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ETUDES et REFLEXIONS. Habib Ishow RAPPORTS ENTRE CHRETIENS ET MUSULMANS AU MOYEN-ORIENT

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Habib Ishow

RAPPORTS ENTRE

CHRETIENS ET MUSULMANS AU MOYEN-ORIENT

L

es rapports entre les chrétiens et les musulmans au Moyen-Orient ont toujours été extrêmement complexes, i I car ils englobent non seulement les aspects religieux, mais aussi et surtout les aspects politiques, économiques, sociaux, culturels et linguistiques. Par conséquent, tous les événements qui se produisent entre les chrétiens et les musulmans sont nécessai- rement chargés d'un caractère religieux. La nécessaire brièveté de cette étude ne permet qu'une approche limitée de ces rapports.

Afin d'en mieux saisir l'évolution, on se propose de les pré- senter sur deux périodes : la première va des années précédant l'expansion de l'islam à la fin de la Première Guerre mondiale, la seconde, qui voit la naissance de structures politiques nouvelles, couvre les années de 1918 à nos jours, ce qui nous permettra de nous interroger sur leur évolution dans une perspective à long terme.

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On tentera d'exposer, dans cette première partie, l'importance de la chrétienté à la veille de l'apparition de l'islam et les rapports qui vont s'établir entre les chrétiens et les musulmans.

L'aire géographique des peuples chrétiens couvrait à peu près le Moyen-Orient d'aujourd'hui. Donc, les chrétiens du Moyen- Orient appartenaient à des peuples très divers ayant chacun son histoire, sa langue, sa culture et ses coutumes. Les langues écrites et parlées étaient le copte en Egypte, l'araméen en Palestine, au Liban et en Syrie, le chaldéen en Mésopotamie et le persan en Perse, le grec et l'arménien en Asie Mineure.

Deux empires englobaient alors les pays chrétiens. L'Empire byzantin régnait sur l'Asie Mineure, la Syrie, le Liban, la Palestine et l'Egypte. L'Empire perse (sassanide) s'étendait sur l'Iran et la Mésopotamie.

Importance de la civilisation mésopotamienne

Le Moyen-Orient était alors le berceau de grandes civili- sations et le centre culturel du monde méditerranéen. Il connaissait une économie prospère fondée sur l'agriculture et les échanges commerciaux. Les grandes villes, nombreuses dans cette région, déployaient un dynamisme créateur de progrès. L'artisanat était nombreux et raffiné dans tous les domaines. Les arts, l'architecture et l'urbanisme connaissaient un grand essor.

Sur le plan du savoir, malgré des disputes et des conflits reli- gieux, les savants et les intellectuels avaient intégré la pensée grecque et les valeurs du christianisme, et créé de brillants cou- rants de civilisation à Byzance, en Syrie, en Egypte et surtout en Mésopotamie, où de grandes écoles existaient à Edesse (Ruha), à Nisibe (Nissibin), à Ctésiphon, à Gondichapour, etc., qui ensei- gnaient les sciences religieuses (théologie, Ancien et Nouveau Testaments), les sciences (mathématiques, chimie, médecine, astro- nomie, etc.), les langues (chaldéen et grec), la littérature et la phi- losophie grecque.

L'importance de la pensée philosophique s'accrut encore en Mésopotamie avec la fermeture de l'école d'Athènes par

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l'empereur Justinien en 529, où une partie de ses maîtres se réfu- gièrent dans l'Empire perse. Il faut aussi signaler le rayonnement d'Alexandrie (Egypte), grâce à son école néoplatonicienne, à celle de théologie et à sa bibliothèque, la plus importante de tout le bassin méditerranéen.

Ces intellectuels et savants étaient les descendants et les héri- tiers des fondateurs des grandes civilisations babylonienne, assy- rienne et égyptienne, qui avaient exercé u n e influence considérable sur toutes les sociétés méditerranéennes. Ce qu'on appellera plus tard injustement la civilisation musulmane ou arabe est essentiellement leur œuvre et l'œuvre d'auteurs persans.

C'est le savoir philosophique et scientifique de la civilisation mésopotamienne que les musulmans ont transmis, en partie, au monde latin. Durant la période abbasside connue pour son éclat (750-1258), les savants et les philosophes chaldéens ont joué un rôle considérable dans le progrès de la connaissance, en particulier dans celui de la philosophie et des sciences (médecine, astrono- mie, mathématiques, botanique, etc.). Ils avaient aussi traduit en chaldéen, puis en arabe, les œuvres majeures de la science et de la philosophie grecques (Platon, Aristote, Plotin, Hippocrate, Galien, Euclide, Archimède...). Ils ont également élaboré les terminologies savantes et les concepts de la langue arabe. Même l'alphabet dit arabe dérive directement de l'alphabet chaldéen.

Il faut remarquer qu'il n'est pas fortuit que cette civilisation, au cours de la période abbasside, se soit développée en Chaldée et non pas dans la péninsule Arabique, où l'islam a vu le jour. Elle a profité d'un milieu intellectuel favorable : des artistes, des lettrés, des savants et des philosophes ont continué à développer la connaissance dans tous les domaines, y compris ceux d'entre eux qui se sont convertis à l'islam et ont pris des noms musulmans, donc forcément arabes. Néanmoins, les uns et les autres demeu- raient chaldéens et leurs œuvres faisaient partie intégrante de la civilisation mésopotamienne, même quand la langue arabe, devenue le véhicule de l'expression écrite, fut imposée par les nouveaux occupants du pays. C'est pourquoi attribuer toute cette civilisation à l'islam ou aux Arabes, même si certains de ces derniers y ont participé, c'est occulter l'importance de la civilisation mésopo- tamienne.

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Ces considérations s'appliquent aussi à la civilisation égyp- tienne, syrienne, grecque et arménienne en Asie Mineure après la conquête de Byzance par les Turcs en 1453.

