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Image & Narrative, Vol 11, No 4 (2010)

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Des images vidées ? Les livres de l'« Archiv Peter Piller »

Ulrike Matzer

Abstract (E): Peter Piller's artist's books, especially those published between 2002-2006, merit

an attentive examination, most notably in regard to his novel personal use of photography. Photographs (and partly also their legends) directly cut out from regional dailies are the objects of his arrangements. Based on this artistic ensemble, where the narration is guided as much by the visual as by the readable, questions arise in reference to the ephemeral character of the photographic medium, to reproducibility, and to the poetry of quotidian phenomena. Furthermore, the archival dimension of the photographic and the peculiarity of the printed photograph are up for discussion.

Abstract (F): Les livres d'artiste de Peter Piller, particulièrement ceux parus entre 2002 et 2006,

méritent une analyse attentive au regard de la photographie dont il fait un usage personnel assez novateur. Images – photos directement sorties de pages de presse – et textes – légendes également « tirées » de la presse – sont l'objet d'arrangements dont le but est de donner à voir – et à lire – afin de questionner le caractère éphémère du medium photographique, la reproductibilité ainsi que la part poétique du quotidien. La dimension archivistique du photographique et la spécificité de la photographie imprimée sont abordées à partir de cet ensemble artistique.

Keywords: archive, artist's book, autotype, medium transfer, press photography, Peter Piller,

picture library, reproductibility

Mots-clé : archives, livre d'artiste, Peter Piller, photographie de presse, photothèque,

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Article

« Rien, encore, n'est à voir : sur le terrain de jeu de Süderwalsede, la rôtisserie doit être construite. » (« Noch ist nichts zu sehen: Auf dem Bolzplatz in Süderwalsede soll das Grillhaus entstehen. »)

« Sur ce pré en contrebas du cimetière de la Gaisbergstraße on doit édifier la nouvelle maison de retraite devant le parc de loisirs de la Lattenbergstraße bordé de buissons. » (« Auf dieser Wiese soll das geplante Seniorenheim entstehen, im Hintergrund die von Büschen umgebene Freizeitanlage an der Lattenbergstraße. »)

Réunies dans le livre « Noch ist nichts zu sehen », les images de terre en jachère ou de terrain vague montrent un état actuel tandis que leurs légendes indiquent l'état à venir : l'érection d'un pylône relais de téléphonie mobile, des maisons d'habitation venant combler un terrain non construit ou un parking destiné à recouvrir une pelouse. Les images sélectionnées par Peter Piller témoignent du fait que quelque chose a été et est comme ça tandis que leur légende indique le changement. Si le noème de la photographie « le voici » de Roland Barthes est présent, il reste vague. C'est par les légendes que les lieux photographiés – indéfinis ou insuffisamment définis dans l'image – se constituent en « étendues d'indication » : « Bedeutungsflächen », titre d'un autre volume de l'« Archiv Peter Piller » dans lequel la succession des images – quelqu'un montre quelque chose au moyen de l'index ou de la main – ne permet pas de discerner ce que ces gestes déictiques indiquent. La légende de sous-titrage est absente, et sans texte cette suite d'images atteste du mutisme de l'image photographique.

Dans « Les responsables sont unanimes » (« Die Verantwortlichen sind einstimmig »), la responsabilité et l'unanimité des personnes rassemblées en cercle ou arc de cercle sont rendues obscures par l'absence de légende. Nous percevrons que ces personnes peuvent être des autorités locales ou des riverains, on voit qu'elles se penchent sur quelque chose, mais le sens de cette chose ne nous apparaît pas. Devant ces images on se retrouve comme devant des « trous » – « In Löcher blickende Menschen » (« Des gens regardant dans des trous ») – à la manière des personnes réunis autour d'égouts que Peter Piller rassemble et assemble dans une autre de ses catégories archivistiques dont il n'existe pas de livre, mais qui a été le thème d'une exposition individuelle au Kunstverein de Salzbourg en 2007.

