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Le ʼAsrâr par son côté éclaireur et le Dalâ’il par les incessan-tes reprises des idées forces, des ajouts subtils au gré des refor-mulations, une argumentation qui ne cesse de rebondir, un ton polémique parfois et des rebroussements inattendus, représentent, tous les deux, le spectacle d’une théorie en construction. Mani-festement, à l’occasion d’une réflexion en acte, des foyers de ten-sion ne manquent pas de surgir. Et effectivement, dans les deux ouvrages d’al-Jurjânî, nous en avons relevé trois concernant son traitement des figures d’analogie :

5-1- Le husn à la lumière de la théorie du nadhm : la formulation forte et ses limites

Al-Jurjânî a fait du nadhm le concept englobant du champ de la balâgha ; dans le Dalâ’il, tout s’y rapporte, comme nous l’avons signalé. Aussi sommes-nous presque sûr, qu’il n’aurait pas accepté la division du champ rhétorique qui lui est postérieure en يناعملا ملع ‘ilm al-ma‘âni « étude des différentes significations des structures syntaxiques », نايبلا ملع ‘ilm al-bayân « étude du sens figuré » et عيدبلا al-badî‘ « étude des procédés d’ornement du discours ».Dans la logique de sa théorie du nadhm, théorie à vocation englobante, le ‘ilm al-ma‘âni doit embrasser le champ rhétorique dans sa totalité et il n’y a pas lieu d’examiner les tropes en dehors du processus d’agencement du discours et de construc-tion des formes de contenu.

Aussi, son esthétique est-elle établie sur la proposition ma-jeure suivante : la balâgha du discours a sa source dans la ṣûrat al-ma‘nâ (forme du contenu) et nullement dans le lafẓ (l’expres-sion). Le concept cardinal, à la base de son esthétique, est la ةروُص

ىنعملا ṣûrat al-ma‘nâ (forme de contenu), laquelle est le produit du nadhm. Il s’agit donc d’une esthétique orientée vers l’étude de la dynamique du sens. D’aucuns diraient qu’il s’agit là d’un vieux débat entre les tenants de deux théories du husn (beauté( dans le discours ; mais ce débat est encore actuel, en dépit les différences de formulation, des enjeux et des référentiels théoriques ; Gilbert Durand n’a-t-il pas développé une critique acerbe contre ceux qu’il considère comme étant les tenants d’un structuralisme formaliste – Jakobson en tête – et n’avait-il pas défendu un programme d’étude des structures du contenu ?(1)

Quoi qu’il en soit, al-Jurjânî soutient, dans une formulation forte, à contre courant d’un certain point de vue formaliste dans la tradition rhétorique arabe, que le nadhm est l’unique ressort du beau dans le discours. Toutefois, nous avons relevé, dans ce travail, une certaine hésitation. Dans certains paragraphes, il laissait entendre que le nadhm n’est pas toujours pertinent pour tous les types de métaphores. « Parmi les isti‘âra, note-t-il, cer-taines ne peuvent être analysées qu’après acquisition d’une pro-fonde connaissance du nadhm ».(2) Dans d’autres, il semble re-venir sur ce qui est présupposé dans la citation précédente : « La Métaphore, la ةيانكkinâya (litt. « (Figure de) dissimulation »), le ليثمت tamthîl (analogie) et tout autre type de زاجم majâz (tropes), disait-il, n’échappent aucunement au nadhm. »(3)

(1) Gilbert duRand, Figures mythiques et visages de l’œuvre, Paris, Dunod, 1982, surtout Chap. III, « les chats, les rats et les structuralistes », pp. 87-118. Durand a employé dans cette étude une expression qui donne beaucoup à penser : « rhétorique profonde » (p. 106).

