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Comparaison(s) et métaphore(s) dans l approche englobante d al-jurjânî: Champ problématologique et foyers de tension

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(1)

Comparaison(s) et métaphore(s) dans l’approche englobante d’al-Jurjânî:

Champ problématologique et foyers de tension

Hichem rifi

Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de La Manouba

1- Al-Jurjânî, accoucheur du ‘ilm al-balâgha

À la différence de وحّنلا ملع ‘ilm al-nahw (litt. « Science de la grammaire »), dont l’édifice grandiose fut tôt parachevé ou presque, avec l’œuvre de Sibawayhi, vers la fin du IIe siècle de l’hégire/VIIIe siècle de l’ère chrétienne, l’avènement de ةغالبلا ملع

‘ilm al-balâgha(1) (litt. « Science de la rhétorique) advint au terme

(1) Au terme « balâgha » correspond, grosso modo, le substantif ‘rhétorique’

dans son acception tardive dans l’histoire de la rhétorique occidentale, notamment dans les deux traités célèbres de Dumarsais (Traité des tropes, 1730) et de Fontanier (Manuel classique pour l’étude des tropes, 1818).

Nous reconnaissons que la balâgha et la rhétorique (au sens originel ainsi qu’au sens tardif dans la tradition occidentale) représentent, de par leurs points d’ancrage respectifs, leurs objets, leurs fondements et leurs programmes, deux traditions foncièrement différentes dans les études du discours à l’époque classique en occident et dans le monde arabo- musulman. De plus, il va sans dire que le terme ‘éloquence’ vient également à l’esprit pour traduire le terme balâgha, mais il ne serait pas tout à fait à propos ; il rendrait plutôt le sens de ةحاصف « faṣâha », terme concurremment employé comme synonyme de balâgha dans presque toute l’histoire de la tradition rhétorique arabe. Toutefois l’extension de chacun des deux termes diffère. Dans la balâgha, à la différence de l’objet de la faṣâha, la question de l’interrelation ‘expression linguistique / contexte’ y est capitale ; de là,

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d’une longue période de tâtonnement, semble-t-il, à la recherche de perspectives de description pertinentes, d’une assise théorique appropriée et de concepts opératoires adéquats.

Le ‘ilm al-balâgha, théorie « explicite » de l’usage approprié des « formes du مالك kalâm (discours)(1) » dans les différents ماقم maqâm (types de contextes d’énonciation), ne fut réellement éla- boré qu’au Ve siècle de l’hégire/XIe siècle de l’ère chrétienne ;

‘Abd al-Qâhir al-Jurjânî (m.471/1078) en fut le véritable fonda- teur. Aussi peut-on avancer que l’œuvre monumentale d’al-Jur- jânî, زاجعإلا لئالد Dalâ’il al-i‘jâz et ةغالبلا رارسأ ’Asrâr al-balâgha, représente, dans l’histoire de la tradition arabe de l’étude du dis- cours, le moment de passage de ce que nous considérons comme une proto-rhétorique à une Rhétorique.

D’ailleurs, dans le Dalâ’il, à l’instar de toute œuvre fondatrice, al-Jurjânî n’a pas manqué de réfuter les idées forces de la pen- sée rhétorique léguées par ses devanciers, sans en nommer aucun.

Il avait exprimé, dans certains passages, en des termes très vifs, toute sa désapprobation face à la confusion qui lui semblait régner sur les esprits dans le domaine de la balâgha:

la perspective foncièrement pragmatique, avant la lettre, de la rhétorique arabe. Notons, par ailleurs, que les auteurs des deux articles consacrés à balâgha et faṣâha, dans l’Encyclopédie de l’Islam, avaient bizarrement omis la traduction de ces deux termes. Cf. G.E Von Grunebaum, « Faṣâha », in : E.I. Leidin, Brill, nouvelle édition, 1979 ; A. Schaade, & G.E. Von Grunebaum, « Balâgha », in : E.I. Leidin, Brill, nouvelle édition, 1979.

(1) En vérité, al-Jurjânî s’est intéressé aux « figures du discours » au sens large de l’expression, C.-à-d. tout type de figures : (figures tropes, figures non tropes, figures de construction, figure d’expression, figure ou de pensée, etc). Cf. Pierre Fontanier, Les figures de discours. Préface de Gérard Genette, Paris, Flammarion, nouvelle édition, 2009.

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« Si quelqu’un, écrit-il, disait : ‘Il n’est point au monde un domaine de savoir où les gens ont rencontré autant d’énormités طلغلا شحف, s’y sont fait leurrer et ont épousé de fausses opinions’, il ne faut point qualifier de tels propos de mensongers ».(1)

Au terme de cet ouvrage, il a exprimé sa crainte d’échouer dans son entreprise de déraciner certaines idées reçues :

« Sache que bien qu’ayant longuement dit et redit, repris et critiqué cette illusion installée dans les esprits des gens au sujet du [statut] du ظفل lafẓ (plan de l’expression), il m’ar- rive pourtant de croire que mes efforts étaient vains, et ce parce que les gens se condamnent, en ce qui concerne ce dont nous sommes en train de débattre, à l’usage de termes dont ils ignorent la signification […]. Une première idée reçue s’étant installée dans leurs esprits, s’y est incrustée et y a pris racine à l’instar des mauvaises herbes qu’on voit, à peine arrachés, repousser de nouveau ».(2)

Au demeurant, on peut relever, à partir d’un arrière discours épistémologique qui émerge parfois à la surface de certains pas- sages du Dalâ’il, les différentes tâches qu’al-Jurjânî avait réalisées dans le dessein d’assurer le passage indiqué, à savoir le réexamen des différentes hypothèses générales ou partielles avancées par ses devanciers dans le cadre de leurs projets de rhétorique, l’évaluation du degré de clarté, de validité, de rendement de certains concepts théoriques ou opératoires proposés dans ces projets, de l’identifi- cation des obstacles épistémologiques qui avaient empêché l’avè-

،1992 ،يندملا راد ،ةدج ،ةرهاقلا ،ركاش دمحم دومحم قيقحت ،زاجعإلا لئالد ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

.369 ص .365 ص ،هسفن (2(

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nement du ‘ilm al-balâgha et enfin l’élaboration d’une approche englobante de grande portée descriptive, avec la démonstration de l’étendue de son champ de validité.

Al-Jurjânî avait donc vivement critiqué, entre autres, la thèse de ceux qui considéraient que la ةّيزم « maziyya » d’un (beau) dis- cours (« sa vertu » comme disaient les rhétoriciens occidentaux à l’époque classique) revient au seul « lafẓ » (plan de l’expression).

Il avait en revanche soutenu avec véhémence, tout au long du Dalâ’il, une nouvelle thèse, la sienne propre, d’après laquelle, la balâgha d’un discours relève toujours du مظن nadhm (agencement) et se révèle toujours dans la ىنعملا ةروص « ṣûrat al-ma‘nâ » (forme du contenu), concept capital dans sa célèbre théorie rhétorique. A cette fin, il avait invité, dans les premières pages d’al-ʼAsrâr éga- lement, à reconsidérer le rôle du سانج jinâs (paronomase) dans le discours. Sachant qu’il s’agissait justement d’un argument de taille dans la mise de ceux qui défendaient la thèse adverse, il s’était employé à démontrer, exemples à l’appui, que le bon usage de la figure en question ne décolle aucunement de la dynamique de construction du sens dans le discours.

