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L'Italie à l'américaine, dernier acte ? Les élections européennes de juin 2009.

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Submitted on 23 May 2012

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L’Italie à l’américaine, dernier acte ? Les élections européennes de juin 2009.

Christophe Bouillaud

To cite this version:

Christophe Bouillaud. L’Italie à l’américaine, dernier acte ? Les élections européennes de juin 2009..

Congrès de l’Association française de science politique - Section thématique 17 : ”L’européanisation

des systèmes partisans en Europe”., Sep 2009, Grenoble, France. �halshs-00700731�

(2)

Colloque AFSP / Grenoble /7-8-9 septembre 2009.

Section 17 : L’européanisation des systèmes partisans en Europe.

L’Italie à l’américaine, dernier acte ? Les élections européennes de juin 2009.

Christophe Bouillaud, IEP de Grenoble.

Comme le lecteur de ce texte le sait sans doute, l’Italie est engagée depuis le début des années 1990 dans un interminable processus de transition des formes de la concurrence politique : une « Seconde République » doit émerger des ruines de la « Première République », telle est la prophétie auto-réalisatrice en vigueur depuis vingt ans. L’Italie devrait devenir un « pays normal » à l’image de ces pays anglo-saxons, Etats-Unis d’Amérique ou Grande-Bretagne, ou de la France de la V

ème

République, où, par la vertu d’une élection populaire, le peuple se donne un chef qui décide pour son plus grand bien

1

.

Cette prophétie semble avoir connu son dernier épilogue en ce printemps 2009. Les élections européennes des 6-7 juin 2009, ont en effet, comme nous le montrerons plus bas, entériné la disparition de la représentation parlementaire des forces partisanes directement liées par leur nom même à l’histoire politique du XX

ème

siècle italien, au profit d’une bipolarisation simplifiée autour de deux forces se voyant elles-mêmes comme des partis

« attrape-tout » : le « Peuple de la liberté » (PDL) à droite, le « Parti démocrate » (PD) au centre-gauche. Le nom même du second se veut d’ailleurs, directement et explicitement, inspiré du nom du « Parti démocrate » des Etats-Unis, il indique surtout dans l’esprit d’une partie de ses dirigeants une rupture avec l’héritage du socialisme européen du XIX

ème

et XX

ème

siècle

2

au profit d’une adhésion à un encore mal défini « progressisme » pour le XXI

ème

siècle.

Cette affirmation de forces politiques aux contours « américains »

3

confirme les résultats de l’élection politique de l’année précédente qui avaient pour la première fois privé de la

1

Bien sûr, le lien « vote populaire/élection d’un chef/ décision » n’est nulle part aussi simple que dans la représentation à fin polémique dont les réformateurs italiens dont il sera ici question abusent. La parenté de ce lien avec le primat du chef du fascisme n’est sans doute pas un hasard. Il faudrait refaire ici une histoire longue de la « normalité » politique pour les élites italiennes : depuis le XIX

ème

siècle, le tropisme anglo-saxon est dominant dans les élites d’orientation libérale. A cela s’ajoute une fascination durable pour le régime de la V

ème

République française dans la génération d’universitaires (aujourd’hui âgée, mais encore active) qui a suivi les événements hexagonaux dans les années 1950-60, ou dans celle qui a été éduquée par cette première génération.

L’Allemagne et l’Espagne sont parfois aussi citées comme « pays normaux ». Les pays scandinaves,

fonctionnant avec des scrutins proportionnels, ne sont jamais cités comme exemples de pays normaux dans la polémique, puisque leur vie politique démontre que « bon gouvernement » et scrutin proportionnel peuvent coexister durablement.

2

De fait, la rupture avec le communisme du Parti Communiste Italien (1922-1990) les amène pour la plupart d’entre eux à une rupture avec toute la pensée socialiste européenne.

3

Les deux grands partis, PD et PDL, aspirent tous deux au statut des partis démocrates et républicains

respectivement aux Etats-Unis. Bien évidemment, les différences sont innombrables, mais il s’agit ici pour nous de rappeler le « rêve américain » qui traverse toute cette histoire, là encore en parfaite concordance avec la fascination pour l’Amérique incluse dans les cultures populaire et élevée en Italie depuis la fin du XIX

ème

siècle.

Pour l’anecdote, on signalera que l’amour pour le cinéma américain de Walter Veltroni, le premier leader du PD,

ancien maire de Rome, fait partie de son personnage public depuis le début des années 1990.

(3)

moindre représentation parlementaire, néo-communistes

4

, socialistes

5

, et néofascistes

6

; cette annihilation du « vieux » au profit du « nouveau » s’effectue au profit de partis, à l’orientation idéologique pour le moins floue, entièrement voués à la promotion de leur leader, « à l’américaine », pour ne pas dire « à la sud-américaine ». Les « partis personnels », tels que les a décrit Mauro Calise

7

, sont en cette fin de la première décennie du XXI

ème

siècle devenus la nouvelle norme. La seule exception à cette règle semble représentée par la Ligue du Nord (LN). Elle semble en effet de plus en plus prendre une consistance sociale et politique, qui va désormais bien au-delà de la seule personnalité de son leader historique, Umberto Bossi.

Quelque peu paradoxalement, alors même que le paysage politique semble enfin simplifié comme il ne l’avait pas été depuis 1976

8

, en ce même printemps 2009, les partisans d’une modification du mode de scrutin en un sens résolument majoritaire connaissent les 2-22 juin 2009 une déroute sans précédent. Les référendums abrogatifs qu’ils avaient promus échouent. En effet, leur appel à la participation électorale n’est suivi que par un moins d’un quart des électeurs inscrits, les référendums se trouvent de ce fait invalidés. C’est là l’épilogue d’une longue série de tentatives d’aller par la « voie référendaire » vers un système électoral majoritaire, et par suite bipartite

9

.

Pour bien comprendre l’épilogue que constitue le printemps 2009, il nous faudra rappeler à grands traits le déroulement de la transition du point des règles de la compétition politique (I), les résultats des élections européennes (II), avant d’essayer de montrer la faible importance de l’Europe (surtout entendue comme l’Union européenne) dans cette évolution (III).

4

Nous utilisons ce terme pour bien signaler que les héritiers du communisme historique ont bien pris acte du tournant de 1989, mais ont souhaité maintenir les « raisons du communisme » au-delà de l’échec de l’Union soviétique. Le Parti de la Refondation communiste (PRC) unifie au début des années 1990 une partie de l’aile gauche du Parti communiste italien, le petit parti d’ascendance trotskiste des « Démoprolétaires » (DP) issu du mouvement social et politique des années 1960-70, et des syndicalistes « autonomes ».

5

Le Parti socialiste italien (PSI) et le Parti social-démocrate italien (PSDI), tous deux dissous lors de la crise politique du début des années 1990, ont eu de très nombreux petits héritiers qui en ont revendiqué la filiation. En raconter l’histoire pour le moins compliquée nécessiterait un livre entier. Les socialistes dont il est ici question sont ceux qui se classent au centre-gauche, une autre partie de la famille dispersée s’étant allié au centre-droit.

6

Ce terme désigne les divers groupuscules et petits partis politiques se revendiquant d’une version non repentie du néofascisme des années 1946-1995. Le principal sujet politique actuel s’appelle simplement « la Droite ».

7

Cf. Mauro Calise, Il partito personale, Bari : Laterza, 2000.

8

Lors des élections politiques de 1976, les deux partis dominants, Démocratie Chrétienne et Parti communiste italien, trustent à eux seul plus des deux tiers des suffrages exprimés ; en 2008, on est revenu à une situation semblable.

9

Le raisonnement des promoteurs de ces référendums s’appuie clairement sur la « loi de Duverger ». Un système électoral majoritaire doit aboutir in fine à un bipartisme. Comme on le sait, le lien mode de

scrutin/nombre de partis est bien plus complexe, et, d’ailleurs, le cas italien post-1994 sera étudié comme une

pièce supplémentaire du dossier à charge et à décharge de la « loi de Duverger ».

(4)

I. Résumé d’une transition inachevée

10

.

