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Quand les Russes découvrent les eaux : un exemple de transferts culturels dans l’Europe des XVIIIe – XIXesiècles

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Quand les Russes découvrent les eaux : un exemple de transferts culturels dans l’Europe des XVIIIe –

XIXesiècles

Antoine Nivière

To cite this version:

Antoine Nivière. Quand les Russes découvrent les eaux : un exemple de transferts culturels dans l’Europe des XVIIIe – XIXesiècles. Culture des villes d’eau, CERCLE - EA 4372, 2008, Nancy, France. pp.53-59. �hal-02088130�

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Il n’existait pas de terme dans le vocabulaire russe pour désigner la ville d’eau avant la fin du XIXe siècle. Le mot actuel « kurort » est un emprunt tardif à l’allemand. Les premières éditions du dictionnaire de Dal’ (1863) l’ignorent1. Vladimir Dal’ ne parle que des « eaux » (au plu- riel) — « prendre les eaux » (« prinimat’ vody »), « eaux curatives » (« tselebnye vody »), avec l’expression péjorative « on l’a envoyé prendre les eaux » (« ego poslali na-vody »), signification « il est tombé en disgrâce »2. Autant dire que « le thermalisme » traîne avec lui une réputation parfois équi- voque, péjorative.

L’apparition tardive d’un mot pour désigner les villes d’eau tient largement au fait que la tradition culturelle russe, pendant de longs siècles, n’a pas connu la pratique des thermes telle que répandue dans la partie de l’Europe héritière de la Rome antique. La langue vieux-russe, entre le Xe et le XVIIe siècles, connaissait pourtant deux mots pour désigner les

« bains », « banja » et « laznia », que l’on retrouve, avec des variantes, dans la plupart des autres langues slaves. L’étymologie de « laznia » n’est pas très sûre, celle de « banja » est plus claire, ce mot vient du grec et du latin, mais en vieux-russe, tout comme en russe moderne d’ailleurs, il est as- socié aux bains de vapeur, à l’étuve3. Dans la Russie ancienne, la « banja »

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c’est donc le bain de vapeur, le sauna scandinave, dont la pratique est attestée dès la Chronique des temps passés (XIe-XIIIe s.). L’usage des bains de vapeurs, sujet d’étonnement — voire d’indignation — pour tant de voyageurs étrangers en Russie, s’est prolongé bien au-delà des limites chronologiques de la culture russe ancienne (après le XVIIe siècle), et ce dans toutes les classes de la société, avec une double fonction: assurer un minimum d’hygiène et de santé, servir d’espace de socialisation et de détente. Nous retrouvons donc dans les bains russes deux éléments communs à l’idée que l’on se fait du thermalisme, l’association de soins naturels à une certaine forme de loisir. De fait, dans ce domaine, comme dans bien d’autres, les Russes avaient leur « caractère » national propre et y sont restés attachés pendant longtemps. Il faut attendre le début du XVIIIe siècle avec l’occidentalisation de la société et de la culture pour voir apparaître le thermalisme en Russie. Nous pouvons même affirmer que cette introduction de la « culture des eaux » est l’un des éléments — peu connus — de la vaste politique d’occidentalisation de la civilisation et des mœurs du peuple russe — ou du moins dans un premier temps de ses élites — engagée sous le règne de Pierre le Grand.

Le thermalisme a été introduit en Russie par Pierre Ier. Sur les conseils de ses médecins, allemands et hollandais, le tsar, dont la santé était chancelante à cause des excès en tout genre, effectua sa première cure thermale à Carlsbad, en 1712. Il revint une deuxième fois prendre les eaux à Carlsbad et à Teplice, en 1716. De là, il gagna l’Allemagne du Nord et les Pays-Pays, et ensuite la France qui l’accueillit avec curiosité, en 1717. Parmi les sujets d’étonnement de la cour de Versailles figuraient la simplicité et l’énergie inépuisable du monarque et, surtout, ses ma- nières de table et son appétit tout aussi insatiable, comme le rapporte le duc de Saint-Simon : « ce qu’il buvait et mangeait en deux repas réglés est inconcevable, sans compter ce qu’il avalait de bières, de limonade et d’autre sorte de boissons entre les repas ».4 C’est à la fin de ce séjour que le tsar, fatigué par les excès, se vit conseillé de faire une nouvelle cure thermale. Sur la route qui le reconduisait vers Amsterdam, Pierre s’ar- rêta donc à Spa. Il y passa les trois premières semaines de juillet avec sa suite. Ce séjour a été relaté par un érudit local, Albin Body (1836-1916), et publié sous le titre Pierre le Grand aux eaux de Spa : « Dès le lendemain de son arrivée à Spa, Pierre commença à boire de l’eau de la source de Pouhon, mais rapidement il passa, sur les conseils des médecins, à la

