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LES SECRETS DE L'AFRIQUE NOIRE

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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LES SECRETS

DE L'AFRIQUE NOIRE

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DU MEME AUTEUR

Cicatrices, poèmes illustrés p a r François Berthet (épuisé).

Le Chirurgien des Roses, poèmes en prose, illustration de Creixams (épuisé).

Voyage en Autobus, poème avec quatre dessins de Max Jacob (épuisé).

Libre-Echange, poèmes, illustrations de Walter Becker (épuisé).

Les Mémoires de Joséphine Baker, avec trente dessins de P a u l Colin (épuisé).

Poésies d u Temps, essai avec u n frontispice de Pascin (épuisé).

Le P r e m i e r H o m m e que j'ai tué, contes et portraits (épuisé).

Vie de Théophraste Renaudot, en collaboration (N.R.F.).

La F i n de Paris, r o m a n (Denoël et Steele).

Jules et E d m o n d de Goncourt, essai (N.R.C.).

A PARAITRE

Le Livre des Rencontres, poèmes en prose.

La Dernière Femme, roman.

Les Imaginaires, premier volume de théâtre.

Haïssable, essais.

La F l e u r d' Arlequin, poésies 1915-1930.

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MARCEL SAUVAGE

S o u s le F e u d e l ' E q u a t e u r

LES SECRETS DE L'AFRIQUE NOIRE

LES EDITIONS DENOËL 19, Rue Amélie

PARIS

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE : 1 5 EXEMPLAIRES SUR P U R FIL, NUMÉROTÉS

DE 1 A 1 5 ,

ET 2 5 EXEMPLAIRES SUR ALFA, NUMÉROTÉS DE 1 6 A 4 0 .

IL A ÉTÉ TIRÉ, EN OUTRE, H O R S COMMERCE : 6 EXEMPLAIRES S U R PAPIER DE HOLLANDE, NUMÉROTÉS DE I A V I , 5 EXEMPLAIRES SUR P U R FIL, NUMÉROTÉS DE V I I A X I , ET 1 5 EXEMPLAIRES SUR ALFA, NUMÉROTÉS

DE X I I A X X V I .

Copyright b y Editions Denoël, 1937.

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Pour Antoine de Saint-Exupéry qui, du bord de son avion rouge m'a fait voir le Parthénon à l' échelle d'une cage à mouches.

Son ami, M. S.

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PREFACE

En 1911, partit de Loango, naguère marché d'esclaves, à l'extrême-sud de nos possessions sur la côte occiden- tale d'Afrique, la dernière caravane du commandant Marchand. Elle comprenait dix mille porteurs indigènes qui, presque tous, moururent sur les pistes de l'Afrique Equatoriale Française.

Le port de Pointe-Noire succède aujourd'hui au repaire marécageux de Loango. Bien des choses ont changé en apparence. En réalité, un administrateur de Brazzaville pouvait écrire ces temps derniers, avec raison : « Nous n'avons fait au Congo, depuis quarante ans, qu'une caricature de colonisation ».

J'ai voulu voir. Et je suis parti au hasard des chemins et des pistes, avec deux boys, de Pointe-Noire précisé- ment, pour visiter le Moyen Congo, le Gabon, le Cameroun, les territoires du Tchad et ceux de l'Ouban- gui-Chari, ce qui représente en étendue de désert ou de forêt vierge, une fois et demie l'Europe.

Je ne raconterai pas ce long voyage, pénible et passionnant, — dont j'ai tenu un journal au jour le

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jour, — et qui, plus tard, en qualité de reporter, me valut la haine des écumeurs coloniaux.

J'ai appris à mes dépens, douloureusement, de quel poids magnifique pourrait être, et de quelle absence de poids il est actuellement, ce que l'hypocrisie anglaise a nommé the white man's burden, le fardeau moral du Blanc.

Par ailleurs, nulle part hélas, je n'ai trouvé là-bas, chez ce Blanc responsable, et le plus détaché de la nécessité immédiate, — sauf à l'état latent chez quelques officiers du désert, — cet esprit que j'ai prospecté d'étape en étape, qui pourrait éveiller, transformer le cœur étroit et l'intelligence nouée des Européens, l'esprit, si je puis dire, des grandes étendues, facteur désormais capital dans l'évolution du monde et plus encore du monde colonial.