La « Première République », comme on la nommera après 1993 pour la différentier de la phase qui s’ouvre alors, est établie entre 1943 et 1953

11

sur un « compromis difficile » entre forces politiques issues de la Résistance au régime fasciste

12

. Elle est dominée par des coalitions pluripartites toujours modérées

13

formées après les élections sur la base d’un scrutin de liste proportionnel déterminant la force parlementaire de chaque parti. Le mode de scrutin assure une adéquation presque parfaite entre force électorale d’un parti et représentation parlementaire. Le but dans un pays au bord de la guerre civile, sur un des fronts majeurs de la « Guerre Froide », est d’assurer une représentation la plus équitable possible de chaque force en présence. Il a de plus été clairement conçu comme le contraire exact de la représentation parlementaire telle que l’entendait le régime fasciste, avec en particulier sa prime majoritaire assuré à la liste arrivée en tête. La « loi Acerbo », utilisée aux élections de 1924, garantissait en effet pas moins de deux tiers des sièges de la Chambre des députés à la liste arrivée en tête d’un collège unique national

14

.

Grâce à la loi électorale de la « Première République », adoptée avant même que l’Italie se dote d’une Constitution en 1947-48, toutes les tendances de l’opinion publique sont représentées dans les Parlements italiens élus après 1945, pourvu qu’elles dépassent un seuil minimal de représentativité (soit au niveau national, soit au niveau régional)

15

. Les extrémistes, ou les forces nouvelles (Parti radical, Verts, Démoprolétaires, Ligues régionales) qui émergent dans les années 1970-80, peuvent ainsi s’acclimater à la vie parlementaire. Par ailleurs, les listes pour l’élection des députés ne sont pas bloquées : l’ordre de la liste peut être modifié par l’expression de votes préférentiels

16

de la part des électeurs, ce qui encourage la

10

La bibliographie sur la « transition politique » des années 1992-2009 en Italie s’avère immense, et la manière dont les événements sont présentés par les politistes et historiens du politique italiens participe pleinement de la lutte politique du moment, puisque chaque auteur un tant soit peu important soutient un point de vue sur la transition. Il en est autant un acteur, qu’un analyste. En français, pour des données de base à jour sur le système politique italien, on consultera la synthèse dirigée par Marc Lazar, L’Italie contemporaine de 1945 à nos jours, Paris : Fayard, 2009. Pour simplifier ici notre propos, nous ne traitons pas ici de la modification des règles de la concurrence politique au niveau local (commune, province, région), elles évoluent dans un sens majoritaire dès le début des années 1990 sans que personne ne s’en plaigne. Le modèle adopté pour les communes, provinces et régions, ressemble au mode de scrutin adopté en 1983 en France pour les municipales : un scrutin à deux tours, qui garantit au vainqueur une majorité solide, tout en représentant les oppositions proportionnellement à leurs résultats.

11

L’établissement de la « Constitution matérielle » de la « Première République » s’étend du 25 juillet 1943, moment du renversement de Benito Mussolini par le Grand Conseil, qui entraîne le rétablissement de facto du pluripartisme, à l’échec de la Démocratie Chrétienne aux élections de 1953 à faire fonctionner le mécanisme de prime majoritaire prévue par la nouvelle loi électorale voulue par son leader Alcide De Gasperi, connue dans l’histoire sous le nom de « legge-truffa » (loi-escroquerie) que lui avait affublé ses opposants.

12

A savoir, les forces démocrates-chrétiennes, socialistes et sociales-démocrates, communistes, libérales, républicaines, s’ancrant toutes dans l’histoire politique italienne d’avant 1915, et enfin « actionnistes » (libéral- socialistes) elles directement issues de la lutte anti-fasciste (1922-1943) et de la Résistance (1943-1945). Seuls les royalistes, nationalistes et fascistes sont exclus du compromis alors obtenu.

13

De 1947 à 1993, l’Italie est toujours gouvernée par une coalition des modérés, contre une aile gauche exclue du pouvoir gouvernemental (la fameuse « conventio ad excludendum » qui interdit au Parti communiste italien d’entrer au gouvernement) et aussi une aile droite, néofascistes et royalistes, tout aussi exclue de toute

participation gouvernementale.

14

Cette énorme prime de majorité ne changea guère au final la situation, envisagé au prisme de l’adéquation représentation parlementaire/force électorale, puisque le « listone », la liste de concentration regroupant les fascistes du Parti national fasciste (PNF) et leurs alliés libéraux, conservateurs et catholiques, obtint 64,9% des voix lors de ces élections de 1924.

15

En pratique, un parti peut avoir une représentation à la Chambre des députés avec 1% des voix au niveau national, et/ou 2/3% au niveau régional dans une grande région.

16

L’électeur fait une croix sur le symbole du parti qu’il choisit, et peut écrire jusqu’à trois ou quatre noms (selon

la taille des circonscriptions) à côté sur des lignes vierges prévues à cet effet. Le vote préférentiel est surtout

(5)

création d’un lien direct entre élus et électeurs. Cependant, pour ses détracteurs – exclusivement situés dans un premier temps à droite de l’échiquier intellectuel et politique -, un tel système électoral proportionnel rend le gouvernement otage de combinaisons parlementaires de la part des secrétariats des partis, et donc inefficace à représenter l’intérêt national. Le mode de scrutin leur apparaît comme la clé de voûte du règne de la

« partitocratie » qu’ils dénoncent vivement dès les années 1950. Giuseppe Maranini, l’un des pères de la science politique italienne de ces années de la reconstruction

17

, n’a pas de mots assez durs envers ce mode de scrutin, et sur le règne de l’oligarchie partisane qu’il permet.

Après 1958, toute une partie d’intellectuels, marqués à droite, rêvent alors de suivre l’exemple français du « gaullisme », mais les deux partis dominants la vie politique de l’époque, la Démocratie Chrétienne au pouvoir, et le Parti communiste italien dans l’opposition, ne s’engagent en aucune façon dans une telle évolution. Ils y sont d’autant moins incités que, jusqu’en 1979, les choix des électeurs tendent à mettre en place un bipartisme de fait en leur faveur

18

. Le consensus sur le mode de scrutin tend donc plutôt à se renforcer : lorsqu’il s’agit d’adopter un mode de scrutin pour les européennes de 1979, l’accord se fait sur un scrutin proportionnel de liste, dans cinq circonscriptions plurirégionales, avec expression de préférences de la part des électeurs. A l’époque, il s’agit aussi de donner voix parlementaire aux nombreuses tensions qui traversent la vie politique. En pratique, ce mode de scrutin, en vigueur pour la dernière fois aux élections européennes de 2004, garantit un élu au moins au Parlement européen à des forces politiques ayant recueilli au niveau national moins de 1% des voix.

On commence pourtant à parler de « réforme institutionnelle » en Italie dans la seconde moitié des années 1970 dans la foulée de la crise politique, économique et sociale que connaît le pays depuis 1969. Une Commission bicamérale, dirigé par un ancien constituant de 1947-48, le libéral Aldo Bozzi, est chargée d’élaborer des propositions de réformes constitutionnelles en 1983-1985, mais elle laisse prudemment dans l’ombre la question du mode de scrutin. En effet, l’idée même d’un changement de mode de scrutin en une direction majoritaire –et souvent liée à l’instauration d’un régime présidentiel - reste sulfureuse jusqu’au milieu des années 1980 dans la mesure où elle renvoie, est-il besoin de le préciser encore une fois, à une tentation fascisante. L’adoption du scrutin majoritaire fait d’ailleurs partie des nombreuses réformes souhaitées par la loge maçonnique « Propaganda Due » (P2), dirigé par le célébrissime « grand maître maçonnique » Licio Gelli, réformes que le grand public découvre en 1982 grâce à la magistrature dans le « Mémorandum sur la situation politique en Italie » et dans le « Plan de renaissance démocratique »

19

.

utilisé dans le sud du pays, traduisant un rapport plus direct, clientéliste, entre élus et électeurs.

17

G. Maranini (1902-1969), professeur universitaire de droit constitutionnel dès les années 1930, aurait inventé le terme de « partitocratie » dès 1949, et il a milité par ses livres et articles journalistiques pour le passage à un scrutin majoritaire. Pour une histoire détaillée de cette polémique « antipartitocratique » des années 1950-1960, voir Salvatore Lupo, Partito e antipartito. Una storia politica della prima Repubblica (1946-1978), Rome : Donzelli, 2004, en particulier p. 91-96 où les liens entre Maranini et le régime fasciste sont explicités.