source de la Gernstère (située à 3,5 kilomètres de Spa), qui eu une action bénéfique sur sa santé ».5 Aujourd’hui encore l’une des quatre sources de Pouhon, à Spa, porte le nom de « Pouhon-Pierre le Grand » et un mo- nument élevé à sa mémoire rappelle que le souverain russe est venu aux eaux de Spa « comme à une source de salut ». Néanmoins, le tsar se sou- mettait assez difficilement aux prescriptions des médecins, continuant à manger et boire lors des repas (et en dehors !) avec démesure. Il faisait aussi un usage démesuré des eaux, ce qui avant pour résultat d’accroître encore son appétit. L’un des officiels hollandais qui l’accompagnait ra- conte avoir vu le tsar un matin boire vingt et un verres d’eau de Pouhon d’affilée, ce qui, précise-t-il, le mit en appétit ! Souvent, le tsar mélangeait l’eau de source avec du vin, une façon comme une autre de lier l’utile à l’agréable.

La vie de curiste dans les Ardennes avait tellement plu au souve- rain qu’à son retour en Russie, il décida d’y créer également des centres de thermalisme, sur le modèle occidental. Un décret ordonnant la recherche de sources en Russie fut transmis au Sénat : « Messieurs, le Sénat ! À la réception de ceci, donnez l’ordre au docteur Shubert de rechercher dans notre Etat, et particulièrement dans les endroits où il y a des mines de fer, des eaux que l’on peut utiliser contre les maladies ». Gottllieb Scho- ber, premier médecin personnel du tsar, entreprit d’explorer la région de Samara, au Sud de la Volga, où il trouva quelques sources d’eaux froides et leur donna le nom de « sources Saint-Pierre ». Le second médecin du tsar, Johannes Blumentrost fut, quant à lui, envoyé près d’Olonetsk, en Carélie, au nord de Saint-Pétersbourg.6 Cette région, riche en minéraux, avait commencé à être exploitée à la faveur de la guerre russo-suédoise (1700-1721), afin de doter la Russie d’une infrastructure métallurgique capable d’équiper ses armées.

Une source d’eau ferrugineuse avait été découverte dans les ma- récages de Ravdasüo, entre 1713 et 1716, par un ingénieur des mines d’origine hollandaise, William Gennine.7 Ce dernier avait retrouvé Pierre le Grand en 1716, à Teplice, en Bohème. Il est probable que c’est alors que Gennine annonça au souverain la découverte des sources d’Olo- netsk. Ces sources furent baptisées en l’honneur du dieu de la guerre

« eaux de Mars » (« Marcial’nye vody »), en partie pour commémorer les nombreuses victoires remportées par la flotte russe sur les Suédois dans

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la Baltique entre 1714 et 1718, et en partie en vertu des qualités curatives qui leur étaient attribuées, puisqu’elles pouvaient être appliquées avec profit sous forme de boue sur des blessures et des ecchymoses. Dans le décret de création du centre thermal d’Olonetsk Pierre le Grand précise lui-même les indications médicales de ces eaux (dans une rédaction digne des meilleurs encarts publicitaires) : « Ces eaux guérissent des brutales maladies suivantes : du scorbut, de la bile, des douleurs de l’estomac, des calculs — qu’il s’agisse de sable ou de petits cailloux qu’elles chas- sent des reins, de la goutte, des excès de pertes menstruelles chez les femmes, de l’épilepsie, elles chassent les vers intestinaux, elles guérissent aussi des hernies et elles ont beaucoup d’effet sur toute sorte d’autres maladies … ».8