Du moins ai-je eu la joie, malgré tout, de rencontrer, de défendre à l'occasion, de modestes ouvriers de chez nous, qui prouvent, à leur corps défendant, sur ces terres lointaines, que l'honneur de l'homme aussi bien que le matérialisme d'usage, peuvent et doivent demeurer, aux colonies plus encore que dans la métro- pole, à l'écart des coups de bourse et des à-coups de la politique.

Mais le sujet de ce livre n'est point là.

En marge d'aventures assez diverses que j'ai vécues en Afrique Centrale, je ne veux retenir ici qu'un certain

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nombre de visages, blancs ou noirs, — et non point tant les plus caractéristiques peut-être que les plus curieux,

— auxquels il me plaît pour l'instant de ramener mes souvenirs.

Toutefois, je veux les évoquer sans restriction, ces visages, dans les décors équatoriaux parmi lesquels je les ai surpris, décors qui sont eux-mêmes des person- nages, ceux peut-être qui engendrent la plupart des autres, les gouvernent et souvent les excusent.

Humanités équatoriales...

J'aurais aimé que mon livre portât ce titre à double entente.

Quoique j'en vienne de dire, en effet, il ne s'agit pas uniquement, dans les pages qui suivent, ni tout à fait au hasard, de quelques esquisses de portraits, mais au surplus, en marge d'un lointain voyage, ainsi qu'en marge de ces livres plus lointains encore, dans lesquels nous avons appris le rudiment classique, d'une étude comme illustrée, particulière, qui tend au général, avec l'espoir d'y retrouver le signe humain sinon d'y trouver un sens nouveau.

Sans doute, l'enseigne eut davantage éclairé mes intentions et fixé dès l'abord un peu du caractère spirituel auquel je tiens, qui s'attache à l'expression

« faire ses humanités ». Mes « humanités équatoriales » m'ont permis si pertinemment de refaire, à tout le moins

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de préciser, voire de rectifier les autres sur un des plans capitaux de la vie actuelle.

En fin de compte, si je me suis tenu au titre « Les Secrets de l'Afrique Noire », c'est qu'il est plus direct, sinon plus juste ou plus justifié qu'au temps où je l'écrivis en tête d'un reportage, différent par nature et forcément incomplet.

M. S.

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I

ANTICHAMBRE

LE DÉFILÉ DES WHARFS

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Passés le golfe de Gascogne dont l'humeur est capricieuse, le coup de tabac fréquent, puis le rivage portugais piqué par des blancheurs de villes en terrasses, le bateau glisse doucement vers les mers du Sud.

Et dès lors que Madère ou Ténériffe disparaissent dans le sillage, l'enchantement commence.

Enchantement qui conduit au cauchemar.

France-Afrique Equatoriale.

B or deaux-Pointe-N oire.

Au gré des vents et des houles, vingt-deux jours de navigation, en compagnie de médecins, de soldats, de colons et d'aventuriers, de missionnaires à barbe et de fonctionnaires en instance de bridge.

Aucun autre voyageur, aucun touriste ne s'égare sur cette ligne, sinon, à des années d'intervalle, un homme politique, aux frais du pays, un journaliste accrédité, un chasseur millionnaire...

. . . .

Pêle-mêle de visages, d'abord, dans le dédale flottant.

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— Vous étiez déjà venu en Afrique ?

— Oui, Tunisie, Algérie, Maroc.

— Autrement dit... vous connaissiez Pontoise.

Ne pas confondre.

Le monde colonial, qui a, dans l'espace et dans le temps, ses points de repères et ses points d'honneur, qui a des clans, des classes, un esprit particulier, une étiquette qui lui est propre, et d'innombrables secrets, vous rappelle aussitôt à l'ordre, le sien, le plus lointain.

Quand on quitte Dakar et ses montagnes de cacahuètes, Dakar offert aux caresses du large, à la pointe de cet énorme sein que la terre d'Afrique dessine sur les cartes, un familier vous avertit :

— Les gens de banlieue sont descendus... Maintenant nous sommes entre nous... Notre Afrique commence...

L'île de Gorée qui fut jadis notre premier centre de ralliement sur cette côte inhospitalière, — quelques jeunes cocotiers par-dessus trois vieilles maisons blan- ches et un fortin cubique, — s'éloigne alors, jusqu'à n'être plus, peu à peu, dans le rayon vert du couchant, qu'un minuscule plateau de jouets sur une mer de cuivre et d'étain.

