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Introduction : L'espace local et les acteurs du tourisme

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Academic year: 2022

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Introduction : L'espace local et les acteurs du tourisme Philippe VIOLIER

In Violier Philippe (Sous la dir.), 1999, L’espace local et les acteurs du tourisme, Presses Universitaires de Rennes, pages 9 à 14

Le système productif touristique présente deux situations différentes. Dans l'une, le système est dominé par de grandes entreprises privées avec un poids des acteurs locaux plus faible. Dans l'autre, le mode de production demeure familial et artisanal, pour l'essentiel, et le poids des acteurs endogènes est essentiel.

Dans le premier cas, des organisations puissantes élaborent des stratégies spatiales qui se caractérisent par un maillage des territoires, par un « réseau » d'établissements. La structure générale relève de l'appareil, avec une dissymétrie des rapports entre un centre de gestion qui élabore la stratégie et les établissements qui accueillent et qui renvoient au centre les informations. Les rapports à l'espace sont fortement déterritorialisés. L'espace n'apparaît que comme le support des localisations et l'argument de la commercialisation, même si cela mérite d'être nuancé. Les systèmes marqués par le poids des acteurs institutionnels, et par la petite taille des entreprises, reposent davantage sur le localisme, défini comme l'affirmation de l'identité des lieux et par la densité des liens avec le territoire qui structurent les stratégies. C'est l'analyse du rôle des acteurs locaux qui a constitué la trame des journées annuelles de la Commission nationale de la Géographie du Tourisme et des Loisirs. Celle-ci réunit, comme son appellation l'indique, des géographes, mais pas exclusivement français, et constitue un lieu de débat et de confrontation dont cet ouvrage se veut l'écho. Pour cette vingt- quatrième édition, des collègues d'Espagne et du Portugal ont été associés à la réflexion, avec les représentants de la France d'outre-mer; ils proposent un autre regard et des perspectives enrichissantes.

Géographie du tourisme et développement local

Après les journées tenues à Majorque et consacrées aux espaces touristiques de fortes densités (Bichez, 1996), les géographes oeuvrant dans les terrains caractérisés par une certaine polyvalence fonctionnelle se sont davantage exprimés à Angers. Il se dégage donc une certaine homogénéité des approches. Les auteurs se sont surtout penchés sur les systèmes d'acteurs touristiques aux prises avec les difficultés de la mise en valeur touristique. On verra qu'il conviendrait d'écrire (page 9)

que les chercheurs ont étudié des systèmes dont on se doutait qu'ils étaient loin d'être moribonds certes, mais qui se sont révélés agités! Toutes les approches ont donc tenté de dépasser les inventaires d'acteurs et d'enrichir les grilles de lecture proposées par G. Cazes (1992).

Il s'agit donc de repérer comment les acteurs locaux sont associés ou non, à l'initiative de la mise en valeur touristique, et surtout en quoi cette intervention influence l'activité touristique et remodèle les espaces. Il s'agit de développement localisé à coup sûr, local peut-être. La littérature scientifique sur ce thème du développement local souligne d'abord qu'il ne saurait être question de développement local s'il n'est pas global. Le parti pris est ici bien sûr plus étroit, s'agissant d'un champ économique et, qui plus est, du seul tourisme. Mais, dans les études de cas (Laurens, 1996; Macé, 1996, pour ne citer que des contributions récentes) la dynamique du système productif constitue bien l'enjeu central du développement de la société locale. Et à ce titre, la valorisation touristique peut se révéler comme un des éléments du développement.

Dès lors, les géographes s'intéressant au tourisme ont-ils à occuper une position particulière dans le débat au sujet du développement local? Dans le cadre des modes de production fondés sur la petite entreprise, l'activité touristique présente une forte spécificité spatiale qu'il convient de souligner. Le local est le lieu du gisement touristique et l'affirmation sans cesse renouvelée de l'identité. Le global est le lieu du marché. L'intégration du local aux circuits économiques touristiques est donc une question essentielle. Comment s'organise cette relation qui est une clé essentielle de la réussite économique? L'activité économique, quelle qu'elle soit, et les spécialistes du développement local se plaisent à le souligner, se situe dans une contradiction entre l'affirmation de l'identité des lieux et la nécessité économique du lien avec la société globale (Kayser, 1990; Mathis, 1990). L'originalité du tourisme se situe donc au-delà, dans les effets de cette relation ; car par le « déplacement des corps

»(Viard, 1984) spécifique au tourisme, le local est soumis au regard direct du visiteur. Mis à contribution par le tourisme, bien plus semble-t-il, que ne peuvent l'exiger d'autres activités, les territoires et les sociétés locales invitées à participer, à s'écarter aussi parfois, à accueillir, ne peuvent rester indifférents, car le touriste et le tourisme ne se laissent pas toujours enfermer dans les limites étroites des lieux de production spécialisés et matériellement clos. C'est aussi en raison de cette

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mobilité des consommateurs, vers et dans le local, que le tourisme, activité basique, est fondamental pour le développement (Greffe, 1996).

