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LES TRANSMISSIONS DU RAPPORT À L'ENGAGEMENT POLITIQUE CHEZ LES ENFANTS DE MIGRANTS

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Academic year: 2021

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Submitted on 8 Mar 2016

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LES TRANSMISSIONS DU RAPPORT À

L’ENGAGEMENT POLITIQUE CHEZ LES ENFANTS DE MIGRANTS

Elsa Lagier

To cite this version:

Elsa Lagier. LES TRANSMISSIONS DU RAPPORT À L’ENGAGEMENT POLITIQUE CHEZ LES ENFANTS DE MIGRANTS. Migrations Société, CIEMI, 2009, Transmissions familiales en migration, 21 (123-124), pp.241-255. �hal-01285047�

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LES TRANSMISSIONS DU RAPPORT À L’ENGAGEMENT POLITIQUE CHEZ LES ENFANTS DE MIGRANTS

Elsa LAGIER *

Il est désormais classique d’admettre qu’après les valeurs culturelles, morales et religieuses, ce sont les préférences partisanes qui se propagent le mieux dans la famille, des parents vers les enfants1. Mais, en amont de cette question de la transmission intergénérationnelle de l’orientation po- litique de ces préférences, comment peut-on comprendre et expliquer les logiques du legs d’un intérêt pour la politique pouvant conduire à un engagement ? La question des transmissions intrafamiliales du rapport à l’engagement politique dans le cas de familles franco-étrangères, issues de l’immigration, présente de plus certaines spécificités. En effet, à l’in- térieur de ces familles, les parents et les enfants ont connu des con- textes de socialisation très différents, leurs référents politiques, constitués dans le cadre de l’État-nation, pouvant même être très éloignés. Cela nous amène donc à interroger les vecteurs de la transmission d’un intérêt pour la politique.

De plus, il apparaît aujourd’hui important de renouveler les approches des phénomènes migratoires. Depuis la fin de la Seconde Guerre mon- diale et le début des flux massifs d’immigration en France, les questions migratoires ont été principalement perçues et étudiées implicitement à partir du regard de la société d’accueil : les migrants ont d’abord été réduits à une force de travail et le phénomènes migratoire à sa seule dimension économique. Or, sur le terrain, les parcours migratoires pré- sentent des caractéristiques beaucoup plus diverses et complexes que celles attachées au simple schéma de la migration économique, en par- ticulier parce que de nombreux migrants ont fait le choix de s’installer définitivement en France et y ont fait venir et/ou construit leur famille.

Déjà en 1986, « l’irruption massive des jeunes générations issues de l’im-

* Doctorante en sociologie, Laboratoire Cultures et Sociétés en Europe. Contact : elsa.lagier@hotmail.fr 1. Comme l’a montré entre autres Annick Percheron. Voir PERCHERON, Annick, La socialisation

politique, Paris : Éd. Armand Colin, 1993, 226 p.

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migration sur la scène sociale en France » était perçue comme un fait marquant2. Vingt ans après, il est intéressant de chercher à savoir si cette

«irruption » a eu ou non lieu également sur la scène politique, de quelle façon et par quel truchement.

Nous nous intéressons ici à la façon dont l’histoire migratoire des parents, sa transmission et sa réappropriation — ou non — par leurs enfants permet de comprendre la construction d’un investissement du politique pouvant déboucher sur un engagement, ou au contraire conduire à la construction de représentations qui mettent la politique à distance.

Classiquement, les études de sociologie politique s’intéressent à la cons- truction des préférences idéologiques et partisanes. Sans évacuer cette question de l’analyse dans la présente contribution, nous mettons l’accent sur le rapport des acteurs à l’engagement politique (davantage donc que sur la direction de leurs actions dans la politique3). Nous allons ainsi montrer la complexité de ces constructions par l’analyse de différentes études de cas qui mettent en relief des logiques relatives à la singu- larité des histoires familiales. À une plus large échelle, elles permettent la mise en lumière de différents vecteurs des transmissions intrafami- liales du rapport à l’engagement politique.

Notre définition de la politique est multiple et nous cherchons à faire dialoguer ses différentes acceptions : la politique formelle (vue comme un champ spécifique professionnalisé), la politique au sens large (vue comme l’une des dimensions de la vie sociale publique) et la politique

“indigène” telle qu’elle est conçue par les personnes rencontrées. L’enga- gement politique est une activité sociale qui correspond pour un individu à son implication dans un collectif organisé dont l’objectif est d’agir sur l’ordre social et dont les formes peuvent être très variées (associations à vocation politique, partis politiques, coordinations plus ou moins formelles...).

L’analyse proposée ici repose sur un travail de terrain conjuguant observations, entretiens biographiques et historiques croisés de familles4,

2. ABOU SADA, Georges ; MILET, Hélène, Générations issues de l’immigration : “mémoires et devenirs”.

Actes de la table ronde de Lille, 12-14 juin 1985, Paris : Éd. Arcantère, 1986, 234 p. (voir p. 13).