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Archiv Peter Piller, Band 4 : Die Verantwortlichen sind einstimmig

Les sélections et les arrangements de Peter Piller mettent l'accent sur des détails a priori non reconnaissables, sans signification évidente. On est confronté aux « archives d’images des invisibilités »1

1 « Bildarchive der Unsichtbarkeiten » était le titre d'une exposition et d'un catalogue qui contenaient entre autres

des images de Peter Piller. Andreas Bauer, Ludwig Seyfarth (éds.), Recherche – entdeckt! Bildarchive der

Unsichtbarkeiten. 6. Internationale Foto-Triennale Esslingen 2004, Francfort-sur-le-Main : Revolver Archiv für

aktuelle Kunst 2004.

: des photographies du journalisme d'investigation découpées dans la presse locale, parce qu'elles représentent des scènes et des faits, présentent un caractère expressif plus important que chaque photo prise isolément (la somme dit plus que les parties). Ces images privées de leur contexte original qui leur confère une valeur documentaire apparaissent comme des photos indéfinies, vides, vidées.En ignorant l’existence des autres, les images se ressemblent pourtant d’une façon étrange, inquiétante. Le langage visuel nous est familier, mais prise isolément chaque image reste vague. En cela les photos de l'« Archiv Peter Piller » se distinguent des images appartenant au registre de la « stock photography », elles aussi indéfinies et vides, mais caractérisées par une neutralité maximale : celles-ci sont gardées en stock pour

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38 éventuellement servir à l'illustration de nombreux sujets d'actualité. Afin d'illustrer des informations aussi générales que différentes, dans un système d'exploitation et d'échange mondial, ces images possèdent un degré d'abstraction tel qu'elles ne dévoilent ni détails ni spécificités.2 Par contre, les livres de Peter Piller nous présentent des accumulations d'images copiées qui témoignent d'une « marque de perception » (Walter Benjamin) établie avec la société bourgeoise : « marque d'une perception, dont le sens de l'égalité s'est développé de telle façon qu'elle l'applique également à l'unicité par la reproduction. » Selon Benjamin, « la copie, tel que la livrent journaux illustrés ou actualités filmées, se distingue évidemment de l'image. Unicité et permanence sont aussi étroitement liées dans ci que fugacité et reproductibilité dans celle-là. »3

Dans « Auto berühren » (« Toucher voiture »), les images sélectionnées ressemblent aux arrangements de photographies de studio du XIXième siècle aux poses interchangeables des messieurs-dames, le plus souvent des petits-bourgeois dont on tirait le portrait tant à Vienne qu’à Paris ou Bruxelles – sauf que la chaise, la colonne ou la balustrade, qui fonctionnent comme des codes visuels dans ces images, est ici remplacée par un véhicule, disposé à l'extérieur et ayant le statut d'un véritable objet (détail) de la photographie. Des opérations similaires peuvent être constatées chez des photographes amateurs ou certains photojournalistes dont le langage visuel produit de nouvelles significations.

2 Cf. Matthias Bruhn, Bildwirtschaft. Verwaltung und Verwertung der Sichtbarkeit. Weimar : Verlag und

Datenbank für Geisteswissenschaften 2003 ; Wolfgang Ullrich, Bilder zum Vergessen. Die globalisierte Industrie der « stock photography », in : Andreas Baur, Ludwig Seyfarth (éds.), Recherche entdeckt, op. cit., pp. 49-55.

3 Walter Benjamin, Petite Histoire de la photographie [1913], Études photographiques, Tirage à part du n° 1,

novembre 1996 (traduit de l'allemand par André Gunthert ; édition revue et corrigée, 1998), Paris : Société française de photographie 2005, p. 22.

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Archiv Peter Piller, Band 8 : Auto berühren

Quelle est l’intention de cet archivage d’images par Peter Piller ? Quelle est la fonction de ses livres ? Piller n'aborde pas ces problématiques ; il les met en œuvre. D'une part l'ostensible banalité des images, leur présence en masse, lui permettent de constituer ses fonds d'images et d'établir ses différentes catégories. D'autre part, sa sélection laisse sous-entendre le penchant arbitraire des catégories. D'autres arrangements et classements seraient tout à fait possibles. Ses catégories archivistiques résultent en partie de légendes originales (« Noch ist nichts zu sehen »), de sujets (« Auto berühren ») ou de signes superposés aux photos : « (Pfeil) » (« (Flèche) »). De tels signes indiquent des détails dans les images de façon plus ou moins évidente. Les images que Piller reproduit dans son livre « (Pfeil) » aboutissent à une mise en abîme du même geste déictique : l'acte photographique initial est dédoublé, il apparaît une première fois dans le contexte de la page d'un tabloïd illustrant un fait décrit, une deuxième fois dans le contexte artistique.

