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Golden Holocaust, puis vint le temps des allumettes

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Revue Médicale Suisse

www.revmed.ch

2 avril 2014

actualité, info

en marge

Restons encore un instant sur Golden Holocaust.1 Un ouvrage de l’historien Robert N. Proctor, enfin publié en français et qui fera date dans le champ de l’assuétude au tabac (Revue Médicale Suisse 423 du 26 mars 2014).Un ouvrage qui témoigne à merveille de l’apport de l’histoire à la compréhension des pathologies du présent. De ce point de vue, le tabac est une mine.

Plus récemment introduit dans l’espèce humaine que les boissons alcooliques, il n’en a presque aucune des caractéristiques cultu­

relles. L’alcool est omniprésent depuis quelques dizaines de siècles dans les civilisations occidentales, où il fut longtemps comme tenu à distance. Tout a certes changé. Mais aujourd’hui encore on le boit et, assez souvent, on en parle. Le tabac est arrivé récemment. Il est le plus souvent inhalé. Et ses con­

sommateurs n’en parlent jamais.2 Sauf pour se taper une clope, mau­

dire les hausses de prix ou se désoler de ne pouvoir arrêter.

Au départ, il y a une plante. Nico- tiana. Près de soixante­dix espèces.

Uniquement sur le continent

américain où plusieurs d’entre elles étaient fumées, mâchées ou prisées. La plus intéressante pour les Indiens d’Amérique semble avoir été Nicotiana tabacum, culti­

vée sur les hauts plateaux du Pérou et de l’Equateur. Entre cinq mille et trois mille ans avant Jésus Christ. Puis, en son nom (celui de Jésus), le Portugal commence à coloniser le Nouveau Monde. En 1560, Jean Nicot est ambassadeur de France au Portugal. Il achète, à Lisbonne, quelques graines de tabac, les cultive et en adresse les fruits par valise diplomatique à Catherine de Médicis, alors la

mère de son supérieur hiérarchi­

que François II (1544­1560). Elle soignera ainsi, une seconde, les crises de migraine de son fils éphémère. L’affaire commence.

Près de cinq siècles plus tard, elle est bien loin d’être terminée.

Jean Nicot (1530­1604) connaissait

le poids des mots. Le père du

«Trésor de la langue française»

laissera son nom à la plante (un hommage posthume de Carl Linnaeus) et à la toxine qu’elle renferme en son sein. Le tabac suivra alors de manière accélérée le processus de désacralisation, de «déritualisation» observé avec l’alcool. Robert N. Proctor rappelle que des centaines de glyphes mayas dépeignent la plante de tabac et ses rituels de consomma­

tion. Elle semble chez eux avoir été occasionnelle, l’inhalation n’étant pas une pratique courante.

«En outre, les professionnels du marketing n’exhortaient encore personne à rechercher un "plaisir de fumer" toujours plus grand», note l’historien.

Le grand tournant nocif du point de vue de la santé publique

semble bien avoir été celui du passage à la cigarette. Et plus encore à la cigarette industriellement fabriquée.

Contrairement à ce que l’on se plaît à croire, la cigarette ne fut pas, en tant que méthode de fumer, une invention du XIXe siècle. «Les anciens Mayas fumaient de minces tubes roulés de cette feuille précieuse, que nous pour­

rions tout à fait décrire comme de

"petits cigares", explique Robert N. Proctor. L’enveloppe de papier

est l’un des éléments qui distingue notre clope contemporaine de son frère aîné, plus robuste, et cette mode semble s’être développée par accident, dans la première moitié du XVIIe siècle à Séville, en Espagne.»

Séville était alors la première capitale mondiale de la manufac­

ture du tabac. Les mendiants s’y roulaient des papaletes, à partir de miettes de tabac. Les premières cigarettes européennes sont donc

«le sous­produit pour pauvre du noble cigare – des miettes de mégot de cigare, récupérées et enveloppées dans un bout de papier». Sont­elles, aujourd’hui, véritablement autre chose ? Pour le grand Littré, la cigarette est certes le «petit cigare fait avec du tabac roulé dans un bout de papier ou de paille de maïs». Mais, c’est aussi la cigarette de camphre, de belladone, etc. Soit «un tuyau de plume où l’on met ces substan ces en poudre, et qui, tenu dans la bouche, transmet ce qui s’en exhale». Reste l’essentiel, le drama­

tique : le triomphe de la cigarette dans les premières décennies du XXe siècle. Ceci ne sera possible que grâce à la conjonction de plu­

sieurs facteurs assez hétérogènes mais qui bientôt convergèrent. Ce fut tout d’abord le «séchage à chaud» des feuilles de tabac qui

Golden Holocaust, puis vint le temps des allumettes

revue de presse

… l’industrie du tabac dut développer toute une stratégie pour masquer la réalité …

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Revue Médicale Suisse

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ouvrit la porte au sucre et à la possibilité physiologique d’inhaler la fumée sans tousser.