Au-delà, l'intérêt d'une approche du développement local par le tourisme, réside dans l'analyse de l'invention du lieu touristique (Knafou, 1993). En effet, à l'origine de la trajectoire touristique, le lieu se caractérise par sa banalité, sa marginalisation, bref son exclusion des dynamiques porteuses du moment. Le développement local ne se résume peut-être pas à « l'invention » d'un lieu, mais la perversion d'un lieu par de nouvelles valeurs portées par des acteurs capables de faire partager aux autres leur nouvelle perception est une base essentielle du développement local. Le passage par le tourisme peut aider à comprendre cette mutation (page 10) dans la mesure où les phénomènes paraissent très proches. Dans les deux cas, des lieux délaissés vont opérer une métamorphose grâce à l'action d'acteurs déterminés. '

Qui sont les acteurs locaux du tourisme?

Le développement local s'entend comme une stratégie à laquelle les acteurs locaux prennent une part consistante, notamment les politiques (MérenneSchoumacker, 1996). Le terme local recouvre ici d'un point de vue social, les acteurs endogènes et les « acteurs transitionnels » (Di Méo, 1991). D'un point de vue spatial, comme il sera développé ensuite, le terme ne se réduit pas à la localité, mais englobe les espaces emboîtés et superposés des échelles moyennes et grandes. Deux approches sont surtout développées dans ce volume.

Plusieurs auteurs privilégient une analyse de la combinaison des acteurs et de leurs rapports à l'espace. D'autres se sont plutôt attachés à évaluer un système dans un espace donné. La première approche souligne surtout la dynamique expansionniste qui affecte le système des acteurs du tourisme. Les temps sont durs et le tourisme est appelé à y remédier. Dès lors, on se bouscule pour être intégré au sein, des systèmes d'acteurs, car les collectivités locales qui n'affichent pas de hautes ambitions touristiques seront bientôt rangées dans un musée ad hoc. La seconde approche privilégie un angle plus diachronique et montre comment les systèmes d'acteurs évoluent dans le temps. La « marchandisation » croissante de l'activité et l'affirmation de la spécialisation des acteurs s'imposent alors comme grilles de lecture. Sur ce point, on est amené à convoquer les habitants comme les touristes. Les premiers sont-ils simples figurants, appelés à subir, temporairement peut-être, une amputation de leurs territoires? Les seconds sont-ils seulement passifs? Enfin, dans son expansion, le tourisme peut se heurter à d'autres dynamiques économiques. Dès lors le développement global résulte davantage d'une confrontation entre différentes options, d'un ajustement réciproque entre différentes priorités, plutôt que de l'établissement spontané d'une harmonie.

Qu'est-ce que le local pour les acteurs touristiques?

Les analystes du développement local soulignent en général « l'inscription spatiale floue » (Derycke, 1990) du développement local. Une lecture croisée des différentes contributions rédigées sur ce thème par des géographes (notamment le volume spécial du Bulletin de l'Association des Géographes Français dirigé par B. Mérenne-Schoumaker en 1996) incite à penser que si dans certains espaces, c'est davantage la stratégie de développement qui définit le local, dans d'autres, l'identité territoriale est un préalable qui structure les relations entre les acteurs. La mobilisation des acteurs trouve parfois d'emblée un cadre territorial, au contraire dans d'autres cas le territoire en est le produit. Si nous croisons cette question que se posent les acteurs, de l'identification du local, avec la précédente, celle de l'identification des acteurs et du constat de l'expansion du système, nous sommes (page 11) amené à nous interroger sur les impositions de territorialité qui ne manquent pas de se manifester. En effet, le local est aussi « l'espace des problèmes » (Aydalot, 1984), c'est-à-dire le lieu où la proximité des acteurs rend leur confrontation inévitable. Chaque acteur est tenté de définir le local selon des objectifs différents, les uns privilégiant la mobilisation, les autres l'image et la promotion, des conflits naissent par conséquent des chevauchements des compétences affirmées et des légitimités bafouées comme des empilements des territoires bricolés au gré des ambitions, mais aussitôt rattachés à une histoire forcément immémoriale ou à une géographie forcément naturelle comme outils de l'affirmation d'un pouvoir sur le local.

Ces questions ont été posées dans une grande diversité d'espaces

L'espace rural a été privilégié. Sans doute l'ampleur des mutations traversées par les campagnes européennes incite-t-elle les chercheurs à se mobiliser, alors que le tourisme apparaît encore en ville comme un gadget. Par ailleurs, la majeure partie des auteurs appuie leurs démonstrations sur des

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exemples nationaux. Aussi avons-nous opté pour une organisation qui combine une approche par types d'espaces et par thèmes.

En espace rural, la faible structuration des acteurs a souvent été soulignée (Grolleau et A. Ramus, 1986; D. Clary, 1993; E. Chassagne, 1993). Plusieurs approches montrent que la question évolue, que des systèmes opérationnels se construisent, mais cette tendance induit des conflits spatiaux. Une première partie regroupe les contributions portant sur l'émergence des systèmes d'acteurs, sur la manière dont l'espace pèse dans ces évolutions et sur les conséquences spatiales qui en résultent. V.