Le voyage vers le zéro équatorial va maintenant égrener le chapelet des escales ardentes : Conakry, Grand-Bassam, Lomé, Cotonou, Libreville, Port Gentil...

autant de wharfs allongés à travers la barre comme des bras tendus vers le navire plein du bourdonnement des ventilateurs.

Quarante-huit heures après Conakry : Tabou.

Du creux de sable où l'on voit gigoter quelques singes entre des cases, les rouleaux de la barre nous décochent

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deux longues pirogues d'où monte un chant alterné rauque et doux :

Hi, ho, mang'moussa, hi, ho, mang'moussa...

chantent les pagayeurs de gauche et ceux de droite répondent sur le même rythme, en piochant l'eau :

Yo, yo, yorot' saïgan, yorot' saïgan...

Les chanteurs noirs, conduits par leur chef, le Grand Cacatois, ainsi nommé en souvenir des conquérants de la marine à voile, grimpent à l'abordage par les chaînes d'ancre et une échelle de corde. Croumens qui viennent prendre la place des marins d'Europe, soutiers et ma- nœuvres, à qui la chaleur interdit le travail de force.

Désormais, le bateau, imperceptiblement bercé, vogue dans l'éblouissement des Tropiques. Le soleil pur distille un alcool de lumière qu'on ne peut absorber qu'à travers des lunettes bleues.

Des jeunes gens, frais émoulus de l'Ecole Coloniale, pourvus de cantines neuves, équipés de bons principes, armés de candeur et d'enthousiasme, débarquent ici et là, et de jeunes médecins suivis de femmes enceintes qui ont peine à quitter le navire, quelques-unes qui regrettent... qui s'effraient de la brousse prochaine, et qui pleurent sur leur ventre.

. . .

— Etes-vous bougnophile, c'est-à-dire pour ou contre le nègre ?

— Ni l'un ni l'autre, comment voulez-vous ?...

— Nous en reparlerons, quand vous reviendrez.

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Un aileron de requin luit à tribord, plonge, nous suit ou nous précède, file à la surface de l'Océan comme une lame de ciseau dans une lourde étoffe tissée de métal.

Des compagnies de poissons volants, fuseaux de nacre et d'acier bleu, jaillissent du miroir des eaux chaudes, grésillent et retombent, étincellements sur des trajec- toires.

. . .

— N'oubliez pas votre quinine, vingt-cinq centigram- mes par jour, et même...

— Un whisky ?... Non ! Vous avez tort, il en faut...

— La vraie colonisation, croyez-moi, c'est le petit commerçant, le petit planteur, l'homme qui s'installe, qui peine... celui qu'on méprise...

— Permettez, grogne une ombre sous un casque blanc, que voulez-vous que fasse le petit colon ?... Ce qui est nécessaire, d'abord, ce sont les capitaux...

Un fauteuil sursaute, deux mains osseuses plaquées sur les accoudoirs :

— Laissez-moi rire... les grandes compagnies... les grandes concessions... sans blague !

Les habitués des sombres débarcadères, tous les passagers coutumiers de la ligne, qui reviennent de France avec un foie retapé, prodiguent au nouveau venu, chacun dans son domaine, des histoires et des conseils, et s'en défendent...

— Si vraiment, cher monsieur, vous avez l'intention de voir quelque chose, écoutez-moi, l'Administration...

Un promeneur de la coursive, cambré dans un costume

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blanc amidonné à l'excès, la boutonnière fleurie d'une rosace de bouts de ruban, est frappé par le mot :

— L'Administration !... dit-il et il fait front au groupe qui discute, — bien entendu vous ne pouvez pas l'encaisser, l'Administration !... Normal... Mais si l'administrateur n'était pas là... le colon, monsieur...

imaginez ce qu'il ferait...

— Il travaillerait..., — déclare d'une voix lasse une caricature de cow-boy qui mâche des cure-dents du matin au soir, — il pourrait travailler, voilà tout.

A chaque tour d'hélice je vois naître parmi mes compagnons, ou plutôt renaître et se préciser, d'étranges personnalités, dures ou pitoyables, soulignées de tics, accentuées de partis pris. Des personnalités qui n'ont pas cours dans le cadre de la métropole, mises alors en congé, tenues à l'écart, Mais au delà du Tropique chacun revêt son personnage officiel, retrouve son attitude et l'ajuste.