Il y eut encore la mécanisation de la manufacture des cigarettes grâce notamment à une machine, mise au point en 1880, par James Albert Bonsak (1859­1924) inventeur américain. Au départ, produit de luxe, les cigarettes Readymade devinrent vite de plus en plus accessibles, de plus en plus popu­

laires. Des quatre cigarettes à la minute du manuel, on passa bientôt à deux cents. Depuis, la cadence n’a pas cessé d’augmenter.

Il y eut aussi la fourniture de ciga­

rettes dans les rations des soldats de la Première Guerre qui entraîna l’accoutumance durable de ceux

qui en revinrent. Une pratique qui, guerre ou pas, continua long­

temps dans les armées où ne pas fumer n’était pas un signe de virilité. Parmi les autres facteurs majeurs de diffusion de la cigarette, à l’échelon planétaire, il fallut compter avec les techniques du marketing de masse (marques identiques sur le territoire des Etats­Unis, puis dans le monde entier). Phénomène amplificateur : la taxation, par tous les gouverne­

ments, des produits du tabac : loin d’édicter des règles contre cette consommation, les puissances publiques en tirèrent profit. Et le profit allait grandissant avec la consommation.

Le tabac prenait ici la route de l’alcool, la taxation des addic­

tions n’ayant étrangement jamais été l’objet de différends entre les familles politiques de droite et de gauche. Une taxation éminemment coupable, ici, en ce qu’elle postule que fumer est le résultat d’un choix, l’expression d’une liberté individuelle alors même qu’elle est la conséquence du condition­

nement résultant d’une vaste mécanique industrielle, écono­

mique et politique.

L’épidémiologie progressant comme l’on sait, l’industrie du tabac dut développer toute une stratégie, fine et durable, pour masquer autant que faire se peut la réalité des dangers sur le corps humain de l’inhalation répétée, durant des années, de ses fumées et autres goudrons. C’est l’objet central de l’ouvrage de Robert N.

Proctor qui s’intéresse aussi à «la manipulation de la chimie du tabac afin d’accroître la puissance, les propriétés excitantes et le pouvoir d’accoutumance du tabac».

Mais l’histoire ne serait pas complète sans le chapitre des allumettes. Une affaire anglaise – et donc essentiellement pragma­

tique. En 1689, le philosophe Robert Boyle (par ailleurs inven­

teur de la pompe à air) découvre que la flamme peut naître du frottement du phosphore contre le soufre. La flamme est là mais le philosophe ne sait pas la

contrôler. En 1827, John Walker, chimiste et pharmacien anglais, colle une mixture de sulfate d’an­

timoine et de chlorure de potas­

sium à l’extrémité d’un bâtonnet.

Il la fixe au moyen de gomme et d’amidons. Et le tout, une fois frotté sur une surface adaptée à cet effet, prend feu à volonté.

Walker donne le nom de Congreves à ses premières allumettes (non brevetées). C’est un hommage à Sir William Congreve (1772­1828) qui venait alors d’inventer la fusée d’artillerie, baptisée Congreve rocket. Samuel Jones, un droguiste londonien, a vent de l’affaire. Il copie l’invention et la commer­

cialise en masse. Sous le nom de Lucifer. La suite, affaire de soufre et de souffrance, était écrite.

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

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1 Proctor R. Golden Holocaust. La cons­

piration des industriels du tabac. Paris.

Editions des Equateurs, 2014. Traduit de l’anglais (Etats­Unis) par Johan­Frédérik Hel Guedj. Préfacé et édité par Mathias Girel. Postface d’Etienne Cagnard, pré­

sident de la Mutualité Française.

2 A l’exception notable des fumeurs de ci­

gares qui assez souvent tentent d’échan­

ger sur les provenances, les modes d’éla­

boration, les millésimes et leurs sensa­

tions organoleptiques respectives. De ce point de vue, le cigare est un objet qui peut être perçu comme se rapprochant des vins millésimés d’appellation d’origine contrôlée.

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