Delignières montre ainsi à propos du Morvan comment la structure PNR construit son territoire, en s'appuyant sur une légitimité naturelle, le massif, et produit un espace touristique en l'irriguant par des réseaux d'acteurs professionnels. Ce faisant, le territoire nouveau se surimpose aux découpages administratifs, délimitant les compétences d'acteurs eux aussi touristiques, les CDT La cohérence du système est incomplète, mais elle progresse. Au contraire, E Ardiller-Carras, qui analyse le développement touristique aux confins du Poitou et du Limousin, souligne la persistance des dysfonctionnements. La constitution d'un système local d'acteurs, qui investissant l'espace de nouvelles valeurs, produit un territoire spécifique, fonctionnel, surimposé aux anciennes structurations, n'est pas achevée. La logique des microprojets et du saupoudrage se surimpose dans l'espace à une structuration voulue par les acteurs de l'échelle régionale, laquelle s'organise, dans la région Poitou- Charentes, en relation avec le parc du Futuroscope. R. Marvanejo et R. Sampaio comparent quant à eux deux types de systèmes d'acteurs qui oeuvrent au Portugal intérieur. Leur analyse souligne la similitude des problèmes qui, à travers l'Europe, agitent les espaces ruraux dévitalisés. Dans un cas, il s'agit de développement localisé, maîtrisé par un acteur majeur exogène. Dans l'autre, la stratégie est endogène et parée des vertus du tourisme durable. Les auteurs confrontent les deux démarches et en soulignent les (page 12) faiblesses, loin d'une confrontation simpliste. Enfin, nous montrons comment, dans le Maine-et-Loire, les divergences dans les logiques spatiales conduisent aux conflits de pouvoir et à la « fabrication » des territoires. Les deux conceptions du lien entre développement du territoire et espace local sont mises en oeuvre. D'une part, les territoires institutionnels, confrontés aux mutations économiques, investissent le champ du tourisme, d'autre part, des espaces de projet se constituent et entrent en concurrence avec les précédents.

Plusieurs contributions, abordent, dans une seconde partie, la question de la composition et de la dynamique même du système des acteurs en relation avec l'économie locale. O. Dehoorne, présentant le fonctionnement du système des acteurs en Aveyron, souligne le rôle d'« acteurs occultes » intervenant en marge du système, mais pesant sur les orientations du développement.

Cette approche montre ainsi que le développement du tourisme rencontre dans l'espace local des résistances induites par d'autres dynamiques. Partant de quatre communes situées entre le Beaujolais et le Jura, R. Bergeron décrit pour sa part la lente métamorphose de projets associatifs animés par des bénévoles mais surtout par les maires, en des projets d'entreprise, sous la pression des « impératifs économiques ». Les populations y jouent des rôles variés, on voit des habitants tantôt s'impliquer, tantôt attentistes, demeurant prudemment en marge, et les conflits semblent plutôt maîtrisés. L. Larroque Chounet évoque, quant à elle, la mutation des propriétaires de camping en managers de l'hôtellerie de plein air. En même temps, l'organisation spatiale des terrains de camping devient fonctionnelle et policée, tandis que le paysage, du moins la représentation qu'en donnent les catalogues, se « tropicalise ». De son côté, G. Fontaine analyse le système réunionnais et ses atermoiements face au choix posé par l'évolution de l'économie touristique et par son environnement immédiat. Est-il opportun d'encombrer les catalogues des voyagistes au rayon des paradis tropicaux ou de définir un projet plus original, qui ne présente que l'inconvénient d'être à inventer? L'auteur tente de comprendre pourquoi l'afflux de subventions n'a pas produit les effets escomptés. Enfin, à une autre échelle, C. Gil de Arriba s'interroge sur le rôle réservé aux populations locales dans cette « marchandisation » des campagnes européennes.

La troisième partie s'intéresse au développement des activités touristiques et ludiques en ville. S.

Guichard-Anguis, à propos des fêtes Matsuri du japon montre comment la banalisation du bâti urbain conduit les édiles à investir les fêtes religieuses pour produire ou reproduire une identité locale à usage interne, pour la population, et à usage touristique. Enfin, M. Gravari-Barbas et nous-mêmes stigmatisons, à partir du cas exemplaire de Bourges, ce passage du tourisme en ville, du statut de la promenade inconséquente à celui d'activité stratégique dans laquelle se confondent souvent des objectifs économiques directs, des enjeux culturels, des préoccupations identitaires vis-à-vis des populations résidantes et aussi des préoccupations de marketing urbain.

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Première partie : De la structuration des systèmes d’acteurs aux conflits spatiaux (p.17)

La proximité géographique, l'identité territoriale ou l'intérêt bien compris : ces facteurs qu'ils soient pris isolément ou qu'ils interagissent, ne suffisent pas à garantir l'émergence d'un système d'acteurs concret. En effet, et les analyses présentées ci-après vont dans ce sens, le système local, au sens d'E. Friedberg, se construit en fonction d'un contexte local et pour un objectif limité. Il n'est jamais donné a priori mais résulte d'une configuration spécifique qui dépend des conditions de son émergence. Chacun des acteurs poursuivant ses propres intérêts, ce qui paraît légitime, quelles sont les conditions de la production d'un tel système d'acteurs? L'importance de la question dans la thématique du développement local n'échappe à personne puisqu'il s'agit des conditions même de la mise en place d'un pouvoir capable de renverser une situation perçue au départ comme difficile. Dans le cas particulier du tourisme, l'enjeu étant d'attirer des populations étrangères aux lieux, de nombreux acteurs n'ont pas les moyens, sans s'allier à d'autres, de détourner les flux à leur profit d'une manière qui assure leur pérennité. La question de l'organisation devient donc primordiale. Les auteurs, dans cet ouvrage, s'accordent à répondre que, au-delà des spécificités locales, et en se gardant de toute prétention modélisante, la présence d'un acteur catalyseur est une condition de la structuration de ces systèmes. Un tel rôle de médiation est plutôt joué par un acteur ambivalent, à la fois au coeur des problèmes par ses compétences, son poids ou sa légitimité locale, et au-dessus de la mêlée. Ce rôle est plutôt joué par un technicien des organisations institutionnelles. C'est pourquoi le constat et la mise en oeuvre méthodologique du fonctionnement en système ne dispense pas d'une analyse précise et nécessairement redondante, puisque fortement contextuelle, des relations concrètes tissées entre les acteurs.