Apparitions sous des éclairages nouveaux.

Dépaysement...

Chacun a levé sa visière.

Tous abattent leur jeu.

— Rien à faire, mon ami, avec les nègres. La chicotte, le fouet, voilà ce qui les touche...

— Taisez-vous donc !... Vous raisonnez comme une brute... Si on cherchait à comprendre l'indigène !... Mais l'humanité...

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— L'humanité !... l'humanité !... Qu'est-ce que vous faites à la colonie, vous ?... des petits pains ?.. Vous travaillez peut-être avec des enfants de chœur...

Les coloniaux, pas plus mauvais que les gens de la métropole, ni plus libres, ni plus esclaves, suent inconsciemment ce petit vernis d'humanité qui ne résiste pas à dix jours de bateau.

La civilisation qu'ils représentent, ces exilés, qu'on voudrait bien qu'ils représentent, — et c'est là une tromperie dont ils sont moins coupables que victimes,

— cette civilisation que certains d'entre eux avaient pour mission d'implanter chez les hommes de couleur, n'apparaît plus, au seuil des terres lointaines, que sous la forme d'un écran léger, un paravent de papier journal, de l'autre côté duquel la belle aventure devient une sale combine.

Si j'en crois mes compagnons, aux prises les uns contre les autres, la droiture du cœur, la rigidité de l'esprit, en général, disparaissent à haute température. Le courage ne va plus au delà d'un certain besoin d'argent, ou de vanité. L'exception est aussitôt trahie et « le bois d'ébène » en supporte naturellement les consé- quences.

— L'Afrique Equatoriale Française, monsieur, comptait au commencement du siècle une vingtaine de millions d'habitants, pour autant, c'est vrai, qu'on puisse ajouter foi à des recensements difficiles à opérer... Elle n'en avait plus que huit millions en 1920-21... Aujourd'hui, par suite d'une mortalité due au développement des grandes maladies coloniales, à l'extension meurtrière des travaux de route et de chemin de fer, à une exploi-

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tation mal comprise, aux famines, aux manques de soins, aux émigrations... l'A. E. F. ne possède plus que trois millions d'habitants, trois millions à peine, dispersés sur un territoire qui a cinq fois l'étendue de la France...

Demandez... vérifiez...

...

— Le mal est qu'il n'y a jamais eu aucun plan d'action...

— ... ou qu'il y en trop... imposés de Paris, par des ronds de cuir, des imbéciles qui n'ont jamais quitté leur fauteuil..., qui ne savent pas...

— Croyez-vous que les banquiers, les hommes politi- ques ne sachent pas ce qu'ils font ici ?... Est-ce que ça se paie, leurs coups de bourse, oui ou non, avec la vie de milliers de nègres ?

Dans la moiteur du calme, dans l'étouffante moiteur d'un calme infini, un gong sonne l'heure du repas.

... Table du commandant, table du joyeux commis- saire, table du médecin, si menu celui-ci dans son uniforme qu'il fait figure d'enfant de troupe.

... Tables-points de mire. Petites tables sans fleurs, soumises à l'humeur de la houle, à l'esprit de la mer qui les anime et les dépeuple. Tables-fortins d'où les groupes constitués s'épient, se sourient par-dessus les bouteilles et se méprisent.

Cinq ou six femmes pénètrent dans la salle à manger avant tout le monde, s'assoient, le coude sur la table, le

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face à main en bataille. Elles ne ratent jamais une entrée.

Sur leur visage, la critique acerbe les trahit et les satisfait, aux plissements des paupières, au jeu des rides et des lèvres, aux lueurs des regards.

A chaque repas, des toilettes nouvelles, et de nouvelles toilettes entre chaque repas. Ces dames accomplissent une période de mannequins, semble-t-il, et font valoir les arrangements, les nouveautés d'une mode qui doit assurer trois ans d'élégance dans les postes perdus.

Comédie muette sous les ventilateurs.

Une minute d'attente, à la grâce des bustes.

Un monte-charge grince dans un coin à la façon d'une dragueuse, et les plats montent de l'enfer des cuisines...

Ils ne tentent personne.

Dans les verres dépolis par la buée, les morceaux de glace fondent, blancs, comme des morceaux de sucre.