18

De 1958 à 1976, les deux forces principales, DC et PCI, obtiennent une part cumulée croissante de l’électorat.

19

Ces documents, accompagnés d’une liste de plus de 800 noms d’affiliés, apparaissent lors d’une enquête de la

magistrature des années 1980, et donnent lieu à un immense scandale, dit de la « P2 », avec une commission

d’enquête parlementaire dirigé par la communisteTina Anselmi qui essaiera de faire la lumière sur la nature de

cette organisation. Parmi la vaste littérature sur les souterrains de la vie politique italienne, nous renvoyons ici

simplement à S. Lupo, op.cit., p. 282-288, qui ne peut s’empêcher de constater que, globalement, le scénario

envisagé dans ces documents d’un anti-communisme obsessionnel s’est réalisé. On rappellera ici le fait bien

connu en Italie selon lequel S. Berlusconi a été l’un des membres de la P2, sans y avoir joué cependant un rôle

de quelque importance que ce soit à ce que l’on peut savoir à ce jour.

(6)

Pourtant, parallèlement à cet interdit proprement politique, dans le monde académique, tout particulièrement celui de la science politique, en vient à dominer l’idée que l’Italie est mal gérée en raison même des institutions trop consensuelles dont les constituants de 1947-48 l’ont dotée en raison des conflits idéologiques qui les divisaient. Ces institutions, qui forment une garantie contre toute dictature d’un parti ou d’un homme, favorisent en temps de crise l’immobilisme par vetos croisés ; à l’image des cas britannique, américain, français ou allemand, il faudrait de l’alternance, du renforcement de l’exécutif face au législatif, de la décision en somme. Dans les années 1980

20

, Bettino Craxi, le leader du Parti socialiste italien (PSI) depuis 1976 attache son nom et son image au concept de « décisionnisme », entendu comme capacité à trancher les nœuds gordiens de l’heure pour le plus grand bien du pays. Ce premier Président du Conseil socialiste depuis 1946 se maintiendra au pouvoir entre 1983 et 1987, et renforcera la tendance des gouvernements italiens à gouverner à coups de décrets- lois

21

, afin d’affirmer la prééminence de l’exécutif sur les Chambres. Les caricaturistes le croquent alors en nouveau Duce, mais, de fait, toute l’aventure du « craxisme » repose sur le scrutin proportionnel qui garantit à son parti (qui ne fait pas plus de 15% des voix), son

« pouvoir de coalition », en l’absence de possibilité d’alternance à gauche ou à droite. Cela fait naître chez certains responsables démocrates-chrétiens les plus hostiles à B. Craxi la tentation d’en venir à un scrutin majoritaire pour se débarrasser du chantage socialiste. Au sein même de l’aire intellectuelle socialiste, une tension se fait aussi jour entre ceux qui veulent aller jusqu’au bout de la logique réformiste qui supposerait d’être pour le scrutin majoritaire et la direction du parti et ses serviteurs zélés qui récusent cette option.

L’idée s’installe donc à la fin des années 1980 selon laquelle ce qu’on appelle pas encore la « Première République » doit céder la place à un système partisan « moderne »,

« normal », opposant des coalitions formées avant les élections, menées chacune par un dirigeant connu à l’avance des électeurs, et départagées par un scrutin d’essence majoritaire.

Ceci doit assurer, dans un esprit fort proche de celui du célèbre rapport de la Trilatérale, la

« gouvernabilité » du pays. Gianfranco Pasquino, un politiste plutôt marqué à gauche, sera l’un des grands noms de la science politique italienne qui permettront dans ces années d’acclimater l’idée majoritaire à gauche, tout particulièrement au sein du PCI. Il sera d’ailleurs sénateur de la « Gauche indépendante » élu dans les listes de ce parti. Augusto Barbera, un professeur de droit constitutionnel, lui aussi marqué au centre-gauche, sera l’un des protagonistes des comités qui soutiendront les différents référendums qui seront l’instrument d’action privilégié des « majoritaristes ». La rupture, comme le précise A.

Barbera lui-même, dans une synthèse universitaire publiée en 2003

22

, consiste justement en une remise en cause de la foi « proportionnaliste » au sein même des élites académiques liées aux grands partis de l’après guerre. Il cite ainsi l’historien catholique Piero Scoppola, auteur de la synthèse, La République des partis parue en 1990

23

, G. Pasquino et lui-même parmi ces intellectuels du centre-gauche ou du centre-droit qui ont renouvelé le dogme en la matière, en se ralliant de fait à une « vieille lune » de la droite ! Dans cette aventure commencée de manière discrète en 1987-88 par l’établissement d’un Mouvement pour la Réforme électorale,

20

Rappelons que la France a connu en 1981 une alternance au profit de la gauche socialiste et communiste et qu’en 1982 le PSOE arrive au pouvoir en Espagne. L’expérience de B. Craxi s’inscrit dans ce contexte européen.

21

Un décret-loi est pris en Conseil des Ministres et s’applique dès sa publication au Journal officiel, il doit cependant être converti en loi par un vote des Chambres intervenant dans les soixante jours suivant sa promulgation. Si les Chambres n’ont pas trouvé le temps de le faire dans le délai (ce qui est souvent le cas), le gouvernement peut l’abandonner, ou bien réitérer le même texte, et on repart pour soixante jours.

22

Cf. Augusto Barbera et Andrea Morrone, La Repubblica dei referendum, Bologne : il Mulino, 2003, en particulier chapitre 5, « La stagione antipartitocratica dei referendum », p. 115-169, et chapitre 8,

« L’astensionismo e la crisi dello strumento referendario », p. 209-240.

23

Bologne : il Mulino.

(7)

A. Barbera précise en 2003 : « A l’exception des radicaux, fixés sur un choix présidentialiste pur, à l’américaine, les autres composantes [du front des majoritaristes] avaient en tête le système anglais. Le problème qui rassemblait toutes ces forces était : comment importer le modèle de Westminster en l’absence de système bipartisan ? »

Selon A. Barbera, protagoniste direct de l’aventure majoritariste, ce dernier regroupe alors en ce début des années 1990 : une partie du monde catholique organisé décidé à rompre avec l’impasse de la DC comme parti de l’unité des catholiques ; une partie du PCI décidé à sortir de l’impasse d’une opposition sans espoir d’arriver un jour au pouvoir ; et enfin l’aile libérale, représenté par les radicaux et le groupe de Mario Segni, situé à la droite de la DC. Il faut ajouter un comité promoteur concurrent dirigé par un professeur universitaire socialiste Massimo Severo Giannini, décidé à ne pas laisser le monopole de la réforme à ce front inédit

« catho-communiste ».

Il s’agissait donc au début des années 1990 pour les principaux promoteurs de cette rupture (quelques personnes situées surtout à la droite de la Démocratie Chrétienne[DC] dont Mario Segni qui apparaîtra comme le leader des « référendaires », le Parti radical[PR] de Marco Pannella et Emma Bonino

24

, la majorité du Parti communiste italien[PCI] devenu sous la direction d’Achille Occhetto en 1990 le Parti démocratique de la gauche[PDS]), tout aussi bien d’améliorer les capacités de décision du système politique, que de « rendre le sceptre au peuple

25

» en le retirant à la « partitocratie » au pouvoir (soit la majorité de la DC, le Parti socialiste italien [PSI], et les petits partis « laïques » [Parti républicain italien, PRI ; Parti social démocrate italien, PSDI, Parti libéral italien, PLI], à savoir l’alliance dite du

« pentapartito » qui gouverne le pays depuis 1979). La direction du PDS, ayant abandonné la référence communiste et en soutenant cette initiative marquée à droite, souhaitait créer les conditions de l’alternance en sa faveur. Bien que tous les partisans de la réforme aient été alors pour l’intégration européenne – comme leurs opposants d’ailleurs - et aient cherché par ailleurs à adapter l’Italie à une « norme européenne » de bon gouvernement, le modèle choisi était clairement d’aligner l’Italie sur un modèle exclusivement anglo-saxon (britannique ou nord-américain) de bipolarisation de la vie politique, voire pour certains de bipartisme.