Pour Piller, il existe aussi des « images de connexion » fonctionnant commes des relais entre les catégories. Établies par l'artiste, les catégories sont perméables. Des ponts sont jetés

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40 entre elles aussi bien qu'entre les livres : une flèche peut montrer une fenêtre d'une maison (une maison d'un lieu de crime, qui sait ?) ou bien une fenêtre d'une maison où un crime a réellement eu lieu dans « Durchsucht und versiegelt » (« Perquisitionné et scellé »). En feuilletant cette oeuvre livre par livre on découvre des éléments d'images qui resurgissent, des détails qui flottent, des éléments iconographiques qui migrent.

Archiv Peter Piller, Band 6 : Stein des Anstoßes

En 1997, dans une agence de media hambourgeoise, Peter Piller débute sa collecte en découpant des photos dans des journaux pour lesquels il devait contrôler la parution des annonces publicitaires. La monotonie de cette activité professionelle s'avéra être un catalyseur pour sa démarche artistique : un moment décisif comparable à celui vécu par Richard Prince commençant à rephotographier publicités et photos de presse alors qu'il travaillait au sein de la rédaction de Time-Life en 1976. À la différence que par l’« appropriation art » Richard Prince entendait surtout renverser les rapports entre les concepts d'original, de copie et de contrefaçon. Peter Piller considéra quant à lui les images de presse comme des photos qu'il aurait voulu

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41 prendre lui-même et dégage de leur neutralité un potentiel d'excitation personnelle. L'« Archiv Peter Piller » compte à l'heure actuelle environ 7.000 photos de presse, toutes classées par ordre alphabétique. Il s'agit d'un fonds d'images d'une ampleur presque encyclopédique dont certaines catégories de classement ne seraient pas étonnantes dans des services d'archives de presse, d'autres étant plutôt inattendues, métaphoriques, voire poétiques : « Anfassen » / « Toucher à quelque chose », « Geld zeigen » / « Montrer un billet de banque », « Erster Spatenstich » / « Premier coup de bêche », « Protestformen » / « Modes de protestation », « Trügerische Idylle » / « Idylle trompeuse », « Zankapfel » / « Pomme de discorde ».

Ces fonds d'images nous sont donc connus avant tout par les livres : des livres gris se présentant comme des fascicules ou des dossiers qui servent à l'artiste de mode d'organisation et de présentation, auxquels il a ajouté des compilations telles que « Archiv Peter Piller : Zeitung ». Dans le présent article, nous nous limitons aux dix livres initialement publiés entre 2002 et 2006 à Francfort-sur-le-Main, édités par Christoph Keller pour Revolver Archiv für aktuelle Kunst. Le label « Archiv Peter Piller » doit être compris comme fonds d'images, c'est-à-dire un Bildarchiv.4

L’invention et la diffusion de la photographie sont concomittants à la réorganisation des archives selon les taxinomies caractérisant les sciences du XIXième siècle.5 La photographie a ainsi aidé à l'archivage et à l'organisation des collections, à l'établissement d'expositions, à la fondation de musées d'art et d'art décoratifs, et plus généralement à la science historique. Des collections furent ainsi complétées, voire remplacées par des images photograpiques, pour créer un « musée imaginaire » ou pour établir des « archives de monuments virtuelles », selon Herta Wolf une des modalités du « paradigme » de la photographie6

4 LE terme allemand « Archiv » est équivalent au terme « archives » en français ; le français distingue cependant les

archives – comprenant des documents écrits anciens et contemporains – et les fonds d'images. Cf. Wolfgang Ernst,

Das Rumoren der Archive. Ordnung aus Unordnung, Berlin : Merve 2002, p. 90.

– pensons seulement à l'édition, autour de 1900, de divers atlas remplis d'images photographiques.