— Enlevez ce poisson, maître d'hôtel, ces viandes...

Boire frais, cela seul importe.

. . .

Et la Croix du Sud se lève à l'horizon des nuits scin- tillantes, cependant qu'on danse à bord, entre de haut- parleurs, sur des musiques venues de Paris, de Londres ou d'Italie.

— Mon cher, la plaie, je vais vous l'indiquer... Ce sont les femmes, quelques femmes parmi beaucoup d'hommes...

— Pardi...

La comtesse intervient : haute et violemment parfumée, la peau granuleuse, les paupières lourdes, une poitrine

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sanglée à bloc. Veuve d'un officier mort de la fièvre jaune. Des intérêts dans des plantations de café.

— ... Deux semaines qu'on meurt d'ennui... dans ce rafiot, et personne qui ait cherché à me violer !...

Vierge !.. par un temps pareil !... Ah ! les coloniaux !...

Parlez-m'en... Ça n'a plus de... Oui... des volcans éteints...

Voilà la vérité...

. . .

Toute la nuit on entend des solitaires qui font les cent pas sur le pont.

La cloche marque les quarts dans le silence.

L'envoûtement sombre de l'Equateur succède à l'éblouissement des Tropiques.

Nous glissons en marge de pays tour à tour calcinés par le soleil ou cuits à l'étouffée sous le voile d'une brume pesante, permanente, brassée à chaque instant par les orages.

D'heure en heure, les tornades mûrissent tout à coup au-dessus de nos têtes, pourritures de nuages, tourbes d'ouragan farcies d'électricité, où les éclairs ont des fuites de reptiles blêmes.

Autour de moi, sous la douche céleste qui détend les nerfs, j'écoute, d'une conversation à l'autre, — dans les coursives, les entreponts, les bars, les cabines, — les échos du monde que je vais découvrir et qui déjà me tourmente.

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J'essaie de préciser, dans cette antichambre marine, pour- quoi cette cargaison de coloniaux me décourage et m'excite à la fois.

— Alors, vous vous êtes mis au whisky ?... Bravo !...

Et si vous passez par Nola... on compte sur vous... C'est un bled où l'on ne rigole pas tous les jours...

A l'avant du navire, sur les panneaux de cale, des tirailleurs, en culotte kaki, dorment, la tête couverte, les pieds sucés par les mouches, dans un pêle-mêle de cou- vertures, de bouteillons, de fusils et d'instruments de musique. Mesdames Tirailleurs, accroupies autour d'un mât de charge, les fesses tendues dans de l'étoffe à fleurs, s'épluchent la tête et se graissent les cheveux, par plaques, en rigolant.

. . .

Aux escales, — où le bateau qui sue dans ses tôles, prend un air de pot-au-feu, — des colons endimanchés viennent s'imbiber d'un air de France et de champagne sec, discuter le coup, taper du piano, acheter du fromage.

Dans la baie de Souléaba, les Juifs noirs d'Afrique, les Aoussas, maigres comme des sauterelles, envahissent les ponts avec des ballots de camelote, ivoire, cuivre, peaux, colliers, bracelets, babouches, fétiches.

Un vieux chasseur d'éléphant, son large double feutre rabattu sur l'éclat de deux yeux bleus et froids, m'a

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longtemps surveillé. Je l'ai de même observé. Il ne boit pas, ne parle guère. Il guette. Sa vie est d'être à l'affût.

Quelquefois il sourit sans qu'on sache pourquoi.

— Naturellement, me demanda-t-il enfin, vous venez en Afrique Centrale pour huit jours ? ...

— Comment cela ?...

— ... Comme font d'habitude les gens de la métro- pole, — ils sont pressés, les malheureux, leurs minutes sont comptées, — quinze jours au maximum, entre deux bateaux, pour visiter d'immenses territoires où le moindre déplacement d'un poste à un autre, en dehors des principaux, exige une semaine, sinon deux, trois, quand il y a un chemin... à la belle saison... Et puis, qu'est-ce que vous allez voir ?... des abrutis qui pondent des rapports, qui font du commerce... quelques pauvres types découragés ?... Et les bêtes ?... vous y avez songé ?...

Est-ce que ça vous intéresse, les bêtes ...?

Il n'attend pas de réponse, hausse les épaules et s'en va.