Par ailleurs, en ce qui concerne la terminologie, al-Jurjânî considère que bon nombre de concepts de base utilisés par ses devanciers pèche par imprécision probablement en raison de l’ab- sence d’un background théorique :

« Je ne cesse encore, depuis que je me suis adonné à la science, d’examiner ce qu’avaient dit les savants à l’endroit du sens de la faṣâha (éloquence), de la balâgha, du نايب bayân (clarté) et de la virtuosité, d’élucider l’intention qui avait pré- sidé à l’usage de ces termes et d’en expliquer le sens. Ce que je trouve ce sont des choses du genre زمر ramz (« expression

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voilée » selon l’acception du terme à l’époque), signe dis- cret, ou encore du genre allusion à ce qui est caché en vue de l’extraire, à quelque chose d’enfoui en vue de la déterrer. »(1) Par conséquent, son souci majeur était de construire le référen- tiel théorique requis pour assurer le passage d’un discours hérité de la tradition rhétorique, discours vague, superficiel et impres- sionniste, à un nouveau discours, précis et analytique :

« […] Mais il vous reste à nous apprendre en quoi réside la vertu du discours, à nous la décrire et à l’élucider aussi concrètement que clairement. Il ne suffit pas de dire : il s’agit là d’uneمظنلا ةيفيك يف ةيصوصخ« spécificité dans le mode du nadhm » et d’une manière d’arranger les constituants du dis- cours. Il faut décrire la spécificité en question et l’élucider ». (2) Citons encore dans le même ordre d’idées le passage suivant :

« Il ne suffit pas, en matière de ةحاصفلا ملع ‘ilm al-faṣâha (science de l’éloquence), de ramener [l’exemple étudié] à un modèle ni de décrire [la faṣâha d’un discours] en termes gé- néraux, ni encore d’en dire des choses non fondées. On ne peut réellement en savoir quelque chose que si l’on procède à une analyse convaincante qui met le doigt sur les spécificités que l’on rencontre dans la composition du discours et qui les énumère et les nomme une à une ».(3)

D’autre part, l’un des obstacles épistémologiques relevés par al-Jurjânî consiste à croire que la ةّلع ‘illa (ressort) du beau dans le discours ne peut être décrite : « Nul doute qu’il s’agit là, écrit-

.34 ص ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

.36 ص ،هسفن (2(

.37 ص ،هسفن (3(

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il, de l’une des raisons qui les avait empêchés de connaître la balāgha dans ses différents registres et leur avait interdit la voie qui y conduit et le lieu où elle gît ».(1)

Il avait, en revanche, tâché de faire admettre que l’étude du beau dans le discours n’est pas exclue du domaine du descriptible et du dicible : « A tout discours que vous trouvez beau et à toute expression qui vous plaît doit correspondre une raison valable ainsi que doit exister le moyen de la dire ».(2) Il s’agit bien là d’un véritable enjeu, au sens fort du terme. Aussi, est-il besoin de sou- ligner que la thèse exposée dans cette citation ne manque d’inter- peller tout lecteur averti et d’inviter à relire l’œuvre d’al-Jurjânî pour mesurer le chemin parcouru dans le traitement de cette ques- tion d’esthétique fort controversée. Quoiqu’il en soit, les passages cités ainsi que beaucoup d’autres indiquent clairement qu’il a en- trepris un « libre examen » du legs rhétorique qui lui est parvenu et s’était attelé à la tâche d’un bâtisseur.

2- Choix d’un point d’ancrage et ouverture d’un paradigme

Rappelons d’abord, qu’al-Jurjânî était grammairien à l’ori- gine, profil qui explique, entre autres, son choix du point d’an- crage linguistique pour l’élaboration de sa théorie rhétorique. Et, bien qu’il fût le fondateur du ‘ilm al-balâgha, et plus précisé- ment, l’auteur de la théorie la plus élaborée dans l’histoire de la rhétorique arabe, il n’était paradoxalement connu, en son temps, que par son œuvre de grammairien(3) et ne devint célèbre par son

.109 ص ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

.41 ص ،هسفن (2(

(3) À titre d’exemple, al-Subkî avait indiqué dans la notice consacrée à al-

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œuvre de rhétoricien qu’un siècle plus tard, lorsque al-Sakkâkî (m.626/1229) publia son مولعلا حاتفم Miftâh al-‘ulûm (Clé des sciences), ouvrage dont la troisième partie est construite autour des idées-forces d’al-Jurjânī. D’ailleurs, le Miftâh constitue un premier maillon d’une longue chaîne de Shurûh (exégèses), qui s’était poursuivie jusqu’à Dasûqî (m. 1230/1815).(1)

Jurjânî, dans son livre Tabaqât al-shafi‘iyya, que le « cheikh Abû Bakr al- Jurjânî était grammairien, mutakallim ash‘arîte et faqîh shâfi‘îte ». Le titre de rhétoricien y est absent ; les autres titres désignent, probablement, dans l’ordre, les traits saillants du personnage dans la mémoire culturelle arabo- islamique à l’époque classique. Cf :

.242 ص ،3ج ،ت.د ،ةّينيسحلا ةعبطملا ،ةرهاقلا ،ىربكللا ةّيعفاّشلا تاقبط ،يكبّسلﺍ نيّدلا جات L’auteur de l’article « al-Djurdjânî » semble minimiser l’aspect paradoxal

que nous avons relevé, « Pour ses contemporains, [écrit-il], ‘al-Djurdjânî’

était surtout célèbre comme grammairien ; son œuvre comptait en effet des manuels aussi populaires que le Mi’at âmil et le K. al-Djumal ainsi que le Mughnī (commentaire en 30 vol du K. al-Idâh d’Abû ‘Alî al-Fârisî) et une version abrégée de ce commentaire, al-Muqtaṣad ». Cf. Kamal a deeb,

« al-Djurdjânî », in : E.I., Supp.1, 1979, pp. 18-23.

(1) Notons, à titre d’exemple, que certains de ces Shurûh étaient inscrits au programme de l’enseignement de la balâgha à la faculté de théologie al- Azhar et à la Zitouna en Tunisie. Le Sharh préféré des Zitouniens à l’époque est celui de Sa‘d. Une tradition d’enseignement qui remonte à un passé lointain. Au début du siècle dernier, Taha Hussein y a assisté à des « cours » de rhétorique qui consistaient, en réalité, en une simple lecture commentée de l’un des Shurûh suivants : Le Talkhîṣ, Le Mukhtaṣar, Le Mutawwal, Le Atwal et le Sharh de Sa‘d. cf. Taha Hussein, al-Ayyâm, le Caire, Dâr al Ma‘ârif, partie. 2, 29ème éd., 1981, pp. 76, 149.

Il est à signaler, qu’au cours de cette époque, un nouvel « horizon de lecture » s’était peu à peu constitué à al-Azhar, en dépit de l’opposition de la vieille garde. En effet, un groupe d’étudiants acquis à l’esprit réformateur de certains cheikhs, ‘Abdu et Murṣafi notamment, a renoué avec les sources au détriment des Shurûh. Muhammad ‘Abdu a dispensé un enseignement de balâgha à al-Azhar, au cours duquel il n’a cessé d’inciter les étudiants

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Au reste, la valeur historique des صيخلتلا حورش Shurûh al-Talk- hîṣ est indéniable; leurs auteurs avaient rempli la fonction de per- pétuer, à leur façon et de manière indirecte, un champ problé- matologique construit par al-Jurjânī. Loin de nous, donc, l’idée de mésestimer ces ouvrages. D’ailleurs, nous sommes tout à fait convaincus que cette littérature est à redécouvrir, ne serait-ce que pour réfuter une idée qui a encore cours, semble-t-il, l’idée selon laquelle la rhétorique était entrée dans une longue phase de for- malisme stérile avec al-Sakkâkî ; c’est-à-dire avec celui qui fut le premier bénéficiaire notoire du legs d’al-Jurjânî et qui a pro- voqué, par l’entremise de Qazwînî (m.739/1338), la rédaction de nombreux Shurûh qui s’était poursuivie jusqu’au XIXe siècle.