5 Cf. Herta Wolf, Das Denkmälerarchiv Fotografie, in : Wolf, Herta (éd.) : Paradigma Fotografie. Fotokritik am

Ende des fotografischen Zeitalters, Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp 2002, pp. 349-375.

6 Herta Wolf, Das Paradigma Fotografie als Grundlage konzeptueller Strategien in Künstlerpublikationen der

60er/70er Jahre, in : Schade, Sigrid ; Thurmann-Jajes, Anne (éds.) : Buch | Medium | Fotografie. Eine

Dokumentation der Internationalen Tagung am 21. und 22. Februar 2003, anlässlich der Ausstellung « Ars Photographica. Fotografie und Künstlerbücher » im Neuen Museum Weserburg Bremen (= Band 1 der

Schriftenreihe für Künstlerpublikationen in Kooperation mit dem Institut für Cultural Studies in Art, Media and Design an der Hochschule für Gestaltung und Kunst Zürich), Bonn : Salon 2004, p. 24.

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42 Chez Piller la photographie ne se limite pas à être un moyen d'archivage pour ses collections et ses archives ; elle est leur objet. Ses livres – véritables photothèques – font fonction de mémoire d'image photographique. Dans leur apparence noir et blanc aux points de grisé plus ou moins visibles, les photos journalistiques, reproduites une seconde fois, ne font pas seulement référence au sujet représenté, mais aussi à l'état de l'imprimé, à la matérialité de l'image photographique, à la nature protéiforme du « photographique » comme Rosalind Krauss ou Hubert Damisch l'a dénommé. Car l'histoire des mass media, pour l'essentiel, est une histoire de la reproductibilité technique ; l'histoire de la photographie (et de ses différents procédés) est intimement liée au développement des techniques d'imprimerie. C'est avec la similigravure que commença – au sens strict – l'histoire de l'image photographique imprimée à fort tirage et à bon marché. Cette technique de reproduction photomécanique qui répond à un besoin accru d'illustrations permet d'imprimer des caractères typographiques avec des images – une trame à intensité variable placée devant la plaque sensible permettant en effet la production d'un cliché fractionnant l'image en demi-teintes. Les nuances de clair-obscur de l'image photographique sont rendues par des points dont la taille varie pendant que le nombre par unité de surface est toujours le même. Les premières similigravures sont apparues dans la presse quotidienne au début des années 1880 sur l’initiative de l'allemand Georg Meisenbach qui déposa un brevet en 1882. La qualité, la résolution d'image, l'intensification et la rentabilité de la production augmentèrent à partir de 1895, apportant un perfectionnement décisif, allant jusqu'à causer la disparition de l'usage des gravures sur bois et des images lithographiques dans l'imprimerie. La photographie y gagna un rôle important en tant que medium de documentation et de reportage : elle devenait une chose commune.

À cet égard, l’organisation des images de l'« Archiv Peter Piller » dans des livres, la publication des photos de presse de façon répétée, apparaît comme la mise en œuvre la plus adéquate. La suite d'images – une image par page, en règle générale – nous permet de discerner des caractéristiques similaires. De surcroît, le réseau de points tramant les images laisse apparaître leur structure intérieure, souvent similaire. L'ensemble des couvertures des dix volumes donne de la sorte l'impression d'une image en demi-teintes. La photographie nous apparaît comme une information codée. Dans cette mesure, la qualité de la photographie – communément supposée « transparente » – est appréhendée sans que son caractère fabriqué ne soit écarté. En retour, ces images sont marquées d'une opacité à double sens : d'une part les

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43 points de grisé et aussi parfois le moiré exigent dans une certaine mesure que le regard « transperce » la trame afin de discerner ce que l'image représente ; d'autre part la signification, le sens de l’image peut nous sembler toujours obscur, opaque. Les photos reproduites une première et une seconde fois ne sont pas seulement l'indice du sujet représenté, mais aussi l'indice de l'imprimé, de sa texture, de sa structure. Peter Piller se sert des techniques de scan et d'imprimerie les plus avancées, pratiquant les transferts de media issus des lectures et traitements numériques ; ceux-ci pouvant engendrer des interférences, des effets de moiré additionnels, Piller cherche à les éviter.

