurs, que ceux-ci soient instal- lés à l'intérieur d'un Etat, ou de part et d'autre d'une frontière (31).

Les diverses familles de droit étant dans un processus de dissolu- tion, le rayonnement des anciens Codes sur le monde appartiendrait au passé. Ainsi est avancé l'argument selon lequel l'alternative d'un Code contractuel européen, fruit d'une coalition de cultures pourrait aujourd'hui plus aisément rayonner hors d'Europe.

Malgré tout, il ne faudrait pas surestimer la valeur culturelle des anciens Codes, le droit contractuel n'étant pas non plus une spéci- ficité culturelle comparable au folklore (32).

(28) V. par ex. LURGER (op. cit., note 26) p. 159.

(29) BASEDOW, ERPL 2001, p. 35 (44) avec la conclusion: «A civil code adopted as a sixteenth mode! would be doomed to insignificance >>.

(30)VON BAR, RIDC 2001, p.127 (133).

(31) WITZ, D., 2000, Chron., p. 79 (82, 2• col.); voN BAR, RIDC, 2001, p. 127 (132); v. aussi Jürgen BASEDOW, <<Ein optionales Europaisches Vertragsgesetz>>, Zeitschrift Jür Europdisches Pri- vatrecht (ZEuP) 2004, p. 1 (3 et s.).

(32)LANDO, ERPL, 2000, p. 59 (61); IDEM, <<Does the Eu"ropean Union need a Civil Code>>, RIW, 2003, 1 (2).

(12)

LE FUTUR DE LA CODIFICATION 267

En dernier lieu, et comme ultime argument en faveur du remplace- ment des anciens Codes par un nouveau Code, il semble que la délimi- tation des champs d'application des Codes nationaux et d'un Code européen serait particulièrement compliquée et difficile à réaliser (33).

2. Les arguments en faveur de la coexistence des différents systèmes de droit ( 34)

Plusieurs arguments plaident donc en faveur d'un remplacement des anciens Codes par un nouveau Code, pour autant que la néces- sité d'un tel Code soit établie. Et pourtant, la coexistence des Codes nationaux avec un Code européen semble être la solution la plus préférable, et ce même à long terme.

La solution de la coexistence part de l'idée selon laquelle les anciens Codes continuent de s'appliquer aux situations internes et perdurent sur le plan national, alors que le but principal du Code contractuel européen est de pallier le traitement insatisfaisant des opérations transfrontalières.

Dans un système de coexistence, les parties pourraient soumettre une transaction interne aux règles du Code contractuel européen («apt in») ou soumettre un contrat transfrontalier à un droit national (<<apt out>>) (35).

(33) DROBNTG, Europdisches Zivilgesetzbuch (op. cit., note 27) p. 114 (123); VON BAR, RIDC, 2001, p. 127 (132); LuRGER (op. cit., note 26) p. 158 et s.

(34) Dans son plan d'action de 2003 (supra, note 5), en réponse aux réactions qu'elles a reçues suite à sa Communication de 2001 (supra, note 4), la Commission semble exprimer une certaine préférence pour la solution de coexistence. Pour des «réflexions sur un tel instrument optioneh v. Dirk STAUDENMAYER, <<Ein optionelles Instrument im Europaischen Vertragsrecht», Zeitschrift für Europdisches Privatrecht (ZEuP) 2003, p. 828 (831 et s).- Pour la dualité et la coexistence (<•kleine Losung>>) dans la littérature: Drobnig, Europdisches Zivilgesetzbuch (op. cit., note 27) p. 114 (123); la solution de la coexistence est proposée aussi par FAUVARQUE-COSSON, RTDciv.