A ce propos, le philosophe Farabi (872-950), originaire de Transoxiane en Asie centrale, disciple du philosophe chaldéen Yuhanna Haylan, disait que « la sagesse avait commencé par exister

chez les Chaldéens en Mésopotamie ; de là s'était transférée en Egypte, puis en Grèce, où elle avait été mise à temps par écrit », et que lui incombait, à lui, la tâche de ramener cette sagesse dans le pays qui avait été son foyer.

D'ailleurs, d'après la tradition chaldéenne, Mahomet aurait dicté les versets du Coran à un moine venu d'Edesse (Ruha), appelé Rabban Bhira, ce qui veut dire en chaldéen le « moine savant ».

Devenu nestorien, ce dernier aurait été excommunié et chassé d'Edesse dans la première moitié du VIF siècle de l'ère chrétienne.

Il aurait ainsi rencontré Mahomet quand celui-ci a commencé à prêcher sa doctrine. Comme il était savant et connaissait les langues, la Bible et l'Evangile, il serait devenu son secrétaire.

Avec l'expansion de l'islam dans la première moitié du VIIe siècle de l'ère chrétienne, les données politiques, écono- miques, sociales, culturelles, linguistiques et religieuses de l'Orient chrétien commencent à changer fondamentalement.

En effet, de 633 à 646, les armées arabes, composées de tri- bus du Yémen, du Najd, du Hijaz et d'autres régions de la péninsule Arabique, conquièrent très rapidement, sous la bannière de l'islam, la Mésopotamie, la Perse occidentale et centrale, la Syrie, le Liban, la Palestine et l'Egypte. Les pays envahis sont soumis aux pillages, aux exactions et aux destructions, selon des traditions bien connues dans le milieu tribal. Comment expliquer la facilité avec laquelle ces armées ont battu les armées perses et byzantines ? Trois séries de facteurs permettent de comprendre ces conquêtes, donc l'expansion de l'islam dans les pays du Moyen-Orient.

Les deux empires byzantin et perse se caractérisaient alors par une domination politique abusive et oppressive ; une taxation excessive ; une intervention exagérée du pouvoir politique et reli- gieux byzantin dans les affaires religieuses des Eglises jugées héré- tiques ou schismatiques, principalement monophysites et nestoriennes ; une grande faiblesse de ces deux empires qui se dis-

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putaient depuis longtemps le contrôle du Moyen-Orient dans des guerres interminables, en particulier durant les années 611-628, qui les épuisèrent, ce qui facilita les invasions des Arabes. De plus, les armées byzantines et perses étaient, en partie, composées de mer- cenaires peu portés à combattre avec enthousiasme. Une fois les cadres militaires des deux empires effondrés, les populations locales n'étaient pas organisées pour défendre leur pays contre les envahisseurs.

Ensuite, la division de la chrétienté orientale en Eglises héré- tiques et schismatiques antagonistes a incontestablement favorisé l'expansion de l'islam. Les chrétiens du Moyen-Orient se répartis- saient en trois grandes Eglises : l'Eglise orthodoxe byzantine - Eglise officielle de l'Empire -, l'Eglise nestorienne (1) - qui se propagea principalement en Mésopotamie et dans le reste de l'Empire perse - et l'Eglise monophysite (2) qui se répandit essentiellement en Syrie, en Palestine, surtout en Egypte et, en partie, en Mésopotamie.

Dans beaucoup de cas, les Eglises rivales jouèrent les unes contre les autres la carte de l'islam. Tel fut le cas, en Egypte et en Syrie, de l'Eglise monophysite contre l'Eglise melkite représentant l'Eglise officielle byzantine et contre l'Eglise nestorienne en Mésopotamie.

Enfin, en répandant un esprit de tolérance excessive, le christianisme a exposé et continue d'exposer les chrétiens aux attaques des autres groupes humains, en particulier des tribus isla- misées, dont l'éthique exalte la force et la domination et glorifie les pillages et les exactions, considérés comme des actions viriles. On est ici en présence de deux systèmes de valeurs radicalement opposés. A la longue, dans les relations entre les hommes, les groupes agressifs, violents et expansionnistes l'ont toujours emporté sur les groupes pacifiques. A cet égard, l'histoire du Moyen-Orient, depuis la conquête musulmane, le prouve bien. La tolérance et le respect d'autrui ne peuvent pas exister s'ils ne sont pas mutuels.

Les nouvelles conquêtes allaient se concrétiser sous la forme d'un empire et d'un pouvoir musulman de plus en plus contrai- gnant, autrement plus redoutable que les précédents, imposant aux peuples chrétiens un statut particulièrement oppressif et discrimi- natoire, appelé abusivement statut des protégés, « statut des dhimmi -, appliqué aussi aux juifs (gens du Livre) B].

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La conquête du Moyen-Orient par les armées arabes va être complétée et amplifiée, à partir du XIe siècle, par les tribus turques converties à l'islam. En effet, celles-ci ont progressivement mis la main sur l'Arménie et sur l'ensemble de l'Asie Mineure, qui devien- dra la Turquie d'aujourd'hui. Elles ont achevé la conquête musul- mane de l'Orient chrétien avec la prise de Constantinople en 1453, qui marqua la fin de l'Empire byzantin.

Statut des chrétiens dans l'islam et processus d'islamisation

Bien que reconnus gens du Livre sacré (l'Evangile), les chré- tiens sont considérés comme infidèles et ont un statut inférieur à celui des musulmans dans tous les domaines. Ce statut se caractérise principalement par les traits suivants :

1. Les chrétiens sont soumis à une série d'impôts :

- la taxe de capitation {jizia). Cet impôt est prévu par le Coran (LX, 29), qui déclare : « Combattez ceux qui ne croient point en Allah ni au Dernier Jour, [qui] ne déclarent pas illicite ce qu'Allah et Son apôtre ont déclaré illicite, [qui] ne pratiquent point la religion de Vérité, parmi ceux ayant reçu l'Ecriture ! [Combattez- les] jusqu 'à ce qu 'ils paient la "jizia ", directement et alors qu 'ils sont humiliés. » Ce verset souligne l'inégalité et l'intolérance insti- tuées entre les musulmans et les non-musulmans, donc entre les chrétiens et les musulmans. Appliquée, en principe, aux mâles adultes, cette taxe était destinée à contribuer à remplir le trésor public et à humilier les chrétiens afin de les amener à se convertir à l'islam. Elle était souvent extorquée par la toiture et des vio- lences multiples commises par les agents du fisc et les autorités ;

- l'impôt foncier (kharaj), qui pouvait aller jusqu'à 50 % sur les récoltes, sinon davantage ;

- une taxe pour l'entretien des armées, etc.