Cependant, seul le PR indique de manière constante sa préférence pour un scrutin majoritaire uninominal à un tour, les autres protagonistes varient plus dans leurs options (par exemple scrutin mixte à l’allemande, scrutin à deux tours à la française) pour arriver à une possibilité d’alternance laissant aux électeurs le choix du leadership du pays.

En pratique, pour contourner l’impossibilité de réunir une majorité parlementaire pour faire adopter la réforme électorale qu’ils souhaitent, les partisans de l’adoption d’un scrutin majoritaire décident d’utiliser l’instrument du référendum abrogatif. En Italie, comme le prévoit la Constitution républicaine depuis 1948 et comme la loi le permet depuis 1970, il est en effet possible d’abroger tout ou partie d’une loi, votée par le Parlement, à travers un vote

24

Le Parti radical, issu du mouvement de jeunesse des libéraux, dirigé par Marco Pannella, depuis les années 1970, représente un rare exemple d’un parti « libéral-libertaire » (libertarien ?), situé clairement très à droite dans les affaires économiques ou politiques (par exemple dans son combat contre les syndicats ou contre les partis de masse) et très à gauche dans les affaires de société: on lui doit indirectement la légalisation du divorce (1974), puis de l’avortement (1981) en Italie ; il est engagé depuis les années 1970 dans un combat pour une « droit-de- l’hommisation » de la justice italienne ou pour la légalisation des « drogues douces », plus récemment pour la légalisation de l’euthanasie et de la libéralisation complète des recherches en matière de biologie humaine. Selon le déroulé de son histoire plutôt filandreuse, les analystes le classent du coup à droite ou à gauche. Pour ce qui nous concerne ici, on rappellera que, dès 1978, le Parti radical tente l’aventure d’un référendum abrogatif pour faire abolir le financement public des partis (établi en 1974 dans la foulée d’un grand scandale de financement occulte des partis de la majorité modérée, dit « scandale Lookheed »). Ce référendum où la campagne du oui, que seuls le PR, le PLI et les néofascistes, soutiennent, se fait « contre la partitocratie », échoue de peu (43,8%

de oui à l’abrogation, soit bien plus que les scores cumulées des trois forces).

25

Pour reprendre le titre d’un livre de Gianfranco Pasquino du début des années 1990.

(8)

populaire. Les trois étapes à surmonter pour ce faire sont : dans un premier temps, il faut rassembler sur la proposition d’abrogation un nombre suffisant de signatures légalisées de citoyens soutenant l’initiative (plus de 500.000), ce qui suppose une organisation nationale de recueil de ces signatures ; il faut ensuite déposer ces signatures à la Cour constitutionnelle qui en vérifie la validité et surtout qui accepte (ou non) la possibilité de la question référendaire : en dehors des interdictions posées par la Constitution (pas d’abrogation d’une loi fiscale ou d’une amnistie par ce biais par exemple), la Cour a posé le principe selon lequel l’abrogation de tout ou partie d’une loi doit permettre, sans intervention parlementaire ultérieure, au droit de continuer à réguler adéquatement la vie du pays, en particulier en matière électorale ; enfin, il faut qu’une majorité de votants disent « oui » à l’abrogation, et surtout qu’une majorité d’électeurs se soient rendus aux urnes pour s’exprimer, en effet, le vote abrogatif n’est valable qu’en présence d’un quorum de 50%+1 d’électeurs inscrits.

Les « référendaires » - c’est sous ce nom que l’entreprise collective de modification des règles de la concurrence politique – commencent leur aventure dès la fin des années 1980, et réussissent un coup de maître en juin 1991. Parmi leurs trois propositions de référendum pour modifier le mode de scrutin

26

, la Cour constitutionnelle en considère comme valable une seule et unique ; anodine en apparence, elle porte sur l’abrogation des « préférences multiples ». Dans le scrutin proportionnel de liste en vigueur, les électeurs italiens peuvent exprimer trois ou quatre préférences en votant pour un parti ; ces préférences qu’on écrit à la main sur le bulletin de vote à côté de la croix faite sur le symbole du parti choisi permettent de modifier l’ordre de la liste proposée par le parti. Or ce mécanisme est utilisé par des leaders de clientèles pour additionner leurs forces et pour truster les places éligibles. Pour les élections de 1987, la magistrature italienne a pu démontrer sur la circonscription Naples- Caserte comment le mécanisme fonctionne en pratique par achats de voix et accumulation des votes de clientèles sur quelques noms. Les « référendaires » proposent d’en venir partout à la

« préférence unique » qui empêchera ces « cordées » entre clientèles alliées pour conquérir les places éligibles.

Le référendum de juin 1991, entièrement joué au nom de la lutte contre la

« partitocratie », représente un succès aussi énorme qu’inattendu : les 9 et 10 juin 1991, 62,5% des inscrits se rendent aux urnes, et, parmi eux 95,6% expriment un soutien à l’abrogation. On se trouve alors à l’orée de la crise politique majeure connue sous le nom de

« Mains propres »

27

. Deux ans plus tard, les « référendaires » ont encore élargi leur assise populaire au fil des événements : la Cour constitutionnelle a accepté huit référendums abrogatifs, dont deux portent directement sur les conditions de la concurrence politique. Un référendum demande l’abrogation du financement public des partis, un autre la modification du mode d’élection du Sénat

28

. Les 18 et 19 avril 1993, les votants sont 77% des inscrits, et ils votent à 90% pour abolir le financement public des partis et à 82,7% pour modifier le mode

26

Comme il a été dit en note plus haut, nous ne traiterons pas des aspects locaux : les « référendaires » proposent aussi une réforme du mode de scrutin local, proportionnel lui aussi. Ils ont rapidement gain de cause, le

Parlement vote d’abord une modification du mode de scrutin municipal : dès 1993, les élections municipales des communes importantes se déroulent avec un scrutin majoritaire à deux tours, mettant en avant la personnalité du candidat à la charge de maire de chaque camp en présence. Le même mécanisme est étendu ensuite aux

provinces et régions. Ces réformes des modes de scrutin locaux sont unanimement appréciés, et de fait, le mode de scrutin adopté en 2005 pour les deux Chambres ressemble à une version adaptée de ces derniers. Le thème du

«sindaco d’Italie » (maire d’Italie) traverse d’ailleurs de temps en temps l’actualité.

27

Cf. la somme sur ce point d’Hervé Rayner, Les scandales politiques. L’opération « Mains propres » en Italie, Paris : Michel Houdiard Editeur, 2005.

28

Comme la Constitution prévoit un bicaméralisme parfait, modifier les règles de l’élection d’une Chambre

oblige à modifier celle de l’autre, sauf à risquer d’avoir des résultats politiques divergents et de ne pas pouvoir

former de gouvernement. La Cour constitutionnelle a accepté la proposition d’abrogation dans un contexte où il

était certain que les modes de scrutin des deux Chambres seraient modifiés en cas de victoire (prévisible) du oui.

(9)

d’élection du Sénat. Ces référendums, dont la date est éminemment symbolique (puisque les grandes élections d’après guerre ont eu lieu le 18 avril 1948), semblent fonctionner comme une onction populaire à la fin de la « Première République ». Les partis de la majorité modérée en pleine décomposition, suite aux scandales « Mains Propres », ne sont plus en mesure de prendre publiquement position ; les « référendaires » s’affrontent dès lors aux seuls petits partis, qui ont peur de perdre leur représentation parlementaire à la suite de l’adoption d’un scrutin majoritaire. Il s’agit de l’aile gauche de l’ex-PCI, qui s’est regroupé avec les trotskystes italiens, pour former en 1990 le Parti de la refondation communiste (PRC), et du néo-fasciste, Mouvement social italien (MSI). Ce dernier, pourtant depuis longtemps tenté par un tournant majoritaire à la manière de la « République gaullienne », n’a pas encore trouvé l’allié qu’il trouvera à l’automne 1993 en la personne de Silvio Berlusconi.