Mais l'élaboration d'un système, si elle permet l'atténuation voire la disparition de problèmes, aboutit à l'émergence de nouveaux conflits. Le système en tant qu'organisation structurée ne manque pas de

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s'inscrire dans l'espace et de produire du territoire. Dans ces opérations d'imposition de territorialité, les acteurs inclus dans le système sont confrontés à d'autres acteurs exclus ou peu intégrés, que l'on n'a pas réussi à neutraliser ou qui tentent de s'affirmer face au nouveau pouvoir. La production de l'espace touristique entre nécessairement en concurrence avec d'autres fonctions, d'autres usages de l'espace. L'espace est dès lors l'enjeu d'une lutte entre des pouvoirs anciens qui tentent de conserver leurs prérogatives et des acteurs porteurs de projets qui, pour être nouveaux, n'en sont pas pour autant plus légitimes.

Les acteurs du système touristique et leurs logiques spatiales Philippe VIOLIER, pages 57 à 67

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De nombreux auteurs ont recours à l'analyse systémique pour comprendre le fonctionnement des espaces touristiques. Pour G. Cazes notamment, le tourisme relève de trois systèmes combinés, un système d'espaces, un système d'acteurs et un système d'images (1992). Pour D. Clary, l'espace touristique fonctionne comme un système et l'analyse systémique permet d'appréhender la complexité du réel dans le mouvement (1993). O. Lazzarotti souligne l'apport de cette méthode à l'analyse spatiale du fait touristique (1994). Toutefois, il nous semble nécessaire, pour rendre compte totalement de la dynamique des espaces touristiques, de recourir en complément à deux types d'analyse. D'une part, l'analyse systémique du jeu des acteurs mérite d'être approfondie à l'aide des travaux récents d'E. Friedberg (1993). Celui-ci démontre l'efficacité d'une démarche scientifique qui combine un modèle global, qui sert de référence, et une approche empirique qui permet d'appréhender le réel. Cette démarche nous semble susceptible d'approfondir l'analyse des systèmes d'acteurs à partir de la synthèse qu'en a dressé G. Cazes en 1992, et de dépasser les inventaires. Il ne s'agit plus seulement d'inventorier qui agit et où, mais d'aborder le questionnement des interrelations entre les différents types d'acteurs et les espaces qu'ils tentent de s'approprier, et de là tenter de comprendre les conflits de pouvoir. Ensuite, la démarche offre une issue à la difficulté que souligne D. Clary (à propos notamment du tourisme rural) de rendre compte en même temps du général, l'espace touristique comme système, et du particulier, la diversité locale. Car si nous le suivons lorsqu'il campe le système station, la rigidité de la démonstration apparaît vite dès qu'il s'agit de comprendre pourquoi, au sein d'une telle uniformité, peuvent jaillir des évolutions aussi divergentes, pourquoi certaines stations s'enfoncent dans le déclin tandis que d'autres, comme les travaux des journées de Majorque, l'ont montré durent, traversent les modes et rebondissent (Richez, 1996).

L'urgence du questionnement vient du contexte. Le passage du mode taylorien au mode de production flexible, de la station standardisée aux complexes de services à la carte nous invite en effet à des analyses plus fouillées. Par ailleurs, D. Clary se pose la même question lorsqu'il aborde les chapitres du tourisme rural, lorsque le modèle de la station ne fonctionne plus vraiment. D'autre part, la méthode dialectique (Di Méo, 1991), s'attache aux contradictions page 58

qui se développent entre les acteurs. Les unes naissent dans le monde idéel pour se développer dans le monde matériel, tandis que les autres apparaissent et se déploient au sein du monde matériel.

L'approche permet de comprendre les enjeux des conflits et de les interpréter. L'espace apparaît comme un enjeu pour des formations sociospatiales, les rivalités qui éclatent sont les signes des diverses appropriations dont il fait l'objet.

Le système des acteurs du tourisme

Le système des acteurs du tourisme réceptif se caractérise dans un pays du centre marqué par la tradition jacobine d'intervention de l'État, par une structure duale (Cazes, 1992) qui associe au sein de multiples partenariats des acteurs publics et des acteurs privés. Nous proposons d'abord, une grille de lecture de ce système (figure 1).

La sphère privée est surtout marquée par l'éclatement et la diversité qui proviennent de la variété des métiers et des capacités de productions. À côté des grandes entreprises intégrées s'agite une multitude de PME. La situation de la France, espace touristique récepteur situé au coeur d'un des grands bassins émetteurs du monde, donc proche, et l'habitude de la plupart des touristes français et étrangers des pays proches de ne pas recourir aux intermédiaires du secteur, d'autoproduire ou de

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participer à la production d'une grande partie des services, expliquent largement l'accentuation de l'atomisation économique du tourisme.

