ÉTUDE CINÉTIQUE DE LA COMPOSITION
EN ACIDES AMINÉS DU SANG PORTE CHEZ LE PORC
R. PION, G. FAUCONNEAU A. RERAT Madeleine FORIGNON, Jeanine WAGNER J. D’ANGELO.
Laboratoire des Métabolismes, et Station de Recherches sur
l’Élevage
des Porcs, Centre national de Recherches zootechniques, !ouy-en-,!osas (Seine-et-Oise)Après
avoir discuté l’intérêt et lasignification
de lacomposition
en acides aminés libres du sang de la veine porte, nousrappellerons
brièvement les conditionsexpérimen-
tales et les méthodes
utilisées,
et examinerons les résultatsobtenus; puis
nous formule-rons
les conclusionsqui
sedégagent
de cesexpériences,
et examinerons l’orientation à donner aux études futures.INTÉRÊT DE L’ÉTUDE DE LA TENEUR EN ACIDES AMINÉS LIBRES DU SANG DE LA VEINE PORTE
Les
produits d’hydrolyse
desprotéines
alimentaires sont absorbés par laparoi
intestinale. Ces
produits,
transformés ou non au cours de leur passage à travers la muqueuseintestinale,
peuvent êtretransportés
sous diverses formes et par deux voies : le sang provenant du tubedigestif
finalement collecté par la veine porte, et lalymphe.
Les formes de transport
possibles
sont : les acides aminéslibres,
despeptides
et des pro-téines, qui
seraientrapidement synthétisées
dans laparoi
du tubedigestif,
ouqui
seraientéventuellement absorbées directement.
Des variations de la
composition
en acides aminés libres de lalymphe
ont étésigna-
lées chez le chien par LEVENSON et col.
(1959);
Dnwsorr et PORTER(1962)
ont constatéchez le rat ayant
ingéré
uneprotéine
de chlorellemarquée
au 14C une évolution simi- laire de la teneur en acides aminés libresmarqués
dans le sang et dans lalymphe.
Toute-fois,
ils estiment que le transport par la voielymphatique
estquantitativement
très faible par rapport au transport par la voiesanguine.
La
présence
dans le sangporte
depeptides
oul’incorporation
immédiate des acides aminés alimentaires dans desprotéines
semblentplus
controversées.Si l’on trouve des
peptides
enquantité
notable dans la lumièreintestinale,
ceux-cin’apparaissent
pas, ou peu, dans le sang de la veine porte(D AWSON
etH OLDSWORTH , 1962,
et nombreuses
expériences
surl’absorption).
Ils seraient donchydrolysés
dans lamuqueuse intestinale.
La
paroi
intestinale semble êtreégalement
lesiège
d’unesynthèse protéique
intense.H
ARTMANN
(1959) estime,
à la suited’expériences
au 35S chez lechien, qu’il s’y produit
une
synthèse
de certainesprotéines sanguines, qui
sont ensuite libérées dans le sang. Mais SCHLUSSEL(ig5g)
utilisant des levuresmarquées
au 35S et DAWSON et HoLnswoR’rx(1962)
utilisant des chlorellesmarquées
au I4C(sur
lerat),
s’ils constatentégalement une synthèse protéique
dans laparoi
intestinale àpartir
desproduits
de ladigestion,
estimentque ces
protéines
sont utilisées pour les sécrétionsdigestives,
et pour le renouvellement des tissusdesquamés;
l’intestin se renouvellerait comme les autrestissus,
enprélevant
aupassage les acides aminés
qui
lui sont nécessaires. Les acides aminés libres constitueraient laprincipale
forme de transport descomposés azotés,
et lesprotéines plasmatiques
seraientsynthétisées
àpartir
de ceux-ci. Par contre, FROMM et NORDLIE(1959)
onttrouvé,
sur des rats dont les besoins en acides aminés soufrés étaient artificiellementexagérés
par des blessuresexpérimentales
que, si lacystine marquée
était entièrementprésente
sousforme
libre,
la méthioninemarquée
semblaittransportée
engrande partie
dans les pro- téinessanguines.
L’importance quantitative
des acides aminés libres aégalement
été mise en évidencepar l’étude de la
synthèse
desprotéines
au niveau de laglande
mammaire. Plus de 70%
des acides aminés
indispensables
desprotéines synthétisées proviendraient
des acides aminéslibres,
10%
seulement desprotéines plasmatiques.
Enfin,
si lesprotéines sanguines
et lespeptides
semblentjouer
un rôle assez limitéquantitativement
dans le transport desproduits
de ladigestion
desprotéines,
un certainnombre
d’expériences
ont mis en évidence des variationsimportantes
dans la teneur enacides aminés libres du sang de la veine porte, tant chez le chien que chez le rat.