3. Pour reprendre une distinction posée par LANCELOT, Alain ; MEMMI, Dominique, “Participation et comportement politique”, in : GRAWITZ, Madeleine ; LECA, Jean (sous la direction de), Traité de science politique, vol. 3, L’action politique, Paris : Presses universitaires de France, 1985, pp. 309-428 (voir p. 309).

4. Quarante-neuf entretiens biographiques ont été réalisés, permettant la reconstruction d’historiques de famille selon la méthode proposée par BERTAUX, Daniel ; BERTAUX-WIAME, Isabelle, “Le patrimoine et sa lignée : transmissions et mobilité sociale sur cinq générations”, Life stories/

Récits de vie, n° 4, 1988, pp. 8-26. Lorsque cela était possible, des historiques croisés de familles ont été réalisés (10) selon la méthode proposée par DELCROIX, Catherine, “Des récits de vie croisés aux histoires de famille”, Current Sociology/Sociologie Contemporaine, n° 43, 1995,

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collectés dans deux quartiers d’habitat social5, à Dreux et à Chanteloup- les-Vignes. Une connaissance préalable approfondie des deux contextes locaux nous a permis d’identifier les personnes les plus investies dans la vie politique locale (membres d’associations, adhérents à des partis politiques, personnes qui présentent leurs activités publiques comme un engagement). Plusieurs entretiens ont été menés avec ces personnes issues de l’immigration et engagées dans la vie de leur cité ainsi qu’avec les différents membres de leur famille. Pour compléter notre analyse, nous avons également cherché à rencontrer et à entendre leurs amis afin de reconstruire certains réseaux locaux d’interconnaissance. Nous avons ainsi obtenu des entretiens avec des individus politiquement engagés et d’autres qui ne le sont pas et qui se disent peu ou pas intéressés par la politique.

Plus précisément, la population étudiée est composée de jeunes et de jeunes adultes (hommes et femmes) âgés de 18 à 40 ans, d’origine étrangère et possédant la nationalité française, sélectionnés en fonction de la diversité de leurs origines géographiques : Togo, Comores, Maroc, Algérie, Vietnam, Sénégal, Ghana, Turquie, Congo. Ces enfants de migrants ne sont donc pas étudiés, comme c’est souvent le cas, à partir du critère de l’origine géographique de leurs parents, mais à partir de leur lieu de naissance et de vie (Dreux ou Chanteloup-les-Vignes). Bien entendu, il ne s’agit pas d’évacuer de l’analyse le facteur “culture”, mais de l’étudier comme un système de pratiques, de valeurs et de réfé- rences qui se construisent et s’actualisent dans des relations et des si- tuations sociales différentes6.

La diversité des origines géographiques des personnes interrogées répond au désir de saisir les dynamiques de construction d’un rapport à la politique qui privilégie les parcours biographiques et sociaux (et leurs différents lieux et temps de socialisation) des individus. On laisse de côté les explications fondées sur les cultures d’origine spécifiques, souvent réifiées. L’hypothèse est alors que les expériences qu’ont en commun toutes les personnes rencontrées sont davantage liées à l’hé- ritage de la migration, à celui de la trajectoire sociale de leurs parents et au regard que leur pays d’accueil — la France — porte sur eux qu’à

pp. 61-67. Il s’agit d’interroger plusieurs membres d’une même famille sur leur histoire individuelle et commune.

5. Dans le cadre de notre recherche de doctorat, nous interrogeons également les effets potentiels du contexte local sur les parcours et les formes d’engagement politique ou de désintérêt pour la politique. Ce point ne sera pas traité dans la présente contribution.

6. Cf. CUCHE, Denys, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris : Éd. La Découverte, 1996, 126 p.

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la spécificité de la culture d’origine de leurs parents. Il ne s’agit pas pour autant d’appréhender les enfants de migrants en tant que groupe homogène. Notre hypothèse est que les différences que l’on observe entre eux relèvent de déterminants sociohistoriques : le contexte dans lequel leurs parents ont quitté le pays d’origine, les parcours migratoires7 de leur père et mère, les positions et mobilités sociales des différents membres de la famille.

Notre étude entend explorer l’impact intergénérationnel des parcours migratoires sur les ressorts de la construction d’un intérêt pour la poli- tique ou, au contraire, de sa mise à distance. Nous proposons d’étudier cet impact à partir de deux types de parcours migratoires8, distinguant, d’une part, les migrations que nous pouvons qualifier de “choisies” pour des raisons familiales, économiques ou culturelles et, d’autre part, les mi- grations qui apparaissent “contraintes” pour des raisons politiques, comme c’est le cas des réfugiés, auxquels l’exil s’est imposé comme protection vitale.

Nous avons d’abord pensé que les enfants de réfugiés sont plus sus- ceptibles que les autres de s’intéresser à la politique. Mais la réalité est bien sûr plus complexe, dans la mesure où la construction d’un rapport valorisé à l’engagement suppose que les parents aient transmis à leurs enfants une expérience positive de leur rapport aux différents facteurs politiques qui ont pu influencer leur parcours. Nous verrons ainsi que cette première hypothèse peut être largement amendée par des études de cas de jeunes adultes d’origine étrangère dont les parents sont venus en France et y ont obtenu la reconnaissance de leur qualité de réfugié.