Plus tard, voyant que j'étais intrigué par un couple triste, efflanqué, deux êtres qui se tiennent par la main comme des enfants, absorbés dans un rêve dont ils sont visiblement la proie, il me donne, à la façon d'un mot de passe, le mot de l'énigme :

— Sommeil... maladie du sommeil...

. . .

Chaque matin apporte avec lui un répit de fraîcheur.

Mais les manches à air dressées sur les ponts, la gueule grande ouverte à la brise de l'aube, la gorge enflammée

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de minium, ont des renvois écœurants d'odeurs pro- fondes.

Le vingt-troisième jour de navigation, j'aperçus enfin le rivage de Pointe-Noire où j'allais débarquer.

... Pointe-Noire, m'avait-on répété, aboutisement de la nouvelle ligne de chemin de fer Brazzaville-Océan, futur grand port de nos possessions du sud, chantier cafar- deux, ville champignon, épopée coloniale.

Il était environ deux heures de l'après-midi. Les faux- cols durs des fonctionnaires en uniforme étaient parfai- tement mous. Nos fronts ruisselaient sous les casques.

Le bateau stoppa au milieu d'une rade foraine, — oh ! stupeur, — devant un paysage de Picardie.

Au bout de milliers de kilomètres d'une côte basse, mousseuse, désespérément monotone, bordée de sable étincelant, et du surjet continuel de la barre, on s'ima- gine, — l'esprit bourré d'histoires, — qu'on va débar- quer dans un pays fantastique : on arrive paisiblement à Saint-Valéry-sur-Somme...

C'était plat, vert, humide et souriant. Un accueil de pâturage. Pas le moindre palmier en vue, mais, au pre- mier plan, un phare, une érection de blancheur incan- descente.

Derrière ce phare, toute sa pavillonnerie dehors, sous des feuillages, — en apparence, — de robustes noyers, des toits de tuiles et des toits de tôle, des carrés de rouge et des matités bleuâtres.

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I I

MOYEN CONGO

LE COMMISSAIRE DE POINTE-NOIRE JOSEPH ET DOMINIQUE

MARIE

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Une surprise en amène une autre. Le soir même de mon arrivée, je faillis être arrêté.

L'administration m'avait accordé l'usage d'une case de passage construite « en dur », une petite maison en briques, — deux pièces et une véranda, — plantée dans le sable, non loin d'un marigot, près de l'ancien marché aux esclaves.

A l'écart de l'unique route qu'il y ait à Pointe-Noire,

— des nègres de toutes races, coiffés de chapeaux de paille défoncés, la goudronnaient alors comme on beurre une tartine, — elle était plaisante, cette petite maison, au milieu d'un parterre, sans clôture, de hautes herbes, de bananiers et d'ananas noués comme des poings au ras du sol.

Mon premier foyer au bord de l'Afrique Noire.

J'étais seul, avec mon équipement neuf, à pied-d'œuvre, devant la terre mystérieuse.

Ayant rangé mes cantines, dressé dans la chambre vide mon lit de camp et ma moustiquaire, je prenais le frais, accoudé nonchalamment sur la balustrade de ma véranda. La nuit était proche, le moustique encore

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supportable. Une brise légère frétillait dans la masse feuillue des manguiers. Au bord du marigot voisin, tout coassant de grenouilles, des négresses rieuses se ver- saient, à pleines calebasses, de l'eau noire sur leurs seins nus.

Je vis venir alors, sur le sentier qui longeait ma case, un homme d'aspect majestueux, quoiqu'en bras de chemise. Son ventre gonflait d'importance une che- mise à petits pois. Il s'appuyait avec dignité sur une canne d'ébène à pommeau d'ivoire et marchait, d'un pas lent de propriétaire aux aguets. Devant lui, un négrillon portait, en prévision de quelque retard, une lampe tempête à la manière d'un ostensoir.

Le personnage s'arrêta automatiquement à ma hau- teur. Il avait la tête ronde, les cheveux coupés ras, des bajoues flottantes et des yeux pâles. Il examina les par- terres, comme s'il cherchait un ananas qui fût mûr.

— Beaucoup d'herbes, dit-il.

Je répondis en souriant.

— Beaucoup... c'est agréable, n'est-ce pas ?

— A-gré-a-ble ? fit l'homme en coupant le mot entre ses dents, vous trouvez ?... Et vous aimez ça ?