La sphère publique se caractérise d'abord par l'emboîtement des territoires. L'organisation institutionnelle du tourisme reproduit fidèlement celle de l'administration en général aux niveaux régional (Comité Régional de Tourisme) et départemental (Comité Départemental de Tourisme), mais pas nécessairement à l'échelle locale où l'institution touristique se situe parfois au niveau du canton, parfois de regroupements de cantons, parfois au niveau de la commune ou de regroupements de communes sans coïncidence nécessaire avec des limites cantonales... Certains regroupements, nommés pays, dont les limites interfèrent plus ou moins avec celles des arrondissements et des cantons et dont la définition est très floue sont généralistes (Renard, 1994; Beauchard, 1994), d'autres sont spécifiquement touristiques : les Pays d'Accueil et les associations pour le développement touristique comme l'Association pour le Développement de la Vallée du Loir ou l'Association pour le Développement de la Vallée de la Sarthe. En général il s'agit d'agrégats de communes dont les limites se surimposent aux pavages administratifs supérieurs, les départements voire les régions, comme inférieurs, les cantons. Surtout, ils échappent à la logique basique des territoires administratifs et résultent de processus de sélection, sur lesquels nous reviendrons ultérieurement. Ensuite cette organisation connaît un certain partage des rôles. Les lois de décentralisation n'ont pas précisé, dans le domaine du tourisme, les relations entre les différentes structures situées aux différents niveaux (CRT/CDT/Local). En effet, l'emboîtement des territoires n'a pas suggéré de répartition institutionnelle des compétences. Un rapport rédigé par le sénateur

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Boeuf en 1991, à la demande du ministère du Tourisme, conclut à l'impossibilité de définir précisément les compétences des différents niveaux institutionnels, en raison du caractère transversal de l'activité touristique, de la variabilité du poids économique du tourisme suivant les régions et de l'inadéquation fréquente entre les territoires et les entités touristiques. De fait, la loi du 23 décembre 1992, sur la répartition des compétences n'apporte aucune solution globale et se borne à imposer, aux régions, un plan de développement touristique, et aux départements, un schéma d'aménagement touristique. Notons cependant qu'une certaine prime a été donnée à la région à travers les contrats de plan État-Région et le principe de subsidiarité des institutions européennes. L’aide de l'État comme celle de l'Europe doivent être coordonnées avec les politiques régionales. La structuration des relations au sein du système institutionnel varie donc suivant les régions. Par ailleurs, seules les institutions locales produisent des activités

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touristiques, alors que les échelons supérieurs exercent surtout des actions de régulation et d'encadrement.

Mais cette sphère publique, loin d'être uniforme, présente au contraire un caractère bicéphale marqué.

À chaque échelon, les élus côtoient des techniciens. Cette dualité est porteuse de conflits. Les

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premiers imposent plutôt un territoire administratif et tendent à privilégier des stratégies égalitaires, tandis que les seconds mettent en avant plutôt des logiques commerciales de sélection.

Pour une analyse des systèmes conjoncturels d'acteurs

Il nous semble nécessaire enfin de souligner la difficulté à distinguer ce système de son environnement en raison de la dynamique d'expansion qui affecte ce secteur. L'abondance des travaux de terrain sur les espaces touristiques spécialisés ont souvent conduit les auteurs des synthèses à considérer que la question ne fait pas problème. Même si certains auteurs ont établi cette distinction entre espaces spécialisés et espaces polyvalents (Lozato Giotard, 1985), ils n'ont pas cherché à en mesurer toutes les implications spatiales. Or, l'approche du tourisme conduit à s'interroger sur la validité de la dichotomie système-environnement y compris dans le cas de la station. D'un point de vue général, il est facile de montrer que le système des acteurs est en expansion constante. D'une part des acteurs, a priori hors du champ de l'activité touristique tentent de s'y imposer ou de s'y faire reconnaître comme partenaires. La trajectoire de certains milieux professionnels agricoles, à la recherche de solutions alternatives aux difficultés traversées par certains agriculteurs est significative. Dans le même ordre d'idée, les Chambres de Commerce et d'Industrie (CCI), jusque-là plutôt timides en matière de tourisme, élargissent leurs interventions surtout dans les départements polyvalents. Se limitant autrefois à l'encadrement des PME de l'hôtellerie et de la restauration, ce qui est leur compétence reconnue, elles investissent aujourd'hui le champ de la commercialisation des produits touristiques voir celui de l'aide aux acteurs locaux, domaines dévolus, il y a peu de temps encore aux acteurs institutionnels dûment estampillés tourisme.

D'autre part, les acteurs du tourisme tentent d'intégrer au sein du système, des acteurs a priori non touristiques ou du moins qui se jugent tels. Or il n'en est rien. Même en bermuda et armé d'un reflex, le touriste n'en demeure pas moins un bipède qui s'alimente, se déplace et visite ce qui lui passe par la tête, c'est-à-dire qu'il ne se limite pas aux lieux à voir. Et les acteurs du tourisme, surtout ceux du secteur public, s'intéressent à la formation des chauffeurs de taxi, à l'ouverture des commerces au mois d'août et aux grands enjeux qui agitent les services de la voirie. Certes, ces mouvements et intérêts soudains pour un secteur jusque-là suspect sur le plan idéologique, peuvent être interprétés comme un échange avec l'environnement mais il nous paraît plus juste de concevoir cela comme un mouvement continu d'intégration et d'exclusion, au gré des jeux d'acteurs, que le tracé de barrières trop rigides ou que la recherche d'équilibres plus prétendus que réels, maquillent et travestissent.