La victoire des « référendaires » est toutefois gâché par deux éléments : la personnalité la plus en vue, qui préside le comité d’initiative référendaire, Mario Segni, le fils d’un ancien Président de la République italienne, Antonio Segni, héritier d’une famille sarde liée à l’aventure du Parti Populaire Italien (PPI) des années 1920, très marqué donc à droite du parti de l’unité des catholiques en politique, n’est pas en mesure de l’emporter au sein de la DC, pourtant en pleine décomposition ; prenant prétexte de l’inculpation de Giulio Andreotti

29

pour collusion avec la mafia, il la quitte au printemps 1993 pour fonder son propre parti, le

« Pacte pour la Réforme ». Plus généralement, les « référendaires » ne sont pas majoritaires, loin de là, dans le Parlement, élu au printemps 1992

30

: or la modification de la loi électorale dépend de ce même Parlement, où dominent les élus des futurs « anciens partis de gouvernement ». Le référendum sur le Sénat consistait à abroger le seuil de 65% qui était demandé pour déclencher l’élection au système majoritaire. En effet, le mode du scrutin du Sénat était proportionnel dans un cadre régional pour toutes les circonscriptions dans lequel un candidat n’avait pas obtenu 65% des voix – ce qui, en pratique, revenait à un scrutin proportionnel appuyé sur des circonscriptions uninominales.

Le mode de scrutin, adopté par ce qu’on appellera au même moment le « Parlement des inculpés » tant y sont nombreux les élus ayant mal à partir avec la justice, est connu sous le nom de « Mattarellum », mot-valise dépréciatif, créé par le politiste Giovanni Sartori, à partir du nom de son promoteur Sergio Mattarella, un député démocrate-chrétien, et du

« parabellum ».

Ce mode de scrutin peut être décrit comme un « scrutin mixte ». Il reste comme auparavant un scrutin à un tour. Pour la Chambre des députés, l’Italie est divisée en 472 collèges uninominaux, qui élisent 75% des députés à la majorité simple ; les 25% de députés restants, soit 158, sont élus avec un scrutin de liste, dans de larges circonscriptions comme auparavant ; une barre de 4% des votes valides au niveau national est introduite, elle doit être dépassée pour qu’un parti ait droit à participer à la répartition proportionnelle des sièges.

Cette clause est contrebalancée par la règle du « scorporo », qui enlève aux grands partis des sièges : quant un parti a déjà gagné des sièges via le scrutin uninominal, il perd une part de ses voix en faveur de ses listes lui permettant de participer à la répartition des sièges attribués à la proportionnelle, ceci de façon à favoriser les perdants du vote uninominal. Cette règle du

« scorporo », en raison d’une erreur de rédaction de la loi électorale, sera de fait vidée de tout

29

Cf. sur l’interminable affaire Andreotti, Jean-Louis Briquet, Mafia, justice et politique. L’affaire Andreotti dans la crise de la République (1992-2004), Paris : Karthala, 2007.

30

Ils avaient essayé de présenter des candidats «référendaires » dans les listes des partis ou de présenter leur propre liste, les deux initiatives n’ont pas rencontré un grand succès ; de plus, paradoxalement, l’instauration de la préférence unique aux élections politiques de 1992, ajouté aux pertes de suffrages des partis du

« pentapartito », font que vont être élus en masse des députés liés à des clientèles, les personnes mêmes que la

justice inculpera ensuite parce qu’ils sont les plus directement impliqués dans le « sotto-governo » italien de ces

années-là.

(10)

son sens par des tricheries légales au point de ne plus avoir d’incidence sur la répartition des sièges aux élections de 2001

31

.

Le scrutin du Sénat reprend le même schéma (75% de sièges majoritaires soit 238, 25% de sièges proportionnels soit 77), mais sur une base régionale. Le « scorporo » là encore existe pour affaiblir le poids des partis ayant déjà gagné des sièges au scrutin uninominal, et les élus proportionnels, ainsi calculés pour chaque parti, sont pris parmi les meilleurs perdants des collèges uninominaux de la région.

Cette réforme électorale va produire, comme le voulaient les « référendaires », des alternances

32

: victoire de la double coalition – « Pôle de la liberté » au nord et « Pôle du bon gouvernement » au sud- rassemblée autour de S. Berlusconi en 1994, victoire de la coalition de « l’Olivier » en 1996 sous la direction de Romano Prodi, et enfin revanche de S.

Berlusconi à la tête de la « Maison de la liberté » en 2001. En revanche, ce mode de scrutin mixte, loin de réduire la fragmentation partisane au sein du Parlement, tend à la renforcer. En effet, pour gagner l’élection dans ce cadre, il faut rassembler le plus largement possible son

« camp », les petits et moyens partis en profitent alors pour imposer leur survie parlementaire au-delà de ce que supposerait leur soutien réel dans l’électorat et la logique majoritaire tendant au bipartisme. On assiste donc à la veille de chaque élection à un jeu où chaque petit ou moyen parti recherche l’alliance la plus profitable, et, une fois élus grâce à leur participation à l’une ou l’autre coalition, les représentants des petits partis reprennent leur indépendance, et l’on se retrouve dans un jeu parlementaire des plus classique pour l’Italie.

En décembre 1994, S. Berlusconi est ainsi victime de la défection de la moitié des élus de la Ligue du Nord d’Umberto Bossi, qu’il avait contribué à faire élire en grand nombre au printemps 1994; en 1998, Romano Prodi voit son gouvernement mis en minorité par la majorité des élus du PRC, qui avaient pourtant profité de la dynamique de « l’Olivier » en 1996, et, de fait, le centre-gauche ne se maintient au pouvoir en 1998-2001 que, par la grâce d’un jeu d’ouverture parlementaire à des élus du centre-droit de 1996. Les politistes et journalistes italiens ressortent des placards le vieux terme de « transformisme » pour désigner ces combinaisons parlementaires ressemblant à s’y méprendre au parlementarisme du Royaume d’Italie d’avant 1922.

Face à l’incapacité du Parlement à réformer le mode de scrutin

33

, les « référendaires » reviennent alors sur le devant de la scène en proposant encore une fois un référendum abrogatif. Le 18 avril 1999, les Italiens sont appelés à voter sur l’abolition des 25% de proportionnelle du « Matarellum ». L’idée serait que les 25% de sièges proportionnels iraient désormais aux meilleurs battus du scrutin uninominal de chaque grande circonscription à la Chambre ou région au Sénat ; cela revient donc à avantager fortement les grands partis. 91,5%

des votants s’expriment pour l’abrogation, mais le quorum est manqué de 0,4%, seuls 49,6%

des inscrits se sont rendu aux urnes

34

. Bien que les « référendaires » aient réussi à regrouper comme en 1991 et en 1993 des forces identifiables à la droite et à la gauche, ils n’ont pas eu

31

Aux élections politiques de 2001, le vainqueur de centre-droit, du fait des candidatures multiples, et du succès de son contournement du « scorporo », aura gagné plus de sièges qu’il n’aura de candidats pour les occuper…

Cette situation obligeait dès lors à faire une réforme « technique » de la loi électorale adoptée en 1993.

32

Comme le remarqueront tous les analystes, celles-ci sont moins dues au mode de scrutin en lui-même, qu’aux stratégies d’alliance de chaque camp en présence. La victoire de l’Olivier en 1996, minoritaire en voix, ne tient ainsi qu’à la division du camp majoritaire de 1994, avec une dissidence de la Ligue du Nord au nord du Pô et une dissidence des néofascistes au sud de Rome.

33

La réforme du mode de scrutin devait faire partie d’un ensemble de réformes institutionnelles discutées en 1997-98 par une autre Commission bicamérale pour les réformes, dirigée par Massimo d’Alema, l’un des leaders du PDS. Les « référendaires » ont eu beau jeu de constater que majorité et oppositions n’arrivaient à rien par cette voie, et leur relance de l’instrument référendaire correspond à cette impasse générale où, comme Godot, la

« grande réforme », qu’on attend depuis 1985 au moins, n’arrive pas.

(11)

l’appui réel des grands partis, qui craignaient de rompre avec leurs petits alliés hostiles à la fin complète de la proportionnelle. Gianfranco Fini, le leader d’Alliance nationale (AN), et Antonio Di Pietro, l’ancien juge anti-corruption de l’affaire « Mains propres », qui vient de créer son parti, « Italie des valeurs » (IdV), sont les seules personnalités qui se sont mises en avant pour défendre la cause « référendaire », en dehors des désormais habituels et politiquement déclinants Segni, Occhetto et Pannella.