Notons, aussi, qu’al-Jurjânî avait indirectement bénéficié, au cours de sa formation(1) de l’enseignement d’Abû ‘Alî al-Fârisî (m. 377/987).(2) Cet enseignement est en lui-même révélateur : Abû ‘Alî était le précepteur de grands esprits ; n’avait-il pas assu- ré, de façon directe cette fois-ci, la formation d’une autre grande

à se pencher plutôt sur les classiques de grammaire, de rhétorique et de critique littéraire. Taha Hussein avait suivi l’un des cours du cheikh dont le sujet portait sur le Dalâ’il al-i‘jâz. Les propos du cheikh n’étaient pas restés sans écho, témoin le paragraphe suivant extrait de la deuxième partie d’al-Ayyâm : « [Les étudiants] commencèrent à déclarer haut et clair qu’ils lisaient les livres anciens et les préféraient aux livres des Azharītes. Ils lisaient le Kitâb de Sibawayhi, le Kitâb al-mufaṣṣal fî al-nahw, les deux livres de rhétorique de ‘Abd al-Qâhir al-Jurjânî et des recueils de poètes. Ils n’éprouvaient aucune gêne dans le choix des recueils ni en déclarant qu’ils récitaient ce que certains recueils contenaient parfois de poésie libertine, au sein même d’al-Azhar ». cf. Ibid., pp. 33, 64,167 -168.

(1) « Il étudia la grammaire sous la direction de Muhammed b.al-Hasan al- Fârisî, neveu d’Abû ‘Alî ». cf. K. Abû Deeb, « al-Djurdjânî », art. cit., (2) C. Robin, « al-Fârisî », in : E.I., nouvelle édition, t. 2, Leidin, Brill, p. 821.

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figure: Ibn Ginnî qui « fut son disciple pendant 40 ans et lui suc- céda » ?(1) D’ailleurs, Ibn Ginnî et al-Jurjânî se rapprochent l’un de l’autre dans leur façon de mener leurs travaux de recherche. Ils avaient tous les deux accordés, dans leurs domaines d’étude res- pectifs, toute leur attention à l’examen des fondements, ceux de la grammaire pour l’un et ceux de l’étude du discours pour l’autre.

Or, cette approche synthétique, forgée dans l’esprit d’une école grammaticale était, à l’évidence, à l’origine des deux ouvrages de rhétorique d’al-Jurjânî, al-ʼAsrâr et surtout al-Dalâ’il.

Ce qui importe le plus, c’est que dans le Dalâ’il, al-Jurjânî était venu à la rhétorique à partir de la grammaire et qu’il avait entreprit, dans la dynamique de réflexion produite par l’orienta- tion de cette trajectoire, de donner à l’œuvre de (re)construction de la balâgha un point d’ancrage linguistique, lequel a donné jour à un nouveau champ d’investigation lié, certes, à la grammaire(2)

(1) Ibid., p. 821.

(2) La frontière entre une partie du Dalâ’il et les ouvrages de grammaire arabe n’est pas étanche. D’ailleurs les chapitres suivants du livre d’al-Jurjânî se rattachent à l’étude de la syntaxe arabe :

ص (Propos sur l’ordre des constituants dans la phrase) ريخأتلاو ميدقتلا يف لوقلا .109-83 .157-111 ص (Chapitre sur l’ellipse et ses subtilités) هتكنو فذحلا باب (Chapitre sur la coordination avec ou sans conjonction) لصولاو لصفلا باب .170-88 ص Toutefois, pour lever toute équivoque éventuelle, rappelons que les

grammairiens avaient abordé, bien avant les rhétoriciens, des questions reprises par la suite et analysées de façon circonstanciée dans la partie du ملع يناعملا ‘ilm al-ma‘ânî (litt. « Science des significations »). Il serait d’ailleurs à propos de mentionner ici la définition qu’al-Sakkâkî avait donné de cet

‘ilm : « l’objet du ‘ilm al-ma‘ânî, écrit-il, est l’étude des significations propres aux [différentes] structures du discours et des mérites afférents afin que les gens prennent garde, à la faveur de la connaissance de ces propriétés

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mais la dépassant : les structures langagières décrites, les niveaux et les perspectives de l’analyse y dépassent largement le domaine de la grammaire. Les résultats de ce repositionnement sont remar- quables. En effet, en choisissant de donner à son projet un point d’ancrage linguistique aussi pertinent que fécond, il avait réussi non seulement à construire une théorie à vocation englobante, mais à esquisser également les ébauches de théories partielles, ouvrant ainsi des perspectives d’analyse multiples, en traçant par- là les grandes lignes d’un vaste programme de recherche.

D’ailleurs, pour employer un concept introduit désormais dans l’histoire des sciences, disons qu’al-Jurjânî a frayé la voie à une sorte de paradigme(1) propre à l’étude des « formes de contenu »

caractéristiques, de faillir au principe de la conformité du discours avec ce que la situation exige de mentionner. Cf.

،1987 ،2.ط ،ةيملعلا بتكللا راد ،توريب ،روزرز ميعن طبض ،مولعلا حاتفم ،يكاكّسلا بوقعي وبأ .161 ص Notons, à titre d’exemple, que les grammairiens avaient intégré dans leur

grille d’analyse de l’ordre des constituants dans la phrase ou de l’ellipse, les deux paramètres pragmatiques suivants : a/L’intention du locuteur ; b/

Sa prise en compte, lors du choix des structures syntaxiques dans l’échange verbal, de ce qu’il sait ou présume de l’état de connaissances et de l’univers de croyance de son interlocuteur.

(1) Nous estimons que la clef de voûte de la théorie de l’historien des sciences américain Thomas Samuel Kuhn (19221996-) sur le mode de l’évolution de la science, à savoir le concept « Paradigme » est d’un grand intérêt pour ceux qui mènent des recherches en histoire des sciences humaines, quoique l’horizon d’origine du concept ait été l’histoire des sciences de la nature et qu’il continue à être utilisé dans la littérature en rapport particulièrement.

Et, pour dire ce qui y a attiré notre attention et donné à penser, avançons des éléments que nous avons recueillis dans le livre de Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, 1962, éléments qui concernent: la signification du concept « Paradigme » en histoire des sciences : Le paradigme est « un ensemble de convictions, une base pour la pratique de la science » (p. 23);

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construites par les différentes structures discursives, au niveau microstructural (intra-phrastique et phrastique surtout), et, dans une mesure très limitée, certes, au niveau macrostructural (par exemple, connexions inter-phrastiques).

Notons bien que des générations de rhétoriciens ont eu longue- ment à prospecter ce paradigme sans toutefois puiser directement à sa source, semble-il, leur entreprise avait été menée dans la tra- dition des Shurûh (exégèses) par commentaires interposés. Par ailleurs, outre les limites imposées par la loi du genre, nous avons remarqué à la lecture des Shurûh al-talkhîṣ(1) les plus importants,

il « guide les recherches » (p. 73), « contraint d’employer [des méthodes]

et d’expliquer [des phénomènes] » (p. 33), « fournit des outils conceptuels et instrumentaux » (p. 63). Il « crée parfois une discipline » (p. 41),

« le nouveau paradigme implique une définition nouvelle et plus stricte du domaine de recherche » (p. 40), fournit « toutes sortes de problèmes à résoudre ») (p.30), « assurent que ce que [les savants] cherchent est important » (p. 48), sert « à définir implicitement les problèmes et les méthodes légitimes d’un domaine de recherche pour des générations successives de chercheurs » (p. 69), « a souvent permis de deviner sans erreurs les formes de […] lois » (p. 53).

La découverte d’un paradigme « est rarement réalisée par un seul homme » (p. 24), son « acquisition […] est, selon Kuhn, un signe de maturité dans le développement de n’importe quel domaine scientifique donné » (p. 31).

Le paradigme appartient à la longue durée généralement, parfois à la très longue durée, selon la terminologie de Braudel ; en effet, le paradigme astronomique de Ptolémée, par exemple, « mis au point durant les deux derniers siècles avant J.C », ne fut remplacé par celui de Copernic qu’au XVIème siècle (pp. 103104-). Cf. T.S. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1972.