Sans doute, sommes-nous influencés par nos terrains Page 61

de prédilection, les espaces polyvalents, et que la dichotomie est plus nette dans les stations, mais la mobilité des touristes est telle que la question peut aussi être posée à propos des espaces touristiques spécialisés. La plupart des étrangers comme des nationaux se déplace avec un véhicule personnel et produit, lors du séjour, un espace de vie structuré par les lieux d'hébergements mais intégrant l'espace de transit (Dewailly et Flament 1993).

La tentation est trop forte d'y voir des structures relativement stables s'agençant en un ordre simple, répétitif et facile à lire. La grille de lecture que nous venons de proposer n'est qu'un canevas grossier sur lequel se composent et se recomposent les systèmes d'acteurs locaux comme les nomment E.

Friedberg (1993), mais que nous proposons de nommer systèmes conjoncturels. En effet, l'appellation sociologique nous gêne en raison de l'usage géographique du mot local qui pourrait induire une lecture mono-scalaire souvent contraire à la réalité. Les analyses empiriques montrent en effet que se constituent à propos d'objectifs plus ou moins clairement identifiés et explicités des systèmes ad hoc qui s'enchaînent ensuite par le jeu des expériences. C'est l'objet de l'intervention qui, aux yeux des acteurs, désigne ceux qui seront appelés à participer. Que l'on cherche à les neutraliser ou à en obtenir des participations, les acteurs pressentis sont sélectionnés et invités à s'intégrer. Le choix des joueurs est évidemment un enjeu de pouvoir. Certains acteurs faisant valoir ou le tentant, une certaine légitimité à sélectionner tandis que d'autres cherchent à s'imposer, arguant d'autres légitimités. En général, l'antériorité globale, brandie par les spécialistes du tourisme, ou la compétence technique, ou la légitimité politique tiennent lieu de passeport.

Par ailleurs, les échelons supérieurs, au sein de la sphère politico-administrative, la région par rapport au département, comme au sein de l'ensemble économique, où la hiérarchie s'évalue en nombre de visiteurs, s'imposent et orientent les actions. Une fois le système constitué, il construit le projet et conduit sa concrétisation par un partage des rôles et en intégrant les informations au sujet des marchés. Le pragmatisme et l'échelonnement des objectifs tracent la trajectoire du projet. Le succès servira de base à un nouveau système qui se constituera autour d'un nouveau projet, tandis que

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l'échec peut agir comme une contrainte nouvelle. Cet état de mouvement perpétuel est bien caractérisé par E. Friedberg lorsqu'il souligne l'aspect fondamentalement politique des organisations humaines.

Les systèmes conjoncturels et les enjeux spatiaux

C'est au sein de ce système que le développement des contradictions spatiales nous semble rendre compte de l'organisation de l'espace touristique' et des difficultés de sa structuration.

Deux logiques s'affrontent, l'une est fondée sur une rationalité économique, l'autre obéit à une vision territoriale. Aucune ne renvoie clairement et totalement à un acteur bien identifié. Le technicien n'est pas toujours indifférent au territoire, et n'agit pas exclusivement selon la logique économique, de même que le politique n'est pas imperméable à cette dernière. Cependant, la stratégie des

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acteurs relève d'un dosage plus ou moins influencé par son rôle social. En premier lieu, au sein de la sphère institutionnelle, le couple composé du politique et du technicien s'affronte régulièrement car le premier privilégie le territoire alors que l'action du second est davantage portée par une vision économique. L'intervention de l'élu, par le jeu des subventions en particulier, s'inscrit généralement dans le carcan de l'espace politique et administratif qui légitime son action. Il en résulte, à plusieurs échelles, la prégnance des limites administratives. À l'échelle locale, c'est le saupoudrage des aides, la dispersion des sites aidés et créés, l'imposition de territorialité, par le marquage des espaces, l'éclatement des structures. Ainsi alors que la constitution ancienne des pays dans le Maine-et-Loire, semblait proposer un modèle de structuration de l'espace et une assise territoriale pour des choix stratégiques, l'éclosion des structures intercommunales pose à nouveau le problème de la cohérence et de l'articulation avec le pays. Et l'on assiste à l'imposition de nouvelles structures qui s'inventent un passé et une identité et revendiquent des fonctions sans poser le problème de l'échelle pertinente.