..10 ص ،زاجعإلا لئالد ،يناجرجلا رهاقلا دبع (2(

.39 ص ،هسفن (3(

Par ailleurs, il avait longuement examiné la dichotomie sui-vante :ةردان ةيصاخ ةراعتسا isti‘âra khaṣṣiyya nādira (litt. « méta-phore distinguée et rare ») / ةلذتبم ةّيماع ةراعتسا, isti‘îra ‘âmmiyya mubtadhala (litt. « Métaphore commune usée ») et avait rangé sous le deuxième terme, c’est-à-dire la « métaphore distinguée et rare », deux types de métaphore tout à fait différents; un premier type dont le husn (beauté) provient d’une couche profonde de la forme de contenu où se forme des ressemblances qu’il qualifie d’étranges et un second type dont le husn provient de la seule mise en forme syntaxique du contenu. La topique de ressem-blance, dans ce second type, est banale ; seul le nadhm1 y est remarquable. En voici un exemple :

« Parmi les vers dont la beauté fut hautement appréciée en raison de leur nadhm, [écrit-il], citons ce vers d’al-Mu-tanabbî :

ةّبحم كارذ يف يسفن تدّيقو ادّيقت اديق ناسحإلا دجو نمو

« C’est au plus haut de toi-même que je me suis par amour attaché

Et qui aurait refusé d’être captif de la bonté ».

En elle-même, la métaphore est ici banale et courante ; aussi trouve-t-on l’homme du commun dire à celui qui le comble de générosité et de prodigalité au point de lui devenir familier et choisir de résider chez lui : « il m’a rendu telle-ment captif à la faveur de sa grande générosité et ses gestes nobles qu’en moi quelque chose refusait de le quitter ». Ce qui toutefois distingue le vers de al-Mutanabbî des propos communément usités c’est bel et bien le nadhm et la compo-sition فيلأتلا ».(1)

.105-104 ص ،زاجعإلا لئالد ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

A la différence de l’exemple donné dans le paragraphe précédent citons ce qu’il dit, dans un autre endroit, du premier type de métaphore :

« Ce qu’il y a de créatif et de rare dans la méta-phore-étrange étant ici toutefois différent [de celui du cas précédent]-nous le trouvons dans [deux vers] de yazīd Ibn Maslama ibnʼAbd al-Malik où il décrit son cheval, mettant en relief la discipline qui était son propre et qui fait que de-puis le moment où son maitre descend de son siège et remet la bride sur la selle, il se tient debout à sa place jusqu’à son retour :

رطاخم ّلك كاذكو هَلامهإ يبئابح روزأ اميف هتدوع رئاّزلا فارصنا ىلإ ميكّشلا كلع نانعب هسوُبَرق ىبتحا اذإو

« Je l’ai habitué à être livré à lui-même

Comme le fait quiconque accepte de courir les risques Une fois la selle habille la bride,

Il se met à mâcher le mors jusqu’à la fin de la visite » L’étrange réside ici dans la ressemblance elle-même ».(1) Il s’agit bien dans cet exemple d’une relation élaborée au ni-veau de ce que nous appelons nadhm 2. Il apparaît bien de cette différence que le ressort de la isti‘âra gharîba, type qui crée une ressemblance et ne rapporte pas une ressemblance déjà connue, se situe pour l’essentiel en-deçà du nadhm1.

Le paradigme, dans lequel se range le second exemple sus mentionné, et il s’agit bien d’un paradigme, révèle donc l’insuffi-sance du nadhm tel que thématisé dans al-Dalâ’il (notre nadhm 1)

.75 ص ،زاجعإلا لئالد ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

dans l’étude d’un autre paradigme de figures d’analogie. D’autre part, à la lecture d’un passage fort connu du Dalâ’il dans lequel al-Jurjânî s’était ingénié à démontrer l’apport de la syntaxe en husn dans la métaphore coranique(1) «ابيش سأرلا لعتشاو», nous avons constaté que le nadhm n’agit, en réalité, nullement sur la structure de la métaphore en elle-même. Aussi peut-on conserver l’analyse d’al-Jurjânî de la métaphore en question tout en rem-plaçant la métaphore par une expression littérale ayant le même nadhm sans que son appréciation ne se trouve altérée.