(1) Il s’agit des cinq Shurûh suivants ;

ينيوزقلا بيطخلل حاتفملا صيخلت ىلع رصتخملا حرش ،).م1389/له791.ت( ينازاتفتلا نيدلا دعس .عيدبلاو نايبلاو يناعملا يف .حاتفملا صيخلت حرش يف حارفألا سورع ،)م1372/له773.ت( يكبسلا نيدلا ءاهب

(12)

que certaines propositions avaient été réinterprétées(1) dans un esprit différent de celui d’al-Jurjânî (par exemple, possibilité d’élargir la portée du concept يلقع زاجم « majaz ‘aqlī »(2) (sorte de trope de pensée), alors que d’autres avaient été carrément dé- laissées (par exemple, étude de tout type de figure, « figures de l’expression » comprises dans une perspective pragma-séman- tique). C’est dire combien le paradigme en question, de par les hypothèses hautement productives qu’il contient, est encore loin d’être épuisé.

L’objet de la rhétorique défini par al-Jurjânî est l’étude de l’agencement du kalâm (phrase -énoncé).(3) Cette entité y constitue

.حاتفملا صيخلت حرش يف حاتفلا بهاوم ،)م1716/له 1128.ت( يبرغملا بوقعي نبا .ينازاتفتلا نيدلا دعسل يناعملا رصتخم ىلع ةيشاحلا ،).م1815/1230.ت( يقوسدلا ةفرع دمحم .ةغالبلا مولع يف حاضيإلا ،)م1339/له739.ت( ينيوزقلا نيدلا لالج .ت.د ،توريب ،ةيملعلا بتكللا راد ،صيخلتلا حورش :رظنا Pour les titres d’autres Shurûh voir l’introduction de :

ةكرشلا ،توريب ،يجافخ معنملا دبع دمحم قيقحت ،ةغالبلا مولع يف حاضيإلا ،ينيوزقلا نيدلا لالج .14 ص ،1989 ،باتكلل ةيملاعلا (1) Les exégètes du Talkhiṣ n’ont pas adopté la théorie de la métaphore

proposée d’al-Jurjânī. Ils s’étaient ingéniés à la reverser dans leur théorie déjà consacrée, à savoir la théorie du transfert. Cf.

.65-60 صص ،4ج ،)ت.د( ،رورسلا راد ،قباسلا عجرملا ،ينازاتفتلا نيدلا دعس (2) Al-Jurjânî a laissé entendre que la isti‘âra pourrait être rangée dans le majâz

‘aqlî. S’il l’aurait fait, il aurait peut être bouleversé l’étude de cette figure.

D’ailleurs, sa théorie de la métaphore, en tant qu’acte d’’iddi‘â’ ءاــعّدا se prête parfaitement à l’approche cognitive de cette figure.

.439 ،437 ،434 ص ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (3) La définition de la balâgha, inspirée de l’œuvre d’al-Jurjânī et transmise de

génération en génération dans une longue chaîne de ‘ulamâ, rhétoriciens, critiques littéraires, exégètes et autres, jusqu’à l’époque moderne, dénote de la façon la plus évidente d’une visée pragmatique. La balâgha, est-il dit, dans les traités successifs, est « لاحلا ىضتقمل هتقباطم يه )...( مالكلا ةغالب

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le cadre de recherche. Toutefois ce grand théoricien a déjà franchi un premier pas, depuis cette époque, vers l’étude du transphras- tique. En effet, dans un chapitre remarquable d’al-Dalâ’il, il a entamé l’examen de certaines relations de sens entre les phrases ou groupes de phrases qui se succèdent. Il a ainsi ouvert certaines perspectives de recherche fort prometteuses et exposé des règles pragma-sémantiques qui gouvernent l’emploi du connecteur واو wâw « et », entre des couples de phrases qui se suivent.(1) Dans un second chapitre, il a examiné le choix des structures syntaxiques et la progression thématique d’une sourate du Qur’ân.(2)

Il s’agissait bien d’un champ d’étude encore nouveau à l’époque ; al-Jurjânî y avait construit une théorie à vocation englobante, la théorie du nadhm. La définition de ce concept dans le Dalâ’il est la suivante :(3) « يناعم يف ِوحنلا يناعم يِّخوت وه مظّنلا

هتحاصف عم » (« la balâgha de l’énoncé […] est son adéquation au contexte de l’énonciation tout en étant éloquent »). Les procédés d’embellissement et l’examen du ressort du beau dans les discours constituent une partie importante certes, mais une partie seulement, contrairement à une idée reçue largement partagée.

.248-222 ص ،لصولاو لصفلا ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

.46-45 ص ،هسفن (2(

(3) Après maintes reprises et un long effort de clarification, il a proposé également la définition suivante :

،هسفن .»ملكلا يناعم َنْيَب اميف هقورفو هِهوجوو هِماكحأو وحنلا يناعم يِّخوت َّالإ ًائيش ُمظنلا سيل«

.525 ص Nous en proposons la traduction suivante : « Le nadhm, écrit-il, n’est rien

d’autre que la prise en considération des sens [construit par la syntaxe], des règles qui les régissent, des هوجو wujûh (figures de syntaxe) et des قورف furûq (nuances de sens), dans l’arrangement des sens des éléments lexicaux ». Les deux traductions proposées du terme يــّخوت donneraient sûrement à penser au lecteur.

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ملكلا »(1). Admettons tout d’abord que cette formule est la laco- nique ; le choix du terme يّخوت est loin d’être heureux. Nous pro- posons, faute de mieux, la traduction-interprétation suivante :

« Le nadhm est [l’œuvre] d’imbrication des sens des éléments lexicaux dans les sens construits par la syntaxe ».

Quoi qu’il en soit, nous avons relevé, dans le Dalâ’il, quatre composants inter-reliés. Objet de l’étude du nadhm ; ces compo- sants nous éclairent sûrement sur la signification de ce concept chez al-Jurjânî ; nous les énumérons dans l’ordre suivant, ordre qui retrace, de façon très approximative, les grandes étapes du processus de génération du kalâm (énoncé) :

• Le دصقلا qaṣd, (l’intention du locuteur) et le ضرغلا gharadh, (« le but à atteindre par le discours » ou, pour employer la terminologie moderne, l’acte illocutoire). Ces deux facteurs orientent le choix des constituants linguistiques du discours.

• État de connaissances de l’interlocuteur. Dans son approche, al-Jurjânî postule que le locuteur prend en compte, lors du choix d’une structure syntaxique parmi plusieurs autres va- riantes, ce qu’il sait de ce que son interlocuteur sait.

• Sens construits par les différentes structures syntaxiques employées dans un discours (structures infra-phrastiques, structures phrastiques et liaisons entre les phrases qui se suc- cèdent).

• Significations des éléments lexicaux employés dans le dis- cours.

Le nadhm, au sens Jurjanien, se définit donc, en aval, pour- rait-on dire, comme étant le processus de construction de la forme

.361 ص ،هسفن (1(

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de contenu ; il s’agit d’une véritable dynamique orientée où in- terviennent conjointement les وحنلا يناعم ma‘ânî al-nahw (sens construit par les structures syntaxiques) et les مِلكلا يناعم ma‘ânî al-kalim (significations des items lexicaux). Cette dynamique prend source conjointement dans le maqâm, qaṣd et gharadh. Elle oriente le choix de l’agencement syntaxique, des items lexicaux et met « l’accent sémantique » sur certains constituants de l’énon- cé. Aussi, les trois facteurs pris en considération se trouvent-ils inscrits dans le corps même du nadhm en tant que produit, ou mieux se retrouvent-ils encodés dans les spécificités de l’agence- ment syntaxico-lexical du discours.