2002, p. 463 (480, n° 40) qui la considère comme la deuxième des trois étapes vers un droit con- tractuel européen; v. aussi Winfried TILMAN, <•Zweiter Kodifikationsbeschluss des Europaischen Parlaments>>, Zeitschrift für Europdisches Privatrecht (ZEuP) 1995, p. 534 (537 et s., option c) (1));

pour une solution de cœxistence pour une phase transitoire WITZ, D., 2000, Chron. p. 79 (82, 2• col.) : <da mise à l'écart des droits nationaux pourrait ainsi se faire de manière progressive»;

pour d'autres références v. LuRGER (op. cit., note 26), note 483.

Contra, par ex., MALA URIE, JCP, 2002, Doctr., p. 281 (n° 15): <•le droit interne national des contrats ne pouna pas longtemps être différent du droit européen des contrats transfrontières; le marché interne des nations européennes doit avoir les mêmes règles que le marché européen>>; BASEDOW, ZEuP, 2004, p. 1 (3): <<Diese Losung ist [ ... ] integrationspolitisch verfehlt. Sie liefe auf die Perpetuie- rung der rechtlichen Binnengrenzen hinaus[ ... ]>>, <•würde[ ... ] verhangnisvolles Signal für Angleichungs- bestrebungen in anderen Politikbereichen aussendem; plus optimiste en ce qui concerne le succès d'un modèle de coexistence IDEM, LMCLQ, 2003, 498 et s. (pour les contrats d'assurance privés).

(35) Voir pour les possibilités de <•opt in>> ou «apt out>> par ex. la Communication de la Com- mission, Concernant le droit européen des contrats, n°66; v. aussi STAUDENMAYER, ZEuP, 2003, p. 828 (835 et s); BASEDOW, ZEuP, 2004, p. 1 et s.

(13)

Quant à la délimitation des champs d'application des Codes nationaux et d'un Code européen, on peut s'inspirer de l'article pre- mier de la Convention de Vienne, qui montre bien que la délimita- tion des champs d'application du droit uniforme et du droit con- tractuel national est possible sans complication majeure.

La proposition de la coexistence des systèmes se présente a priori comme la solution la plus réaliste (36): les législateurs nationaux cèderont plus facilement leur compétence sur une matière clé du droit privé si cette perte de compétence se limite à des questions transfrontalières. Sur ce point, le succès de la Convention de Vienne est particulièrement éloquent.

De plus, les voix qui réclament le remplacement des Codes natio- naux par un Code européen sont toujours plus fortes dans certains pays que dans d'autres, dans lesquels on remarque une grande réti- cence à l'égard de l'abandon des anciens Codes.

Un autre avantage notable de la solution de coexistence es~

qu'elle évite le choc culturel (37) de la perte des codifications, qui,

dans certains pays, sont considérées comme faisant partie du patri- moine culturel. D'après l'avis de Jean Carbonnier, partagé par de nombreux auteurs en France (38), la <<véritable constitution>> de la France, <<c'est le Code civil» (39). Selon ces auteurs, le Code civil garde le thesaurus, il est la grammaire même du droit français (40).

Sur le plan européen, nous ne pouvons pas, et nous ne devons pas ignorer le rôle et les valeurs symboliques et culturelles que détiennent certaines codifications nationales, comme le Code civil français (41), et qui sont d'un tout autre ordre que le rôle du BGB dans la société allemande par exemple. Force est de respecter et d'apprécier ces différences, ainsi que la haute considération de la société française pour le Code civil.

(36) Voir déjà DROBNIG, Europaisches Zivilgesetzbuch (op. cit., note 27) p. 114 (123).

(37)Voir, par ex., FAUVARQUE-CossoN, RTDciv., 2002, p.463 (464, n°2); Erik JAYME, Ein Internationales Privatrecht für Europa, Heidelberg 1991, p. 8 et s.- Contra par ex. : DRoBNIG, Europaisches Zivilgesetzbuch (op. cit., note 27), p. 114 (120).

(38) Notament par LEQUETTE, D., 2002, Chron., p. 2202 (2206); LEGRAND, RIDC, 1996, p. 779 (780 et s); CORNU, D., 2002 Chron., p. 351 et s.; MALINVAUD, D., 2002, Chron., p. 2542 (2547 et s).