5.2- Usage argumentatif et usage poétique des figures d’analogie : propos enchevêtrés

Dans toute étude des figures d’analogie, on doit faire une distinction entre les formes et leurs actualisations, effectives ou possibles. Ceci représente d’ailleurs un objet de recherche d’im-portance, réexaminé sous de nouveaux éclairages notamment en nouvelles rhétoriques, en pragmatique et en poétique de l’ima-ginaire. Vers le milieu du XXe siècle, Chaïm Perelman, à titre d’exemple, a ouvert des perspectives fort intéressantes dans l’étude des figures d’analogie en usage argumentatif. Depuis les années quatre vingt, les études portant sur les comparaisons et les métaphores poétiques ne se comptent plus.

A l’autre bout de l’histoire de la culture occidentale, et plus exactement au IVe siècle av. J.-C., Aristote avait déjà abordé le problème de la différence entre certains usages des figures d’ana-logie. L’examen de la métaphore dans le cadre de l’étude de deux genres de discours l’avait emmené à traiter le problème, quoique sans intention réellement préalable, à partir des deux concepts

en-.394-393 ص ،زاجعإلا لئالد ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

globants dans les discours en question, respectivement la Persua-sio et la Mimèsis. Dans la Poétique et dans la Rhétorique, il avait examiné respectivement les constituants qu’il estimait propre à produire la Persuasio dans les discours des rhéteurs et la Mimé-sis(1) en poésie. Il avait alors soulevé la question de ce qui fait la différence entre deux usages des mêmes formes d’analogie : l’usage rhétorique (ou argumentatif) et l’usage poétique. Mais, le genre de discours n’est pas toujours un critère de distinction valable. Platon (m.347 av. J.-C.), déjà, avait fait dire à Socrate dans le Gorgias, à propos de certains poètes grecs : « C’est donc un discours relevant de la rhétorique ; le poète, en effet, ne te semble-t-il pas faire au théâtre métier d’Orateur ? ».(2) Le même phénomène avait été signalé par Aristote, dans les discours ora-toires cette fois-ci :

« Le style fut d’abord poétique, comme celui de Gorgias ; [écrit-il], et aujourd’hui encore les gens incultes pensent pour la plupart que les orateurs de ce genre parlent excellemment.

Mais cela n’est pas et le style de la prose est autre que celui de la poésie ».(3)

Pourtant la dichotomie ‘style de la poésie/ style de la prose’

est demeurée quasiment inexplorée dans l’étude d’Aristote des genres du discours ; la question de la différence entre usage rhé-torique et usage poétique des figures d’analogie y est également à peine abordée. Aussi les quelques brèves remarques que l’on

ren-(1) Notons que La Persuasio et la Mimésis désignent deux macro-actes construits à l’échelle de l’œuvre dans sa totalité ; le premier concept, à la différence du second, réunit l’illocutoire et le performatif, de façon qui donne sûrement à penser à celui qui travaille dans le cadre de la terminologie pragmatique.

(2) Platon, Gorgias ou sur la rhétorique, 502c-503b, p. 137 (3) aRiStote, Rhétorique, Livre III, Chapitre I, §IX.

contre sous sa plume, au sujet de cette différence, pèchent-elles par leur caractère par trop vague.