Pour l’étude des différences des significations construites par des formes de nadhm voisines, al-Jurjânî a proposé de pré- cieux outils ; les deux couples de concepts descriptifs suivants retiennent spécialement l’attention : ىنعملا لصأ aṣl al-ma‘nâ (sens originel) / ىنعملا ةروص sûrat al- ma‘nâ (forme de contenu ») et هوجو wujûh (litt. « figures de discours », c’est-à-dire différentes va- riantes syntaxiques) / قورف furûq (nuances de sens). Il a tenu à démontrer, à maintes reprises et exemples à l’appui, qu’à partir de ce qu’il propose d’appeler ىنعملا لصأ aṣl al-ma‘nâ, sorte de contenu pré-articulé, en aval à toute mise en forme syntaxique, et en vertu des différentes dynamiques de sens possibles construites par le nadhm, on obtient une pluralité de ىنعملا روص (formes de contenu ou forme-sens). Il a aussi introduit dans l’étude des différentes variantes de « ṣuwar al- ma‘nâ » le couple wujûh / furûq. Ce couple permet, en effet, dans une approche comparative, de saisir les différents sens des wujûh construits à partir d’un même ʼaṣl ma‘nâ (cf. La fameuse étude des variantes

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ُقِلطنملا ؛ قِلطنُملا ٌديز ؛ ديز ٌقِلطنم ؛ ديز ُقِلطني ؛ قِلطنَي ٌديز ؛ قلطنم ٌديز

(1).(ٌقِلطنم وه ٌديز ؛ ُقلطنملا َوه ٌديز ؛ ٌديز Notons bien que ces furûq sont réalisés par les différentes trans- formations permises dans la langue. Pourrait-on alors supposer la présence de l’idée de لودع ‘udûl (l’écart) dans l’esprit d’al-Jurjânî ? D’ailleurs, à chaque fois que nous relisons al-Dalâ’il, le paragraphe suivant de Sapir nous revient à l’esprit : « Il n’est pas du tout vrai- semblable qu’un style véritablement grand puisse entrer en conflit avec le système de formes d’un langage ; non seulement le style se les assimile, mais encore il les utilise pour des constructions nou- velles ».(2)

Au cours de l’examen de plusieurs séries d’exemples à la lu- mière du couple wujûh/ furûq, al-Jurjânî n’a cessé de souligner, tout au long du Dalâ’il, que tout changement apporté à un nadhm, si minime soit-il, entraîne nécessairement un changement de la ṣûrat al-ma‘nâ ; ne soutenait-il pas, par ailleurs, que la paraphrase ne peut jamais être tout à fait équivalente au discours à expliquer, car les ṣuwar al-ma‘ânî changent de l’un à l’autre ? Le choix heureux de l’agencement approprié au contexte d’énonciation re- lève d’après ce que laisse entendre al-Jurjânî d’une « compétence rhétorique » nécessaire à l’usage de la parole. En effet, il a forgé le couple دــيج مــظن nadhm jayyid (agencement réussi) / مظنلا داسف fa- sâd al-nadhm (agencement défectueux)(3) et invitéà être sensible

.178-177 ص ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

Le ʼaṣl al-ma‘nâ est ديز قالطنا (le départ de Zayd). Les différentes phrases citées sont des wujûh.

(2) Edward SaPiR, Le langage. Introduction à l’étude de parole, Traduit de l’anglais par S.M. Guillemin, Paris, Petite bibliothèque payot, 1970, p. 160.

.86-83 ص ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (3(

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au degré d’adéquation du nadhm au maqâm. Il peut donc y avoir dans un discours des imperfections de nadhm bien que l’expres- sion soit correcte du point de vue grammatical.

Al-Jurjânî a donc exposé dans le Dalâ’il les propositions théoriques qui constituent, selon lui, les bases à une étude rai- sonnée de la qualité du nadhm dans tout discours. Dans les toutes dernières pages de l’ouvrage, il a indiqué l’objectif ultime qu’il s’était proposé d’atteindre: « la chose la plus intéressante et le but le plus important […], écrit-il, consistent à dégager les raisons qui font qu’un nadhm est [meilleur] qu’un autre ».(1) Et c’est dans ce cadre que se situe sa réponse à la question du ressort d’al-’i‘jâz, (inimitabilité [du Qur’ân]); Aussi considère-t-il que la ṣifat al- mu‘jiz, « caractère inimitable », est le résultat d’arrangements de très haute qualité dans tous les versets du livre saint dans son entier, sans discontinuité aucune; gageure hors de portée des humains selon lui, contrairement à la thèse que soutenaient les

« ’ahl al-ṣarfa », c’est-à-dire ceux qui considèrent que le i‘jâz provient de l’empêchement des humains de produire un livre d’aussi grande perfection.

Le nadhm est donc une théorie à vocation englobante ; son objet est l’étude de l’agencement de tout kalâm, du simple énon- cé de la vie quotidienne aux discours les plus élaborés. Dans le Dalâ’il, al-Jurjânî, a examiné plusieurs structures syntaxiques ou rhétoriques et certaines transformations grammaticales, ainsi il a consacré de longs chapitres aux thèmes suivants : affirmation, question, formes clivées, changement de l’ordre des constituants dans la phrase, ellipse, coordination avec ou sans connecteur, tashbîh, isti‘âra, kinâya, paraphrase, plagiat, etc. La méthode

.524 ص ،هسفن (1(

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d’analyse proposée est à entrées multiples comme nous l’avons indiqué.

À la lumière de cette théorie, ce rhétoricien hors pair a frayé le chemin à l’étude de plusieurs questions sémantiques. Indiquons, pour conclure, les pistes qu’il a tracées pour l’étude du iʼjâz, le ressort de l’unité de sens dans le discours et la réanimation des métaphores usées.

a- La description qu’il a proposée de la figure de زاجيإ ʼîjâz (concision) est remarquable. Il considère que la concision est un mode de structuration en feuilleté, des couches de sens se super- posent verticalement, pourrait-on dire, chaque couche de sens in- troduit, par inférence, à la couche supérieure.

ملكتملا ّنأ ريغ ظفّللا ةلق عم ىنعملا ةرثك ]زاجيإلا[ :انلوقل ىنعم ال«

ظفللاب اهيلع ةلالدلا دارأ هّنأ ول دئاوف ىلإ ىنعملا ىلع ىنعملا ةلالدب لّصوتي

(1)»ريثك ظفل ىلإ جاتحال b- Dans un autre passage, il a abordé la question de ‘l’unité’

de sens du discours ; il a utilisé le terme داحّتا ittihâd (synthèse du sens) pour désigner le phénomène d’intégration sémantique à l’œuvre dans tout énoncé:

« Il est acquis que ce qui est compris de l’ensemble de mots est un seul sens et non plusieurs sens. Il s’agit [dans l’exemple précité] de l’affirmation que Zayd est لعاف fā‘ilun

« agent », qui a frappé ‘Amr à tel moment, de telle manière et pour telle raison. Voilà qui fait que tu dis : c’est un مالك دحاو seul discours ».(2)

.464 ص ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

.414-413 ص ،هسفن (2(

Il a utilisé dans ce contexte la comparaison suivante :

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L’unité du sens de la phrase est, selon lui, le قّلعتلا لوصحم(1), résultat des relations syntaxiques entre les constituants de l’énon- cé-phrase. Evidemment, il n’a pas abordé la question de l’inté- gration sémantique au niveau du texte ; il s’agit bien d’un objet d’étude fort complexe.

c- Les grandes potentialités offertes par le nadhm constituent, selon al-Jurjânî, un moyen de recycler et de transformer les métaphores usées. Toutefois ce moyen ne se limite pas, d’après ce que l’on retient de certaines de ses analyses, à la recherche d’une meilleure expression pour le même contenu métaphorique ; il permet également de réarranger les différents éléments de ce contenu. Ainsi donc, après avoir cité un vers d’Abû Nuwâs dont le contenu a été pris dans la poésie d’al-Nâbigha, al-Jurjânî écrit :