Profitant du fait qu’il n’y a pas eu rejet de leur question, mais absence de quorum, les

« référendaires » retentent leur chance, en 2000 lors d’une autre série de référendums, sur la même question d’une abrogation de la part proportionnelle du scrutin de la Chambre des députés. L’échec est encore plus net : 32,4% des votants seulement, mais encore 82% de oui.

Le modèle majoritaire, ainsi que ses promoteurs les plus fervents (Antonio Segni que suit un parti personnel de plus en plus fantomatique et qui ne représente sans doute rien dans l’opinion publique, Achille Occhetto qui n’est plus qu’un ex-leader de la gauche post- communiste, et Marco Pannella comme leader historique du PR), semble ainsi se perdre un temps dans les brumes d’un multipartisme renouvelé à la fin des années 1990 et ne plus jouir que d’un faible soutien populaire. Il est vrai que les Italiens ont peut-être pu mesurer l’inefficacité de l’instrument référendaire, tant les parlementaires se sont empressés de ne pas respecter l’avis du peuple souverain, et qu’ils ne peuvent donc plus y croire

35

.

L’idée majoritaire semblait même devoir succomber en 2006 sous le coup de l’introduction d’un nouveau mode de scrutin – pourtant a priori temporaire tant il parut mal bâti aux commentateurs

36

- fondé sur un scrutin de listes bloquées

37

. Face à la forte probabilité d’une défaite aux élections de 2006, la droite au pouvoir vota in extremis de la législature et en un temps record la loi 270/2005, dite « loi Calderoli ». Il s’agissait de combler son déficit de compétitivité dans la part majoritaire du scrutin qui avait été constaté en 1996 et en 2001.

Les électorats de centre-droit et de droite (coalition de S. Berlusconi) semblent en effet avoir une plus grande fidélité à un parti particulier, qu’à la coalition en elle-même, et les électorats de centre-gauche et de gauche (coalition anti-S. Berlusconi) semblent eux plus loyaux à la coalition. L’idée était donc de faire sorte que les Italiens (de droite et de centre-droit) puissent de nouveau voter pour leur parti préféré sans trop se soucier de l’alliance dans lequel ce parti doit opérer. En pratique, un électeur de droite, un peu insatisfait tout de même du gouvernement Berlusconi et de la personne de Berlusconi

38

, va pouvoir voter en toute bonne conscience identitaire pour un des partis de droite alliés à S. Berlusconi. Inversement, un électeur de centre-gauche, peu satisfait des performances des différents partis de la coalition de l’Olivier, sera obligé de choisir l’un d’entre eux. Pour élire la Chambre des députés, les Italiens sont invités à voter pour des listes bloquées, opérant dans le cadre de 26 vastes

34

Cet échec sur le fil du rasoir est d’autant plus intriguant que les listes électorales, donc le nombre des inscrits, ne sont pas réputées pour être particulièrement à jour en Italie.

35

Le cas le plus emblématique pour ce qui nous concerne ici – les règles de la concurrence politique – n’est autre que le financement public des partis. Les Italiens ont voté massivement pour son abrogation en 1993, mais, de fait, en changeant de motif (financement des campagnes électorales), il a été maintenu et amplifié par les parlementaires. Cette augmentation des privilèges des entrepreneurs sur le marché politique débouche en 2006- 2007 sur une crise d’antiparlementarisme, avec le succès extraordinaire du livre, de Gian Antonio Stella et Carlo Rizzi, La Casta. Come i politici itliani sono diventati intoccabili, Milan : Rizzoli, 2007.

36

Son propre concepteur officiel, le ministre de la Réforme institutionnelle, Roberto Calderoli, parle de

« porcherie » à son sujet, d’où son nom en jargon, le « porcellum ».

37

Il supprime les mandats uninominaux directs dans la plus grande partie de l’Italie – sauf la Vallée d’Aoste et le Trentin-Haut-Adige.

38

Comme ne le cessent de le montrer les enquêtes d’opinion depuis 2001, la personnalité de S. Berlusconi est

très loin de faire l’unanimité au sein même de l’électorat des partis qu’il fédère. Il existe certes un noyau de

fidèles, essentiellement les électeurs de Forza Italia, mais il existe aussi un électeur de droite ou du centre-droit,

critique du personnage. Le mode de scrutin choisit en 2005 semble bien tenir compte de cette équation.

(12)

circonscriptions, en faisant une croix sur le symbole de leur parti préféré sans aucune expression de préférence possible.

La loi 270/2005 introduit surtout une nouveauté, à savoir un apparentement entre listes donnant droit à une prime de majorité. Ce type de mode de scrutin est utilisé en Italie depuis le début des années 1990 pour les modes de scrutin locaux sans que personne n’y trouve à redire, mais, utilisé au niveau national, cela ne peut que rappeler la « loi Acerbo » de 1924 ou la « legge-truffa » de 1953. Avant le vote, les partis peuvent en effet s’apparenter : pour ce faire, ils déposent au Ministère de l’Intérieur un programme partagé, et déclarent officiellement soutenir un candidat commun à la Présidence du Conseil. Pour l’attribution de la prime, il existe pour la Chambre des députés un collège unique « Italie »

39

: la coalition arrivée en tête se voit attribué autour de 55% des sièges de la Chambre (soit 340 sur 630), si elle ne les a pas déjà emporté par une simple application de la proportionnelle. La même prime de majorité (55% des sièges) est prévue au niveau de chaque région

40

. Un parti se lançant seul dans la compétition doit atteindre 4% des voix au niveau national pour avoir un élu à la Chambre, une coalition (ensemble de listes apparentées) doit avoir 10% des voix et une de ses listes au dessus de 2% pour être représentée. Des seuils de barrage plus élevés sont prévus pour le Sénat (8% pour une liste seule, 20% pour une coalition, 3% pour une liste au sein d’une coalition). Inversement, pour favoriser le rassemblement, surtout à la Chambre des députés, on permet à des listes ayant eu seulement 2% des voix d’avoir des élus si elles opèrent dans une coalition, et on prévoit même d’ouvrir cette possibilité au meilleur perdant coalisé se trouvant à moins de 2% dans chaque coalition. La répartition finale des sièges entre listes et circonscriptions se fait selon plusieurs mécanismes proportionnels au sein des 55%

des sièges attribués à la majorité et au sein des un peu moins de 45% attribués aux oppositions

41

.

Pour compliquer encore le tout, le législateur de 2005, respectant une récente réforme constitutionnelle, en a profité pour donner une représentation au Parlement italien aux Italiens de l’étranger. Ils peuvent ainsi élire pour la première fois leurs représentants dans les deux Chambres, à travers un scrutin proportionnel dans de vastes circonscriptions continentales.

Pour les commentateurs, ce nouveau mode de scrutin semble surtout destiné à provoquer sciemment un blocage institutionnel : en effet, comme les primes de majorité sont attribués au niveau régional pour le Sénat, comme y oblige la Constitution, et que le nombre de régions où dominent respectivement le centre-droit et le centre-gauche semble a priori équilibré, il apparaît fort probable que le Sénat exprimera une majorité très étroite pour l’un des deux camps. On prétend alors que S. Berlusconi fait ainsi le pari de bloquer les institutions pour obtenir un gouvernement d’unité nationale.

Les élections politiques de 2006 semblent confirmer les pires craintes des

« majoritaristes » d’une fragmentation à l’infini des forces politiques. En effet, à la Chambre des députés, les deux coalitions, celle de centre-gauche, dite de « l’Union », menée par Romano Prodi et celle, dite de la « Maison de la Liberté », dirigée par Silvio Berlusconi, se présentent comme des immenses attelages rassemblant toutes les forces politiques un tant soit peu significatives

42

. Des listes ainsi apparentées recueilleront pour certaines d’entre elles

39

Ce collège unique Italie ne comprend pas les votes des Italiens de l’étranger, ni ceux des électeurs de la Vallées d’Aoste, mais prend en compte ceux du Trentin Haut-Adige. Tous les électeurs italiens n’ont donc pas un rôle dans l’attribution de cette prime de majorité – l’une des bizarreries de cette loi pour le moins baroque.