Au contraire, les techniciens tentent d'imposer des regroupements et des concentrations par pôles ou par axes, de manière à produire une accumulation qui constitue une masse critique suffisante pour attirer les touristes et assurer aux voyagistes la sécurité recherchée (figure 2). Deux types d'espace touristique résultent de ces stratégies différentes. Lorsque le poids des élus est déterminant, l'espace touristique revêt une forme éclatée de petites structures dispersées. En revanche, les techniciens tentent de promouvoir un espace hiérarchisé au sein duquel des concentrations d'équipements ont vocation à organiser les flux en provenance des bassins émetteurs et à les redistribuer vers les sites moins développés. Dans la région des Pays de la Loire, plusieurs exemples attestent de ces contradictions. Lors de l'élaboration du IX` plan, le CRT avait imposé la constitution d'un pôle touristique rural rassemblant de part et d'autre de la Loire, le pays des Mauges, situé au sud et dans le département de Maine-et-Loire, et le pays d'Ancenis, localisé au nord et en Loire-Atlantique. La stratégie consistait à renforcer l'axe ligérien avant de favoriser une diffusion des touristes vers l'intérieur. La pression des élus des Mauges intérieurs a eu raison de cette volonté. Le XI° plan consacre le retour à la division. De même, le pays d'accueil d'Erve et Vègre, unissant les cantons du sud-est mayennais et du sud-ouest de la Sarthe, a-t-il éclaté en deux entités respectant les limites départementales. Ailleurs, c'est l'esprit de clocher qui s'oppose à la définition d'une politique cohérente et qui rend compte de l'éclatement d'une structure, ou des freins à son émergence. Le district touristique de Genne - Les Rosiers de part et d'autre de la Loire, entre Angers et Saumur - n'a pas résisté aux rivalités politiques locales. De même, les observateurs connaissent bien les multiplications de structures identiques et de qualité médiocre, les campings une ou deux étoiles le long des rivières par exemple, qui affichent en fin de saison des résultats médiocres, alors qu'une concentration des moyens permettrait d'atteindre un niveau de qualité attendu par les touristes, de disposer de moyens de promotion efficaces et donc d'espérer des résultats économiques plus satisfaisants, et à terme des créations d'emplois. De plus, la tendance des grands

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élus, souvent issus des bourgs et petites villes, à concentrer le développement local, explique aussi la réaction défensive des conseils municipaux des petites communes. Le tourisme est, en effet, d'autant plus souvent investi des derniers espoirs qu'il s'appuie parfois sur des ressources localisées, patrimoniales, à propos desquelles les petites communes souhaitent conserver l'initiative.

Mais, le partage des rôles n'est pas simple, le technicien, s'il ne répugne pas à des partenariats avec des structures voisines, inscrit aussi son action dans le cadre des territoires administratifs de même que certains élus comprennent bien la nécessité d'intégrer les impératifs économiques. Le CDT du Maine-et-Loire développe plusieurs actions qui visent à retenir le touriste dans le département et s'appuie sur les pays créés selon divers processus par le Comité d'Expansion dans les années quatre-vingt. Le réseau ainsi constitué fonctionne plus ou moins bien.

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Suivant les actions conduites, des impositions de territorialité se manifestent de la part de certains pays qui s'opposent au projet ou veulent le conduire de manière différente. Lorsqu'il s'est agi, par exemple, d'organiser la diffusion de l'information touristique, à l'intérieur du département, certains animateurs de pays ont craint que cela ne favorise la fuite de leurs touristes vers des sites plus

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attractifs... Le choix du type et de la forme des structures locales éclaire aussi ce conflit entre le politique et le technicien. Dans le Maine-et-Loire toujours, deux types de structures sont en concurrence (figure 2). Le premier, les pays, présente les caractéristiques du pavage administratif. Il s'agit d'un collage réalisé pour l'essentiel à partir des cantons, avec quelques glissements de communes justifiés par des considérations d'équilibre démographique. Un second type se surimpose peu à peu selon des logiques touristiques. L'agrégation des communes se réalise selon des unités paysagères, des vallées, qui correspondent davantage aux représentations, « des campagnes plus naturelles », et aux attentes des touristes, par le potentiel d'activités développé à partir de l'élément aquatique. Les politiques privilégient le premier type, qui présente l'apparence de la stabilité ', alors que le second emporte, là où il apparaît, l'adhésion des techniciens du tourisme. Toutefois, sous la pression sans doute des nouveaux impératifs de gestion, la logique économique progresse. Ainsi, les départements du Cher et de l'Indre, qui chacun de leur côté assuraient la promotion de leur Berry, ont- ils décidé de regrouper leurs moyens et de vendre LE Berry. Plus encore, le conseil général du Cher a accepté que le financement soit globalisé et confié au CDT de l'Indre.

Dans la sphère entrepreneuriale, la logique économique l'emporte évidemment. L'espace touristique revêt alors une forme réticulaire, ou plus exactement un enchevêtrement de réseaux fonctionnels selon des modalités et des dimensions différentes. L'analyse des relations que tissent entre eux les professionnels révèle une autre géométrie, réticulaire et discontinue qui se surimpose au territoire.

Ces relations sont d'abord denses (figure 3). Elles résultent souvent de certaines spécificités de l'activité touristique. Les exigences de la marchandisation et de l'intégration au système touristique obligent les structures locales trop émiettées à des partenariats qui permettent d'augmenter les capacités de production, de proposer des produits plus complets, à la journée par exemple, ou qui les crédibilisent auprès des touristes et des intermédiaires.