Nous montrerons alors, dans un deuxième temps, comment d’autres di- mensions de la vie quotidienne (autres que directement et formellement politiques) peuvent jouer dans la construction du rapport des descendants de migrants à la politique. Nous étudierons dans cette deuxième partie des cas de parents venus en France pour améliorer leur statut social et professionnel. Nous montrerons comment ce projet et les difficultés de sa mise en œuvre peuvent avoir des impacts différenciés sur les parcours

7. Conditions de départ d’un pays et d’arrivée dans un autre, au sens où l’entend Abdelmalek Sayad.

Voir SAYAD, Abdelmalek, “Une perspective nouvelle à prendre sur le phénomène migratoire : l’immigration dans... est d’abord essentiellement une émigration vers...”, Options Méditerra- néennes, n° 22, décembre 1973, pp. 52-56.

8. Comme toute typologie, celle-ci a ses limites. Les raisons que peuvent avoir les individus d’émigrer sont souvent plurielles. L’avantage de cette typologie est de mettre l’accent sur les attentes liées au projet migratoire, sur les conditions de sa réalisation, qui déterminent ensuite fortement la façon dont l’histoire migratoire sera transmise, ainsi que la possibilité de maintenir des liens avec le pays d’origine. C’est dans ce sens que cette typologie trouve sa cohérence.

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de leurs enfants qui s’engagent politiquement ou mettent, au contraire, la politique à distance.

Rapport à l’engagement politique des enfants de ré- fugiés : l’importance de l’histoire familiale et des chemins de sa transmission

Les parcours migratoires des réfugiés sont directement liés à leur position sociale et/ou à leur engagement dans leur pays d’origine. Ils sont donc influencés par des facteurs politiques : changement de régime, guerre, discriminations ethniques ou religieuses, menaces d’emprison- nement... Mais cela n’entraîne pas mécaniquement chez leurs enfants un intérêt pour la politique.

La mise à distance d’une expérience douloureuse

L’expérience d’un exil contraint et définitif, dans des contextes souvent difficiles (guerre, dictature...), peut conduire les réfugiés à la nécessité de taire un épisode douloureux de leur existence, parce que son évo- cation est trop lourde de souvenirs qu’ils préfèrent oublier et/ou parce qu’ils espèrent ainsi protéger leurs enfants. De façon significative, les entretiens avec des réfugiés ont été difficiles à obtenir et à mener.

Bien qu’officiellement rapatrié, mais se présentant comme réfugié et se comparant à eux, le président d’une association socioculturelle, dont tous les membres sont originaires du nord du Vietnam et sont venus en France après la première guerre du Vietnam (1946-1954) faite aux côtés des soldats français, ou pendant et après la guerre du Vietnam (1959-1975) qui a vu l’intervention américaine, parle avec plaisir des activités de l’association et de l’histoire de sa communauté mais refuse un entretien biographique car, dit-il, « les souvenirs sont trop durs, je ne veux pas faire remonter tout ça, parce que ça fait pas longtemps que j’ai arrêté de faire des cauchemars, alors... je préfère vous le dire tout de suite, je peux pas, c’est trop dur ». Par le biais de cette association nous rencontrons une famille dont le fils aîné est âgé de 18 ans. Alors que ses parents se sont connus dans un camp de réfugiés en Thaïlande, dans les années 1970, avant de venir en France, lui il dit qu’ils « se sont connus au pied de la tour Eiffel parce qu’ils étaient venus tous les deux faire des études à Paris ». En réponse à nos questions plus précises, il en vient à hésiter : « Je ne sais pas trop en fait... quand je leur demande de

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me raconter, ils ne parlent pas beaucoup... c’est aussi pour me protéger je crois, moi et ma sœur, parce que ça a été difficile à leur arrivée ».

Quand nous le rencontrons, il vient d’obtenir brillamment son bac scientifique et souhaite poursuivre des études d’ingénieur en mécanique.

En réponse à nos questions sur les disciplines scolaires qu’il n’aime pas, il parle tout de suite de l’histoire : « Je comprends rien ; quand j’arrive en cours d’histoire-géo, j’essaie d’écouter mais à chaque fois je m’endors ».

À propos de la politique, en France et au Vietnam, il dit de la même façon : « Je comprends pas, je suis pas aussi... je m’y intéresse pas vraiment...

mais je vois pas, ça sert à rien ».

On retrouve le même type de rapport à la politique chez les enfants d’une famille composée de quatre garçons âgés de 24 à 30 ans dont les parents sont originaires du Togo. La mère explique avec fierté : « C’est le fils du frère de mon arrière-grand-père qui a amené le pays à l’indépen- dance » mais il a été assassiné lors du coup d’État de 1963 qui a vu l’instauration de la dictature au Togo. La famille maternelle, dont plusieurs membres étaient menacés de mort, est alors venue s’installer en France.