La mise en valeur des « Sources de Mars » commença en 1718, supervisée par l’ingénieur Gennine. Les débuts furent difficiles : le tsar reporta sa visite de mois en mois jusqu’à février 1719, l’été suivant fut marqué par de si fortes chaleurs que le niveau de la nappe phréatique en vint à diminuer de manière inquiétante, ce qui mit en émois le Cabinet du tsar. Par mesure de précaution, un décret fut publié pour interdire, de manière absolue (« sous peine de mort », on ne plaisantait pas avec l’eau !), d’ouvrir de nouvelles mines d’extraction de minerais à proximité de la source. Après cette première visite de 1719, Pierre revint à trois reprises, en 1720, 1722 et 1724, preuve s’il en est qu’il appréciait l’endroit et la qualité de ses eaux.9 Il entendait d’ailleurs faire partager cet engoue- ment. Un décret du tsar en 1719 ordonna donc aux membres de la cour et de la noblesse d’« aller en Carélie, boire des eaux ferrugineuses afin d’en tirer un grand profit pour la santé ».

Des travaux d’aménagement commencèrent, avec la construc- tion d’une résidence destinée à accueillir le tsar et sa suite. Cette de- meure fut construite en un temps record grâce à la main d’œuvre ser- vile constituée par les paysans des alentours. Les travaux étaient dirigés par Gennine qui rendait compte directement au gouverneur-général de Saint-Pétersbourg, le prince Menchikov, l’un des plus proches compa- gnons du tsar. Tout fut terminé en un mois, malgré les conditions géo- graphiques difficiles : des marécages, d’un côté, des collines boisées, de l’autre. La résidence impériale avait été placée le plus près possible de la source, à quelques centaines de mètres. Une longue allée reliait les deux.

Par la suite, entre 1719 et 1724, l’ensemble thermal fut complété par la construction d’un hôtel pour les curistes et d’une église dédiée à l’apôtre Pierre.

La demeure du monarque, bâtie en bois, était disposée en U : l’aile gauche était occupée par les appartements du tsar et de la tsarine ; l’aile droite était réservée aux intendances et aux communs. La partie centrale abritait les chambres des personnes de la suite et des invités, toutes ces pièces donnaient sur une vaste salle située entre les deux ailes.

Cette salle, conformément au projet approuvé par le tsar, servait de pièce de loisir, où les curistes devaient « tenir assemblée ». Lors de sa première visite, en 1719, Pierre le Grand rédigea un règlement qui prévoyait la création d’un poste de « maréchal » chargé de « l’assemblée de ceux qui viennent prendre les eaux pour se soigner ». Ce maréchal, organisateur des fêtes et des loisirs, devait prévoir les jeux et divertissements, parties de cartes et de billards, concerts de musiques, etc.

Après la mort du tsar, en 1725, les eaux d’Olonetsk tombèrent dans l’oubli, comme nombre des réformes de Pierre Ier. La noblesse russe préférait aller en cure à l’étranger, en Bohême, en Allemagne, en Suisse, en Italie, plus tard en France, dans des villes d’eaux à la mode.

La médecine russe était aux mains de médecins étrangers, surtout alle- mands, qui recommandaient les cures dans des sites réputés d’Europe centrale et occidentale. La faveur allait aux eaux à forte densité en sels minéraux, plutôt qu’aux eaux ferrugineuses. La suppression de l’obliga- tion de service de l’Etat pour la noblesse, en 1762, permettant aux nobles de se rendre plus facilement à l’étranger, contribua aussi à faciliter pour les Russes ces cures thermales qui s’intégraient assez bien dans le circuit du Grand Tour que tout honnête homme épris de l’esprit des Lumières se devait alors de réaliser en Europe.

Nous ne retiendrons que deux exemples significatif pour la 2e moitié du XVIIIe siècle, celui du mécène Ivan Schouwaloff (1721-1797), fondateur de l’Académie des Beaux-Arts de Russie10, et celui de l’écri- vain, Denis Fonvizine (1745-1792), auteur de comédies satiriques.11 Re- marquons au passage que l’un comme l’autre n’étaient pas personna grata à la cour de Catherine II, et donc que leurs séjours aux eaux en Europe donnent tout son sens à l’expression ego poslali na-vody (« on l’a envoyé

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prendre les eaux ») qui, nous l’avons vu, était rapidement devenu un eu- phémisme pour exprimer une « disgrâce ».