Ces réseaux se constituent selon des principes parfois en accord, parfois en contradiction avec le territoire. La proximité joue dans des sens contradictoires. Elle aboutit parfois à renforcer le pays lorsque des complémentarités existent sur place. Elle conduit à s'en détacher au contraire lorsque la proximité signifie conflits de voisinage, entre acteurs politiquement opposés par exemple, lorsque le campanilisme se déchaîne... Les professionnels se rassemblent aussi selon leur position dans le territoire. En centralité géométrique, ils sont plus enclins à s'insérer dans des réseaux inscrits dans le territoire, mais en périphérie, la porosité des

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limites administratives est réelle. Certains réseaux lancent des apophyses vers Angers ou vers d'autres pays attractifs, soulignant ainsi des effets de proximité. Le réseau agritouristique Terre d'Anjou intègre ainsi un partenaire situé à Bouchemaine, dans la première couronne de l'agglomération, parce qu'une proximité avec un marché est une condition de succès. Les entreprises de tourisme fluvial développent aussi des relations avec des partenaires éloignés, hors du pays, afin de diversifier leur offre et de répondre aux attentes des intermédiaires. L'interconnaissance et l'inter- évaluation conduisent à des chevauchements des frontières et

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dépassements du territoire, comme à l'élimination de certains partenaires, pourtant situés dans le pays, à proximité, mais jugés peu fiables ou vis-à-vis des

quels on a des préventions.

La hiérarchie des entreprises interfère également. Les entreprises motrices structurent les réseaux (figure 3). La carte du Segréen montre bien deux pôles, l'un fluvial organisé par l'axe Mayenne 2, l'autre aréolaire autour de la Mine Bleue 3. Mais ces réseaux ignorent partiellement le territoire et ces entreprises

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appartiennent aussi à des réseaux nationaux, c'est le cas notamment des loueurs de bateaux. En revanche, les petites structures demeurent soit isolées, soit s'inscrivent dans des réseaux de plus faible amplitude. Dans les dynamiques d'entreprise, par exemple, la solidarité territoriale s'exprime parfois entre petites et grandes entreprises. En effet, la dynamique économique des entreprises les conduit à diversifier sans cesse leur offre et à varier leurs produits. Les pôles sont ainsi

souvent amenés à créer des activités nouvelles. Cette accrétion induit parfois des concurrences avec des petites structures proches. Dans certains cas la négociation aboutit à l'abandon, par les pôles, de projets jugés dangereux par les petites entreprises, mais cela n'est pas systématique et conduit les petites structures à s'adapter ou à disparaître.

S'il est vrai que le territoire sied à l'élu et le réseau à l'entrepreneur (P Mathis 1992), les deux configurations ne peuvent pas s'ignorer et les deux types d'acteurs ne peuvent se passer l'un de l'autre dans le cas de la dynamique touristique en espace polyvalent. La spécificité de l'activité touristique, le déplacement du consommateur, implique des coûts de communication hors de proportion avec les performances économiques de structures artisanales ou de type PME. Ces dernières externalisent donc une partie de leur fonction commerciale, dont l'importance varie selon leur chiffre d'affaires. Les plus petites organisations ne peuvent s'offrir, seules, les participations aux salons. Les plus importantes disposent d'une autonomie plus large. Inversement, les politiques ne peuvent se désintéresser d'une communication territoriale, tant l'attraction touristique peut en induire

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d'autres et parce que c'est leur territoire. Plus encore, l'entreprise touristique petite ou PME a besoin, pour son développement, de partenaires locaux. Il faut élargir la gamme et sans cesse renouveler les produits. Le réseau le permet, au moindre coût. Mais, les contraintes des déplacements et la nonchalance du touriste obligent à rechercher ces partenaires dans la relative proximité. Ainsi, se construit l'espace aréolaire de l'entreprise qui s'inscrit parfois dans le territoire.

Conclusion

Les stratégies développées par les acteurs du secteur touristique se construisent selon des logiques spatiales différentes. Au sein du secteur public, dont il faut souligner le caractère bicéphale, à la fois politique et technicien, trop négligé, l'affrontement résulte des divergences quant à la nature du territoire dans lequel vont s'inscrire les projets. Tandis que les élus privilégient le territoire institutionnel, les techniciens tentent d'imposer un territoire fonctionnel en construisant des solidarités de proximité tout en sélectionnant les partenaires. En apparence, au caractère bicéphale, nous serions tentés d'ajouter la dissymétrie et de parier a priori sur l'élu, titulaire du pouvoir, au détriment du technicien. En fait ce serait ignorer les capacités des techniciens à convaincre des élus de plus en plus attentifs, du fait du contexte marqué par l'exigence de résultats économiques. Au sein du secteur privé, les entrepreneurs privilégient plutôt la compétence technique dans la construction de leurs réseaux fonctionnels, ce qui ne s'accorde pas nécessairement

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avec la proximité mais ne l'exclut pas non plus a priori. Au-delà du secteur, l'analyse du système des acteurs touristiques souligne le caractère transactionnel du pouvoir. La concrétisation des projets nécessite l'intervention et l'invitation d'un nombre croissant d'acteurs, les uns qu'il s'agit de neutraliser, les autres que l'on veut amener à s'investir ou dont on a besoin.

1. Alors que la croissance urbaine et l'extension du district urbain d'Angers a bien montré, par l'éclatement du Pays des Trois Rivières, qu'il ne s'agit que d'une question d'échelle de temps.

2. Deux entreprises actives sont notamment localisées dans la vallée de la Mayenne, l'une notamment est la plus importante du Bassin de la Maine (Violier 1993).

3. Cette attraction, créée en 1990 à Noyant la Gravoyère, reçoit 100 000 visiteurs par année, ce qui la situe parmi les plus dynamiques du tourisme rural de l'Ouest.

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