« Le fait est clair pour quiconque sait observer ; Abû Nuwâs a transféré le sens de sa هتروص ṣûrati-hi (i.e. « forme (du sens) ») qu’il avait dans la poésie d’al-Nâbigha à une forme autre. Ceci [a été réalisé parce qu’] il y avait [dans les deux vers d’al-Nâbigha] deux sens : l’un est un لصأ ʼaṣl (sens originel), il consiste en une connaissance [propre] aux rapaces, d’après laquelle le personnage objet de louange remporte toujours la victoire s’il lui arrive d’attaquer un en- nemi ; l’autre est un عرف far‘ ([sens] dérivé); il concerne la convoitise de ces rapaces de nourriture en abondance, consti- tuée de la chaire des victimes tuées [au combat]. Al-Nâbigha a opté pour le sens originel qui se rapporte à la connaissance des rapaces d’après laquelle le personnage objet de louange ne peut manquer d’être le vainqueur. Il avait formulé expli- ىّتح ضعب يف اهضعب بيذيف ةضفلا وأ بهذلا نم اعطق ذخأي نم ُلثم مالكلا ِعضاو َلثم ّنأ ملعا«

.413-412 ص ،هسفن .»ةدحاو ةعطق ريصت .412 ص ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

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citement [cette idée] et laisser entendre, par la ىوحفلا ةلالد dalâlat al-fahwâ (signification du sous entendu), le sens déri- vé, c.-à-d. l’attente des rapaces et l’action de survoler [le lieu du combat]. Quant à Abû Nuwâs, il avait inversé cet ordre ; aussi avait-il mentionné de façon explicite le sens dérivé, c.- à-d. la convoitise de la chaire des victimes et laissé entendre le sens originel par la ىوحفلا ةلالد (signification du sous en- tendu) […] ainsi pourrait-on trouver illustration plus claire du transfert d’une image à une autre ?! ».(1)

3- Comparaison(s) et métaphore(s) dans l’œuvre d’al Jurjânî : Cadre d’étude et champ problématologique Rappelons à titre de comparaison qu’Aristote (m.322 av. J.- C.), initiateur lointain de l’étude des figures d’analogie dans l’his- toire générale des rhétoriques (histoire encore à écrire d’ailleurs), avait traité la question de la comparaison et /ou de la métaphore dans trois ouvrages consacrés à l’étude des tékhnê de trois genres de discours : « la discussion dialectique » dans les Topiques ;(2)

« le discours oratoire » dans la Rhétorique(3) et la tragédie dans la Poétique.(4) À ce niveau macro-structural, il a déployé dans cha- cun de ces trois ouvrages, particulièrement à l’occasion de l’étude de la métaphore, un champ problématologique dont le question-

.503-502 ص ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

(2) aRiStote, Organon V, les Topiques, 139b, Trad. Jules Tricot, Paris, Vrin, 1990, pp. 3035-.

(3) aRiStote, Rhétorique, livre III, 1405a ;1405b ; 1406b ; 1407a ; 1410b ; 1411a ; 1411b ; 1412a ; 1412b ; 1413a, Introduction de Michel Meyer ; traduction de C.E., Ruelle, Paris, Libraire générale française, 1991.

(4) aRiStote, Poétique, § 21 ; § 22, Trad. R. Dupont-Roc et J. Lallot, Préf.

Tzvetan Todorov, Paris, Seuil, 2011.

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nement porte sur les couples suivants: métaphore et définition,(1) métaphore et persuasion, métaphore et procédure de découverte,(2) métaphore et Mimèsis.(3) L’approche qu’il fait des différentes fa- cettes de ces espaces de questionnement est, de ce fait, plurielle;

nombreux champs de savoir y sont engagés à des paliers divers:

philosophie, logique, politique, psychologie des comportements, poétique, etc.

Quant aux concepts utilisés dans la description des procès cognitifs régissant la Metaphora (terme qui regroupe métaphore et métonymie dans l’emploi Aristotélicien), nous relevons qu’ils sont puisés pour l’essentiel dans la logique ; en témoignent son recours constant au couple ‘Genre/type’ ainsi qu’au concept ‘ana- logie’.(4) Celui-ci désigne initialement, en mathématique pythago- ricienne, une identité de rapport (a/b=c/d). Aristote l’a transférée de son domaine d’origine à l’étude des parties des animaux et puis à la description du processus d’engendrement de la « métaphore proportionnelle ». D’ailleurs, il a décrit deux types de métaphore seulement : « la métaphore proportionnelle » (expression forgée par lui-même) et la métaphore in absentia.

Aristote a décrit le processus d’engendrement des figures d’analogie (comparaison, métaphore, analogie et exemplum) dans le cadre de l’élaboration des tékhnê des trois genres de dis- cours sus-indiqués. Or, tout autre est le cadre où avait été abordé l’étude de ces mêmes figures dans la tradition rhétorique arabe : cadre d’une recherche pragma-syntaxique dans un premier pa-

(1) aRiStote, Organon V, op. cit., 139b.

(2) aRiStote, Rhétorique, op. cit., 1410b ; 1412a.

(3) Paul RiCœuR, La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, pp. 5658-.

(4) aRiStote, Poétique, op. cit., § 21.

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lier et d’une réflexion esthétique dans un second palier. Aussi, les rhétoriciens arabes avaient-ils examiné nombre de structures syntaxiques et de procédés rhétoriques dont la maîtrise était jugée nécessaire aux activités de production et d’évaluation de tout dis- cours, du discours quotidien au discours littéraire le plus élaboré.

La logique de ce programme les avait, vraisemblablement, orien- tés vers l’étude du micro-structural essentiellement.

La catégorie du genre de discours n’a donc constitué ni un objet d’étude ni un arrière plan dans les ouvrages de rhétorique arabe. Pourtant, la question de نآرقلا زاجعإ i’jâz al-Qur’ân (l’inimi- tabilité du Coran), en réponse à laquelle al-Jurjânî a en réalité élaboré sa théorie du nadhm, avait fait émerger à la surface de certains passages du Dalâ’il, non la question des genres, mais celle de la différence entre des archi-genres de discours, pour- rait-on dire. Dans ce cadre, al-Jurjânî a eu le mérite de reposer la question, combien difficile, de la différence entre le نآرــقلا مــظن nadhm al-Qur’ân et le رعشلا مظن nadhm al-shi‘r.(1) Cependant il n’a nullement projeté d’examiner le mode de nadhm dans chacun de ces deux archi-genres. Il avait écarté la question et classé, sur la base d’une idée manifestement a priori, des archi-genres de dis- cours sur une seule ligne ascendante, plaçant au bas de l’échelle, le لفغ مالك kalâm ghufl (sorte de « discours simple », ou discours utilitaire de la vie quotidienne)(2) et au degré supérieur, le Qur’ân, discours زجعم mu‘jiz « inimitable » car il est au-delà des com- pétences humaines. Il n’entre pas dans notre propos de discuter du bien fondé d’un tel classement ; notons quand même que ce classement laisse entendre que la différence de nadhm entre des

.597-596 ص ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

.307 ص ،هسفن (2(

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discours aussi hétérogènes est, selon al-Jurjânî, plutôt de degré et non de nature et que tous les genres de discours, qu’ils soient littéraires ou autres, constituent une sorte de continuum ascen- dant. Convenons qu’il s’agit là d’une thèse qui se prête, de toute évidence, à la critique.