40

Avec des exceptions pour la Vallée d’Aoste (1 siège, majoritaire simple), le Molise (proportionnelle sur deux sièges…) et le Trentin Haut-Adige (6 sièges au majoritaire simple, et 1 de récupération proportionnelle)

41

Les proportions indiquées sont légèrement inexactes en raison des cas des régions Vallée d’Aoste, Trentin Haut-Adige, et des élus des Italiens de l’étranger.

42

Nous ne donnons pas dans notre tableau, permettant de prendre connaissance des élections européennes de

2009, les résultats des élections politiques de 2006, largement parce que nous n’avons pas réussi à représenter

(13)

moins de 50.000 voix à l’échelle de la circonscription « Italie ». A y regarder de prés, les deux coalitions rassemblent droite, centre et gauche, nouveaux et anciens partis, consommateurs et retraités organisés, autonomistes de toute obédiences ; un minimum de cohérence est certes respecté : il n’y a pas de néofascistes dans l’alliance du centre-gauche et de néo-communistes dans celle du centre-droit, mais c’est là la seule impossibilité. Le centre-droit échoue à 22.000 voix seulement du score du centre-gauche pour ce qui concerne la prime de majorité de la Chambre des députés. Le centre-gauche obtient donc une majorité à la Chambre des députés ; au Sénat, on aboutit à une quasi-parité entre les coalitions avec une avance de trois sièges pour le centre-gauche, et la marge de sécurité de la majorité de centre-gauche ne repose que sur les « sénateurs à vie ».

Comme on le sait sans doute, la coalition de centre-gauche, qui va idéologiquement des néo-communistes à des post-démocrates chrétiens marqués à droite

43

, s’avère des plus instable. L’agonie du gouvernement Prodi II, qui avait commencé le jour de son investiture tant les équilibres parlementaires du Sénat étaient fragiles, finit avec les inévitables élections politiques anticipées de 2008. Celles-ci sont rejouées avec ce même mode de scrutin, mais produisent des résultats très différents de ceux de 2006.

Les stratégies adoptées dans les deux camps tendent en effet à simplifier radicalement le paysage politique.

En effet, dans les deux camps en présence, une fusion des forces principales dans des grands partis à vocation hégémonique (sinon majoritaire) s’est opérée, d’une part, au centre- gauche, au profit du « Parti démocratique » (PD), et, d’autre part, au centre-droit, à celui du

« Peuple de la Liberté » (PDL).

Le PD constitue le fruit de la fusion entre les post-communistes des « Démocrates de gauche » (DS, ex-PDS, issu de l’ex-majorité du PCI) et les post-démocrates chrétiens de la

« Marguerite », aussi appelé « Démocratie est Liberté » (DL) (majoritairement des ex-Parti populaire italien [PPI] des années 1990, ex-aile gauche de la DC). Face à la crise du gouvernement de Romano Prodi, les dirigeants des deux partis accélèrent leur fusion envisagé en fait depuis 2004

44

; des primaires populaires sont organisés qui désignent Walter Veltroni, alors maire de Rome, et dirigeant historique des DS, comme leader du nouveau parti. Face aux élections anticipées, ce dernier et le groupe dirigeant qu’il représente décident de couper tous les ponts avec les alliés de gauche de l’ex-« Union » de 2006. Le PD se présente donc en coalition seulement avec « l’Italie des valeurs » (IdV), dirigé par Antonio Di Pietro. Il incorpore dans ses propres listes quelques candidats du Parti radical.

Le PDL est la réponse de S. Berlusconi à la création du PD. A l’automne 2007, son leadership est fortement contesté par ses alliés de l’Union du centre (UDC), dirigée par Pierferdinando Casini, et de l’Alliance nationale (AN), dirigé par Gianfranco Fini. S.

Berlusconi prend ses alliés par surprise

45

lorsqu’il annonce, inconfortablement installé sur le marchepied de sa voiture (d’où le nom de « discorso del predellino » attribué à l’événement) lors d’un meeting spontané ( ?) sur la place San Babila, à Milan, haut lieu symbolique des réunions de la droite depuis 1946, qu’il dissolvait son propre parti, FI, et appelait à la création du parti unique de la droite, le « Peuple de la Liberté ». La petite foule réunie sur la place lui

sur une seule page lisible l’ensemble de ces petites listes.

43

A savoir le parti de Clemente Mastella, l’UDEUR, Ministre de la Justice, qui finira par être celui qui

provoquera la chute de la majorité de R. Prodi, suite à une algarade avec Antonio Di Pietro, lui aussi ministre de ce gouvernement Prodi II. C. Mastella a été un des ralliés à S. Berlusconi dès 1994, avant d’osciller entre les deux coalitions. Il est devenu député européen en 2009 pour le PDL…

44

Aux élections européennes de 2004, les deux partis font liste commune sous le nom d’ « Unis dans l’Olivier ».

Il faut attendre la situation désespérée du gouvernement Prodi en 2007 pour que le processus s’accélère, mais, d’après ce qui a pu filtrer au printemps 2009, du point de vue organisationnel et financier, à la base, rien n’est vraiment réglé.

45

En fait, S. Berlusconi et son entourage encourageaient depuis plusieurs mois des initiatives visant à créer un

mouvement politique, sorte de Forza Italia-bis encore plus dévoué au chef, que FI lui-même.

(14)

fait un triomphe. S’avalisant ainsi de la légitimité que lui confère le « peuple de la liberté », qui, à l’occasion, a montré l’affection qu’il porte au leader, il contraint ses alliés à le suivre.

La création du PDL permet la fusion, réalisée officiellement seulement au printemps 2009, de Forza Italia (FI), d’AN et de toute une série de forces politiques sponsorisées au fil des années par S. Berlusconi pour occuper un segment du marché électoral à droite, au centre ou même à gauche. L’UDC dans sa majorité reste fidèle à son leader, et quitte du coup la coalition berlusconienne. La Ligue du Nord refuse elle toute idée de fusion au nom de son identité, et se retrouve le seul parti dont la liste

46

est coalisée avec celle du PDL.

Cette double stratégie de simplification mène à une nette victoire de la droite (plutôt que du centre-droit, puisque la composante centriste a disparu ou presque de l’alliance berlusconienne). Surtout les résultats électoraux ont pour la première fois depuis 1948 exclu de l’arène parlementaire nationale toutes les forces se référant directement au communisme, au socialisme et au néofascisme. Les écologistes ont sombré eux aussi. Aucune de ces forces, seule ou coalisée, n’a réussi à dépasser le seuil de 4% au niveau national ou de 8% au niveau régional nécessaire pour gagner des élus à la Chambre ou au Sénat. L’aire néo-communiste et écologiste, qui s’était regroupée sous le nom de « Gauche Arc-en-Ciel », s’écroule littéralement par rapport aux élections de 2006, subissant le poids de sa participation au gouvernement Prodi II. La tentative des « socialistes » d’exister seuls tourne court. Le revival néofasciste de « la Droite » de Francesco Storace et Daniala Santanché échoue à entrer au Parlement. Rappelons toutefois que, ni le PD ni le PDL n’ont eu des résultats qui marquent une nette plus value électorale à l’unification des forces. En revanche, leurs alliés respectifs, la LN à droite et l’IdV à gauche, connaissent des percées spectaculaires : ces partis populistes

« de loi et d’ordre » chacun dans leur style semblent bien correspondre à l’état d’esprit révolté, « antipolitique », d’une partie de l’électorat. Au total, comme on a pu le dire parmi les partisans des vainqueurs, le XX

e

siècle était (enfin ?) fini en Italie. Seul l’UDC, héritier de la démocratie-chrétienne, seul non coalisé à survivre à l’épreuve du « porcellum » version 2008, semble incarner une continuité.