(39) Jean CARBONNIER, <<Le Code civil>>, in· Pierre NoRA (dir.), Les lieux de mémoire, t. 1: La Nation, Paris 1997, p. 1331 (1345); voir aussi Jean CARBONNIER, Droit civil, Introduction, 26• éd., Paris 1999, n° 82: <<dans une société dont le droit public avait changé de constitution dix fois en cent cinquante ans, il était bon de maintenir à la constitution civile- la véritable- cette légiti- mité qu'assure, more britannico, la continuité des formes>>.

(40) LEQUETTE, D., 2002, Chron., p. 2202 (2206); MALINVAUD, D., 2002, Chron., p. 2542 (2547).

(41) V. aussi FA UV ARQUE-COSSON, RTDciv., 2002, p. 463 (464, n° 2, 472 n°8 26 et s).

(14)

LE FUTUR DE LA CODIFICATION 269 La proposition de la coexistence évite de perdre (en partie) une codification qui a influencé toute une famille de droit (42). Il est vrai qu'aujourd'hui les familles de droit ne jouent plus le rôle qu'elles occupaient au

xxe

siècle. Et pourtant, le Code français et le droit anglais ont toujours un rayonnement bien au-delà de l'Europe; le droit civil de ces pays est un lien qui unit encore les ordres juridiques des familles de droit (43).

Nous risquerions de couper les liens entre <d'ordre juridique mère>> et les autres membres de la famille si l'on remplaçait com- plètement un des piliers du droit patrimonial de ces pays par un Code contractuel européen. Plusieurs réponses de praticiens anglais ont déjà fait valoir cet argument lors de la Consultation de la Commission.

La coexistence des solutions permet à la fois de répondre à ces préoccupations et de participer, avec le Code contractuel européen, à la quête de solutions modernes, favorisant ainsi à nouveau le rayonnement de l'Europe au-delà de ses frontières (44).

Dans les relations transfrontalières, le besoin de nouvelles règles est d'autant plus pressant. Par ailleurs, ce besoin ne se fait sentir que dans ces situations. L'effet de surprise qui nous a fourni des arguments en faveur d'un Code contractuel européen, vaut seule- ment pour les contrats transfrontaliers ( 45).

Au contraire, justifier la soumission de cas strictement internes au régime européen semble difficile. Dans le cadre national, les anciens Codes ont fait leurs preuves. Il est loin d'être évident que le droit contractuel des relations internes et celui des relations transfrontalières devraient être identiques. La Convention de Vienne nous montre qu'une pratique contraire est faisable.

Un autre argument dans ce sens est le caractère même du droit européen- et de l'Europe. C'est la diversité qui fait l'Europe, ce sont les différences, la tolérance et l'appréciation de la diversité qui nous unissent (46).

(42) Pour l'influence du Code civil dans le monde, v. par ex., René DAvmjCamille JAUFFRET- SPINOSI, Les grands systèmes de droit contemporains, ll'éd., Paris 2002, n°'55 ets.

(43) V. sur ce point par ex. MALINVAUD, D., 2002, Ghron., p. 2542 (2548 l'col.).

(44) Dans ce sens par ex. WITZ, D., 2000, Ghron., p. 79 (82 1' col.).

(45) En tout cas si l'on considère que, dans un cas strictement interne, les acteurs sont censés connaître le droit national.

(46) Malaurie, JGP, 2002, Doctr., p. 281 (283 et s., no 12).

(15)

Si un Code européen remplaçait les anciens Codes pour les con- trats transfrontaliers et pour les cas strictement internes, on per- drait la diversité et le pluralisme des discours juridiques (47). On risquerait la pétrification, la glaciation, la rigidité, la lourdeur et l'absence de choix, voire d'inspiration (48).