2. Les terres des pays conquis ont été considérées comme butin de guerre et revenant à ce titre à l'ensemble de la communauté musul- mane, c'est-à-dire à l'Etat représenté par le prince. D'où le nom de terres « amiriya ou miri », ce qui veut dire terres du prince. Comme

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les conquérants ne pouvaient pas cultiver les terres expropriées, ils ont considéré les anciens propriétaires comme concessionnaires des terres qu'ils exploitaient jusque-là en leur imposant de lourdes taxes et servitudes.

Ainsi, la porte était dès lors ouverte à tous les abus à venir découlant de la volonté du prince. Toutes les féodalités militaires et civiles ultérieures seront fondées sur ce principe, lequel sera la cause principale de la ruine des paysanneries et de l'agriculture du Moyen-Orient. A titre d'exemple, lorsque les armées arabes ont conquis l'Egypte, le gouverneur a pu collecter, la première année, 12 millions de dinars d'impôts et 14 millions la seconde année.

Mais, au IXe siècle de l'ère chrétienne, le montant de l'impôt se réduisait à 3 millions de dinars par an.

Ces différents impôts excessifs et discriminatoires ont pesé très lourdement sur les peuples chrétiens du Moyen-Orient. Partout dans l'Empire, les pressions fiscales ont poussé les paysans à aban- donner l'agriculture. Par exemple, en Egypte, beaucoup de pay- sans se réfugièrent dans les monastères du désert afin d'échapper, en particulier, à l'impôt de capitation dont le clergé était exonéré, mais ce privilège fut supprimé par la suite. Cette nouvelle situation entraîna nombre d'entre eux à se convertir à l'islam, d'autres se révoltèrent. La grande insurrection bachmourite des paysans en 836-837 dans les terres du bas delta du Nil amena le calife abbasside al-Mamoun en personne à se rendre en Egypte pour réprimer les insurgés.

Les conséquences du système fiscal oppressif et de la terreur qui l'accompagnait provoquaient un mauvais entretien du système d'irrigation, le délabrement des digues du Nil, la diminution du nombre d'agriculteurs et la réduction des terres cultivées. Malgré le doublement des impôts en 858, les recettes tombées à 3 millions de dinars par an étaient le signe évident de la ruine de l'agriculture et des paysanneries, non seulement en Egypte mais aussi dans l'ensemble de l'Empire, puisque les mêmes causes produisaient les mêmes effets.

3. Toujours selon ce statut, sur le plan religieux, la conversion d'un musulman au christianisme était interdite. Celui qui contrevenait à ce principe était condamné à mort. Par contre, la conversion d'un chrétien à l'islam était encouragée et les chrétiens devaient l'accepter.

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4. De même, l'islam interdisait le mariage d'une musulmane avec un chrétien, sauf si ce dernier se convertissait à l'islam. En revanche, il permettait le mariage d'un musulman avec une chré- tienne. Les femmes chrétiennes, mariées avec des musulmans, finissaient, pour la plupart, par se convertir à l'islam, car elles étaient soumises à la pression sociale qui agissait dans le même sens. Quant aux enfants nés de ces couples mixtes, ils étaient musulmans d'office.

5. Devant la justice, le témoignage d'un chrétien contre un musulman était irrecevable. Pratiquement, même s'il avait raison, un chrétien ne pouvait pas espérer gagner un procès contre un musul- man. Tout le contexte socio-politique, religieux et juridique était contre lui.

6. Même dans les vêtements, les chrétiens étaient périodique- ment obligés de se vêtir d'une façon distinctive et soumis à des mesures dégradantes. Ils étaient, par exemple, assujettis au port de ceintures et de marques particulières sur leurs vêtements, dont la couleur a varié selon les époques, mais elle était en général bleue ou grise pour les chrétiens, jaune pour les juifs et brune pour les zoroastriens. Cependant, le port de vêtements distinctifs s'imposait principalement dans les villes, car il était difficile au pouvoir poli- tique de l'appliquer dans les campagnes, étant donné l'étendue de l'empire et le manque d'un appareil administratif suffisant.

Enfin, dans l'islam, le pouvoir politique n'est pas séparé de la religion qui constitue son support idéologique, et qui est la source de la légitimité et de l'autorité des dirigeants. C'est pourquoi le pouvoir politique a systématiquement favorisé l'islam contre le chris- tianisme et combattu les langues nationales au profit de l'arabe : le copte en Egypte, l'araméen en Syrie, en Palestine et au Liban, le chaldéen en Mésopotamie.

En outre, les fonctionnaires chrétiens, malgré leur compétence et les services rendus, étaient périodiquement renvoyés. Ainsi, le calife abbasside al-Mutawakil prit, en 850, un décret ordonnant le renvoi de tous les fonctionnaires chrétiens et juifs. De même, en Egypte, à l'avènement de la dynastie ayyubide (1169-1250), les fonctionnaires chrétiens furent chassés de l'administration. Aussi, pour conserver leurs fonctions, nombre de chrétiens se convertirent à l'islam.