— Pourquoi pas ?

— Si vous vous payez ma tête, gronda l'inconnu, et ses bajoues tremblèrent, je vous enverrai deux miliciens moi, et nous nous expliquerons ailleurs...

Je demeurai interdit, interrogeant du regard les bana.

niers qui ont un port dégingandé de laitues géantes.

Le monsieur piqua du bout de sa canne les fesses du négrillon, s'éloigna de quelques pas, puis se retourna.

— N' comprenez pas ?

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Je demeurai muet.

Il me mit en joue avec sa canne.

— Je pourrais vous faire boucler !... Comprenez, cette fois ?... boucler !... et ça ne tardera pas... M' faites l'effet de tomber de la lune, mais ça ne prend pas avec moi...

Savez-vous qui je suis...?

— Non. Mais..., — répondis-je en haussant les épaules,

— je ne demande qu'à l'apprendre...

L'homme abattit sa canne, s'y appuya des deux mains, son ventre par-dessus.

— Je suis le commissaire, monsieur... Le commissaire de Pointe-Noire... Je n'ai pas eu le plaisir de vous voir à mon bureau... Espère que vos papiers sont en règle...

Vous figurez peut-être que vous allez vous promener ici à votre aise comme dans un moulin... Commissaire de Pointe-Noire... et vous ?

— Envoyé spécial, dis-je en toussotant.

— Nom d'un chien, s'écria le commissaire, et il bran- dit sa canne par-dessus sa tête, il fallait me prévenir, mon ami, nous aurions pris l'apéritif ensemble... Envoyé spécial ! on a dû vous raconter que j'étais un jean- foutre !... Voyez-vous, on me déteste ici parce que je travaille, moi. J'ai l'œil et je visse... La consigne... Tas de propres à rien...

Il remua les herbes du bout de sa canne.

— Ce que je vous en disais tout à l'heure, pour les herbes, continua-t-il aimablement, c'est parce qu'on doit désherber sous peine d'amende... Ces herbes-là, elles vous plairont peut-être moins quand vous saurez que ce sont des nids à serpents... la nuit, pleines de ser- pents qui viennent du marché, des marigots... Saisissez

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maintenant ?... Votre prédécesseur l'a payé cher... Allons, demain je vous enverrai une corvée de prisonniers pour faire place nette. Pas les prisonniers qui manquent ici...

des tas de sauvages... Bonsoir... à bientôt.

Et M. le commissaire m'ayant ainsi introduit de plain-pied dans les réalités coloniales où les herbes et les règlements ont de secrets dangers, s'en fut comme il était venu, à petits pas, derrière son boy porteur de lanterne.

. . . C'était l'heure des crabes.

Ils venaient de la mer, sortaient des marigots.

Ils traversaient les chemins, suivaient les sentiers, en formations serrées, une vague après l'autre, imposant à première vue l'illusion de sombres tapis tirés à terre par des mains invisibles.

Ils cernaient les cases, prenaient d'assaut, de leurs pattes et de leurs pinces, toutes les maisons ouvertes, envahissant les vérandas, se glissant dans tous les coins d'ombre, sous les lits, sous les meubles...

Monstrueux, poilus, grinçants, innombrables, éphé- mères, craquant comme des coquilles creuses, comme des os fragiles sous les pieds des promeneurs attardés.

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— Dis, patron...

— Dis, commandant...

— Moi, y en a bons papiers...

— Moi, y en a bon boy-cuisine...

La maison était cernée par cinquante ou soixante boys chômeurs: boys-ménagers, boys-cuisiniers, boys-lavadères, venus avec leur fer à repasser.

Ils tendaient vers moi des livrets gras, des certificats, des bouts de papier à lettre et répétaient sans arrêt :

— Dis, patron...

— Dis, commandant...

A la longue, j'en eus assez de la complainte et criai du haut de la véranda :

— Foutez-moi la paix ! allez, hop ! caltez...

Ils s'enfuirent comme une volée de merles à travers mes ananas, c'est-à-dire qu'ils allèrent un peu plus loin, sous les manguiers du marché aux esclaves. Ils abat- tirent des mangues à coups de pierre, les grignotèrent en roulant des yeux blancs de mon côté, attentifs à mes gestes.

J'étais de mauvais poil et fatigué.

