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La adolescencia en las psicoterapias familiares psicoanalíticas: creatividad y\o desafíos? De Didier Drieu

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Academic year: 2021

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Résumé : L’adolescence dans les psychothérapies familiales psychanalytiques-créativité et/ou défis ? Colloque Uruguay, Rioplatense sobre adolescencia, 27-28 aout 2015

Le travail thérapeutique avec les familles s’inspire beaucoup de l’approche psychanalytique des processus d’adolescence dans ses dimensions intersubjectives. Cependant, les enfants à l’adolescence dans leur souffrance, viennent souvent révéler des impasses identificatoires et la présence d’incorporats traumatiques. C’est pourquoi même si l’indication d’une psychothérapie familiale est clairement la bienvenue dans ces situations, ces psychothérapies insistent

particulièrement sur la nécessité d’un travail interfantasmatique élargi à tous les intervenants, les acting out, tant des jeunes que des parents étant susceptible dans ce contexte d’étayer un travail de symbolisation comme le jeu dans le psychodrame. Nous verrons avec l’exemple d’un récit clinique d’une psychothérapie familiale complexe combien ce travail met non seulement à l’épreuve le cadre mais aussi les psychothérapeutes dans leur capacité à créer un scénario, une narration face à l’ambiguité de certaines situations.

Depuis plus de quinze ans, je travaille comme psychothérapeute familial « référent » dans un CMPP, recevant des familles souvent dans l’après-coup de « prises en charge individuelles ou de groupe » et donc après un cheminement des enfants, adolescents et de leur famille avec les collègues. En effet, le fonctionnement des CMPP en France avec des soins pris en charge par les assurances sociales fait que l’évaluation et les prises en charge s’organisent à partir des difficultés de l’enfant et non de la famille. En même temps, de par leur histoire, un ancrage fort dans la psychanalyse et des liens avec la pédopsychiatrie, les CMPP ont une expérience riche de pluridisciplinarité (médecins pédopsychiatres-psychanalystes, psychologues- psychanalystes, psychomotriciens, orthophonistes, assistants sociaux, éducateurs jeunes enfants,…), de transdisciplinarité avec des co-organisations de groupes à médiation (psychodrame, corps et langage, stratégies et raisonnement logique, expression et jeux de clown, marionnettes,…). Ainsi, dans le CMPP où je travaille, nous avons plus de 17 groupes en fonctionnement sur l’année, des expériences groupales qui ont pour la plupart une

orientation psychodynamique, centrée sur l’expérience de l’enfant ou l’adolescent dans le groupe ou même avec un travail sur l’associativité groupale.

Je veux vous faire part ici d’un travail de psychothérapie familiale qui s’est passé avec trois des quatre enfants d’une famille, l’aîné ayant participé de loin puisqu’il était en études à 800 km. Deux des enfants, Paul, 14 ans et Jean, 13 ans au moment où débute la psychothérapie familiale ont déjà été suivis auparavant. Paul a été reçu par le premier consultant référent de la prise en charge qui a fini par l’accompagner dans une psychothérapie de l’âge de 6 ans

jusqu’à 10 ans. Il se sentait alors en difficulté pour l’adresser à un autre psychothérapeute comme on peut le faire habituellement. Jean quant à lui a entamé un travail de groupe de psychodrame de l’âge de 10 ans jusqu’à 12 ans, les parents étant reçus parallèlement au groupe thérapeutique dans un espace d’échanges avec les autres parents tous les quinze jours.

C’est à l’occasion de l’une de ces rencontres que Monsieur va manifester le désir d’entamer

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une psychothérapie familiale, ce que nous n’avions pas la possibilité de mettre au travail avec les parents auparavant faute d’une alliance favorable pour ce projet.