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Ce système religieux, socio-politique, juridique et écono- mique extrêmement dur a par conséquent contraint la majeure par- tie des peuples chrétiens du Moyen-Orient à se convertir à l'islam pour échapper aux multiples discriminations instituées à leur égard. A tout cela il faut aussi ajouter que, sous le règne des Arabes (4), des Mongols ou des Turcs, la population et le pouvoir musulmans ont périodiquement persécuté les chrétiens, détruit leurs églises, leurs monastères et pillé leurs biens, ce qui a eu pour effet de provoquer la conversion d'un plus grand nombre de ces derniers à l'islam.

Le XIX

e

siècle, l'ère des réformes

Officiellement, ce statut inégalitaire et oppressif des chrétiens se termine au cours du XIXe siècle. En Egypte, le jizia qui les frap- pait fut supprimé en 1855, sous le règne du khédive Sa'id. Cette mesure fut complétée par le khédive Tawfiq Pacha, en 1879, qui proclama le principe d'égalité de tous les Egyptiens sans distinction d'origine ethnique ou de religion.

De même, dans l'Empire ottoman, sous la pression des puis- sances européennes et des réformateurs ottomans, le sultan Abdul Majid prit, le 3 novembre 1839, le grand édit royal (le Hatt-i shérif de Gulhane) introduisant l'ère des réformes (tanzimat) de l'Empire et proclamant l'égalité entre tous les sujets ottomans sans distinc- tion de race ou de religion.

Cependant, cet édit et les réformes ultérieures n'ont pas modifié en profondeur les rapports entre les chrétiens et les musulmans. Nombre de ces derniers les considérèrent comme une atteinte à l'ordre social et à l'islam. Ces réformes n'ont donc pas eu les effets escomptés. Sous des prétextes multiples, la haine provo- qua, de 1840 à 1897, des persécutions et des massacres terribles contre les peuples chrétiens de l'Empire ottoman au Liban, en Palestine, en Syrie et en Asie Mineure. Cette période s'achève avec les massacres des Arméniens par les Turcs, de 1915 à 1918, mas- sacres qui se sont aussi étendus, en partie, aux Chaldéens et aux- quels les Kurdes ont massivement participé.

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Cet ensemble de faits illustre la nature des rapports entre les musulmans et les chrétiens pendant cette longue période de leur histoire.

La conquête des pays du Moyen-Orient par l'islam a eu prin- cipalement trois conséquences graves pour les peuples chrétiens de cette aire géographique.

D'abord, les peuples chrétiens d'Orient, majoritaires prati- quement jusqu'à la fin de l'Empire abbasside (750-1258 de l'ère chrétienne), sont devenus progressivement minoritaires dans leur propre pays avec toutes les conséquences politiques, écono- miques, sociales, culturelles, linguistiques et religieuses que la situation de minoritaires entraîne dans des Etats musulmans.

Ensuite, les chrétiens, convertis à l'islam, ont renié leur origine ethnique, leur langue, leur patrimoine culturel et historique spéci- fique antérieur à l'islam. Ils continuent à combattre la religion, la culture et la langue de leurs compatriotes qui demeurent encore chrétiens.

Enfin, après une période de progrès dû aux courants de civi- lisation existants avant la conquête, l'islam a bloqué l'évolution des pays du Moyen-Orient sur tous les plans et persécuté la pensée rationnelle. Or, sans une pensée rationnelle et critique à l'égard du monde en vue de le connaître dans son devenir, d'une façon indé- pendante et libérée de toutes les considérations idéologiques et politiques et d'en tirer les conclusions qui s'imposent, aucun pro- grès n'est possible. C'est pourquoi, depuis le IXe siècle et jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale, le Moyen-Orient, berceau de grandes civilisations, a été plongé dans la décadence générale dans tous les domaines.

Entre la période précédente et la période contemporaine, sur le plan religieux, social et politique, il n'y a pas de rupture. L'islam, devenu la religion de la grande majorité de la population, garde ses traits essentiels, conditionne en profondeur les sociétés du Moyen-Orient et imprime sa marque dans tous les domaines.

Malgré quelques efforts ici et là pour améliorer les relations entre les chrétiens et les musulmans, celles-ci demeurent fondamentale- ment conflictuelles dans les Etats contemporains de cette aire géo- graphique. Les Etats du Moyen-Orient offrent deux caractéristiques communes : d'abord, malgré leur grande diversité ethnique et reli-

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gieuse, ils sont fondés sur des structures unitaires et centralisées, contrôlées, dans la plupart des cas, excepté le Liban (5), par un groupe ethnique et/ou religieux. Ces structures étatiques créent des injustices et des discriminations à l'égard des autres groupes, en particulier vis-à-vis des chrétiens ; ensuite, les régimes poli- tiques des pays de cette région, à part le Liban jusqu'en 1975 et, en partie, le Koweït jusqu'en 1990, se caractérisent par l'absence de démocratie, car l'islam, qui façonne, dès l'enfance, les mentalités dans une vision inégalitaire du monde, conditionne le comporte- ment des hommes et influe ainsi sur l'organisation, les institutions et les lois de la cité. De ce fait, le pouvoir politique maintient et reproduit les multiples discriminations à l'égard des chrétiens et violent les droits fondamentaux de ces derniers.

Elimination progressive

des chrétiens de la fonction publique...

Ainsi, ils sont progressivement exclus de la direction des sociétés, des entreprises et des banques publiques, des cadres supérieurs de l'armée et de la police (6), des hauts postes dans l'administration, de l'enseignement supérieur, des fonctions poli- tiques dans les gouvernements, de la diplomatie, etc. Par exemple, en Egypte, les discriminations contre les chrétiens sont légion. Elles ont été dénoncées, en 1979, par un rapport officiel du Dr Merit Boutros-Ghali, ancien ministre. Selon ce rapport, on assiste depuis 1952, contrairement au discours officiel et à la Constitution procla- mant l'égalité des citoyens, à une élimination progressive des chrétiens de la fonction publique et des sociétés d'Etat, en particu- lier au sommet de la hiérarchie. Toujours d'après ce rapport, les chrétiens sont aussi absents dans la hiérarchie judiciaire, professo- rale, militaire, etc. Il n'y a plus aucun chrétien parmi les titulaires des cent plus hautes charges de l'administration, alors que, en 1910, 45 % des agents de la fonction publique égyptienne étaient chrétiens.