Le long séjour effectué par Ivan Schouwaloff, ancien favori de l’impératrice Elisabeth, envoyé en exil à l’étranger par Catherine II, est émaillé de passages dans tout une série de villes d’eau : en juin 1765, Schouwaloff est à Aix-la-Chapelle afin de soigner son rhumatisme qui se réveille de temps en temps avec le froid et l’humidité du climat, écrit-il à son ami Michel Vorontsov 12 ; en juin 1766, nouvelle lettre à Vorontsov pour l’informer qu’il part de Paris pour passer un mois à Pougues-les- Eaux près de Nevers, une station réputée alors pour ses vertus bénéfiques sur l’appareil digestif13. En mai 1773, Ivan Schouwaloff met un terme à huit années passées en Italie, il écrit au chancelier Golitsyn : « Je quitte Rome dans peu de jours. […]. J’irai, peut-être, aux Eaux de Spa »14. Il mit sans aucun doute son intention en application et la réitéra à plusieurs reprises. Ainsi, le 13 juillet 1777, son départ pour Spa en compagnie d’un autre grand seigneur russe, le prince André Belosselsky, ambassadeur à la cour de Saxe, est consigné par les services de police chargés du contrôle des étrangers à Paris : « Le prince Beloselsky […] et le comte Schuwalow, desquels on a eu l’occasion de parler souvent dans les différents et longs séjours qu’ils ont faits en cette capitale, en sont partis samedi dernier pour aller à Spa y passer la saison des eaux. […]. Le prince Beloselsky et le comte Schuwalow reviendront ici avec le comte de Soltikow, fils du feld-maréchal de ce nom. Plusieurs autres compatriotes de distinction qui se trouvent à Spa se proposent de venir aussi passer quelque temps à Paris »15. Le 20 juillet, la même source policière précise que « parmi les Russes de marque qui se trouvent à Spa, on compte la princesse d’As- chow [sic !], célèbre pour le rôle qu’elle a joué dans la révolution qui a coûté la perte du trône et la vie à l’infortuné Pierre III. On ignore encore si cette dame viendra à Paris après la saison des eaux »16.

L’écrivain Denis Fonvizin nous a laissé une description de la vie du curiste russe. Tombé malade lors d’un séjour à Rome au printemps de l’année 1785, Fonvizin se vit prescrire de prendre les eaux à Baden, près de Vienne17. Il en informa ses proches en ces termes : « Depuis le 16/27 juin, je prends les eaux et j’y vais deux heures chaque matin. Le docteur m’a prescrit d’aller en tout quinze fois aux bains ».18 Suit une lon- gue description du bain, où hommes et femmes se retrouvent ensemble,

mais de façon très décente, insiste Fonvizin, dans de longues chemises blanches.19 Le témoignage de Fonvizin permet aussi de reconstituer em- ploi du temps journalier du curiste : « Voici comment je passe mes jour- nées : le matin, après avoir bu mon café, j’enfile ma longue chemise et je prends les eaux au bain pendant deux heures ; ensuite, je me repose, puis je vais faire une promenade dans les allées. Après le déjeuner, je vais voir mes amis avec lesquels je prends les eaux et à six heures du soir nous allons tous nous promener ; si le temps est mauvais, nous allons à la co- médie allemande »20. Derrière ce laconisme, nous sentons une indéniable torpeur, lancinante. Deux ans plus tard, en mai-juin 1787, Fonvizin, que la goutte tient désormais quasiment paralysé, effectue une nouvelle cure, à Carlsbad et dans les environs : « J’espère que les eaux de Carlsbad m’ont bien nettoyé et préparé pour les bains de Trentchin » 21. Séjour sa- lutaire, puisque Fonvizin obtint un répit à son retour de Carlsbad, retrou- vant l’usage de ses jambes et de la parole pour quelques temps.22 Il est à noter que, parmi les Russes, Carlsbad s’imposera comme la ville d’eau la plus fréquentée par les gens de lettres : Gogol’ y vint en 1849, Turgenev en 1879, mais aussi les écrivains Leskov et Goncharov, les poètes Batjus- hkov, Iazykov, Vjazemskij, T’utchev.23