Dans cette famille, les parents ont raconté les raisons de leur émigration à leurs enfants. L’oncle maternel a créé en France un parti d’opposition à la dictature togolaise dont il est le président.

Les enfants connaissent l’histoire de leur pays et de leur famille, mais ils semblent la mettre à distance d’eux-mêmes, comme le confirme le plus jeune des quatre garçons : « On n’a jamais posé trop de questions en fait...

des fois, ils nous parlent de l’indépendance, de la dictature, mais on fait pas trop attention ». Les quatre enfants ont fait ou font des études scien- tifiques ; le plus jeune étudie les mathématiques et veut faire une école de mathématiques appliquées à la finance pour travailler dans le secteur privé, perçu comme plus indépendant des logiques politiques et comme plus valorisé que le secteur public. À propos des manifestations contre le contrat première embauche (CPE), il dit : « Je suis pas allé manifester, j’ai jamais manifesté, ça n’a pas d’intérêt pour moi parce que, de toute façon, c’est ceux qui sont au pouvoir qui vont décider [...] ; je suis pas très très politique ; quand j’étais jeune, je m’intéressais pas du tout, mais au fur et à mesure je m’aperçois qu’on est quand même beaucoup concernés ». Il suit l’actualité et s’intéresse surtout aux rubriques économiques, en lien avec son projet professionnel. En réponse à nos questions, il dit ne pas souhaiter participer à des activités politiques en général.

Alors que les parents et l’oncle maternel sont engagés respective- ment dans des associations locales et dans un parti politique, le discours

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positif qu’ils tiennent sur l’engagement n’est pas partagé par les enfants qui expriment tous une forme de désillusion à l’égard des actions po- litiques et mettent en avant le souhait de construire une carrière profes- sionnelle satisfaisante. Le parcours migratoire des parents a été marqué par un déclassement social à leur arrivée en France suite à l’instau- ration de la dictature au Togo. Leur engagement politique peut alors se comprendre comme une façon de maintenir des liens avec leur pays d’origine, mais aussi comme une action valorisante pouvant venir compenser leur déclassement social. Les enfants, eux, ne connaissent pas le pays d’origine de leurs parents. Ils semblent alors avoir d’abord retenu de leur histoire familiale la baisse du « status »9 et concentrent leurs efforts sur leur formation universitaire et la construction de leur carrière professionnelle.

Dans les deux familles prises en exemple, tous les enfants font des études scientifiques, se présentent comme très bien « intégrés » à la so- ciété française tout en mettant à distance la politique. Lorsqu’il en est question, c’est souvent en des termes dépréciatifs. Tous disent ne pas vouloir s’engager dans des activités politiques, souvent présentées comme inutiles. On peut alors faire l’hypothèse que le parcours plus ou moins difficile des parents provoque chez leurs enfants une mise à distance de la politique. Cependant, nous avons également rencontré des enfants de réfugiés qui se disent intéressés par la politique et qui sont aujourd’hui engagés dans des actions collectives, mais ces cas de figure nous ont paru plus rares, et ce sur nos deux terrains de recherche.

La transmission d’un rapport valorisé à l’engagement Nous avons ainsi notamment rencontré un jeune homme de 21 ans, d’origine vietnamienne. D’avril à décembre 2008, il était dans son lycée l’un des leaders du mouvement de contestation contre la réforme des lycées. Il disait de son engagement : « Je suis un peu la politique mais surtout les choses qui me concernent directement [...]. Je suis le meneur des lycéens pour quand y’a des manifs et tout ». Dans les années 1980, comme dans les exemples précédents, sa famille est venue en France pour des raisons politiques, sans que tous soient nécessairement politisés ou impliqués dans des actions militantes. Son grand-père avait été engagé volontaire dans l’armée française puis américaine, lors des deux guerres, et a été emprisonné à la fin de la guerre du Vietnam en 1975. Cette ex-

9. BERTAUX, Daniel ; BERTAUX-WIAME, Isabelle, “Le patrimoine et sa lignée : transmissions et mo- bilité sociale sur cinq générations”, art. cité.

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périence l’a beaucoup marqué, en particulier parce que ses grands- parents se sont beaucoup occupés de lui en France lorsqu’il était plus jeune. Ce sont d’abord les grands-parents qui sont venus en France, avec un statut de rapatrié. Ses parents, commerçants pendant le régime commu- niste qui a suivi la deuxième guerre, ont décidé de les rejoindre alors que leur fils aîné avait quatre ans. L’expérience de son grand-père ainsi que celle de ses parents, dont la profession faisait l’objet de nombreux contrôles, semblent avoir construit chez lui un désinvestissement, voire un rejet du pays d’origine. Pour lui, le Vietnam est « comme un autre pays, n’importe lequel » et il ne s’intéresse pas à son histoire ni à ce qui s’y passe actuellement ; quand ses parents en parlent, il dit ne pas écouter. Mais, contrairement aux exemples précédents, ce jeune homme affirme que les difficultés qu’ont pu connaître ses parents et grands-parents ont eu un rôle moteur dans leur vie et dans la sienne : « Dans la difficulté, tu trouves ton intelligence [...] ; tu peux pas réussir si tu connais pas la douleur d’être tombé ». À propos de son avenir il se dit « ambitieux » ; il souhaite faire un doctorat en physique et voudrait recevoir le prix Nobel de robotique ou de mécanique.