Je vous propose dans les lignes qui suivent de discuter de la façon dont s’est initiée cette psychothérapie familiale, à la fois du côté du travail de co-thérapie que du côté de la famille prises dans de multiples évènements au début que nous pourrions qualifier de

traumatophiliques, des conduites à risques, de mise en danger en particulier chez Paul et Pierre Yves, le fils cadet de 17 ans. Dans un deuxième temps, je vous reparlerai des séquences où nous pouvons dire dans l’après-coup que nous sommes passés d’un vécu traumatique groupal ramenant au premier plan, la question des origines dans la famille et une sorte de sidération chez les psychothérapeutes à une forme d’associativité très volcanique, provoquant beaucoup d’inquiétude et associations chez les psychothérapeutes. Dans un troisième temps, nous verrons comment ces psychothérapies familiales avec des enfants adolescents doivent fonctionner dans un cadre élargi, non seulement aux autres intervenants mais aussi et surtout dans la reprise des actings out ou des évènements qui ne manquent pas de survenir dans les interstices des séances. Enfin, nous pensons conclure en montrant combien la dynamique des processus d’adolescence peut nous aider au remaillage des contenants familiaux dans ces cas de traumatismes qui traversent les enveloppes et impactent le système des alliances en les transformant dans des liens d’emprise.

+ Une demande et un cadre ambigu de travail avec la famille : les conduites à risque à l’adolescence

Si la famille a fini par accepter nos propositions, la décision, comme je viens de le dire est surtout venue de Monsieur à l’occasion d’une discussion avec d’autres parents. Il était jusqu’alors le plus réticent mais il va se rendre compte alors de ses difficultés à faire face à l’adolescence de ses fils, une des mères présentes allant jusqu’à lui dire qu’ « il fait trop la maman avec eux». Ce papa davantage que la maman, absorbée par ses responsabilités

professionnelles, s’est donné «corps et âme » pour s’occuper de ses bambins avec l’aide d’une assistante familiale/aide ménagère au domicile qui continue à travailler pour la famille à mi- temps. Dans ce contexte, nous verrons combien il dramatise la séparation future avec ses enfants, nous parlant de son déchirement quand son fils aîné est parti pour ses études.

Cependant, ce n’est pas trop sous ces aspects là que se présentent les conflits en jeu dans la famille dans un premier temps mais davantage dans une sorte de défis perpétuels entre Monsieur et un de ses fils Paul alors qu’ils se croisent en permanence. Il est en effet

professeur dans le collège où va son fils qui se fait remarquer par les nombreux accidents ou incidents qu’il provoque. Pierre Yves, 17 ans est plutôt inhibé à tel point de disparaître derrière le lien bruyant entre son frère et son père. Jean quant à lui a commencé un travail thérapeutique groupal à 10 ans, les parents demandant une aide face à une sorte d’inhibition scolaire qui s’installe. Quand commence la psychothérapie familiale, Pierre Yves arrivera avec une jambe dans le plâtre suite à un accident de scooter. Faute d’avoir marqué le stop, il s’est précipité sous une voiture, heureusement sans trop de dégâts. Paul quant à lui vient avec le bras dans le plâtre, étant tombé en voulant escalader une gouttière au collège. Jean nous parlera de vouloir mettre le feu à l’école. Autrement dit il y a en quelque sorte des menaces de

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« feu » qui couvent dans la maison familiale d’où cet accordage avec nos propositions de travailler avec la famille.

C’est certainement cette insécurité qui amènera le médecin, psychothérapeute et référent de la prise en charge de Paul à me demander de travailler avec lui pour mettre en place une

psychothérapie familiale. La demande n’est pas ordinaire puisque comme dans toutes les démarches de soins que nous pouvons avoir, nous proposons de distinguer le consultant référent (médecin ou parfois psychologue) du psychothérapeute, suivant en cela l’expérience de nos collègues aînés comme Racamier (1973) ou Jeammet(1992) avec les démarches bi- focales. Pourquoi réunir ainsi le pédopsychiatre consultant, l’ancien psychothérapeute de Paul et le psychothérapeute familial que je suis dans un travail de co-thérapie ? Nous pouvons renvoyer plusieurs raisons à cela, comme par exemple la profession médicale de la mère et ses responsabilités dans l’organisation sanitaire dans la région où je travaille. Peut être que mon collègue, par ailleurs, impliqué dans la responsabilité du CMPP souhaite « contrôler » ce travail avec une famille non ordinaire. Cependant, je voudrais davantage parler de l’insécurité spécifique qui pèse sur les liens entre les parents et les enfants, la fratrie. Face à la violence engendrée par l’advenue de la puberté chez les enfants mais aussi à l’insécurité narcissique dans laquelle se déploient les liens fraternels, intergénérationnels, nous avons pensé qu’il était nécessaire de mettre en perspective « la référence » ici par rapport aux soins qui ont pu se trouver mis en place au CMPP (Kestemberg, 1981). Nous verrons que celle-ci va se déployer différemment dans le temps de la psychothérapie familiale, tantôt du côté des « limites » incarnées plutôt par les interventions du pédopsychiatre, tantôt du côté des « idéaux », du projet, ce que j’amènerai peut être davantage dans mes constructions.