Le commissaire m'avait adjoint un compagnon de chambre qui toute la nuit m'avait réveillé d'heure en heure.

— Vous n'entendez pas ?... Il y a de drôles de bruits dans la carrée...

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Sans sortir de sa moustiquaire il promenait autour de lui la clarté d'une lampe de poche.

— Ecoutez, ça se traîne par terre...

Je n'entendais rien et me rendormais.

Une heure après, un chuchotement apeuré forçait mon sommeil.

— Cette fois... je vous dis que c'est un serpent... Si on se levait... j'ai mon revolver...

Il s'est levé, a examiné prudemment la pièce où il n'y a que nos deux lits de camp et nos cantines.

— Pas de trou dans le mur ?

— Non !

— Alors, mon vieux, dormez, je vous en prie, et laissez-moi dormir.

Trop tard. L'aube déjà chauffait les brumes du matin,

— une lumière filtrante dans un matelas de coton sur les marigots de Pointe-Noire.

Dès que je sortis de dessous ma moustiquaire, mon compagnon, — un géologue à ses débuts, appelé par une mission pétrolière, — s'excusa de ses craintes, me certifia néanmoins qu'il devait y avoir un python, ou plutôt un serpent noir dans la case, qu'il était enroulé quelque part et qu'il le trouverait. Après quoi, il sauta gaiement de son lit :

— Je fais le café, dit-il . . .

Au bas de la véranda, les boys chômeurs que j'avais chassés étaient revenus, un à un, silencieusement, les mains pleines de mangues.

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— Pour toi, commandant...

Je souris et acceptai. En une seconde j'eus à mes pieds trente ou quarante kilos de mangues, une sorte d'abricot énorme à gros noyau.

Les boys attendaient, timidement, mais décidés, — maintenant que j'avais accepté leur cadeau, — à ne plus partir sans que j'aie retenu l'un d'eux.

Je claquai des mains pour les réunir et ce fut une ruée vers moi, une bataille à quatre pattes, un écrou- lement de charbon vivant dans lequel sombrèrent les quelques casquettes roses et les haillons propres que ces jeunes serviteurs avaient mis pour se présenter.

— Très bien, dis-je, les boys que je désire ne sont pas parmi vous... Inutile d'insister.

Mais je vis tant de consternation, tant de désappoin- tement comique figer leurs visages noirs, arrondir leurs yeux, que je les fis mettre en ligne pour les passer en revue. Ils acceptèrent, en se tirant mutuellement la langue.

Chacun à tour de rôle me fit son boniment, d'un seul trait, à perdre haleine.

Ils savaient tout faire, chacun mieux que l'autre, et chacun s'expliquait avec tant de gestes qu'on eût dit d'un concours de prestidigitateurs.

Un petit que j'avais remarqué pour sa prestesse, ajouta tout à coup :

— Et moi, commandant, y en a jamais volé four- chettes.

— Bien, dis-je, comment t'appelles-tu ?

— Joseph, commandant, et moi, commandant...

Il me répéta, en les amplifiant, tous les éloges qu'il

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m'avait déjà prodigués de ses connaissances et de ses qualités.

— Ça va, Joseph, sors du rang. Mais à la première fourchette que tu me voleras, je te ferai arrêter...

Joseph fut à l'instant saisi d'un tel accès de rire qu'il dut s'asseoir, et tous ses concurrents l'imitèrent en se tapant sur les cuisses.

— Maintenant, j'ai besoin d'un autre boy...

Je m'arrêtai devant un garçon quasi nu, d'une muscu- lature d'athlète et négligemment coiffé d'un canotier qui n'avait plus de bord.

— Toi, veux-tu venir avec Joseph ?

Il sourit et je vis qu'il avait les dents limées en pointe, d'une extrême finesse.

— D'où es-tu ?

— Betou, dit-il, sur le grand fleuve, loin...

Joseph intervint aussitôt.

— Lui y en a manger des hommes dans son pays, commandant.

— Y en a pas vrai maintenant, commandant, cria mon Betou, père à moi manger... mais pas moi. Eux pas bons avec moi, moi pas même tribu...

— Ton nom ?

— Dominique, commandant.

— Quel âge as-tu ?

— Cinquante zin zans, commandant.

Il pouvait en avoir dix-huit ou vingt.

— Tu es trop vieux, Dominique...

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