Dans à peu près la moitié des livres de cette série de l’« Archiv Peter Piller », les légendes elles-aussi sont reproduites avec leur présentation typographique d'origine. C’est surtout dans les livres où les images sont sous-titrées que les photos sont employées métaphoriquement. C’est là aussi que se dévoile une poésie du banal : dans « Stein des Anstoßes », un morceau de pierre très pointu annonce la suite qui nous montre d’abord des pierres réelles puis des variations aplaties ou agrandies, jusqu'à s'éloigner du sens littéral de l’expression « Pierre d’achoppement ». Des têtes de politiciens ou de joueurs de football sont rapportées comme « Pierre d'achoppement » – sous-titrées de la légende répétée « Stein des Anstoßes ». Une plaque tournante nommée « Pierre d’achoppement » (« Diese Drehscheibe ist Stein des Anstoßes [...] ») nous apparaît peu ou prou un oxymoron, une contradictio in adiecto. Et, au final, c’est un geste déictique qui ferme la série d’images : une main qui montre ; formant ainsi une clôture au livre.

« Schandfleck / Schmuckstück » (« flétrissure / bijou ») ajoute une tonalité dramatique à travers une métamorphose des choses considérées laides en des choses précieuses. Différents types d’images y voisinent, tous étant fonction d’une légende : légende « sans laquelle toute construction photographique demeure incertaine ».7

7

Walter Benjamin, op. cit., p. 29.

La légende dispose du sens. Les attributions arbitraires se révèlent comme expressions de systèmes de valeur, poussant la relation entre signifiant et signifié jusqu’à l’absurde, jusqu’à la production de calembours : la tonalité dramatique est toute en clin d’œil. La suite des pages peut laisser apparaître une certaine conformité entre les différentes phrases, et en parallèle une conformité semblable entre les

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44 différentes images. La force de l’ensemble développe une dramaturgie activée tantôt par le texte – le lisible – tantôt par l'image – le visible.

Archiv Peter Piller, Band 5 : Schandfleck/Schmuckstück

Jamais Peter Piller ne surajoute aux images ses propres légendes. De plus, c’est seulement dans ses livres qu’il y a des textes. Dans ses expositions, on est confronté aux seules images : images « nues », aux tirages souvent agrandis mais présentés d’une manière simple, la plupart du temps sans encadrement. Contrairement à Thomas Ruff, par exemple, qui présente ses découpures intitulées « Zeitungsfotos » encadrées et présentées dans leur matérialité originale, ce qui constitue leur aura. D’autres archives de Peter Piller – présentées lors des expositions – peuvent dialoguer avec ses choix d'images de presse : par exemple des photos aériennes datant des années 1980 dont l’artiste a fait l’acquisition en 2002 au moment d’une succession d’entreprise ; environ 20.000 images de maisons et propriétés privées, tirages ou négatifs, dans leur état brut non découpé. Cette collection a été reprise partiellement dans un livre, « Von Erde

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45 schöner » (« Plus beau de la terre »), titre elliptique noté au verso d’un tirage à la suite d’une réaction d’un acheteur potentiel. En 2007, un autre livre, « nimmt Schaden » (« subit des dégâts ») a trouvé son origine dans un ensemble de données numériques reçues d’une compagnie d’assurance. Le plus souvent dans ses expositions, Piller oriente le dialogue en l’organisant sous la forme d’une « grille de mots croisés » ainsi qu’il la qualifie : le regard du visiteur est guidé pour voir les catégories qui sont semblables. Opérant ainsi, la division stricte qui caractérise ses livres est annulée. Les confins entre catégories différentes se rejoignent.