Dans le livre III de la Rhétorique, il avait noté que la méta-phore convient aux deux grands genres du discours : « les mé-taphores, [écrit-il], y ont le plus d’affinité aussi bien en prose qu’on poésie » ;(1) dans un autre passage, il a également écrit ceci : « [les métaphores] y ont le plus d’efficacité aussi bien en prose qu’on poésie, nous l’avons, ainsi que nous le disions, établi dans notre Poétique ».(2)

Ces propos ne manquent pas de surprendre ; car affirmer l’existence d’une ‘affinité’ de la métaphore avec la poésie et la prose, à égalité, et de ‘l’efficacité’ de son emploi dans ces deux grands genres de discours, à égalité aussi, sans indiquer la raison de l’affinité ni de la nature de l’efficacité dans chaque cas, ne peut aucunement être admis. Aristote avait exprimé dans le même livre une idée différente, « la comparaison est utile en prose, [écrit-il], mais il faut en user peu souvent car elle a un caractère poétique ».(3) Ce point de vue pose également problème ; Aristote y présuppose que le « caractère poétique » est inhérent à la comparaison en elle-même et laisse croire que la différence entre l’emploi de cette figure en prose et en poésie n’est pas une différence de nature.

Dans la Rhétorique, seul le passage suivant contient des indica-tions sur les métaphores qui ne conviennent pas à la persuasion :

« Les métaphores peuvent ne pas convenir, les unes parce qu’elles prêtent à rire (en effet les poètes comiques emploient aussi des métaphores) ; les autres, parce qu’elles ont un air (1) Ibid., Chapitre II, §VI.

(2) Ibid., Chapitre II, §VII.

(3) aRiStote, op. cit., Chapitre IV, §II.

trop pompeux et tragique ; elles manquent de clarté si elles sont tirées de loin; par exemple, Gorgias parle des évène-ments « tout frais et saignants » et « tu as semé ces choses dans la honte, tu les as récoltées dans le malheur » ; car ce sont là des expressions trop poétiques […] car toutes ces expressions sont impropres à la persuasion, pour les raisons que nous avons dites ».(1)

C’est le seul passage dans lequel Aristote avait traité de ce qui ne convient pas à l’un des deux genres de discours qu’il avait étudié ; il s’était intéressé donc à la question de l’usage rhétorique de la métaphore de façon négative, pourrait-on dire ; il s’est inté-ressé à ce qui ne convient pas et n’a point examiné, contrairement à al-Jurjânî, ce qui produit la force argumentative dans la méta-phore rhétorique.

Aristote fut pionnier dans l’étude des genres de discours; sa Rhétorique et sa Poétique, pour ne citer que ce qui nous inté-resse ici, figurent parmi les ouvrages fondateurs dans l’histoire de l’étude des genres de discours: il y a exposé deux tékhnê, dési-gné à partir d’une conception politique, les fonctions que doivent remplir, dans la Cité, la tragédie et surtout les différents types de discours oratoires et a ouvert des perspectives d’analyses diffé-rentes et emboîtées sous l’éclairage des concepts cardinaux sui-vants: mimesis, catharsis, persuasio, topos, enthymène, analogie, metaphora, epiphora, logos, ethos, pathos, etc. Sa contribution à l’intelligence de la métaphore, sur la base de la notion de « mou-vement » et de l’idée de découpage du réel en genres et types, est indépassable à notre avis. Reste que son traitement de ce qui distingue l’usage rhétorique de l’usage poétique de la métaphore est par trop vague comme nous l’avons remarqué.

(1) Ibid., Chapitre III, §IV, §V.

Tout autre fût le sort de cette question majeure dans l’œuvre d’un autre grand esprit, fondateur du ‘ilm al- balâgha dans l’his-toire de la culture arabo-musulmane. A la différence d’Aristote donc, al-Jurjânî a réussi d’une part – en examinant l’arrangement des couches de sens construites par les différentes figures d’ana-logie et par la ةيانكkinâya (litt. « Figure de dissimulation ») – à dégager ce qui intensifie, dans chaque cas, l’affirmation ; il s’est employé d’autre part à décrire le mouvement effectué par la méta-phore poétique au niveau de la structure du réel. Il faut cependant signaler qu’il donne l’impression, par l’emploi fréquent de for-mules générales, qu’il avait étudié les figures d’analogie en dehors de tout type d’usage spécifié. Or, il avait en fait examiné, selon l’exemple objet de l’étude dans chaque passage, tantôt la struc-ture qui produit l’adhésion tantôt le ressort poétique de la figure.