Nous verrons que la composition du « couple homosexué » des thérapeutes pose également une autre question en creux, celle de la place du maternel, du féminin peu incarné dans les séances (présence unique de Madame) et pourtant présent dans les propos et l’attitude du père surtout par rapport à ses fils. Nous parlons d’ambigüité dans le titre en référence aux travaux de Bleger qui montrer combien face à certains traumatismes, le sujet en analyse ne pouvait que revivre et faire revivre dans une forme de symbiose le côté effractant du traumatisme. De même que Bleger, nous serons d’emblée marqués l’un et l’autre par la difficulté pour chacun (nous y compris) de penser (ou panser) les pertes (départ du grand frère, changements d’école, décès du grand père maternel,…) qui se trouvent vécus comme des moments catastrophiques, déclenchant donc des défenses interactives groupales et des évènements traumatiques comme les accidents de Pierre Yves et surtout de Paul. Comment accepter et surtout intégrer

l’incertitude, autrement dit le féminin à l’adolescence quant il peut être vécu de manière latente au niveau familial dans sa dimension catastrophique ? Autrement dit, notre couple de psychothérapeutes très masculin ne faisait semble-t-il que refléter cette précarité du féminin en soi pour ces adolescents qui les empêchaient de se distancier des images idéalisées de l’enfance, de passer d’un monde phallique, le monde de l’avoir vers le monde de l’être, lié à l’incertitude, à la différence des sexes. Nous comprendrons après-coup combien les

évènements traumatiques chez les enfants qui arriveront lorsque nous initions les rencontres sont liés à cette économie psychique familiale faites de défenses narcissiques interactives.

Ainsi, toute séparation et/ou retrouvaille au quotidien pouvait déclencher particulièrement

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chez Paul, une sorte d’escalade, installant une tension dans la maison, y compris même chez les animaux domestiques. Cependant, même si nous saisissions qu’il y avait quelque chose de mal assuré dans les places des parents par rapport aux enfants, madame semblant disparaître totalement dans les tensions entre son mari et son fils, comment pouvions nous penser cette chaîne traumatique groupale ?

+De la chaine traumatique à la chaîne associative groupale : le passage par l’auto-engendrement négatif chez les adolescents

Le fonctionnement en auto-engendrement1 est normal à l’adolescence, parfois présent aussi à bas bruit dans l’enfance. Pour transformer des investissements trop inclus dans la

groupalité interne familiale, trop marqués par les alliances inconscientes, un héritage, le sujet dans sa construction doit pouvoir se différencier de son groupe d’origine, acquérir ses propres marques en s’étayant sur le groupe de pairs et le monde social. Ces tendances

préfigurent la reconstruction de nouveaux idéaux en fin d’adolescence d’où la célèbre formule de Goethe : « Le bien dont tu hérites de tes pères, reconquiers le pour le posséder » (Blaze, 1859, p. 172).