Ce regain d’intérêt de la société russe pour les « eaux », à partir de la fin du XVIIIe siècle, favorisa la renaissance du thermalisme en Rus- sie même. En 1769, la découverte de sources minérales près de Sarepta, un village fortifié occupé par des colons venus de Moravie en Kalmykie (Basse Volga), aboutit à la construction d’un petit complexe thermal qui accueillait les seigneurs des environs. En 1805, on découvrit des sources dans la région de Lipetsk (sud de la Russie). À peu près à la même époque, avec la conquête du Caucase, apparaissent de nouvelles stations thermales (Piatigorsk, Zheleznogorsk, Magnitogorsk, Essentouki) qui connaissent un rapide succès, même si les villes d’eaux occidentales ne perdent pas leur attrait. Ce qui était, au XVIIIe siècle et dans la 1ere moitié du XIXe siècle réservé à une petite élite huppée, se démocratise, après la suppression du servage. Alors que dans les années 1840 le nombre des Russes venant à Carlsbad est d’environ 300 par an, après 1860 il passe à 500 et ne fait que croître dans les décennies suivantes. Les classes moyennes supérieures émergentes, professions libérales, gens de lettres, vont de plus en plus prendre les eaux en Europe occidentale. Avec eux se développent de véritables colonies russes saisonnières (les mois d’été)

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qui se dotent de leurs propres infrastructures : consulats, clubs, biblio- thèques, et surtout églises. La cure des corps n’est pas éloignée de la cure des âmes. La 2e moitié du XIXe siècle est ainsi marquée par une impor- tante politique de construction d’églises orthodoxes qui contribuaient à assurer une présence russe au cœur même de l’Europe et en demeurent jusqu’à aujourd’hui un témoignage éclatant. Nous avons là un modèle de transfert culturel réciproque, particulièrement original et réussi.

antoIne nIvIÈRe unIveRsIté nancy 2

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Notes

1. Le substantif « Kurort » n’apparaît que dans la 3e édition de Dal’, datant de 1903-1909, donc assez tardivement et à un moment où les cures thermales sont devenues dans la société russe un phénomène de large ampleur, comme le prouve l’utilisation à nombreuses reprises du néologisme « kurort » chez Tchekhov, notamment dans le récit Ariadna (1895).

2. Dal’ V., Tolkovyj slovar’ zhivogo velikorusskogo jazyka, M. 1863, t. 1, p. 193.

3. C’est d’ailleurs là le sens premier du mot « izba », « pièce chaude », qui vient de l’allemand « Stube », tout comme notre « étuve ».

4. Saint-Simon, Mémoires, tome V (1715-1718), éd. et com. Gonzague Truc, coll. « La Pléïade », Paris, Gallimard, 1965, p. 667.

5. Bodi A., « Petr Velikij na vodakh v Spa (izvlechenija i pereskaz) », in Russkaja Starina, 1896, t. 86, n° 4, p. 26.

6. Cf. Russkij biograficheskij slovar’, vol. « Betankur-Bljaster», SPb, 1908, p. 100-101.

7. Sur W. Gennine (1676-1750), voir Berkh V.N, Zhizeopisanie generala-lejtenanta V.I. Gennina, Saint-Petersbourg, 1826 ; Maksimov M.M., Russkij geologorazvedchik V.I. Gennin, Moscou, 1966.

8. Samojlov N., Petr Velikij na Marcial’nye vodakh, otkrytykh v 1716 g v Oloneckoj gubernii, SPb., 1852 ; Prilezhaev E. M. « Petr Velikij na Marcial’nykh vodakh », Oloneckie gubernskie vedomosti, Petrozavodsk, 1890, n° 95 ; Rabinovich P. L., « Oloneckie Marcial’nye vody (pervyj kurort v Rossii) », in Sovetskoe zdravookhranenie, 1946, n° 9-10 ; Kapusta L. I. « Rol’ V.I. Gennina v stroitel’stve pervogo rossijskogo kurorta », Kondopol’skij kraj v istorii Karelii i Rossi (Materialy III kraevedcheskikh chtenij, Petrozavodk, 2000.

9. Cf. Pokhodnye i putevye zhurnaly imperatora Petra Velikogo za 1719-1720 gg, SPb, 1855, et Pokhodnye i putevye zhurnaly imperatora Petra Velikogo za 1722-1724 gg, SPb, 1855.