Très exigeant avec lui-même à tous les niveaux, il l’est aussi au regard de son engagement dans la mobilisation contre la réforme des lycées :

«Pour moi, quand tu le fais, tu le fais pas à moitié en restant dans ton coin à la maison ». Le fait de s’engager dans des actions collectives est pré- senté sous l’angle principal de la résistance, comme en écho avec l’ex- périence de son grand-père dont il est souvent question au cours de l’entretien. Il explique qu’il est devenu leader des manifestations dans son lycée car il n’était pas d’accord avec les méthodes de celui qui avait lancé le mouvement : « Il disait “on bloque le lycée”, et les élèves suivaient comme des moutons. Je leur ai dit : “Vous êtes tous des moutons, vous vous ré- voltez contre les bergers et vous suivez un chien” [...] ; moi, je suis pas un mouton, moi, et je suis contre le blocage des lycées, c’est idiot !, il faut respecter tout le monde, et puis c’est important d’avoir le bac, alors je leur ai dit de réfléchir et d’arrêter de le suivre comme des moutons, que c’est bien de manifester mais qu’il faut aussi aller en cours. Après ils m’ont élu comme meneur ».

En réponse à nos questions, il dit ne pas vouloir parler à sa famille de son engagement dans ces manifestations, « pour ne pas les inquiéter ».

Ainsi, si son engagement s’explique en partie par une forme de “culture familiale de résistance”, ce qu’il sait de la souffrance de ses parents qui ont lutté au Vietnam contre le régime communiste l’incite à ne pas leur

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faire part de son expérience personnelle, voire peut-être à la considérer comme éphémère.

L’expérience politique et le discours sur l’expérience politique Au total, ces différents exemples montrent que les parcours de vie des parents, influencés par des facteurs politiques, ne suffisent pas en eux- mêmes à amener les enfants à se construire un intérêt pour la politique et l’engagement. La transmission intergénérationnelle du rapport à la politique et à l’engagement semble dépendre en fait de la qualité de l’expérience vécue et surtout du bilan, plutôt “positif” ou plutôt “né- gatif”, qui en est tiré par les parents ayant choisi la migration du fait d’un contexte politique spécifique contre lequel ils étaient plus ou moins di- rectement mobilisés. Cette transmission dépend aussi du choix effectué par les parents de transmettre ou non cette expérience à leurs enfants.

Elle dépend enfin de la plus ou moins grande “réceptivité” des enfants devenus adultes, en fonction de la façon dont ils se représentent ce qu’ils savent du chemin effectué par leurs parents, le message transmis étant toujours reconstruit par les destinataires.

La mémoire familiale fait donc l’objet d’appropriations multiples par les enfants, lesquelles ne correspondent pas toujours aux projets valorisés par les parents ; elle est renégociée, réappropriée par chacun des mem- bres de la famille10. Supposée collective et homogène, la mémoire fa- miliale est en fait largement subjective et dépend des cadres sociaux de resocialisation des individus11. Cela a été montré dans l’exemple de la famille franco-togolaise, dans laquelle les enfants ne se réappro- prient pas les discours valorisés tenus par leurs parents sur une histoire familiale liée à l’engagement. Cet exemple précis nous montre comment les logiques du legs du rapport à l’engagement politique prennent des formes particulières dans les cas où celui-ci est à l’origine de la migration.

En effet, si la plupart des personnes évoquées disent leur satisfaction d’être en France et parlent de leur origine étrangère comme d’une « richesse » dans leur construction identitaire12, la majorité d’entre elles parlent éga- lement des douleurs liées à des parcours souvent chaotiques et disent

10. Cf. MUXEL, Anne, Individu et mémoire familiale, Paris : Éd. Nathan, 1996, 226 p.

11. Comme l’a montré Maurice Halbwachs sur la mémoire de l’histoire. Voir HALBWACHS, Maurice, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris : Presses universitaires de France, 1925, 211 p.

12. Le plus souvent, les personnes rencontrées tiennent un discours valorisant sur leur “identité multiple”, témoignant ainsi de leur attachement à la France et d’une forme de nostalgie de leur pays d’origine.

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souvent souffrir d’un regard parfois stigmatisant de la société d’accueil, où elles sont considérées comme des Français “pas tout à fait comme les autres”. C’est ainsi que, même dans les cas où l’ancien engagement poli- tique d’un ou des deux parents est transmis aux enfants de façon positive, ces derniers ne s’approprient pas nécessairement ce discours pour forger leur engagement personnel ; ils ne le traduisent pas toujours dans un rapport valorisé à la politique.