Toutefois, plus ou moins masqué dans l’enfance, très prégnant à l’adolescence, plusieurs cas de figures d’un fonctionnement en auto-engendrement négatif sont possibles. L’adolescent ne peut s’approprier son monde, s’affirmer dans la différenciation car il reste englué dans une position infantile face à un originaire traumatique non élaboré, des fantasmes de scène primitive très obscènes. Il (ou elle) peut souffrir alors de problématique anorexique ou de grave inhibition dépressive dans un contexte de « famille bulle », trop protectrice. Ailleurs, l’affirmation de soi peut être complexe du fait d’un héritage d’un mode de filiation

narcissique, traumatique comme c’est le cas dans notre présentation clinique. Ces enfants, adolescents confrontés à la violence de l’emprise peuvent présenter des comportements quasi psychotiques du fait qu’ils se retrouvent dans l’impossibilité d’appréhender leurs liens de filiation face à un univers familial complètement déboussolé. L’imaginaire dans l’enfance comme pour Paul et Jean, le groupe de pairs à l’adolescence comme pour Pierre Yves peut devenir alors un antidote à l’impossibilité de faire le deuil de l’archaïque fusionnel, un refuge face à la violence de l’originaire.

Pendant près de deux années, nous serons littéralement pris par le tourbillon maniaque de Paul, les actings out ou mises en actes, tant chez Paul et Pierre Yves avec les accidents. Ainsi, Paul alterne-t-il entre une activité sensori-motrice exacerbée, testant la solidité de sa chaise, manipulant des objets comme un « ersatz de jeu de bobine » et une vie fantasmatique

branchée sur la violence des origines. Il questionne incessamment son père sur la création du monde, témoigne de fantasmes très crus d’éviscérations, de chutes dans le cosmos. Il semble vivre dans un monde infini, absorbé dans une auto-création perpétuelle des origines l’amenant par ailleurs à créer de l’évènement dans des formes d’auto-sacrifices de soi

lorsqu’il se retrouve au bord du gouffre avec ses angoisses. Si nous ne sommes pas surpris de

1 Ce mécanisme dans sa face obscure a été présenté au départ comme caractéristique du processus psychotique, puis de l’acte suicidaire à l’adolescence. Toutefois, il est aussi perçu comme un des fantasmes originaires (Bizouard, 1995).

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retrouver cette thématique tourbillonnaire chez Paul, c’est le défi interactif entre père et fils qui nous surprend le plus. Face à cette escalade, Jean s’accroche alors à sa mère comme à une véritable bouée et Pierre Yves, un des frères aînés présent, paraît planer au dessus de tous, tout en ramenant de la douceur dans le groupe, une certaine complicité avec sa mère très esseulée. Les moments d’absence des uns et des autres semblent comme des temps de ponctuation face à l’aspiration dans l’intemporel dans lequel nous sommes projetés surtout avec les histoires de Paul. Pourtant, ces moments accentuent tout d’abord l’escalade dans les tensions entre père et fils en réactivant des angoisses de fin du monde, de précipitation.

Progressivement, comme nous l’avons dit, des évènements scandent nos séances : un accident de scooter chez Pierre Yves, le décès du grand père maternel amenant la mère à s’absenter, des accidents en cascade chez Paul qui se casse de partout lorsqu’il se trouve confronté à l’effraction pubertaire et des violences en auto-engendrement négatif (conduites de risques, auto-mutilations). Toutefois, notre horizon temporel bidimensionnel, infinitésimal jusqu’alors, semble davantage marqué par la limite. Autour des accidents des enfants, les parents commencent à témoigner dans une certaine ambiguïté de leurs inquiétudes. A la suite du décès du grand père maternel, des associations fusent sur la place des uns et des autres, le père en particulier témoignant des défis insensés parricidaires qu’il a projeté sur son beau père face au mépris dans lequel il se sentait pris. « Moi, j’aurais eu 4 garçons et lui qu’une fille, le pauvre ». Témoin de ces « paris narcissiques », nous nous trouvons souvent médusés et parfois aspirés dans une rêverie intense face aux jeux de mots, de scénarisation qui s’installe dans le bureau.

Cette période ressemble aux temps de mise en groupe où les participants dans le psychodrame par exemple, face aux angoisses de groupement, l’accéléré dans la régression qu’elles suscitent, paraissent se mobiliser dans des signifiants formels, de démarcation, sondant activement la solidité du cadre matériel avant de pouvoir partager leurs sensations, tester la fiabilité du dispositif et des thérapeutes (Drieu, Persehaye, 2005). Il s’agit alors de véritables « représentants architecturaux », des mises à l’épreuve du cadre matériel

susceptible de mobiliser les limites du Moi, « signifiants formels » témoignant de la construction-déconstruction simultanée de l’espace corporel et psychique (Anzieu, 1987).