Certes, le droit contractuel n'est pas un folklore. Mais comme dans d'autres domaines, en droit aussi la diversité est une richesse, une source d'inspiration.

A la pluralité des solutions s'ajoute, en Europe, la diversité des sty- les juridiques (avec des approches aussi différentes que celles, par exemple, du droit anglais, du droit français et du droit allemand et, à mi-chemin entre les deux derniers, des Codes suisses). Conserver cette richesse n'est pas le moindre des arguments, et considérant de surcroît que nous n'avons pas encore trouvé un style <<européen>> en la matière. Reconnaissant l'impressionnante clarté d'une codification que Stendhal et Verlaine ont avoué lire pour améliorer leur françai,s et la beauté de leur écrits, en ce qui concerne la richesse du style, nous aurions beaucoup à perdre (49).

Malaurie a écrit à juste titre que «l'Europe [ ... ] uniforme [ ... ] aurait perdu son âme)> (50).

Il est vrai que tant que l'on ne parvient pas à l'organiser, la diversité du droit privé est propice au morcellement, aux complica- tions et, sur le plan européen, constitue une faiblesse. Le grand défi aujourd'hui est effectivement de rationaliser la diversité du droit privé européen.

La coexistence des systèmes serait un moyen d'atteindre ce but.

Cette solution laisserait subsister la diversité des droits, tout en remédiant au problème de surprise et d'insécurité juridique dans les relations transfrontalières. De plus, la coexistence des solutions nous permettrait de continuer à développer et à <<tester)> ou expéri- menter différentes solutions dans les différents pays (et de garder ainsi le fameux <<effet de laboratoire de réformes juridiques )) qui est

(47) LEGRAND, RIDC, 1996, p. 779 (par ex. 807, 812: <•Pluralisme ou monotonie? Différence ou ennui? Europe authentique ou synthétique?>)).

(48) LEQUETTE, D., 2002, Chron., p. 2202 (2204 et s., no 5); MALA URIE, JCP, 2002, Doctr., p. 281 et s (par ex. n°8 9, 11, 16, 17); v. aussi FAUVARQUE·COSSON, RTDciv., 2002, p. 463 (472, n° 24).

(49) Très instructif à ce propos recemment Alfons Bt:IRGE, tZweihundei't Jahre Code Civil des Français: Gedanken zu einem Mythos>), Zeitschrift für Europi:iisches Privatrecht (ZEuP) 2004, p. 5 (6 et s.).

(50) MALA URIE, JCP, 2002, Doctr., p. 281 (284, n° 12); v. pour le <•pluralisme culturel>) ainsi que le pluralisme de la <•culture juridique européenne>> FAUVARQUE·CossoN, RTDciv., 2002, p. 463 (473 et s).

(16)

LE FUTUR DE LA CODIFICATION 271 si souvent et à juste titre décrit comme la grande force du droit privé aux Etats-Unis d'Amérique (51)).

L'abandon des anciens Codes ferait courir le risque de la pétrifica- tion, de la lourdeur et de la sclérose. Face à ces inconvénients sur les- quels l'uniformité du droit menace de déboucher, Rudolfo Sacco a pro- posé de <<prévoir des procédures pour permettre à un Etat membre d'adopter un droit légal diversifié, novateur, si cet Etat peut faire valoir des raisons en faveur de telle ou telle solution. Cela permettrait au droit d'évoluer, au système européen d'être perméable>> (52).

Les critères pour de telles exceptions seraient pourtant difficiles à établir. Une telle procédure risquerait d'être lourde, et le résultat serait une re-nationalisation partielle du droit uniforme. Dans la situation de coexistence, la capacité d'évolution et d'expérimenta- tion d'autres solutions n'est jamais en péril, et les procédures de correction ne sont pas nécessaires.