(DENT
et
SCHILLING, 1949,
DENTONetE LVEHJEM , 1954,
GUGGENHEIMetal., 1960,
WHELER etM
OR GAN, 1958).
Les acides aminés libres du sang porte sont donc
probablement
une desprincipales
formes de
transport
desproduits
de ladigestion
desprotéines
alimentaires. En tenantcompte
de l’utilisation par les tissus(qui
modifie lacomposition
du sang artérielqui
vient
irriguer l’intestin),
des variationspossibles
du débit du sang porte, du rôle de la muqueuseintestinale,
et des divers apportsendogènes possibles,
lacomposition
en acidesaminés libres du sang porte est corrélative de :
- la vitesse d’arrivée des
protéines
dans le duodénum(liée
à la nature de laprotéine,
et à celle des autres constituants de la
ration;
et enparticulier,
à laquantité
d’alimentingéré
au cours d’unrepas);
- la
composition
en acides aminés de cetteprotéine;
- la vitesse de libération des différents acides aminés
qui
la constituent.MATÉRIEL ET MÉTHODE
Les expériences ont été effectuées sur 4 porcelets de 20 à 25 kg, munis de fistules de la veine porte (ARSACet RERAT, 1963). Les repas expérimentaux étaient consommés le matin. Le repas du soir était complété de façon à compenser les déficits énergétique ou azoté éventuels du repas expé- rimental par rapport à la ration de base.
La ration de base était la suivante (%) :
- farine de hareng de Norvège (F. P.) : 21,6;
- amidon : 65,4;
- cellulose : 5;
- huile d’arachide : 5;
- minéraux et vitamines : 3.
Les rations utilisées dans les repas expérimentaux ont été :
- la ration de base;
- le même aliment dont le taux protidique était modifié en faisant varier les teneurs respec- tives en amidon et en farine de poisson;
- l’aliment sans azote : ration de base dans laquelle la totalité de la farine de poisson est rem- placée par de l’amidon;
- la farine de hareng seule;
- de l’orge, additionnée de condiment minéral et vitaminique.
Les prélèvements ont été effectués au début du repas (temps zéro) et à des temps variables
après celui-ci. Le sang obtenu sans créer de forte dépression dans la canule, est mélangé immédia-
tement avec environ 7 fois son volume d’éthanol froid (― 50C environ). La quantité prélevée est
mesurée par pesée. Les acides aminés libres et amides du sang total sont extraits, puis dosés par
chromatographie quantitative sur papier. Les résidus d’extraction alcooliques sont séchés (65° C)
et pesés, l’azote est dosé sur un aliquote.
RÉSULTATS
Pour éviter l’interférence
possible
d’une dilution éventuelle du sang au cours de ladigestion,
les teneurs en acides aminés ont étérapportées
à la matière sèche du résidu d’extractionalcoolique (très
voisine de la matière sèche dusang).
1°
Composition
du sang porte des animaux àjeun.
Les concentrations des divers acides aminés du sang
porte
sont relativement cons- tantes(cf.
tableau2)
chez des porcs àjeun depuis
une douzaine d’heures. Les valeurs trouvées pour les troispremiers
animaux(sensiblement
du mêmepoids,
encroissance,
etsoumis au même
régime alimentaire)
sont très voisines pour laplupart
des acidesaminés,
mais les teneurs étaientbeaucoup plus
élevées chez lequatrième porcelet (n° 4839),
dontla croissance était très
irrégulière.
La constance de l’aminoacidémie
porte
chez un même animal semble liée à un bon étatphysiologique :
dès que la croissance des animaux est ralentie ou arrêtée(influence
de
prélèvements répétés
ou autrescauses),
l’aminoacidémiepeut
augmenterrapidement
etde
façon importante (de
50 à 150%).
Les
proportions
des différents acides aminés libres et amides dans le sang total portesont différentes de celles que l’on observe dans d’autres tissus
(muscles
parexemple).
Lesacides aminés non
indispensables
constituent environ 50 à 55%
dutotal,
et sontrepré-
sentés
principalement
par laglycine (13
à 23%),
l’acideglutamique (8
à 10%),
l’alanine(10
à12 %), la glutamine (8
à 11%),
la sérine(5
à6 %) et la proline (5
à 6%).
La teneuren acide
aspartique
est faible(de
l’ordre de 2%
dutotal).
Parmi les acides aminés indis-pensables,
lesproportions
sont : 13 à 15%
pour le groupeleucine, isoleucine, phényla- lanine, 8,
5 à 10%
pour lavaline,
4%
pour lathréonine,
4 à 7%
pour lalysine.
Enoutre, le sang contient
quelques
acides aminés non alimentaires et provenant du méta- bolisme intermédiaire :citrulline,
ornithine(cycle
del’urée),
acide xaminobutyrique.