Par la suite, les échanges interfantasmatiques entre père et fils, puis entre les deux frères nous semblent témoigner du passage d’un vécu sensoriel à une activité plus symbolique. Bien sûr, nous sommes pris en permanence dans d’incessants allers et retours entre progression et régression, l’originaire traumatique activant pendant longtemps un fonctionnement en auto- engendrement et, son revers, la violence du désengendrement tout particulièrement chez Paul.

Il semble aspiré par la violence des origines et en témoigne régulièrement à travers son imaginaire débridé ou parfois, même par des blessures corporelles suite à des accidents ou certaines pratiques auto-mutilatoires, autant de conduites qui nous paraissent des effets d’un auto-engendrement négatif.

Toutefois, chacun peut commencer progressivement à intégrer la discontinuité et le deuil, tout d’abord à travers les moments de présence/absence des uns et des autres dans les séances, la reprise de ces évènements et le partage des émotions face aux pertes qui commencent à

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baliser l’univers du groupe. Nous sommes surpris alors d’assister à une forme d’élaboration d’un espace fraternel permettant d’abord aux enfants de se décentrer petit à petit des liens de dépendance avec les parents, de penser à la complicité déjà là mais peu élaborée entre les frères qui de fait, met à l’écart les adultes et réinstalle la différence de génération là où elle était en souffrance. Toutefois, ce qui se passe chez les enfants commence à faire résonance chez les parents, le père nous apparaissant comme de plus en plus « persécuté », la mère comme perdue, cherchant ses repères.

+ Comment des fantômes se transforment à l’occasion d’une reprise d’un évènement se produisant dans les interstices des séances

Face à ces premiers enjeux de différenciation, le père, tout d’abord heureux des changements qui se profilent chez Paul, nous apparaît davantage inquiet, angoissé. Lors d’une séance agitée, il se traite de « lâche » car fuyant lorsqu’il se trouve confronté aux provocations perpétuelles de Paul. « C’est ça ou l’explosion » nous dira –t-il. Or, le samedi précédent cette séance, je l’ai croisé par hasard en dehors de sa ville, dans mon quartier, semblant errer comme une âme en peine. Nous ressentons avec mon co-thérapeute, un vécu contre transférentiel d’inquiétante étrangeté que nous verbalisons en post-séance, un sentiment présent bien avant cette rencontre qui contamine l’espace des séances de thérapie familiale.

Ce ressenti, mal formulable, est souvent en résonance contre-transférentielle avec la transmission d’empreinte en creux en rapport avec des inavouables de la transmission généalogique transgénérationnelle. Bien que la rencontre avec lui ait été très courte, elle est suffisante pour nous rendre compte que ce dernier est aux abois quand son fils le confronte à une sorte d’ « urgence identificatoire » (Kaes et al, 1999 ; Drieu, Persehaye, 2005). Nous pensons alors qu’au-delà de son errance, il se perd dans ses propres angoisses face à ses repères identificatoires, de transmission. Nous l’interpellons sur ce qui pourrait bien se passer avec Paul en particulier par rapport à ses questions? Il parvient à évoquer leurs ressemblances négatives. Il a le sentiment que son fils est en train de prendre le même chemin qu’il a pu emprunter à l’adolescence. Il envie son fils qui-« a eut droit à un thérapeute, lui ! ». Peut commencer à s’esquisser des échanges à propos de ces identifications impossibles. De son côté, Paul lâche brutalement qu’il ne supporte pas l’idée de « quitter sa famille » comme Pierre-Yves, comme si le risque étant de se perdre à jamais.