Avant de devenir le secrétaire général des Nations unies en 1993, Boutros Boutros-Ghali, malgré ses compétences de juriste

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international et bien qu'il fût souvent sollicité pour traiter des dos- siers internationaux concernant son pays, n'a jamais été nommé ministre des Affaires étrangères, ni sous la présidence d'Anouar al- Sadate ni sous celle de Hosni Moubarak, parce qu'il est chrétien.

Ces discriminations sont aussi nombreuses à l'égard des chrétiens en Iran, en Syrie, en Turquie et en Irak, bien que ces trois derniers pays se prétendent laïques (7). En Turquie (8), les Turcs chrétiens, excepté dans l'enseignement supérieur, ne peuvent pas devenir fonctionnaires, et encore moins présenter le concours d'entrée aux écoles militaires ou de police. Les instructions du haut commandement de l'armée turque demandent aux officiers de ne confier aucune responsabilité, même comme chauffeur, aux non- musulmans (chrétiens et juifs) « et autres éléments douteux » et de les cantonner, si possible, au rang de simples soldats (9). En défini- tive, les tracasseries administratives, les discriminations multiples, l'attitude hostile de la population musulmane et des autorités for- cent les chrétiens à quitter la Turquie.

En fait, ces discriminations s'étendent, à des degrés divers selon les pays, à tous les postes de travail dans la fonction publique, les entreprises et établissements de l'Etat. Espérant éviter ces discriminations, les chrétiens choisissent de plus en plus sou- vent des prénoms musulmans. Mais c'est peine perdue, puisque la religion de chacun est inscrite sur les registres de l'état civil et de la carte d'identité.

De plus, les Etats de cette région ont pris des mesures discri- minatoires dans les domaines culturel et religieux par le biais de la nationalisation des écoles primaires et secondaires en Egypte, en Syrie, en Irak et ailleurs. En Irak, par exemple, à la veille de la création de l'Etat en 1921, les Chaldéens disposaient d'un système scolaire important couvrant le premier et le second niveau de l'enseignement dans les villes et les villages où ils habitaient. Outre le programme de connaissances générales, l'enseignement du caté- chisme et de la langue chaldéenne était assuré à tous les élèves par des professeurs chaldéens. La langue de l'enseignement était évi- demment le chaldéen. A partir de 1921, la plupart de ces écoles ont été progressivement prises en charge par l'Etat, mais le chal- déen n'y était plus enseigné ; il a été remplacé par l'arabe, ce qui a causé un grand préjudice culturel et linguistique aux Chaldéens.

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Ces derniers ne peuvent pas enseigner leur langue et leur culture à leurs enfants dans leur propre pays (10) !

Devant cette grave situation, ils ont demandé, à maintes reprises, aux gouvernements successifs de régler ce problème cru- cial en permettant d'organiser l'enseignement de leur langue dans des conditions satisfaisantes. Ces demandes insistantes sont restées lettre morte jusqu'en 1972. A cette date, le Conseil de commande- ment de la révolution, haute institution politique, a promulgué le décret n° 251 du 16 avril reconnaissant expressément les droits cultu- rels et linguistiques des Chaldéens prévoyant les dispositions nécessaires à l'enseignement de cette langue. Mais ce décret ne fut pas appliqué, parce que l'idéologie baassiste était et est toujours hostile à l'enseignement du chaldéen, comme à l'égard des langues autres que l'arabe. Il avait été pris dans le but de gagner le soutien ou tout au moins la neutralité des Chaldéens dans le conflit armé qui opposait alors Bagdad au mouvement kurde du mollah Mustafa Barzani.

En Turquie, la situation linguistique des peuples chrétiens n'est pas plus favorable. Excepté le turc, l'enseignement d'aucune autre langue n'est toléré. De même, la publication d'ouvrages trai- tant du christianisme est soumise à la censure et ne reçoit pas d'aide financière, alors que nombre d'ouvrages musulmans bénéfi- cient de fonds publics, alimentés, en partie, par les contribuables chrétiens. En Egypte, une circulaire de 1940, toujours en vigueur, confère aux professeurs musulmans le quasi-monopole de l'ensei- gnement de l'arabe, sous prétexte que seule la connaissance du Coran assurerait une bonne compétence dans cette langue. De plus, les étudiants chrétiens n'ont pas accès à toutes les filières de l'enseignement supérieur et ne peuvent pas prétendre à toutes les catégories de bourses. En outre, l'enseignement du catéchisme, dans toutes les écoles publiques où les élèves chrétiens n'attei- gnent pas 10 % de l'effectif, ce qui est souvent le cas, n'est pas assuré, mais ces élèves doivent assister aux cours d'islam donnés par des professeurs, diplômés pour la plupart des instituts religieux musulmans. Nombre de ces professeurs blessent les élèves en dénigrant le christianisme et en valorisant l'islam. Les enseignants musulmans d'histoire, de littérature et de philosophie véhiculent souvent des préjugés contre le christianisme. Ils continuent ainsi à

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envenimer les relations entre les citoyens chrétiens et musulmans.

De plus, dans beaucoup de pays du Moyen-Orient, il faut l'autori- sation préalable du gouvernement concerné pour construire des églises ou les réparer. En Egypte, la législation prévoit le respect d'une certaine distance entre le lieu d'implantation d'une église et la mosquée la plus proche. Pour cette raison, il suffit de poser à proximité du terrain à bâtir les fondations d'une nouvelle mosquée pour interdire la construction de l'église, ce qui se produit souvent et désespère les chrétiens. La Turquie exige de surcroît que les prêtres soient de nationalité turque, ce qui n'est pas chose facile à réaliser. De ce fait, beaucoup de localités restent sans prêtre et les églises sont progressivement fermées et tombent en ruine. Mais ces mêmes mesures ne sont pas exigées à l'égard de l'islam. En fait, les Etats du Moyen-Orient cherchent à étouffer les identités culturelles, ethniques et religieuses des peuples chrétiens.