Les
proportions
d’acides aminés nonindispensables
sontbeaucoup plus
fortesdans les extraits
alcooliques
de muscle(premiers
résultats sur des musclesprélevés après abattage
sousanesthésie) :
9%
d’acideglutamique,
9%
deglycine,
16% d’alanine,
34
%
deglutamine.
2°
Évolution
au cours de ladigestion.
Les résultats obtenus sur 10 repas différents consommés par les 4 animaux ont été
exprimés graphiquement (graphiques
1 à5)
en%
de la teneur du sang àjeun (temps
odu repas
considéré).
Les traits hachurésreprésentent
laquantité
de l’acide aminé consi- déréingérée
par l’animal au cours du repas étudié. Nous avonsindiqué
pourchaque
repas : le numéro del’animal,
la nature de l’aliment(A : amidon,
F. P. : farine depoisson),
letaux
protidique
de la ration et laquantité
d’alimentingérée (tableau 1). ).
a)
Acides aminésindispensables
etsemi-indispensables.
La valine et le groupe
leucine, isoleucine, phénylalanine,
évoluent defaçon
simi-laire :
l’augmentation
est de l’ordre de 50%
aussi bienaprès ingestion
du repas sans azoteque de
l’orge,
de l’ordre de 200% après ingestion
dumélange
farine depoisson, amidon,
de 300 à 500% après ingestion
dupoisson
seul. Les maxima semblent être obtenus pour lepoisson
3 à 4 heuresaprès
le début du repas.La thréonine et la
tyrosine
évoluent defaçon similaire,
lapremière
variantdavantage
dans le cas de
l’orge,
la deuxième dans le cas dupoisson
seul.La
lysine
aprobablement
un comportement assezvoisin,
mais la variabilité estplus grande. L’augmentation
observéeaprès ingestion
d’un repas sans azote estpeut-
être due à une mauvaise estimation de la teneur dans le sang à
jeun correspondant.
b)
Acides aminés nonindispensables.
La teneur en acide
aspartique, déjà
très faible dans le sang àjeun,
ne varie que faiblement au cours de ladigestion,
alors que les apports alimentaires sont assez élevés.La sérine et la
proline
évoluent defaçon
similaire dans le cas de la farine depoisson (avec
ou sansamidon). Toutefois,
laproline
est le seul acide aminé pourlequel
nousayons constaté une
augmentation importante
dans le cas del’orge.
L’évolution des teneurs en
glycine, alanine,
acideglutamique
-f-glutamine
estbeaucoup plus
variable que celle des autrescomposés;
l’influence de laprésence
ou del’absence d’amidon dans la ration ne se manifeste pas comme dans le cas des acides aminés
indispensables.
3° Relation entre la
composition
du sangporte
etl’apport
alimentaire.Ne
disposant
pas d’un nombre suffisant depoints expérimentaux
dans le cas del’orge,
nous nous sommes limités pour cette étude au cas de la farine depoisson.
Nousavons
divisé,
pourchaque point expérimental, l’augmentation
de teneur dans le sangporte (teneur
observée aupoint considéré,
moins teneur dans le sang àjeun
correspon-dant)
par laquantité
de l’acide aminé considéréingérée.
Parconvention,
nous avons attribué aux résultats la valeur zéro toutes les fois que la teneur étaitplus
faible que celle du sang àjeun.
Les résultatsfigurent
sur lesgraphiques
6 et 7.L’influence de la
présence
d’amidon dans lesrégimes (qui
se traduit notammentpar une
augmentation
de laquantité
de matière sècheingérée
pour une mêmequantité d’azote)
est extrêmement nette dans le cas de lavaline,
du groupeleucine, isoleucine, phénylalanine,
de la thréonine et de latyrosine : quelle
que soit laquantité
de matièresèche
ingérée,
le taux azoté de la ration etl’animal,
on obtient une seule courbe assezaplatie
pour tous les repas contenant de l’amidon : taux azotémaximum, 22,9 %,
quan- tité minimum d’alimentingérée
275 g.La courbe obtenue
après ingestion
de farine depoisson
seule(deux
repas sur deux animauxdifférents)
montebeaucoup plus
vite. Nous n’avons malheureusement pas depoints expérimentaux qui
nouspermettent
de dire si la descente estégalement plus rapide,
ou si la surface de la courbe estplus grande
que dans le casprécédent,
cequi signifierait qu’une
libération troprapide
de cescomposés
entraîne une moins bonne utilisation. Lesphénomènes
sontbeaucoup
moins nets dans le cas de lalysine.
La sérineet la
proline
semblentégalement
donner des courbesreproductibles
d’un repas à l’autre et d’un animal à l’autre.La variabilité est
beaucoup plus grande
pour laglycine,
l’alanine et la somme :acide
glutamique
+glutamine.