Nous en venons à leur proposer de reprendre sur un génogramme déjà esquissé des

représentations de leurs alliances. C’est là qu’est évoqué alors un secret bien gardé avec des trous dans l’album de photos de famille. La grand-mère maternelle du père s’est trouvée rejetée hors du symbolique puisque rayée de la carte familiale par son arrière grand père après s’être livrée à une vie de débauche avec les artistes des années folles. Sa propre mère abandonnée alors qu’elle était un bébé s’est trouvée adoptée par une belle mère qui ne pouvait lui témoigner de l’affection. Cette dernière, en contractant un mariage avec une famille

désargentée a ressenti une sorte de dévalorisation sociale. Le père lui-même s’est senti aimé par une mère à l’image de la figure de la « mère mal endeuillée », ou de la « mère morte », à la fois tantôt investi et souvent rejeté en lien avec ses maladresses, écarts (Cournut, 1991, Green, 1983).

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Monsieur décrit son père comme un « vieux fou » qui paraît s’être protégé de la honte liée à ses origines sociales par ses excentricités ou son originalité. Face aux liens paradoxaux dans le couple de ses parents, il nous dit qu’il a eu beaucoup de problèmes à l’adolescence : échec scolaire, conduites à risque. Il s’est retrouvé par la suite quand il est parti en internat, même s’il reste excédé par la rigueur jésuite des internats de cette époque.

A partir de cette séance, Paul va commencer à évoluer considérablement, même si ces changements restent très fragiles. Ainsi, faisant peur jusque là à son père en le provoquant dans ses investissements négatifs, sa passion du mortifère, il commence à évoquer avec lui davantage les « bonnes notes », ses désirs amoureux comme s’il souhaitait lui montrer ses envies de changement. Dans la même période, son corps se transforme, il grandit et il se plaît à marquer ces transformations en modifiant son allure vestimentaire.

Toutefois, les autres enfants qui disparaissaient jusqu’alors derrière les inquiétudes des parents à l’encontre de leur frère, commencent aussi à faire parler d’eux. Au départ, il s’agit davantage d’une forme d’économie psychique négative alimentée par la violence de

tendances à l’auto-engendrement mortifère : l’accident de Pierre-Yves, le désinvestissement scolaire de Jean, la solitude du grand frère comme exilé avec ses études dans le lieu d’origine des deux familles. Il semble que nous nous engageons alors dans des perspectives de

changement pour l’économie psychique de la famille. En effet, nous assistons

progressivement à l’intégration du manque, de la perte dans les propos des uns et des autres.

Paul vient nous signifier dans l’après coup d’une absence qu’il est amoureux. Pierre Yves, en appui sur sa bande de copains, peut investir un projet d’études qui l’amène à penser

progressivement à une séparation avec sa famille. Seul, Jean paraît résister à ces changements, reprenant à son compte les fantasmes violents de son frère contre son école, se protégeant derrière sa mère qui n’en peut plus de cet agrippement2. Toutefois, progressivement, il peut aussi commencer à se projeter dans un futur de collégien en se différenciant de ses frères tout en continuant à réagir dans la paradoxalité lorsque Paul, les parents parlent d’arrêt de la psychothérapie…

Enfin, les parents, qui nous sont apparus ligaturés dans une dépendance mutuelle à un héritage traumatique, nous ont semblé à partir de ce moment, commencer à intégrer le départ futur de leurs enfants et leur permettre de retrouver des objets de filiation. Ainsi, ils ont pu échanger avec eux quant à des récits sur leur rencontre, se surprenant mutuellement de certaines connivences, de leur complétude narcissique et retrouvant par la même occasion un lien plus vivant. Face à sa crainte de décevoir (ou d’être déçu) par son amie, commençant à penser le lien amoureux dans une certaine objectalité, Paul va être un des premiers à

interpeller ses parents sur ce qui fait tenir le couple. Ainsi, un partage s’instaure sur les constructions mythiques dans la famille lorsque nous commençons à discuter, au-delà des séparations et des pertes futures, des rituels et des habitudes de chacun et du groupe.

2 Remarquons au passage que les parents avaient souhaité voir naître une fille lors de la venue au monde de Jean, que les prénoms des enfants sont tous porteurs d’un investissement groupal et institutionnel à l’image des apôtres, liés au fils de dieu, père de l’église.