Cet hiatus entre une expression qui réfère au général et une étude qui porte sur l’un ou l’autre de deux usages de la même figure n’a pas manqué, à notre avis, de produire dans l’œuvre d’al-Jurjânî un deuxième foyer de tension. Aussi proposons-nous, dans ce qui suit, de démêler ses propos sur les deux usages de la métaphore afin de dégager les paramètres en fonction desquels il avait exa-miné le fonctionnement de la figure dans chaque cas :

5.2.1- Arrangement des couches de sens dans la structure de l’énoncé et production d’une force argumentative

Dans le cadre du réexamen de certaines idées réitérées dans les ouvrages de rhétorique et de critique littéraire, al-Jurjânî a signalé la préférence accordée par ses devanciers aux différentes formes de discours indirect :

« Tout le monde sans exception, écrit-il, admet que la ةيانك kinâya (litt. « Figure de dissimulation »), est plus

élo-quente que le discours explicite, que le ضيرعت ta‘ridh (insi-nuation) a plus d’effet que le discours direct, que la ةراعتسا isti‘âra (métaphore) possède vertu et noblesse et que le زاجم majâz (tropes) est toujours plus éloquent que la ةقيقح haqîqa (sens propre) ».(1)

Toutefois à la différence de ses prédécesseurs, il s’était enquis des raisons de cette préférence. Il a alors procédé à l’examen de l’arrangement de couches de sens de certaines figures indiquées:

Notons d’abord que la kinâya – figure à double sens dont le ىنعم ىنعملا ma‘nâ al-ma‘nâ (sens du signifié) n’exclut pas le لّوألا ىنعملا ma‘nâ ʼawwal (litt. « sens premier ») à la différence des (autres) tropes – fût rangée par les rhétoriciens arabes dans une catégorie sémantique ad-hoc, dans laquelle se côtoient le ّيزـاجلم ىنعم ma‘nâ majazî « sens tropique » et le يقيقح ىنعم ma‘nâ haqîqî

« sens propre ».

Al-Jurjânî a bien souligné que le sens exprimé par cette figure renvoie à un sens (présupposé) visé tout en lui coexistant :

« Citons des exemples recueillis des propos des gens:

داجّنلا ليوط tawîl al-nijâd (litt. « il a un long baudrier »), pour signifier ‘grand de taille’, دامّرلا ّمج jammu al-ramâdi (litt. « ayant de la cendre en abondance [sous la marmite] » pour dire qu’il est très hospitalier) et en parlant de la femme employer l’expression ىحضلا موؤن na’ûm al-ḍuhû (litt. « [elle est accoutumée] à dormir la grasse matinée », pour signifier qu’elle est aisée et qu’elle a des serviteurs qui vaquent aux soins de son ménage). Dans chacun de ces exemples, ils ont voulu, comme tu le constates, exprimer un sens, [mais] ils n’ont pas utilisé l’expression propre. Ils sont parvenus à

l’ex-.427 ص ،زاجعإلا لئالد ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

primer en usant d’un رخآ ىنعم ma‘nâ ʼâkhar (autre sens), dont la propreté est de s’ensuivre au premier et de lui coexister ».(1) Le sens de la kinâya se déduit par inférence rhétorique, comme disaient les exégètes du Talkhîṣ, car les lois de passage qui per-mettent d’« extraire » la proposition implicite appartiennent à la compétence encyclopédique des interlocuteurs. Al-Jurjânî a em-ployé l’expression فِدرُي yurdifu (s’ensuivre) ; le mot فادرإ ’irdâf signifie dans son premier sens « Prendre en croupe ». Il a donc été choisi par lui pour signifier que les deux sens coexistent, le second se trouvant derrière le sens de l’expression utilisé dans le discours. Il considère que cet arrangement de sens corrélés dans un univers de croyance représente un procédé rhétorique d’affir-mation, disons pour employer une terminologie moderne parce que plus précise, qu’il invite le lecteur à distinguer l’acte de pa-role du contenu propositionnel :