Ce qui ressort de très intéressant dans la série des livres de Piller, c’est son traitement artistique du caractère éphémère et reproductible du medium photographique : la façon de revaloriser des images initialement jugées inférieures ; la façon conjointe de garder les composantes du banal. Il s'agit d'images « sans dessein, dignes d'être de l’art », comme Piller l’a exprimé lui-même au cours de la conférence « Vorzüge der Absichtslosigkeit » (« Des avantages de la non-intentionnalité ») chez Camera Austria au Kunsthaus Graz, le 24 Avril 2009. Même si l’artiste n’est pas l’auteur de ces images anonymes, il considère son approche de collecteur, son travail de composition et de suivi de ses archives comme étant fortement « subjectif » – à la différence de Hans-Peter Feldmann dont l’œuvre artistique consiste aussi en grande partie en des livres, et qui témoigne d’une même attirance pour le banal et l’éphémère ainsi que pour la reproduction de photos déjà reproduites. L’approche de Peter Piller s’éloigne également d’une logique conceptuelle. Jamais il n’y a de stratégies préalables comme par exemple chez Ed Ruscha. Ce n’est que petit à petit, en dépouillant ses collections de manière réitérée que ses catégories archivistiques se cristallisent. Tandis que Feldmann, dans « Bilder », regroupe du matériel visuel thématiquement identique à celui de Piller – d'origines toutefois différentes : photos d’amateurs, découpures de magazines, propres photos de l’artiste –, les images sélectionnées par Piller, puis ses livres rendent compte d’une approche artistique marquée par l’homogénéité, tant au niveau de la conception que de la précision du graphisme. En cela les livres de Peter Piller se rapprochent de ceux de Bernd et Hilla Becher et de ceux de leurs anciens élèves, même si Piller n’a pas fait ses études à Düsseldorf mais à Hambourg auprès de l’artiste conceptuel Franz Erhard Walther.8

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46 La question, dans quelle mesure des photos anonymes de presse, sélectionnées, collectionnées, et reéditées par différents artistes selon les principes de la décontextualisation et de la recontextualisation, reflètent les approches artistiques personnelles ne peut qu’être effleurée ici : outre Piller, nous pouvons mentionner le projet « Old News » d’un collectif de collectionneurs et collectionneuses qui visent à exemplifier une autre méthode artistique d’appropriation du quotidien et du maniement du caractère éphémère du medium photographique.

Old News N° 3, 2006 (contribution d'Anri Sala)

À l’initiative de Jacob Fabricius du Pork Salad Press, sa propre maison d’édition à Copenhague, des artistes sont invités chaque mois à consulter du matériel de presse divers, à faire des interventions artistiques dont par exemple des découpures de colonnes de texte et de photographies qui leur semblent pertinentes pour en faire de nouveaux arrangements publiés dans un nouveau journal. Plus encore que chez Piller, on peut y voir le principe éphémère des pages imprimées une seconde fois : en reproduisant des (décou)pages sur des papiers de qualité inférieure, et en distribuant gratuitement les nouveaux journaux réalisés avec les « vieilles

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47 nouvelles ».9 Ici aussi regarde-t-on aux reproductions de reproductions, aux trames – comme dans des « trous » – et même parfois à des pages remplies et pourtant – paradoxalement – partiellement ou pleinement « vidées » à la fois de texte et d’image.

L’auteur tient à remercier Alain Peano pour son concours.

Références :

Archiv Peter Piller, vol. 1-10 (Durchsucht und versiegelt, Diese Unbekannten, Noch ist nichts zu

sehen, Die Verantwortlichen sind einstimmig, Schandfleck/Schmuckstück, Stein des Anstoßes, Regionales Leuchten, Auto berühren, (Pfeil), Bedeutungsflächen), éd. Christoph Keller,

Francfort-sur-le-Main : Revolver Archiv für aktuelle Kunst 2002-2006.

Archiv Peter Piller, Von Erde schöner, éd. Christoph Keller, Francfort-sur-le-Main : Revolver Archiv für aktuelle Kunst 2004.

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www.peterpiller.de

www.porksaladpress.org

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Ulrike Matzer est assistante de recherche au département de photographie du Musée Albertina, Vienne (A) dans le cadre d’un projet de recherche sur le chimiste et l’historien de la photo autrichien Josef Maria Eder (sous la direction de Maren Gröning, financé par le FWF – Austrian Science Fund). En outre, elle prépare sa thèse de doctorat ayant pour sujet les femmes dans le métier photographique au XIXième et au début du XXième siècle. Auparavant elle a été chargée de cours à l'Académie des Beaux-Arts à Vienne et à la Kunstuniversität Linz. Auteur et critique elle écrit regulièrement pour des revues comme Fotogeschichte, études photographiques, Photography & Culture, Camera Austria International, Rundbrief Fotografie. Elle vit et travaille à Vienne et à Paris.

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