En conclusion, les rhétoriciens arabes avaient presque toujours œuvré au niveau d’une sorte d’archi-discours constamment pré- sent en filigrane dans leurs ouvrages. Aussi avaient-ils décrit de nombreuses structures discursives et figures rhétoriques, en deçà ou au delà de la phrase, sans remonter au niveau du texte ou du genre. Il va sans dire que ce positionnement a profondément mar- qué l’orientation de la recherche dans la balâgha en engageant les rhétoriciens à s’intéresser essentiellement au microstructural. Les figures d’analogie avaient été donc examinées à ce niveau général de l’ensemble de la production discursive ; le champ probléma- tologique ouvert par al-Jurjânî, au cours de l’examen de ces fi- gures, est différent de celui déployé par Aristote. Il contient deux foyers majeurs construits par l’examen des deux dichotomies : figures d’analogie / nadhm « agencement », figures d’analogie/

نسُح husn (beauté).

4- L’étude des figures d’analogie entre le Dalâ’il et le ʼAsrâr : point de jonction possible

La plupart des chercheurs qui se sont intéressés à l’étude d’al-ʼAsrâr et du Dalâ’il ont témoigné une préférence marquée pour le second ; celui-ci contient justement l’exposé, l’illustra- tion et la mise à l’épreuve de la fameuse théorie du nadhm. Une lecture d’al-ʼAsrâr en fonction de la perspective de recherche construite par le Dalā’il, les a conduits à exprimer leur étonne-

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ment devant la quasi absence de la dite théorie dans l’économie de ce livre(1) et, de là, à relever le caractère lâche du lien entre les deux ouvrages. Cependant, au terme d’un réexamen approfondi du niveau de structuration du discours analysé dans le Dalâ’il et du niveau de structuration analysé dans le ʼAsrâr, nous esti- mons qu’il y a bien lieu de reconsidérer la question du rapport entre ces deux ouvrages. Ce réexamen apporterait, à notre avis, un nouvel éclairage, plus complet surtout sur la méthode d’ana- lyse qu’al-Jurjânî a proposée, dans ces deux livres, pour l’étude des figures d’analogies dans tout type de texte.

Avançons, pour commencer, les données suivantes : Deux pro- grammes de recherche sont exposés dans les deux ouvrages ; ils diffèrent en amplitude, celui du Dalâ’il a une vocation nettement englobante. Seules les figures d’analogie représentent un objet d’étude commun dans les deux ouvrages, mais les perspectives de l’étude de ces figures y sont différentes: Dans le Dalâ’il, le هيبشت tashbîh (comparaison) et la ةراعتسا isti‘âra (métaphore) sont traités dans le cadre de la théorie du nadhm ; la validité de ce traitement et les résultats qui en découlent, représentent d’ailleurs un élément capital dans une stratégie d’argumentation dont l’objectif consiste à prouver le caractère englobant de la théorie en question. Tandis que dans le ʼAsrâr, l’objet de recherche est tout autre ; l’auteur

(1) Notons par ailleurs que les chercheurs ne sont pas d’accord, faute d’indices, sur les dates présumées de la composition des deux ouvrages de rhétorique d’al-Jurjânî : Ritter, par exemple, considère comme probable, sans avoir avancé aucun argument, que le ʼAsrâr est antérieur au Dalâ’il. Tarak Nu‘mân soutient le contraire. cf: Abdelqahir al-Jurjânî, ʼAsrâr al-Balâgha, 3ème éd., Ed. Hellmut Ritter, Beyrouth, Dâr el-Masīra, 1983, p. 6.

،رشنلل انيس راد ،ةرهاقلا ،ملعلل يفرعملا سيسأتلاو ايجولويديﻹا نيب ىنعملاو ظفللا ،نامعنلا قراط .21 ص ،1994

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y étudie dans un autre cadre, celui d’une certaine syntaxe plutôt logico-sémantique, une couche profonde de la structure de signi- fication des deux figures.

Mais, malgré ces différences, il existe, à notre avis, sous le même chef du nadhm, moyennant l’élargissement de la compré- hension de ce concept, un point de jonction entre les deux cadres théoriques et les deux niveaux de description correspondants.

Nous aurions alors, à la faveur de cette lecture, à un niveau latent du Dalâ’il et du ʼAsrâr réunis, quelques fondements d’une théo- rie du nadhm élargie. En effet, rien n’empêche, sur la base d’un examen de l’objet d’étude des figures d’analogie dans le Dalâ’il d’une part et le ʼAsrâr d’autre part, de conclure à l’existence, dans l’esprit d’al-Jurjânî, de deux paliers de construction des formes de contenu, par arrangement de constituants différents mais soli- daires, appartenant à deux niveaux langagiers différents : a– Nadhm 1 (agencement syntaxico-lexical)

Un premier type de nadhm (agencement) réalisé au niveau syntaxique et lexical du discours ; son étude constitue l’objet du Dalâ’il. Nous l’appellerons désormais nadhm1. Dans le Dalâ’il, l’étude de la ةراعتسا isti‘âra (métaphore) et du هيبشت tashbîh (com- paraison) entre dans ce cadre. Al-Jurjânî avait magistralement décrit la différence des « formes de contenu » entre le tashbîh construit avec le marqueur de comparaison َك(comme) et celui construit avec le marqueur ّنأك(comme si). Nous rapportons, en exemple de son étude de la syntaxe de la comparaison dans le cadre du nadhm1, le passage suivant :

ِهلِّمأتم نع ةهبشلا فشكي نأ ىرحأو ُحضوأو ُنيبأ ءيش سيل هنأ ملعِا«

َلثم« وأ »ِدَسألاك ٌديز« :ُلوقت َكنإف ،»هيبشتلا« نِم ،هانلق ام ِةَّحص يف

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:ُلوقت مث ًاجَذاس ًالْفُغ ًاهيبشت هَّلك َكلذ ُدجتف ،»ِدسألاب ٌهيبش« ْوَأ »ِدسألا ًانْوَب ِلوألا َنيبو هَنْيَب ىرَت كنَأ َّالإ ،ًاضيأ ًاهيبشت ُنوكيف ،»ُدَسَألا ًاديز َّنأك«

،هيف َتْدزو ىنعملا َتْمَّخف دق َكُدِجَتو ،ًةصاخ ًةروص هل ىرَت كنأل ،ًاديعب ُرْعذلا هُرِماخُي ال ٌبلق هَبْلق َّنَأو ِشْطبلا ِةّدشو ِةعاجشلا نِم هّنَأ َتْدفأ ْنأب َكَّنيَقْلَيَل ُهَتيِقل ْنئَل« :لوقت ّمث هنيعب ُدَسَألا هّنَأ مَّهوتي ُثيحب ،ُعْورلا هُلخدَي الو ٍةَفِصو ،َنَسْحأ ٍةروص يف ْنكلل ،َةغلابملا هذه َدافأ دق هُدجَتف ،»ُدَسَألا هنم

(1)».دسألا هّنأ مّهوتي ،»ّنأك« يف ُهلَعْجَت كنَأ كلذو ، َّصَخأ

« Sache qu’il n’y a pas mieux que la comparaison qui permette de rendre les choses plus évidentes, plus claires et à même de lever les ambiguïtés touchant la vérité de ce que nous avons avancé. En effet, on dit : ‘Zayd est comme un lion’ ou bien ‘pareil à un lion’ ou encore ‘ressemblant au lion’ et on trouvera à toutes ces expressions une grande simplicité.Puis on [ajoute] : ‘On dirait que Zayd est un lion’, on obtient également une comparaison sauf que l’on perçoit entre cette comparaison et les autres une grande différence, car ici on aura certainement amplifié et augmenté le sens en signifiant qu’il est si courageux, tellement combatif, qu’il un cœur hardi, inébranlable et qui ne connait pas la peur au point de le prendre réellement pour un lion [en chair et en os]. On dit également : ‘Si tu le rencontres, c’est le lion en lui qui viendra à ta rencontre’ et l’on constate que cette expression crée un effet d’exagération mais dans une image plus belle et selon une qualité plus spécifique, parce que en parlant de lui selon le mode du ‘comme si’ on le prend pour le lion. » Mais bien que les différentes formes syntaxiques de ces deux figures constituent l’objet principal de recherche les concernant dans le Dalâ’il, al-Jurjânî n’a apporté que des « rudiments »

.425-424 ص ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

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d’une syntaxe de la comparaison et de la métaphore. Dans le Dalâ’il, les différences de sens entre certains marqueurs de com- paraison, leur effacement obligatoire dans la structure du ينمض هيبشت tashbîh dhimnî (comparaison implicite) ainsi que l’autonomie du composant syntaxique du comparant par rapport au comparé dans ce type de comparaison, certaines spécificités grammaticales du ليثمت هيبشت tashbîh tamthîl (comparaison par analogie), sont les seuls aspects étudiés de la « syntaxe de la comparaison » dans le cadre de ce que nous avons appelé nadhm1.