Les systèmes juridiques et politiques de ces pays maintiennent également l'inégalité dans le mariage : un chrétien n'est toujours pas autorisé à se marier avec une musulmane, tandis que le contraire est permis, et les enfants nés des couples mixtes sont d'office musulmans.

Un musulman ne peut se convertir au christianisme

De même, la liberté de pensée et de croyance est opprimée.

Un musulman ne peut pas se convertir au christianisme, car l'apo- stasie d'un musulman est frappée de la peine de mort. En revanche, la conversion d'un chrétien à l'islam est autorisée. On est là dans un système d'obscurantisme, d'inquisition et de non-respect des droits de l'homme. Dans les différents pays de la région, on constate, depuis les années cinquante, un retour progressif aux sources de l'islam (Coran et loi musulmane - chari'à). Les discrimi- nations et l'intolérance à l'égard des peuples chrétiens du Moyen- Orient sont encore exacerbées par le d é v e l o p p e m e n t des nationalismes agressifs.

Dans l'Empire ottoman, en particulier durant la Première Guerre mondiale, le nationalisme des Jeunes Turcs aboutit aux

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massacres des Arméniens et, en partie, des Chaldéens. Depuis la fondation de la République en 1923, le nationalisme turc continue d'opprimer tous les peuples non turcs : les Arméniens, les Grecs, les Chaldéens, les Kurdes, les Arabes, etc. Il pratique à leur égard une politique de turquification et ne tolère aucune manifestation culturelle et linguistique spécifique. Pourtant, la majeure partie de la population n'est pas turque d'origine, mais composée principale- ment d'Arméniens, de Grecs, de peuples balkaniques, de Kurdes, de Chaldéens et d'autres peuples du Moyen-Orient, convertis à l'islam, comme les Turcs, et devenus turcophones.

Les Kurdes, victimes des répressions périodiques entreprises par les différents gouvernements locaux, sont en train d e perpétrer les mêmes agressions à l'égard des Chaldéens. Dans les années quatre-vingt, les habitants de plusieurs villages chaldéens du Sud- Est anatolien (Hakkari) ont dû fuir en raison des massacres commis par des Kurdes avec la complicité des autorités turques.

En Irak, depuis 1961, à la suite de la guerre entre le mouve- ment kurde du mollah Mustafa Barzani et le gouvernement, les Kurdes, alliés de Bagdad, agressent régulièrement les Chaldéens de la région montagneuse. Ces agressions sont devenues particuliè- rement violentes au cours des années quatre-vingt. C'est pourquoi les Chaldéens ont été souvent contraints d'abandonner leurs vil- lages et de se réfugier dans le reste du pays, notamment dans les grandes villes. Le retour dans leurs villages est de plus en plus difficile. On assiste là à la poursuite de ce que l'on appelle de nos jours un nettoyage ethnique et religieux, pratiqué au Moyen-Orient depuis des siècles.

De même, en Iran, à un moindre degré, le nationalisme ira- nien, voulant créer un Etat-nation persanophone homogène, tend de plus en plus à imposer le persan aux différents groupes eth- niques, dont les Arméniens et les Chaldéens, et à nier leur identité propre. Cette politique aboutit ainsi à la violation des droits lin- guistiques et culturels des autres groupes ethniques qui forment environ 50 % de la population totale iranienne.

Le nationalisme arabe, sous ses différentes formes, représente le cas le plus surprenant, car il a été formulé non pas dans la péninsule Arabique, pays des Arabes, mais surtout en Syrie, au Liban et en Egypte, en partie par des chrétiens. Mais son contenu

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restait ambigu. Pour les chrétiens, il s'agissait de défendre leurs droits contre la politique ottomane, fondée sur l'islam, donc défa- vorable à leurs droits fondamentaux, les arabophones musulmans cherchaient aussi à défendre leurs droits contre le nationalisme des Jeunes Turcs. Mais ils visaient aussi à défendre l'unité de l'islam

afin de contrer la pénétration de l'influence européenne dans les pays du Moyen-Orient.

En effet, l'islam marque profondément les différentes formes du nationalisme arabe. C'est autant vrai, par exemple, du nationa- lisme nassérien que baassiste (11). Souvent, on présente ce dernier comme laïque, ce qui est tout à fait faux. Le baassisme est fondé à la fois sur l'arabisme et l'islam. A vrai dire, c'est l'islam qui a créé l'arabisme, puisqu'il s'agit des peuples islamisés du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, devenus arabophones grâce à cette reli- gion, puisqu'il faut apprendre le Coran en arabe. Pour cette raison, le terme arabe est souvent pris comme le synonyme du terme musulman. De plus, sous le règne des dynasties omeyyade et abbasside, l'arabe a été imposé comme langue officielle de l'admi- nistration, acte hautement politique. Les autres langues ont été pro- gressivement éliminées ou réduites à des sphères bien limitées.

Par conséquent, la plupart de ceux qui sont musulmans et parlent aujourd'hui l'arabe dans les pays de cette zone, comme ceux de l'Afrique du Nord, ne sont pas arabes. Les Arabes d'origine n'y représentent qu'une faible minorité, à peine 10 à 15 % de la population totale. Il ne faut pas confondre langue et ethnie ni reli- gion et ethnie. A ce propos, il est à noter que les communautés arabes chrétiennes, qui existaient dans et en marge de la péninsule Arabique à la naissance de l'islam, ont été islamisées pour la plu- part de gré ou de force, dès le début de l'expansion musulmane.

Les Arabes chrétiens sont aujourd'hui extrêmement rares. Aussi, c'est une faute grave et une confusion de traiter les chrétiens égyp- tiens, libanais, syriens ou irakiens d'Arabes, même s'ils parlent l'arabe. Il ne nous viendrait pas à l'esprit, par exemple, d'assimiler aux Anglais tous ceux qui parlent l'anglais...