Rapport à l’engagement politique des enfants de migrants économiques : l’importance du travail dans la conscien- tisation politique

Nous avons fortement nuancé notre hypothèse de départ en montrant combien les logiques de la transmission intergénérationnelle du rapport à la politique et à l’engagement des réfugiés à leurs enfants sont com- plexes et subtiles. En effet, ce n’est pas parce que des facteurs politi- ques influencent fortement l’histoire familiale que la politique est consti- tuée en domaine d’intérêt et en activité investie. Nous voulons maintenant continuer ce raisonnement et éclairer encore sous un autre jour ces dy- namiques en examinant des cas d’enfants de migrants venus en France pour des raisons initialement professionnelles et économiques.

Quels que soient les parcours spécifiques, l’émigration des parents est alors toujours sous-tendue par un projet d’amélioration des conditions de vie à long terme. Or il apparaît que ce projet est bien souvent revu à la baisse, et ce d’autant plus pour les migrants qui résident dans un quartier d’habitat social longtemps après leur arrivée en France. Les parents tendent alors à reporter ce projet sur leurs enfants, d’autant plus que ceux-ci participent souvent du choix d’une installation définitive. Ceux qui reprennent à leur compte les ambitions de leurs parents tendent à construire leur parcours dans une logique de réparation. Nous avons alors d’abord pensé que ces enfants s’investissaient plus fortement que les autres dans un projet individuel de réussite professionnelle, suscep- tible de valider le choix fait par leurs parents de s’installer en France pour avoir de meilleures conditions de vie. Mais ici encore, cette première hypothèse mérite d’être largement discutée et nuancée. En effet, selon les cas, il peut arriver que les activités organisées autour d’une logique de réparation prennent la forme d’un engagement politique des enfants.

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Le primat de la réussite professionnelle

Nous avons rencontré une famille dont les parents sont algériens et ont deux enfants, un garçon et une fille. Le père est d’abord venu seul dans les années 1960 pour trouver du travail en espérant améliorer son statut professionnel : « J’étais venu apprendre un travail, un vrai métier, mais j’ai rien appris du tout... Des petits boulots, que des petits boulots ».

Son épouse et lui mettent alors en place une véritable stratégie pour permettre et encourager la réussite scolaire puis professionnelle de leurs enfants. Ils décident de n’avoir que deux enfants pour pouvoir financer leurs études, qu’ils souhaitent longues, et gèrent leur budget en ce sens.

Après leur baccalauréat, les deux enfants partent faire des études dans une autre ville et font des séjours à l’étranger. Après avoir suivi une for- mation en commerce international, le fils, âgé de 27 ans, travaille aujour- d’hui en région parisienne dans une entreprise d’installations pétrolières. Il s’occupe notamment d’une filiale de l’entreprise en Algérie. La fille, âgée de 24 ans, suit une formation dans le domaine du tourisme.

Au cours des entretiens menés avec eux, tous deux insistent sur le fait que leurs parents « ont beaucoup souffert » en arrivant en France et se sont toujours « sacrifiés » pour eux. Ils semblent se sentir redevables et tous deux concentrent leurs efforts sur leur réussite professionnelle. S’ils envisagent un éventuel engagement politique, celui-ci est conditionné à l’obtention d’un métier satisfaisant pour, dit le fils, « pouvoir aider par la suite mes parents, parce qu’ils deviennent vieux et n’ont pas beaucoup d’argent depuis que mon père a eu son accident » du travail. Les choix faits par les enfants s’inscrivent donc notamment dans une logique de répa- ration qui privilégie une réussite d’abord professionnelle, de façon indivi- duelle, tout en étant construite en lien avec leur représentation du parcours migratoire de leurs parents.

De plus, les domaines dans lesquels ils s’investissent se comprennent comme une façon de gérer l’injonction contradictoire, contenue dans la mi- gration, qui leur est adressée plus ou moins explicitement par leurs parents : les descendants d’immigrés “doivent” réussir ici sans dévaloriser le pays d’origine de leurs parents, que ceux-ci ont pourtant quitté en espérant avoir de meilleures conditions de vie. Tous deux ont choisi des filières per- mettant un travail dans différents pays étrangers. Le fils est très fier de travailler en lien avec le pays d’origine de ses parents ; il dit avoir réussi tout en « faisant quelque chose pour l’Algérie ». Il répond ainsi aux termes de l’injonction contradictoire, dans un cadre professionnel : il occupe un

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poste à responsabilité dans une entreprise française, pour lequel l’origine algérienne et le fait de parler arabe constituent des atouts.

L’engagement politique comme “action d’autovalorisation”13 Nous avons cependant pu rencontrer aussi d’autres familles, arrivées en France suivant un parcours comparable et connaissant actuellement des conditions de vie comparables, les activités des enfants — inscrites dans la même logique de réparation du projet contrarié d’ascension socio- économique des parents — s’étant cependant orientées vers un enga- gement politique.