C’est à al-Jurjânî que nous devons également les premières réflexions sur les catégories morpho-syntaxiques de la méta- phore. Les éléments qu’il a relevés sont fort intéressants mais ne représentent que les premiers pas vers une certaine « syntaxe de la métaphore ». Il a abordé cet aspect dans son exposé de la clas- sification qu’il a proposée de cette figure dans le ʼAsrâr. Cette fois-ci ; il a établi une division binaire en métaphore nominale et métaphore verbale. Il ensuite subdivisé la métaphore du nom en deux grandes catégories : métaphore du nom à référent dans le monde réel et métaphore du nom à référent construit dans un uni- vers imaginaire. Pour désigner ces deux catégories, il a forgé les deux expressions : ةّيلييخت ةراعتسا/ةّيقيقحت ةراعتسا. Malheureusement, cette distinction a été quelque peu délaissée dans l’étude de la mé- taphore bien qu’elle ouvre une perspective de recherche fort in- téressante dans l’étude des univers fictifs et des différentes voies d’écriture de l’imaginaire poétique. Il a également relevé que la métaphore du verbe agit en retour sur le sujet, le complément d’objet, ou les deux compléments d’objets, s’il s’agit d’un verbe

« à trois places ». Il a donc bien signalé que la métaphore du verbe déborde les limites du mot dans lequel elle se situe et entraîne

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dans son sillage d’autres constituants de l’énoncé, mais il n’a pas pour autant révisé la question de la localisation de la métaphore.

Ne s’agit-il pas ici d’un paradoxe : il considère, comme tous les rhétoriciens classiques, arabes et autres, que la métaphore se situe dans un seul vocable, alors que le point d’ancrage de l’étude de la structure sémantico-syntaxique de cette figure, dans sa théorie, est le nadhm. Sa théorie se range parmi les théories de la méta- phore-mot et non dans celle de la métaphore-discours. Pourtant le nadhm lui offrait la voie de dépasser toutes les théories anciennes.

Ce pas a été franchi par les théories modernes.

Ce qui nous intrigue encore, c’est que les rhétoriciens arabes postérieurs à al-Jurjânî situent les métaphores dans un seul terme de l’énoncé bien qu’ils aient souligné une présence nécessaire de la ةنيرق qarîna dans la mise en place des tropes en général. La qarîna lafẓiyya (indice linguistique), qui nous intéresse ici, est une impertinence sémantique résultante d’une rupture d’isotopie ; elle se situe donc au niveau des discours et signale la présence d’un trope. Leur examen de ce constituant aurait dû les amener à sortir des limites des mots. En outre, ils ont tous enregistré l’exis- tence d’un type de métaphore construit par l’énoncé tout entier : ةيليثمتلا ةراعتسالا la isti‘âra tamthîliyya (métaphore par analogie).

Malgré cela, ils avaient tous indiqué, dans leurs définitions de la métaphore, qu’elle se situe dans un terme, terme qui représente le foyer métaphorique seulement dans les études modernes de cette figure.

Dans le Dalâ’il, l’agencement syntaxique des deux figures a bien constitué un objet de recherche dans le cadre du nadhm1.

D’ailleurs al-Jurjânî a bien souligné que : « La métaphore la ةيانك kinâya (litt. « (Figure de) dissimulation »), le ليثمت tamthîl

(29)

(analogie) et tout autre type de زاجم majāz (tropes) n’échappent aucunement au nadhm. »(1) Seulement il n’a avancé que des ru- diments d’une syntaxe de la comparaison et d’une syntaxe de la métaphore. Nous avons par ailleurs remarqué, dans son ana- lyse de quelques métaphores, un certain flottement. Parfois, il croyait examiner la syntaxe de la métaphore alors qu’en réalité il a dégagé les modalités de construction de sens réalisées par les structures syntaxiques. Ceci donne évidemment à penser : au- rait-il jugé qu’il n’existe pas de syntaxe de la métaphore et de la comparaison, à proprement parler ? Les rudiments qu’il a retenus seraient-ils seuls pertinents à son avis dans l’étude de la méta- phore ? Quoi qu’il en soit, rappelons que Christine Brooke-Rose, pionnière parmi les modernes, a avoir voulu démontrer l’exis- tence d’une syntaxe de la métaphore, n’a pas en réalité dégagé une syntaxe propre à cette figure. D’autres chercheurs, à sa suite, partagent notre avis. Irène Tamba Mecz, par exemple, avait écrit en conclusion d’une thèse sur « le sens figuré » : « Le principal enseignement de cette description est sans doute l’absence d’une syntaxe spécifique aux tours figurées »(2).

b– Nadhm 2 (Agencement logico-sémantique)

Un second type de nadhm se réalise, selon le programme ex- posé au début du ʼAsrâr, à un niveau plus profond du discours, niveau du découpage de la réalité en genres et types. Nous l’ap- pellerons désormais nadhm 2. Dans le ʼAsrâr, al-Jurjânî a tracé à grands traits dans un passage concis, ou plutôt touffu, tout un programme de recherche :

.393 ص ،قباسلا عجرملا ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

(2) Irène tamba-meCz, Le sens figuré, Paris, PUF, 1981, p. 188.

(30)

« Sache, écrit-il, que l’objectif poursuivi dans cette étude que j’entreprends sur la base des fondements que j’ai posés consiste à élucider يناعملا رمأ amr al-ma‘nânî, « la question de signification », en considérant les manières dont ils différent ou s’accordent entre eux, se rejoignent ou se disjoignent. J’ai essayé de passer en revue les genres et types de sens, de dis- tinguer en eux ce qui est particulier de ce qui est de l’ordre de ce qui est commun; de souligner le haut rang qu’ils occupent dans l’ordre de la raison et le mode par lequel ils tiennent ce rang, de spécifier la relation de parenté par laquelle ils s’y rapportent ou au contraire la distance qui les en éloigne, de montrer qu’ils sont dans un cas à l’image d’un allié considéré comme un parent et dans un autre cas à l’instar d’un bâtard attaché à une communauté qui le repousse, le rejette et ne prend guère sa défense ».(1)

Selon la lecture que nous proposons de cet ouvrage et surtout des passages dans lesquels il a étudié la forme de contenu de la métaphore, un second type de nadhm, ou nadhm 2, s’effectue au niveau des سانجأ ’ajnâs, (« genres » au sens linguistico-logique du terme) construits par le langage. Le système des genres dans chaque langue, grand voile qui enveloppe ce que nous désignons communément par le terme « réel », comprend, entre autres, pour utiliser la terminologie Greimassienne, les axes sémantiques à l’œuvre dans le découpage de nos univers de croyance (ou du réel). C’est à ce niveau que se situe le nadhm 2 ; il s’agit donc de l’étude d’une syntaxe logico-sémantique.

L’étude du nadhm 2 d’une isti‘âra ou d’un tashbîh, c’est à-dire de leurs agencements logico-sémantiques, permet de saisir, sur

،1991 ،يندملا راد ،ةدج ،ةرهاقلا ،ركاش دومحم قيقحت ،ةغالبلا رارسأ ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

.26 ص

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