Cela étant, les nationalismes sont particulièrement défavo- rables aux peuples chrétiens du Moyen-Orient. Ceux-ci font bien partie des Etats de cette région et y sont profondément attachés.

Mais, à part quelques idéologues, ils ne peuvent se reconnaître

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dans aucun nationalisme particulier et sectaire : turc, iranien, arabe ou kurde. Tous les pays de cette aire géographique sont habités par des groupes ethniques et religieux différents ayant chacun son identité propre et son histoire. Par conséquent, les nationalismes chauvins et agressifs, qui se répandent au Moyen-Orient, débouchent sur l'exclusion, les discriminations dans tous les domaines, sur les massacres et le génocide culturel et linguistique des peuples, et en particulier des peuples chrétiens. On peut donc conclure avec le phi- losophe anglais, Bertrand Russell : « En politique, le nationalisme, c'est le mal à l'état pur. Il n'y a pas un seul argument qui puisse le défendre. »

Les discriminations et l'intolérance à l'égard des chrétiens du Moyen-Orient se trouvent aussi amplifiées par le développement des mouvements religieux musulmans intégristes (12) [islamistes ou fondamentalistes], en particulier depuis la révolution iranienne et la fondation de la République islamique des ayatollahs, le 31 mars 1979 (13). Ces mouvements prônent : l'application stricte des prin- cipes du Coran et de la loi musulmane (chari'd) à la vie sociale, politique et économique ; le rejet de la laïcité, de la liberté de pen- sée et de croyance, de la démocratie et de la modernité, supposées être engendrées par l'Occident et accusées de corrompre les valeurs traditionnelles de l'islam.

L'application de cette doctrine aboutit au non-respect d'autrui et à la violation des droits de l'homme. L'exemple de l'Iran, de l'Arabie Saoudite, avec son wahhabisme rigoriste, et des mouvements intégristes dans tous les pays du Moyen-Orient illustre bien cet état d'inquisition et de violence morale et physique à l'égard de tous ceux qui défendent les valeurs universelles de l'humanisme, de la liberté de pensée et de croyance.

Dans les différents pays de cette région, les mouvements intégristes nous offrent d'innombrables cas de persécutions et de violation des droits de l'homme. En Egypte, ils attaquent régulière- ment les chrétiens, sous mille prétextes et rumeurs malveillantes, incendient leurs églises, leurs maisons, leurs magasins et assas- sinent nombre d'entre eux. Au Soudan, la situation des chrétiens mais aussi des animistes est tout simplement inqualifiable. Le pou- voir musulman théocratique, installé à Khartoum, dans le Nord, cherche à imposer son système religieux (la loi musulmane) aux

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peuples chrétiens et animistes du Sud au moyen d'une guerre ter- rible ruinant l'économie du pays, affamant et décimant les popula- tions. En Iran, à la suite de la guerre Irak-Iran (1980-1988), les prisonniers irakiens chrétiens ont été séparés de leurs compatriotes musulmans, maltraités, insultés et battus au mépris des conventions internationales sur la protection des prisonniers de guerre et du respect de la dignité des êtres humains. De même, en Arabie Saoudite, les travailleurs immigrés chrétiens, bouddhistes ou hin- douistes ne peuvent ni construire de lieux de prière, ni exercer librement leur culte. La police religieuse les persécute et fait irrup- tion dans leurs réunions.

Ainsi, de l'Iran à l'Egypte, de la Turquie à la péninsule Arabique, les mouvements intégristes, en agressant les chrétiens et en violant leurs droits fondamentaux, leur rendent la vie extrême- ment difficile.

Vingt millions de chrétiens au Moyen-Orient

Avant de terminer cette étude on peut s'interroger sur le nombre de chrétiens au Moyen-Orient. Ils sont évalués à environ vingt millions, dont plus de la moitié se trouve en Egypte ; l'autre moitié se répartit dans les autres pays d'Orient, principalement au Liban, en Syrie, en Irak et en Jordanie. Il y a encore des commu- nautés chrétiennes, quoique très amoindries, en Turquie et en Iran.

Dans la péninsule Arabique, il n'y a plus de chrétiens. Ceux qui s'y trouvent sont des travailleurs étrangers venus des autres pays du Moyen-Orient, de l'Ethiopie, de l'Asie du Sud-Est et de l'Occident.

En conclusion, on peut faire deux hypothèses sur l'avenir des chrétiens dans les pays du Moyen-Orient.

La première porte sur le maintien des rapports entre les chrétiens et les musulmans dans le cadre actuel. Selon cette hypo- thèse, étant donné les traits caractéristiques foncièrement inégali- taires de l'islam et en considérant les faits historiques, il est fort probable que, dans une perspective à long terme, la chrétienté dis- paraisse complètement de cette région, comme c'est déjà le cas pour la péninsule Arabique et en voie de l'être pour la Turquie et

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l'Iran, en raison de la conversion à l'islam et de l'émigration massive provoquée par les violences et les discriminations.

La seconde hypothèse est relative à l'évolution des sociétés de cette zone vers la démocratie. Dans ce cas, les droits des chré- tiens seraient garantis sur la base du respect du principe d'égalité non pas seulement dans des textes constitutionnels formels, mais dans la réalité sociologique et politique. On sait que la plupart des pays de cette région ont une Constitution, y compris la République iranienne des ayatollahs, mais aucun n'est démocratique.

En effet, des régimes véritablement démocratiques permet- traient d'assurer les intérêts et les droits fondamentaux de tous les habitants qui composent les populations des pays du Moyen- Orient, comme la liberté du mariage et du choix de sa religion, et d'en finir ainsi avec l'inquisition et les discriminations instituées dans de nombreux domaines par l'islam. A ce niveau, les pro- blèmes des groupes dits minoritaires, y compris celui des minorités chrétiennes d'aujourd'hui - majorités d'hier - , n'existeraient plus, puisque tous les citoyens seraient égaux dans tous les domaines.