Dans cette famille, dont les parents sont d’origine marocaine, trois des six enfants se sont investis dans des partis politiques. Le père est d’abord venu seul en France, dans les années 1960, pour trouver du travail et un logement, avant d’être rejoint par sa famille dans les années 1970.

L’objectif de l’émigration était de pouvoir gagner plus d’argent et bé- néficier de droits sociaux qui n’existent pas au Maroc. Le père tra- vaillait sur des chantiers de construction ; alors qu’il espérait voir sa carrière évoluer, il est resté cantonné dans des emplois relativement précaires, accomplissant des tâches physiques fatigantes. Parmi ses enfants, les trois qui s’engagent, à différents moments et dans différents groupes politiques, partagent alors un même discours sur l’injustice du sort réservé aux migrants qui « ont construit la France », mais aussi sur la stigmati- sation dont ils se disent victimes : « On doit en faire plus [que les Français dits “de souche”] pour le même résultat », dit la fille âgée de 28 ans.

La logique de réparation de l’échec partiel du projet d’amélioration des conditions de vie socioéconomiques s’articule avec un sentiment de

«frustration relative »14.

Le fils, âgé de 22 ans, dit s’être engagé en politique après les émeutes de novembre 2005 parce qu’il en avait « vraiment marre d’entendre à la télé, quand on montrait des gens devant les caméras de France 2 ou de TF1, que c’étaient des gens qui avaient toujours un survêtement, qui avaient toujours un bonnet et qui parlaient toujours en “ouaich”, et j’ai jamais compris pourquoi, à croire que dans les quartiers dits “sensibles” y’a que des gens comme ça ». Il dit alors vouloir montrer une autre image et présente son engagement comme une réaction directe à la stigmatisation dont les

13. Cf. JAZOULI, Adil, Dynamiques collectives et initiatives d’intégration sociale chez les jeunes d’ori- gine immigrée, Paris : ADRI, 1984, 76 p.

14. RUNCIMAN, Walter G., Relative deprivation and social justice : a study of attitudes to social inequality in twentieth century England, London : Routledge and Kegan Paul, 1966, 338 p.

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habitants des cités HLM font l’objet en tant qu’étrangers ou Français d’ori- gine étrangère.

De même, son frère aîné, aujourd’hui âgé de 32 ans, s’était engagé dans diverses associations au début des années 2000, notamment « pour lutter contre les discours caricaturaux sur les musulmans qui se développaient à cette époque ». Ces trois jeunes adultes expliquent leurs engagements respectifs comme des réactions à ce qu’ils perçoivent comme différentes formes d’injustice, notamment en raison de leur origine étrangère. Ces injustices sont perçues comme le résultat d’une logique collective, et les réactions envisagées sont alors également collectives : « Je voudrais que tout le monde puisse s’exprimer », dit le plus jeune ; «montrer aux gens qu’on peut s’en sortir », dit sa sœur. Leurs engagements se comprennent alors aussi comme une « action d’autovalorisation » qui passe par une mo- bilisation collective et publique. Leurs activités politiques se comprennent enfin comme une façon de gérer l’injonction contradictoire, contenue dans la migration et portée par leurs parents (réussir “ici” sans dévaloriser le

“là-bas”). L’engagement politique en tant que Français et personne d’ori- gine étrangère est aussi une possibilité de conjuguer cette double in- jonction, cette fois de façon collective et publique.

Nous retrouvons cette même logique dans la façon dont deux sœurs kurdes âgées de 37 et 39 ans parlent de leur engagement politique récent. Aînées de la fratrie, arrivées en France très jeunes, elles disent avoir dû « prendre le relais » de leurs parents pour les démarches administratives, l’orientation scolaire de leurs frères et sœurs, compensant ainsi la pré- carité sociale et culturelle de leurs parents. Aujourd’hui adultes, elles disent avoir décidé de s’engager dans un parti politique (l’une au Parti socialiste et l’autre au Parti communiste), notamment en réaction à ce qu’elles appellent la « droitisation de la communauté kurde [qui] se laiss[e] acheter par la mairie »15 dans la ville où elles ont grandi et où elles habitent. Elles disent également vouloir « montrer une autre image des Kurdes », perçue comme plus authentique16, se positionnant ainsi en porte-parole. Leur en- gagement politique peut apparaître comme une activité d’autovalorisation qui prend en compte le regard des sociétés d’accueil et d’origine, à travers le regard de la communauté à laquelle elles disent appartenir.

15. La « droitisation de la communauté » correspond pour elles au fait que les Kurdes résidant dans leur quartier votent de plus en plus souvent à droite, se laissant séduire par une politique qu’elles qualifient de « communautaire » de la municipalité en place, majoritairement composée de membres de l’Union pour un mouvement populaire (UMP).

16. Pour elles, les Kurdes sont une ethnie caractérisée par des liens forts et durables de solidarité, par des valeurs humanistes de respect et par une tradition de résistance politique qu’elles assimilent à la gauche française.