Les courbes moyennes tracées pour cescomposés
n’ont que peu de
signification.
On observe en outre dans le cas de l’alanine des maxima aussiélevés,
que la ration contienne ou ne contienne pas d’amidon.Les variations observées sont très faibles dans le cas de l’acide
aspartique.
Nous nepouvons toutefois en tirer aucune
conclusion,
ne connaissant pas les teneurs correspon- dantes enasparagine.
DISCUSSION
Les
dosages
ont été effectués sur l’azote nonprotéique
du sang total(plasma
+globules).
Nous évitons ainsi leséchanges qui pourraient
seproduire
entreplasma
etcellules
sanguines
au cours de leurséparation.
DAWSON et PORTER(1962)
ont constatéchez des rats ayant
ingéré
uneprotéine
de chlorellemarquée
au 14C que la teneur enacides aminés libres
marqués
variait aussi bien dans leplasma
que dans les cellules.Dans le sang porte, la courbe observée pour les cellules est similaire à celle observée pour le
plasma,
mais le maximum atteint est moins élevé. Si le mêmephénomène
seproduit
chez le porc, cequi
estvraisemblable,
l’estimation desproduits
de ladigestion
ne peut pas se faire par la seule
analyse
duplasma.
La
précision
de la méthode dedosage
que nous utilisons est relativement faible.Mais les variations observées au cours de la
digestion
sont trèsimportantes,
et n’ontaucune commune mesure avec les erreurs
expérimentales.
Cette méthodeprésente l’avantage
de ne nécessiterqu’une prise
d’essai assezfaible,
cequi
estindispensable
si l’on ne veut pas modifier l’état
physiologique
de l’animal par desprélèvements
excessifs. Le
principal
inconvénient de la méthode estqu’elle
ne permet pas de dosertous les acides aminés
indispensables :
l’histidine etl’arginine,
les acides aminés soufrés n’ont pu être dosés. En outre, les résultats desdosages
deleucine, isoleucine, phényla-
lanine sont entachés d’une erreur
systématique :
comme cescomposés
ne sontgénéra-
lement pas
séparés
sur leschromatogrammes,
il n’est paspossible
de savoir si leurs pro-portions
varient. Par contre, lachromatographie
surpapier
permet deséparer
certainscomposés
difficiles àséparer
sur colonne :glutamine,
citrulline.Les animaux utilisés avaient une ration de base contenant des
protéines
depoisson.
Il est
possible
que la teneur en acides aminés libres du sang àjeun
soit liée à cerégime,
et que les résultats obtenus pour un repas
d’orge
soient différents de ceux que l’on obtien- drait sur un animal ayant une ration de base contenant del’orge
comme seule sourcede
protéine.
Mais lesphénomènes
seraient difficilementcomparables
à ceux obtenuspour la farine de
poisson,
car les animaux n’auraient certainement pas la même crois-sance.
CONCLUSIONS
L’étude de l’évolution de l’aminoacidémie
porte
au cours de ladigestion
sembleêtre une méthode
d’approche
intéressante pour l’étude de ladigestion
desprotéines.
Lacomposition
du sang àjeun
est relativement constante dans des conditions bien déter-minées,
et les variations observées sont assezreproductibles,
au moins pour laplupart
des acides aminés
indispensables,
et pourplusieurs
acides aminés nonindispensables.
Les teneurs semblent
généralement
passer par un maximum 3 à 4 heuresaprès
le débutdu repas, dans le cas de la farine de
poisson.
Il est nécessaire pour
pouvoir
tirer des conclusions définitives decompléter
cesexpériences
par un certain nombre de repasexpérimentaux
effectués dans les mêmes conditions sur de nouveaux animaux. Les courbes obtenuesaprès ingestion
de repas sans azote etd’orge
doivent enparticulier
êtreprécisées.
Unplus grand
nombre depoints expérimentaux
estégalement
souhaitable dans le cas des farines depoisson.
La manièredont les teneurs diminuent
après
êtrepassées
par un maximum dans le sang des animauxn’ayant ingéré
que la farine depoisson
seule mérite enparticulier
d’êtreprécisée.
Si les résultats obtenus mettent en évidence une similitude assez nette entre les courbes obtenues
après ingestion
de la farine depoisson seule,
et de la farine depoisson
additionnée
d’amidon,
il serapossible
pour étudier ladigestion
d’uneprotéine
donnéede la faire consommer à un taux
protéique
élevé. Les courbes de variation ainsi obtenuesseront
plus
nettes,permettant
des conclusionsplus précises.
Il sera
également
nécessaire d’étudier ou de contrôler le transitdigestif (animaux
munis de canules
duodénales),
car la vitesse devidange
de l’estomac est certainementun facteur
important
des variations entre repas ou animaux.RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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