La coexistence s'établirait de manière profonde et - prenant en compte la possibilité de se retirer ou <<opt out>> -le Code contractuel européen n'aurait une chance de s'appliquer que s'il avait la même place que les systèmes nationaux respectifs dans l'enseignement du droit. On peut très bien imaginer que le droit contractuel national et le Code européen seraient enseignés dans le cadre du même cours, ne portant plus uniquement sur un droit national mais sur plusieurs systèmes ou sur le droit contractuel <<tout court>> (53).

L'enseignement de deux systèmes de droit contractuel à la fois aux juristes nationaux n'est pas une faiblesse mais un atout du modèle dualiste : les jeunes juristes apprendraient, dès le départ, que les solutions à un problème juridique se limitent rarement à une seule solution, que différentes solutions peuvent coexister, et que, le cas échéant, on peut en choisir une. Ainsi, tôt dans leur formation, ils seraient initiés à l'approche comparative, avec tous les avantages que cela implique. Comme le bilinguisme peut favoriser parfois une

(51) Malaurie, JCP, 2002, Doctr., p. 281 (285, n° 15); LEQUETTE, D., 2002, Chron., p. 2202 (2204 2ecol.); MALINVAUD, D., 2002, Chron., p.2542 (2549 lecol.).

(52) Rudolfo SAcco, «Non, oui, peut-être•>, in: Mélanges Christian Mouly, Paris 1998, tome 1, p. 163 et s.

(53) Le Code contractuel européen devrait donc occuper une place complètement différente de celle qu'a aujourd'hui la Convention de Vienne dans l'enseignement de nombreuses universités euro- péennes. La première raison pour les parties d'exclure la Convention de Vienne et de ne pas choisir les Principes Unidroit ou les Principes Lando en tant que règles applicables à leurs contrats étant l'ignorance de ces règles, comp., par ex., FAUVARQUE-CossoN, RTDciv., 2002, p. 463 (479, n° 39).

(17)

meilleure compréhension du réel, le <<bi juridisme>> peut favoriser une meilleure compréhension du droit (54). <<La différence [ ... ] contribue à un meilleur entendement du droit>> (55).

La coexistence des systèmes créerait une pression particulière- ment productive sur les anciens Codes, qui devraient affronter la concurrence du nouveau Code contractuel européen (56). La légiti- mation des anciennes solutions serait régulièrement remise en ques- tion. Cela pourrait éveiller les jeunes juristes et les responsabiliser dans la quête de meilleures solutions.

A la faculté de droit de l'Université de Genève, par exemple, dans les cours obligatoires de licence, les étudiants apprennent déjà non seulement le droit des obligations suisse, mais sont éga- lement initiés, dans un même cours, à la Convention de Vienne.

Les jeunes juristes tirent profit de cette démarche favorisant une certaine ouverture d'esprit, et se mettent rapidement à comparer les deux systèmes en acceptant l'invitation à l'appréciation cri ti-

1

que du système national que ce type d'enseignement leur pro- pose.

Les coûts de la coexistence seraient aisément et largement com- pensés par les bénéfices du système envisagé.

3. Les prochaines étapes à suivre

Quelles seraient les prochaines étapes à suivre sur le chemin vers un Code contractuel européen? On peut en identifier au moins trois :

a) Il faudrait continuer les efforts du groupe Lando et rechercher des Principes pour la partie spéciale du droit contractuel euro- péen (57).

b) Pour que le Code contractuel européen puisse s'appliquer aux contrats avec les consommateurs, il devrait comporter des règles sur le droit de la consommation. Comment intégrer ce droit dans un Code contractuel européen reste une question plutôt délicate.

(54) LEGRAND, RJDC, 1996, p. 779 (805).

(55) LEGRAND, RIDC, 1996, p. 779 (806).

(56) V. aussi FA UV ARQUE-CossoN, RTDciv., 2002, p. 463 (472, n° 24): «La compétition entre les lois incite, mieux que l'unité, à la modernité>>.

(57) <•L'Académie des privatistes européens•> ainsi que le <•Study Group on a European Civil Code>> se consacrent actuellement à cette tâche.