« Sache que la maziyya (vertu) que tu reconnais à ce genre [de figures], [kinâya, ta‘ridh, isti‘âra, majâz], par rap-port au discours direct, ne réside point dans les contenus ex-primés par les locuteurs, mais elle réside dans هتابثإ قيرط يف la manière d’affirmer ».(2)

Dans un second passage, il a bien indiqué que le sens premier dans la kinâya représente une sorte de « preuve d’existence » d’une qualité (ou d’une chose) :

« […] La maziyya de la kinâya دامّرلا ّمج jammu al-ramâdi, (Qui a beaucoup de cendres) ne consiste pas à exprimer une hospitalité généreuse mais à accomplir l’affirmation au moyen

.66 ص ،زاجعإلا لئالد ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

.71 ص ،هسفن (2(

d’un procédé plus renforcé et à confirmer l’existence évidente de la qualité en question […] ».(1)

Dans un autre passage remarquable il avait résumé sa thèse sur l’argumentation par la kinâya :

حيرصّتلل نوكت ال ٌةّيزم اهب تابثإلل ناك نأ يف َببّسلا ّنإف ةيانكلا اّمأ«

اهليلد تابثإب ةف ّصلا تابثإ ّنأ هسفن ىلإ عجر اذإ ملعي لقاع ّلك ّنأ ءيجت نأ نم ىوعّدلا يف ُغلبأو ُدكآ اهدوجو يف ٌدهاش وه امب اهباجيإو اهَليلدو ةف ّصلا دهاش يعّدت ال كّنأ كلذو .اًلفُغ اجذاس اذكه اهَتبثتف اهيلإ ُزّوجّتلا ربخُملاب ّنظُي الو هيف ّكشُي ال ثيحبو فورعم رهاظ ُرمألاو اّلإ

(2)». ُطلغلاو

« Quant à la kinâya, écrit-il, la raison qui fait que son em-ploi pour accomplir un تابثإ ithbât (une affirmation) recèle une maziyya (vertu) qui fait défaut au حيرصت tasrîh, (expres-sion explicite), c’est que toute personne raisonnable admet, en y réfléchissant, qu’affirmer [l’existence] d’une qualité en affirmant la preuve [de l’existence de cette qualité], confir-mer par ce qui en fait foi est دكآ ‘âkad (plus fort) une façon plus accentuée et plus éloquente que le fait de formuler l’af-firmation d’existence de façon directe et somme toute ba-nale. Ainsi donc, tu ne rapportes ce qui fait foi et ne présente de preuve que lorsque la chose est manifeste et communé-ment établie ; n’éveille aucun doute et ne laisse aucunecommuné-ment penser que celui qui la rapporte est dans l’erreur ou prend quelque liberté dans les propos ».

L’analyse d’al-Jurjânî est remarquable sans conteste ; toute-fois les formules générales qu’il a utilisées, laissent croire que la kinâya est d’un usage exclusivement argumentatif et qu’elle

.71 ص ،زاجعإلا لئالد ،يناجرجلا رهاقلا دبع (1(

.72 ص ،هسفن (2(

consiste toujours à exposer la preuve de l’existence d’une qualité (ou d’une chose). Or, cette figure est, en réalité, de deux usages dif-férents voire opposés. Dans certains usages, elle montre, contrai-rement au sens étymologique du terme ةيانك kinâya et dans d’autres, elle cache pour des raisons politiques, morales ou autres : ne

consiste toujours à exposer la preuve de l’existence d’une qualité (ou d’une chose). Or, cette figure est, en réalité, de deux usages dif-férents voire opposés. Dans certains usages, elle montre, contrai-rement au sens étymologique du terme ةيانك kinâya et dans d’autres, elle cache pour des raisons politiques, morales ou autres : ne

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