10. Sur Ivan Schouwaloff on consultera, entre autres, nos études suivantes : « Ekaterina II i Ivan Ivanovich Shuvalov. Shtrikhi k sravnitel’nomu istoricheskomu, psikhologicheskomu i politicheskomu portretu » («

Catherine II et Ivan Chouvalov. Esquisse de portrait historique, psychologique et politique comparé »), Filosofskiï vek, vol. 8 : I.I. Shuvalov. Prosveshchennaja lichnost’ v Rossijskoj istorii, M. I. Mikeshin et T. V. Artemjeva (réd.), Saint-Pétersbourg, 1998, pp. 162-176 ; « Ivan Ivanovich Shuvalov i ego francuzskie korrespondenty » (« Ivan Chouvalov et ses correspondants français »), in ibid., pp. 177-187 ; « Avtobiograficheskoe pis’mo I. I.

Shuvalova » (« Une lettre autobiographique d’Ivan Chouvalov à l’empereur Paul Ier », publication, commentaire et notes), in ibid., pp. 188-195 ; « Tri neizvestnykh pis’ma Ivana Ivanovicha Shuvalova, nakhodjashchikhsja v fondakh Parizhskikh bibliotek » (« Trois lettres inconnues d’Ivan Chouvalov, conservées dans les fonds de bibliothèques parisiennes », publication, commentaire et notes), Gumanitarnyj Vektor, revue de l’Université de Tchita (Russie), n° 1, janvier 2001.

11. Sur la vie et l’oeuvre de Denis Fonvizine, voir en français Alexis Strycek, Denis Fonvizine, Paris, Librairie des Cinq Continents, 1976.

12. Cf. lettre d’Ivan Schouwaloff à Michel Vorontsov du 20 juin 1766, in Arkhiv knjazja Voroncova, P. Bartenev éd., t. VI, Moscou, 1873, p. 304.

13. Cf. lettre d’Ivan Schouwaloff à Michel Vorontsov du 20 juin 1766, in Arkhiv knjazja Voroncova, P. Bartenev éd., t. VI, Moscou, 1873, p. 306

14. RGADA, f. 263, op. 1, d. 3839, l.6, cité par D.N. Kostychin « Iz istorii Rossijsko-Vatikanskikh otnoshenij v nach. 70-kh godov XVIII veka. Diplomaticheskaja missija I.I.Shuvalova v Rime », p. 33.

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Dashkova E.R., Zapiski, M., MGU, 1987, p. 97.

17. Lettre au comte P. Panine du 5 juillet 1785, in Fonvizin D.I. Sobranie sochinenij, M.-L., 1959, t. 2, p. 557.

18. Cf. lettre de juin 1785, ibid., p. 552-553.

19. « À six heures du matin, nous entrons dans une eau sulfurique jusqu’à la gorge. Hommes et femmes sont tous ensemble, chacun est nu avec juste sur soi une longue chemise. Nous restons assis et marchons dans l’eau durant deux heures. […] Nous sommes tous comme dans l’au-delà : la honte ne vient pas à l’esprit.

Chacun ne pense qu’à guérir, les hommes se tiennent devant les femme et les femmes devant les hommes, sans arrière-pensées » (lettre de juin 1785, in Fonvizin D.I. op. cit., p. 553). Cette insistance de Fonvizine quant à la décence et au bon ordre de ces séances de thermalisme est probablement à mettre en parallèle avec l’image de licence et de dégradation morale, donnée par les bains russes aux voyageurs occidentaux :

« C’est un spectacle, mon ami, tout à la fois singulier, écœurant et dégoûtant. On voit des hommes et des femmes pêle-mêle, s’exposer nus dans des étuves » (Marie-Daniel de Corberon, Un diplomate français à la cour de Catherine II (1775-1780), Paris, 1901, tome 2, cité par Claude de Grève, op. cit., p. 950). La symétrie inversée est assez intéressante à relever, d’autant plus que nos deux auteurs appartiennent à la même génération et à la même société : l’écrivain russe exprime son étonnement face à l’ordre et la décence des « eaux » « à l’occidentale », le diplomate français son indignation devant le vice et la débauche qui est supposée régnée dans les bains « à la russe ».

20. Fonvizin D.I, op. cit., p. 553.

21. Fonvizin D.I, op. cit., p. 561-562.

22. Il fut pris d’une nouvelle attaque d’apoplexie en 1791 et mourut au début de l’année 1792.

23. Voir Russkie pisateli (1800-1917), Biograficheskij slovar’, réd. P.A. Nikolaev, vol. 1-4, M., 1989-1999.

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