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Si dans cette observation clinique, l’accent est mis sur un secret de famille dans la lignée paternelle qui irradie les processus de transmission, la lignée maternelle paraît aussi marquée par un mode de filiation narcissique. Ainsi, le père de Madame, fille unique, aspirait à marier sa fille à un « homme de bonne famille », ce qui l’amènera, semble-t-il, à observer un certain dédain pour son futur gendre, refusant même d’être présent à leur mariage.

+ Constructions/reconstructions des adolescences et remaillage des contenants

Les liens familiaux sont à distinguer des relations quotidiennes Les liens filiatifs et affiliatifs sont les supports et les vecteurs de la transmission. Maillés entre eux, ils forment des

contenants psychiques généalogiques, autrement dit des enveloppes qui sont ici rendues très fragiles. Ces contenants sont les assises sur lesquelles vont se forger les constructions adolescentes lorsque les enfants devenus adolescents cherchent à s’approprier « l’héritage » comme le disait Goethe. Ainsi, -« l’événement adolescence mobilise la capacité de la fonction contenante groupale familiale à contenir le processus de croissance de l’adolescence. La vulnérabilité des liens est l’expression des avatars de la transmission généalogique qui s’actualisent ou se réactualisent à l’occasion de l’adolescence » (Benghozi, Op. Cit, p. 760).

Comme le montre Benghozi, le lien affiliatif conjugal est un lien qui a pour fonction de remailler à la fois la contenance psychique individuelle, mais aussi les contenances psychiques des deux familles d’origine de chacun. Les enfants du couple se retrouvent alors engagés à la fois dans les mailles de contenants individuels du côté du père et de la mère et dans le pacte d’alliance du couple de leurs parents.Lorsque ces contenants sont défaillants et que la tentative de remaillage qu’assure le lien conjugal n’a pas suffit, le lien est alors assuré par l’enfant à travers des symptômes qui tentent de remailler le pacte d’alliance. "La fonction enfant porte-fantôme" assure ce qui n’est pas assuré par le pacte d’alliance, c’est à dire la fonction remaillante, et ce qui fait lien entre les deux familles d’origine devient les symptômes de l’enfant (Benghozi, 2007). Le "porte la honte " auquel Pierre Benghozi fait référence est, je le cite" le porteur héritier ventriloque de la honte inconsciente familiale qui accompagne ces transmissions. Il assure en dépôt l’héritage familial de transmission transgénérationnelle du négatif, indicible et inavouable familial ». Ce ne sont pas les fantômes en eux-mêmes qui reviennent mais plutôt des résonances en négatif qui reflètent les lacunes laissées en nous par les secrets des autres. Cela signifie pour nous que des symptômes, des troubles du comportement et certaines problématiques psychiques sont à entendre comme l’expression individuelle « porte-symptôme/porte-fantôme » d’un groupe familial en souffrance. A l’adolescence, on le voit chez Paul, voire Pierre-Yves, ces symptômes vont prendre des formes traumatophiliques (risques et répétitions de traumatismes), mettant en perspective des indices d’une pathologie de contenant. Ces tendances traumatophiliques, même dans la répétition sont des tentatives d’aménagement d’un fonctionnement psychique face à des angoisses non contenues et non métabolisées des générations précédentes, à la fois au niveau de l’appareil psychique individuel et de l’appareil psychique groupal familial". Il est par ailleurs important de garder à l’esprit que la fratrie toute entière est le groupe héritier de cette transmission psychique par "diffraction des loyautés généalogiques", ce qui explique les glissements de symptômes entre les frères dans la famille.