En définitive, les minorités existent, en particulier dans ces pays, parce que ceux qui détiennent le pouvoir politique imposent aux autres groupes des discriminations multiples : politiques, écono- miques, sociales, culturelles, linguistiques et religieuses.

Par conséquent, qui dit minorités dit aussi nécessairement, dans ce contexte, discriminations et oppressions. C'est pourquoi le concept même de minorité n'a plus de place dans une société démocratique fondée sur le principe d'égalité entre tous les citoyens. Mais, dans les sociétés à majorité musulmane, l'accession à la démocratie est difficile, car la démocratie est fondée sur le principe d'égalité entre tous les hommes, principe dont découlent aussi la liberté de pensée et de croyance et le respect d'autrui. Là où il n'y a pas d'égalité, il ne peut y avoir ni liberté ni respect, mais domination, discriminations et servitude.

Or l'islam ne reconnaît pas le principe d'égalité. Il ne l'admet ni entre les hommes et les femmes à l'intérieur même de la com- munauté musulmane, ni entre les musulmans et les non-musul- mans. De même, il n'admet pas la liberté de pensée et de croyance, comme on l'a déjà vu. Dans ces conditions, le respect d'autrui en tant que personne ayant des droits égaux ne peut pas exister non

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plus. Il y a donc une incompatibilité entre l'islam et la démocratie.

C'est pourquoi l'émergence de la démocratie dans les pays à majo- rité musulmane paraît fort problématique, sauf si une séparation du pouvoir religieux et du pouvoir politique voit le jour, et à condi- tion d'adopter et de diffuser les valeurs démocratiques parmi les générations successives, à travers l'éducation scolaire, familiale et sociale. Ces valeurs demeurent, dans une perspective à long terme, la condition préalable à l'avènement de sociétés démocratiques qui permettraient d'organiser le pouvoir politique sur des principes universels afin d'assurer la paix sociale, la stabilité politique, de garantir les droits fondamentaux de tous les citoyens et d'ouvrir ainsi la voie du progrès et de l'humanisme.

Habib Ishow

1. Le nestorianisme est une doctrine attribuée à Nestorius, patriarche de Constantinople. Selon cette doctrine, le Christ a deux natures propres et distinctes l'une de l'autre (divine et humaine) et la Vierge Marie n'a engendré que sa nature humaine. Le nestorianisme fut condamné par le concile d'Ephèse en 431- Persécutés par Byzance, ses adeptes trouvèrent refuge en Mésopotamie. En 484, les évêques de l'Eglise d'Orient (Empire perse), réunis en synode à Beth-Lapat, adoptent officiellement la doctrine de Nestorius. L'Eglise nestorienne est née à cette date. Voir à ce propos la Doctrine christologique de Narsai. Essai d'interpré- tation, d'Ibrahim Ibrahim, thèse de doctorat en théologie, Rome, Pontifica Studiorum Universitas A. S. Thoma AQ., 1974-1975.

2. Par réaction au nestorianisme, le monophysisme ne reconnaît dans le Christ qu'une seule nature. Il fut aussi condamné par le concile de Chalcédoine en 451.

3. Les zoroastriens étaient aussi assimilés aux gens du Livre. En principe, les adeptes des autres religions n'avaient le choix qu'entre l'épée et l'islam.

4. Les célèbres califes abbassides al-Mahdi et son fils Harun al-Rachid, qui régnèrent respectivement de 775 à 785 et de 786 à 809, avaient pris des mesures sévères contre les chrétiens, en dépit des services rendus par ces derniers à l'Empire : augmentation excessive des impôts, destruction des églises et des monastères, obligation des Arabes chrétiens à se convertir à l'islam, port des signes distinctifs humiliants. Voir à ce sujet Chrétiens et musulmans en Irak : attitudes nestoriennes vis-à-vis de l'islam, de Bénédicte Landron.

5. Malgré la guerre civile de 1975 à 1990 qui a ravagé le Liban, les rapports entre les

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musulmans et les chrétiens sont plus équilibrés, parce que ces derniers détiennent justement une part du pouvoir politique.

6. Les écoles qui forment les officiers de l'armée et de la police sont dans la plu- part des cas fermées aux élèves chrétiens.

7. La laïcité suppose la séparation du pouvoir politique et de la religion, ce qui implique que l'Etat impose le principe d'égalité à tous les habitants. Or, les Etats turc, syrien et irakien construisent des mosquées, paient les salaires des mollahs et enseignent l'islam dans les écoles publiques, alors que les mêmes mesures ne sont pas appliquées aux chrétiens. Dans ces conditions, la laïcité n'est qu'une façade.

8. En Turquie, la religion de chaque citoyen est obligatoirement marquée sur le registre de l'état civil.

9. Le Monde du 4 juillet 1990.

10. Pourtant, les Constitutions irakiennes de 1925, article 16, de 1958, articles 3 et 9, de 1970, articles 5 b et 19, reconnaissent les droits légitimes culturels et lin- guistiques des Chaldéens, comme ceux des autres peuples d'Irak.

11. De plus, le baassisme est inspiré, en partie, des idéologies des mouvements nationalistes européens de l'entre-deux-guerres, surtout du national-socialisme allemand. Son principal fondateur, Michel Aflaq, chrétien d'origine syrienne, demandait à ce que les chrétiens d'Orient soient obligés à se convertir à l'islam afin qu'ils deviennent tous arabophones, donc arabes, d'après sa conception. Il a fini, lui-même, par se convertir effectivement à l'islam.

12. On privilégie ici le terme « intégrisme », parce qu'il rappelle le retour aux prin- cipes religieux de base et à leur application stricte, à savoir le Coran et la loi musulmane {chari'd).

13- Le wahhabisme, apparu dans la péninsule Arabique au XVIIIe siècle, adopté par l'Arabie Saoudite, et les Frères musulmans, nés en Egypte en 1928, font aussi partie des mouvements religieux intransigeants et intolérants.

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