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Elles combinent ainsi les deux types d’appartenance, la « sociétaire » et la « communautaire », davantage articulées que clivées17.

Importance de la construction familiale et individuelle des équilibres de la vie quotidienne

Cette deuxième série d’études de cas montre comment l’intérêt pour la politique et l’engagement des enfants de migrants dans des collectifs peuvent se construire en lien avec le projet et le parcours migratoire des parents sans toutefois que les transmissions intergénérationnelles aient pour objet des enjeux directement politiques ou qu’elles en soient le vecteur.

L’histoire migratoire des parents, la façon dont leur projet évolue, sa transmission à leurs enfants participent en effet de la construction chez les enfants de migrants de représentations et de « ressources subjec- tives »18 : expériences mises à distance, dans une démarche réflexive, et qui s’intègrent alors aux compétences des individus pour constituer un

«capital d’expérience biographique spécifique »19. Ces ressources peuvent être des moteurs pour le développement d’un intérêt pour la politique et de compétences pour l’action politique.

Dans les trois familles présentées, nous pouvons noter que si les parcours migratoires des parents sont relativement comparables, les choix faits par les enfants sont différents, en particulier le fait de s’engager en po- litique ou non. Ce n’est donc pas un type de parcours migratoire qui dé- terminerait, à la génération suivante, la construction ou non d’un rapport valorisé à l’engagement politique. Les différences observées entre les enfants sur ce point nous semblent en fait relever notamment de la façon dont les équilibres entre les différents domaines de la vie quotidienne sont construits au niveau familial et individuel. Dans les exemples que nous avons mobilisés, la réussite, ou plus précisément le sentiment de réussite20, passera pour certains par un engagement politique et pour d’autres par un primat accordé à la réussite professionnelle, individuelle.

17. PUTNAM, Robert D., Bowling alone : the collapse and revival of American community, New York : Simon & Schuster Publisher, 2000, 541 p.

18. DELCROIX, Catherine, “Ressources subjectives et construction d’un capital d’expérience bio- graphique : l’exemple des médiatrices socioculturelles ”, in : DARDY, Claudine ; FRÉTIGNÉ, Cédric (sous la direction de), L’expérience professionnelle et personnelle en questions, Paris : Éd.

L’Harmattan, 2007, pp. 83-116 (voir p. 91).

19. Ibidem.

20. Cf. ATTIAS-DONFUT, Claudine ; WOLFF, François-Charles, “La dimension subjective de la mobilité sociale”, Population, vol. 56, n° 6, novembre-décembre 2001, pp. 919-958.

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En guise de conclusion

Pour conclure, nous souhaitons insister sur l’influence à long terme des conditions de départ des parents de leur pays d’origine ainsi que de leurs parcours migratoires. Nous espérons en particulier avoir montré comment ces parcours participent de la construction de différents rapports à l’engagement politique des descendants d’immigrés21. Mais cette cons- truction est bien loin d’être mécaniquement liée à des types de parcours déterminés. Elle est en effet largement conditionnée par la façon dont les parents transmettent plus ou moins consciemment des éléments favo- rables à l’engagement politique ainsi qu’à la façon dont les enfants re- çoivent ces discours et y accordent de la légitimité. En ce sens, nous consi- dérons donc la socialisation, ici politique, comme un processus dynamique relevant de deux processus conjoints : « l’assimilation » et « l’accommo- dation »22. En plus de l’histoire familiale et de sa reconstruction, les évé- nements nationaux ou locaux (mobilisation contre la réforme des lycées, émeutes de novembre 2005...) constituent des occasions de socialisation politique, de construction d’un sens politique en lien avec la saillance de certains enjeux ; ils peuvent alors être un « conducteur »23 vers un enga- gement actif.

Nous voulons enfin insister sur le fait que, si les transmissions du rapport à l’engagement politique peuvent relever d’expériences directement po- litiques, elles sont aussi le fruit d’expériences beaucoup plus larges, dans d’autres domaines de la vie quotidienne. Les exemples présentés dans la deuxième partie de notre contribution éclairent ainsi l’importance dé- terminante des positions sociales et des projets de mobilité sociopro- fessionnels des parents, pour eux et leurs enfants, dans les parcours des enfants de migrants.

Nous avons souhaité montrer ici différentes logiques ; elles fonctionnent, bien sûr, comme des idéaux-types qui, dans la réalité, se combinent bien souvent.

R

21. Cf. SANTELLI, Emmanuelle, “De la ‘deuxième génération’ aux descendants d’immigrés maghré- bins ; apports, ‘heurts’ et malheurs d’une approche en termes de génération”, Temporalités, n° 2, 2004, pp. 29-43.

22. PIAGET, Jean, Le langage et la pensée chez l’enfant, Neuchâtel : Éd. Delachaux et Niestlé, 1923, 213 p.

23. IHL, Olivier, “Socialisation et événements politiques”, Revue Française de Science Politique, vol. 52, n° 2-3, avril-juin 2002, pp. 125-144.

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