Les enjeux de filiation traumatique, en créant de véritables lacunes psychiques dans les processus de transmission, conduisent les générations qui suivent à se mobiliser dans des défenses paradoxales très massives. Face à l’absence de « bonnes fées » autour du berceau des

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enfants, l’absence d’une histoire familiale, de mythes susceptibles de nouer l’organisation narcissique de la filiation à un arrimage symbolique, ces derniers se sont trouvés envahis par des questions inconcevables sur leurs origines. Bien sûr, rien ne peut prédire leur destinée et certains peuvent se révéler de véritables passeurs d’histoire, enfants thérapeutes de leurs parents. Ils souffrent toutefois d’être nés physiquement sans pouvoir naître réellement psychiquement pour s’approprier leur destinée, lier les deux statuts du sujet décrit par Freud, soit l’existence individuelle au chaînon groupal, le groupe familial. N’ayant pu élaborer dans le partage les liens aux origines, ils se trouvent comme ligaturés dans un vécu d’impuissance à un passé traumatique qui sidère leur fonctionnement psychique en particulier à l’adolescence.

Les angoisses de précipitation qui ont pu envahir Jean ou Paul nous semblent en réponse à cette béance dans l’enveloppe familiale, à la violence des fantasmes originaires. En effet, lorsque Paul interroge son père sur l’origine du monde, il n’est pas loin de reprendre la thématique angoissante des mythes grecs lorsque les premiers hommes se sont trouvés abandonnés des dieux. A l’image d’Ouranos recouvrant Gaïa dans une parthénogenèse perpétuelle et de la malédiction de Chronos par qui la séparation survient, Paul semble être aspiré dans une auto-création continuelle qui débouche sur le néant, d’où l’auto-sabotage très présent face à l’emprise de l’originaire au début de nos rencontres.

Dans la continuité de José Bleger, avec la question du dispositif, se pose ici essentiellement celle d'une « psychanalyse du cadre psychanalytique » (Bleger, 1967). La spécificité de ce travail thérapeutique a été ici de mettre en tension la dimension garante du cadre avec notre disponibilité, la dimension malléable, voire la fiabilité dans notre capacité à accueillir et à contenir des contenants familiaux et sociaux eux-mêmes en transformation. Au niveau des processus thérapeutiques, tout le travail de la thérapie familiale consiste donc à une mise en jeu d’un travail de "déconstruction et de reconstruction narrative des mythes familiaux" à la lumière non seulement de l’histoire des deux familles mais surtout en suivant les modalités de restauration d’un idéal du moi familial narcissiquement revalorisant. Dans notre cas, les constructions adolescentes vont faire partie de la trame narrative sur laquelle nous nous sommes appuyés, les changements chez les enfants adolescents ramenant au premier plan les angoisses des parents face aux processus d’intersubjectalisation, la nécessité de se distancier et de retrouver les objets de l’enfance. Nous terminerons le travail thérapeutique au moment où Paul commence un processus de stages dans le cadre d’une formation en internat. Les séparations seront régulièrement des moments d’angoisse, ce qui amènera père ou mère à redemander des consultations en urgence.

Je voudrais revenir sur l’organisation du travail thérapeutique avec cette famille mais aussi le cheminement des soins au CMPP. Nous sommes restés dans un modèle plurifocal bien indiqué pour travailler avec les adolescents: plusieurs intervenants, un travail de référence avec tous les protagonistes et plusieurs espaces thérapeutiques. Ce modèle élaboré par Racamier et Jeammet permet de diffracter les tensions inhérentes au travail thérapeutique avec les adolescents et leur famille. Ici, il a pris une consistance particulière puisqu’un des référents de la prise en charge d’un enfant a participé à la psychothérapie familiale. Dans l’après-coup de cette psychothérapie familiale, nous pouvons dire qu’il y avait là la nécessité d’incarner une référence, une butée face au pouvoir attracteur négatif de l’imago maternelle toute puissante (le collègue pédopsychiatre), ce qui m’a permis d’être davantage dans le soutien au processus associatif. Ainsi, nous avons pu progressivement tenter d'introduire de manière souple, avec humanité du "paternel" organisateur et du "maternel"

enveloppant et nourricier. En d'autres termes, il s'agit d'introduire des représentations

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imagoïques différenciées, ce qui permet une refondation des alliances et une remise en route des capacités mentalisantes et des processus d’intersubjectalisation entre les différents membres de la famille.

Bibliographie

Anzieu D. (1987). Les signifiants formels et le Moi peau In Anzieu D. et al. Les enveloppes psychiques, Paris, Dunod : 1-22

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