Cependant, à la suite des élections de 2006, les « référendaires », étaient très insatisfaits du « porcellum ». Malgré la prime majoritaire, il leur paraît comme un retour à un scrutin essentiellement proportionnel (ou une étape vers un retour à terme au mode de scrutin d’avant 1993). Ils ont donc relancé leur offensive, sous la direction d’un autre professeur de droit constitutionnel, Giovanni Guzetta, qui avait déjà été l’un des concepteurs juridiques des propositions référendaires précédentes

47

. Ils recueillent de nouveau des signatures en 2007, plus de 800.000 cette fois-ci. Pour obliger les parlementaires à une réforme électorale majoritaire, ils ont eu l’idée entre autres de proposer l’abrogation dans la loi de 2005 de la clause qui réserve à une coalition la prime de majorité. En suivant leur proposition principale, la liste arrivée en tête dans la circoncription « Italie » ou dans une région, et non plus la coalition de listes, aurait bénéficié de la prime. Leur proposition ôte tout intérêt pour un grand parti à se coaliser avec d’autres listes, et tend logiquement à ouvrir la voie à un bipartisme ou tout au moins à des « listone » (super-listes). Il s’agit aussi pour eux de supprimer la possibilité de candidatures multiples. La Cour constitutionnelle admet les propositions d’abrogation des « référendaires » ; en raison du délai induit par les élections anticipées de 2008, celles-ci sont portés devant les électeurs le 21-22 juin 2009, et connaissent un échec retentissant : moins d’un quart des électeurs (23,5%) se rendent aux urnes, et ils ne disent oui à leur proposition principale d’abrogation qu’à 77%.

46

De fait, la liste de la Ligue du Nord est partagée avec le « Mouvement pour l’Autonomie » (MpA) de Raffaele Lombardo, qui opère depuis la Sicile. Pour la première fois de son histoire, la Ligue du Nord semble avoir trouvé un allié de quelque consistance au sud du pays.

47

Pour avoir une idée du discours tenu par S. Guzzetta, voir son livre de vulgarisation de la cause référendaire,

Italia ultima chiamata. Storie di elettori traditi, promesse mancate e riforme possibili, Milan : Rizzoli, 2008.

(15)

Cette forte abstention a été aidée par le choix du gouvernement de S. Berlusconi de ne pas regrouper ce vote avec l’élection européenne et le premier tour des élections locales tenues ensemble au début du même mois (les 6-7 juin 2009). La Ligue du Nord en a fait une question de principe, mettant en jeu sa participation au gouvernement; Gianfranco Fini, qui n’est plus que Président de la Chambre des députés, et ne contrôle plus son parti qui a disparu dans le PDL, n’a pas pu faire grand-chose pour inciter au vote. S. Berlusconi, après avoir déclaré avant le résultat des Européennes qu’il aurait tort de se priver d’inciter à cette réforme qui avantagerait le PDL, a renoncé à tout soutien au référendum le lendemain même des élections européennes : en effet, une fois connue la percée de la Ligue du Nord à ces élections (plus de 10% des voix), il n’était plus du tout question de fâcher cet allié se confirmant le

« parti de lutte et de gouvernement » qu’il avait toujours voulu être. Finalement, seul le PD

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fit faiblement entendre sa voix en faveur de cet étrange référendum, qui, s’il mobilisait encore les habituels universitaires (G. Pasquino, A. Barbera) et un Gianfranco Fini, plutôt isolé, semblait arriver à contretemps de l’équilibre entre partis « nouveaux » que semblait avoir établi le « porcellum » dans sa version de 2008 et qui venait d’être confirmé quelques jours auparavant aux Européennes, comme on le verra au point II de ce texte.

Au total, la transition de la « Première République » à la « Seconde République » en matière de règles de la concurrence politique semble ainsi aboutir à cet étrange mode de scrutin qu’est le « porcellum ». Le citoyen y est invité à exprimer sa préférence pour un parti en votant sur son symbole comme entre 1946 et 1992, sans trop s’intéresser à la personne même du député ou du sénateur, les secrétariats des partis s’en occupant pour lui, tout en y ajoutant une prime de majorité pour les partis coalisés, dont il est difficile dans le contexte italien de ne pas voir la forte filiation fasciste, tout en reconnaissant aussi sa filiation locale.

Comme on l’aura déjà constaté, cette histoire toute italienne de réformes électorales de plus en plus byzantines n’a pas grand-chose à voir avec l’Europe entendue comme Union européenne.

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Antonio Di Pietro appelle à se rendre aux urnes, mais il demande de voter non, tout comme les radicaux.

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II. Les élections européennes de 2009, ou « Game over » pour les petits partis historiques.

Les élections européennes de juin 2009 auraient pu représenter pour les petits partis représentant de grandes traditions historiques – socialistes, néo-communistes, écologistes, néofascistes – exclus du Parlement italien par l’interaction entre le « porcellum » et les stratégies spéculaires suivies par le PD et le PDL lors des élections politiques anticipées de 2008, une occasion de reconquérir audience électorale et postes électifs des plus rémunérateurs

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. Il n’en a rien été, et ces élections européennes, qui pourtant avaient tant avantagé la survie ou l’émergence de petits partis depuis 1979, ont été comme les premiers clous sur leur cercueil.

En premier lieu, le PD et le PDL ont saisi l’occasion pour réformer le mode de scrutin en défaveur des petits partis.

Pour la première fois depuis 1979, la règle électorale a en effet changé. La loi électorale 18/1979 du 24 janvier 1979 consacrait, comme il a été dit plus haut, l’une des règles majeures de la « Première République » (1946-1992), à savoir la presque parfaite proportionnalité de la représentation des forces politiques dans les enceintes parlementaires avec leur audience dans l’électorat. L’Italie avait certes été divisée pour l’occasion en cinq circonscriptions comprenant plusieurs régions, et, pour chacune d’elle, les partis devaient y présenter une liste de candidats

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, mais la répartition ultime des sièges lors de ce scrutin de liste par grandes circonscriptions reposait sur une totalisation nationale des voix de chaque parti avec une répartition proportionnelle au plus fort reste favorisant les petits partis. En pratique, un parti pouvait espérer un élu avec moins de 1% des votes valides. La loi 10/2009 du 20 février 2009 bouleverse cet équilibre : pour participer à la répartition nationale des sièges, les listes d’un parti doivent avoir recueilli au minimum 4% des votes valides. Ce couperet à 4% reprend celui adopté dès 1993 lors de la réforme du mode de scrutin pour les élections de la Chambre des députés, en ce qui concerne alors la répartition des 25% des sièges assignés à la proportionnelle. Ce même seuil de 4%, comme il a été dit plus haut, a été conservé lors de la réforme électorale de 2005, « loi Calderoli », pour une liste non coalisée pour la Chambre des députés.

A droite, la décision d’imposer ce seuil de 4%

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ne fut pas très difficile à prendre, à la fois pour des raisons tactiques et pour des motifs idéologiques : tactiquement, comme on l’a rappelé plus haut, S. Berlusconi est engagé depuis l’automne 2007 dans la structuration d’un grand parti unique des droites, le PDL. Cette opération vise à faire place nette en les absorbant dans le PDL de tous les petits partis, dont la création ou la survie avaient souvent été encouragées à l’instigation de S. Berlusconi lui-même depuis 2000 pour occuper un segment de l’espace électoral. A cette visée tactique, s’ajoute l’engagement de longue date du personnel dirigeant d’AN en faveur du scrutin majoritaire : G. Fini fait ; comme on l’a dit, partie des soutiens aux trois référendums abrogatifs « majoritaristes » programmés pour les

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Rappelons que les eurodéputés italiens sont traditionnellement les mieux payés de tous (plus de 10.000 euros par mois), sans compter tous les avantages en terme financiers et organisationnels qu’un tel poste suppose pour un tout petit parti. La LN a financé son expansion organisationnelle en 1989-1991 grâce à l’argent que ses députés européens lui apportaient. Plus généralement, les petits partis avaient souvent leur leader comme leur député européen, ce qui permettait de financer le « vivre (bien) de la politique » de ce dernier et accessoirement de leur garantir une bien utile immunité parlementaire. La présence de ces mêmes leaders de partis nationaux italiens au sein de la délégation au Parlement européen expliquait largement l’absentéisme remarquable des députés européens italiens. Lors de la présente législature européenne, les députés italiens vont rentrer dans le lot commun.

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Les électeurs pouvaient exprimer des préférences, et changer l’ordre de la liste.

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Lors des premières discussions de la loi électorale pour les Européennes, un seuil plus élevé de 5% avait été

proposé par la majorité, l’opposition aurait elle préféré 3%, 4% est à la fois un compromis, et se trouve être la

même norme que dans le « matarellum » et le « porcellum ».

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