(18)

LE FUTUR DE LA CODIFICATION 273 On pourrait douter qu'il soit opportun aujourd'hui de stabiliser le droit de la consommation au moyen du code alors que le droit de la consommation est <<par définition et par expérience en perpétuel changement?>> (58). Ne faut-il pas plutôt des règles spéciales du droit de la consommation en dehors du Code contractuel européen?

Une telle exclusion du droit de la consommation aurait pourtant l'inconvénient de conduire à un morcellement du droit contractuel européen, comme il existait dans le droit allemand avant la réforme du droit des obligations de 2002, et dans lequel les règles applicables aux contrats de consommation étaient dispersées dans le BGB et dans de multiples lois spéciales.

La solution à cette question pourrait être l'intégration du droit contractuel dans un Code avec des remises à jour régulières du droit de la consommation.

Dans la phase préparatoire d'un Code contractuel, on devra donc systématiser les règles du droit de la consommation, pour ensuite pouvoir les insérer dans le Code.

c) Finalement, il faudrait accompagner les travaux préparatoires d'un Code contractuel européen par des efforts en vue d'établir une

<<authentique communauté européenne de juristes pouvant aisément dialoguer entre eux (59)>>.

III. - CoNCLUSION

Un Code civil européen qui remplacerait les anciens Codes risque- rait de nous appauvrir. Un Code contractuel européen coexistant avec les anciens Codes représenterait, en revanche, un enrichisse- ment considérable.

Pour des cas qui dépassent le cadre d'un seul pays, il y a nécessité d'un Code contractuel européen. Pour des cas internes, pour de mul- tiples raisons, la coexistence et la concurrence des systèmes natio-

(58) MALA URIE, JCP, 2002, Doctr., p. 281 (285, n° 16): <<est-il opportun de stabiliser le droit des obligations et des contrats au moyen d'un code alors que le droit de la consommation et même celui de la concurrence sont par définition et par expérience en perpétuel changement!>>;

MALINVAUD, D., 2002, Chron., p. 2542 (2548 2• col.).

(59) WITZ, D., 2000, Chron. p. 79 (p. 81 2• col.); v. aussi FA UV ARQUE-COSSON, RTDciv., 2002, p. 463 (474 et s., n° 29); Hein K6Tz/AxEL FLESSNER, Europaisches Vertragsrecht, t. I (par Hein K6TZ), Tübingen 1996, p. V et s.-IDEM, European Contract Law, vol. 1, trad. Tony WEIR, Oxford 1997, p. V et s.; Thomas KADNER GRAZIANO, <<Droit comparé et harmonisation du droit privé européen- Etude de cas>>, Revue suisse de droit international et européen (RSDIE) 2004, 233 et s.

(19)

naux et du Code contractuel européen apparaissent comme la meilleure solution. Rien n'empêche les législateurs nationaux de mettre ce Code en vigueur sur leur territoire pour des cas internes, et rien n'empêche les parties de soumettre des cas strictement inter- nes au Code européen, s'ils le jugent opportun.

Il est probable que sur le moyen ou le long terme un système de droit contractuel l'emporte sur l'autre. Si ce système s'impose grâce à sa qualité, le résultat devrait contenter tout le monde.

Par conséquent, il n'est pas question de faire un choix entre

<<anciens)> et <<nouveaw> Codes. Nous sommes dans l'heureuse situa- tion de pouvoir avoir les deux: anciens Codes, harmonisés avec

<<douceun>, applicables aux situations nationales, et Code européen, moderne, issu de la comparaison, destiné à l'application dans des situations transnationales et au choix des parties pour des situa- tions nationales.

Si dans une telle situation de coexistence et de concurrence, les anciens Codes, et notamment le Code civil français, étaient appli- qués par nos arrières-petits-enfants dans cent ans encore, une nou- velle preuve de leur grande qualité serait fournie.

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